La décision de suspendre — au moins temporairement — les livraisons d’armes et de munitions à l’Ukraine prise par Trump lundi 3 mars est étudiée depuis au moins plusieurs mois, bien avant que la nouvelle administration républicaine ne s’installe à Washington. Dès juillet, la nomination par Trump de J.D. Vance à la vice-présidence laissait entendre que le nouvel exécutif considérait utiliser le levier procuré par la dépendance partielle de l’Ukraine aux livraisons américaines comme un moyen de pression vis-à-vis de Kiev.
- Depuis son retour au pouvoir le 20 janvier, Trump n’a pas mis fin à l’assistance à l’Ukraine comme il l’avait pourtant promis au cours de la campagne.
- Malgré la vive opposition de plusieurs membres de son administration et alliés — notamment de Vance —, des avions militaires américains continuaient d’approvisionner chaque jour l’armée ukrainienne en équipements et munitions.
- En raison des retards accumulés sous le mandat de Biden, provoqués notamment par des débats internes quant aux risques d’escalade ainsi que par des inquiétudes relatives aux niveaux des stocks américains, les livraisons engagées en 2024 sous la précédente administration continuaient d’être honorées — avec du retard — depuis la transition.
En partant du principe que les livraisons s’arrêtent à partir d’aujourd’hui, mardi 4 mars, les renseignements ukrainiens considèrent que les fournitures américaines livrées au cours des dernières semaines et des derniers mois pourraient durer jusqu’à deux voire trois mois, soit jusqu’au début de l’été 2025 1. Si l’épuisement des stocks américains devrait rendre la défense contre les attaques russes bien plus difficile, la situation ne serait pas pour autant inédite : l’armée ukrainienne avait tenu le front avec des livraisons américaines drastiquement réduites pendant 5 mois entre décembre 2023 et avril 2024, avant que le Congrès américain ne vote un paquet d’aide supplémentaire.
- Durant cette période, les forces ukrainiennes avaient notamment souffert d’un manque important d’obus d’artillerie, dont plusieurs milliers sont consommés chaque jour par les deux armées sur la ligne de front.
- Depuis, la production européenne d’obus a considérablement augmenté : elle est passée de 300 000 par an en 2022 à 2 millions cette année. Les capacités américaines ont elles aussi augmenté, mais demeurent largement inférieures : le Pentagone estime que les États-Unis pourront produire environ 850 000 obus cette année — soit 2,4 fois moins que les Européens.
- La fin de l’assistance américaine se ferait ressentir beaucoup plus durement en matière de défense anti-aérienne (notamment les systèmes Patriot), de missiles moyenne et longue portée (type HIMARS et MLRS), de renseignement et d’accès à Internet, qui est pour l’heure largement assuré par Starlink.
- L’opérateur français Eutelsat a toutefois signalé qu’il était entré en discussion avec des gouvernements européens pour fournir un accès supplémentaire aux forces ukrainiennes 2.
D’un point de vue strictement budgétaire, la fin de l’assistance militaire américaine pourrait être compensée par les Européens, éventuellement avec l’aide d’autres soutiens de l’Ukraine comme la Corée du Sud, l’Australie ou le Canada. La principale inconnue à cette heure concerne le soutien indirect fourni par les États-Unis (formation, coordination de l’aide internationale, renseignement…)
- En maintenant cette assistance, l’administration Trump signalera qu’elle souhaite se désengager uniquement des opérations plus coûteuses et, donc, surtout en raison du poids économique de l’assistance à l’Ukraine sur les dépenses des États-Unis — un argument souvent mobilisé par les alliés du président américain, notamment J.D. Vance.
- En y mettant fin, la nouvelle administration républicaine enverrait un signal clair d’une toute autre nature aux Européens et à la Russie : les États-Unis souhaitent contraindre l’Ukraine à s’engager dans des négociations de paix qui lui seraient défavorables.
Sources
- Fabrice Deprez et Christopher Miller, « Military briefing : Ukraine to run out of US weapons by summer », Financial Times, 4 mars 2025.
- Gianluca Lo Nostro et Michal Aleksandrowicz, « Eutelsat in talks with EU to ramp up satellite internet to Ukraine, as shares soar », Reuters, 4 mars 2025.