Viktor Orbán : cheval de Trump
À la veille du Conseil européen de ce jeudi 6 mars, le premier ministre hongrois prend définitivement parti pour le président américain, en menaçant l’unité européenne sur l’Ukraine et en essayant de faire dérailler sa préparation.
Dans la continuité de son alignement sur la position du président Trump et du Kremlin, il menace : « Toute tentative d’adopter des conclusions écrites par le Conseil européen sur l’Ukraine donnerait l’image d’une Union européenne divisée. »
Nous traduisons et commentons cette prise de position ligne à ligne.

Le Premier ministre hongrois a transmis aujourd’hui, le 1er mars, une lettre au président du Conseil européen, António Costa, dans la séquence de la préparation du sommet extraordinaire des chefs d’État et de gouvernement prévu ce 6 mars à Bruxelles.
Dans ce texte, Viktor Orbán remet en question la position actuelle de l’Union sur l’Ukraine et y propose une approche différente, inspirée des États-Unis : « Je suis convaincu que l’Union européenne – suivant l’exemple des États-Unis – devrait engager des discussions directes avec la Russie sur un cessez-le-feu et une paix durable en Ukraine ».
Orbán préconise de ne pas adopter de conclusions écrites sur l’Ukraine lors du Conseil européen du 6 mars, sous prétexte que les divergences stratégiques entre États membres ne peuvent être surmontées par la simple rédaction d’un texte.
Cette approche vise à bloquer une position commune de l’Union, ce qui pourrait entraver la coordination des actions européennes vis-à-vis de l’Ukraine. La Hongrie était hier le seul pays européen à défendre la ligne du président américain.
En limitant les conclusions au rappel de la résolution 2774 de l’ONU — qui a vu une convergence inédite ce lundi entre la Russie et les États-Unis —, le premier ministre hongrois cherche à minimiser l’implication de l’Union européenne, en privilégiant l’approche mise en avant par Donald Trump et le Kremlin, excluant l’Europe de la table des négociations.
Cette menace n’est pas présentée comme une position visant éventuellement à infléchir la position de l’Union (« divergences stratégiques ») au cours de négociations en amont. Pour autant, Orbán, qui est le leader avec le plus d’ancienneté autour de la table du Conseil européen est à la tête d’un pays qui pèse peu économiquement et démographiquement. Il semble évident qu’il vise à faire le premier mouvement avant d’impliquer d’autres pays comme la Slovaquie de Fico ou – dans un scénario pour le moment improbable – même l’Italie de Meloni pour le moment particulièrement prudente dans sa condamnation de l’affaire du Bureau ovale d’hier.
Aujourd’hui, samedi 1er mars, une source proche du dossier nous indiquait qu’il n’y aurait pas de réaction immédiate mais que le Conseil européen travaillait à une nouvelle version des conclusions jusqu’à ce mardi. Un diplomate européen indiquait au Grand Continent que l’option d’un communiqué à 25 — excluant la Hongrie et la Slovaquie de Fico — n’était pas exclue à ce stade, même si le Président du Conseil travaillait en direction de l’adoption d’un communiqué commun.
Si le président hongrois devait persister à ne rien céder à ses partenaires européens, cela ouvrirait une nouvelle phase. Une alternative assez brutale : se soumettre au chantage du cheval de Troie du trumpisme en Europe, en ajournant toute décision ; ne pas tenir compte de la menace hongroise et inventer les voies et moyens — dans et hors du cadre de l’Union — pour agir sans Budapest.
En tout état de cause, le blocage persistant d’un membre sur une question aussi stratégique devrait poser une profonde réflexion sur les méthodes et la nature du projet européen.
M. António Costa
Président du Conseil européen
Bruxelles
Budapest, le 1ᵉʳ mars 2025
Monsieur le Président,
Je vous écris en préparation du Conseil européen extraordinaire prévu le 6 mars, consacré à la défense européenne et à l’Ukraine.
À la lumière du premier projet de conclusions diffusé le 27 février et des discussions au sein du COREPER le lendemain, il est devenu évident qu’il existe des divergences stratégiques dans notre approche de l’Ukraine qui ne peuvent être comblées par la rédaction ou la communication.
Les conclusions préliminaires auxquelles Orbán s’oppose sont en cours d’élaboration. Les 27 devraient exprimer leur soutien inconditionnel à l’Ukraine et évoquer les options — budgétaires et économiques — pour continuer à aider Kiev et renforcer la défense commune alors que Trump fait désormais front avec Poutine.
Les discussions en cours portent notamment sur une plus grande flexibilité du Pacte de stabilité pour faciliter l’augmentation des dépenses de défense au niveau national ; des sources de financement supplémentaires au niveau de l’Union, notamment grâce à la flexibilité dans l’utilisation des fonds structurels et des fonds non dépensés du plan de relance NextGenEU ; la modification du mandat de la BEI pour faciliter les prêts à l’industrie de la défense ;
La question d’une nouvelle émission de dette, similaire au plan adopté en 2020 en réponse à la pandémie du Covid-19, devrait également faire l’objet de discussions. Le COREPER, qui réunit les représentants permanents des États membres et qui prépare l’ordre du jour des discussions du Conseil, devrait se réunir à nouveau mardi prochain, le 4 mars. Demain, 2 mars, une vingtaine de dirigeants se réuniront à Londres à l’initiative du premier ministre britannique, Keir Starmer. « La réunion de Londres servira à cristalliser les positions des États membres. Le président du Conseil travaillera toujours pour l’unité et pour une position commune, mais une déclaration des 25 membres (hors Hongrie et Slovaquie) n’est pas à exclure », a déclaré au Grand Continent une source européenne proche du dossier.
Je suis convaincu que l’Union européenne – suivant l’exemple des États-Unis – devrait engager des discussions directes avec la Russie sur un cessez-le-feu et une paix durable en Ukraine. Cette approche n’est pas compatible avec celle reflétée dans le projet de conclusions.
Face à l’agression verbale dont a fait l’objet le président ukrainien dans le Bureau ovale, les pays européens ont tenu à exprimer leur soutien à Zelensky et l’Ukraine. Seule la Hongrie de Viktor Orbán soutient le président américain, alors que l’Italie de Meloni est restée dans une position d’ambiguïté stratégique.
Par conséquent, je propose de ne pas tenter d’adopter de conclusions écrites sur l’Ukraine lors du Conseil européen extraordinaire. À la place, je suggère de limiter les conclusions écrites au rappel et au soutien de la Résolution 2774 (2025) du Conseil de sécurité de l’ONU, adoptée le 24 février 2025. Cette résolution marque une nouvelle phase dans l’histoire du conflit et rend caduque toute la terminologie précédemment convenue par le Conseil européen.
Lundi 24 février, à l’occasion du troisième anniversaire de l’invasion russe de l’Ukraine, les pays membres des Nations unies ont voté sur une résolution demandant la fin des hostilités ainsi qu’une résolution pacifique du conflit et réaffirmant l’engagement de l’organisation pour l’intégrité territoriale du pays.
Pour la première fois, les États-Unis de Donald Trump ont voté avec la Russie de Vladimir Poutine. La Hongrie est quant à elle devenue le seul État membre de l’Union qui s’est opposé à la résolution, alors que le pays avait voté pour en 2022.
La mise en regard du vote d’aujourd’hui avec celui du 2 mars 2022 sur une résolution condamnant l’invasion de Moscou témoigne d’une hégémonie du récit russe et du recul du soutien international à Kiev.
Toute tentative d’adopter des conclusions écrites par le Conseil européen sur l’Ukraine donnerait l’image d’une Union européenne divisée.