Le pape François est mort ce matin à 7h35 au Vatican, à l’âge de 88 ans. Avec lui, l’Église catholique et ses plus d’un milliard de fidèles perdent une figure résolument originale, novatrice et, par de multiples aspects, presque iconoclaste au regard de cette institution multiséculaire. Qu’on en juge par toutes les nouveautés que représentait l’élection de Jorge Mario Bergoglio, le 13 mars 2013, au trône de Pierre, après la démission volontaire de son prédécesseur Benoît XVI (1927-2022), qui constituait d’elle-même une innovation : François a été le premier pape argentin, le premier issu du Nouveau Monde, et le premier pontife non-européen depuis Grégoire III (731-741), pape d’origine syrienne au VIIIe siècle. Il est également le premier à accéder au souverain pontificat issu de l’ordre des Jésuites, dont l’influence réelle ou fantasmée sur le Saint-Siège a été notable, ce qui en fait aussi un des très rares papes (20 sur 266) à provenir d’une congrégation religieuse, le premier depuis le très conservateur Grégoire XVI (pape de 1831 à 1846, issu de l’ordre des Camaldules 1). Enfin, il a été le premier pape à prendre le nom de François 2, en référence explicite à la figure prophétique de saint François d’Assise (1181-1226), et ainsi le premier à se choisir un nom inédit depuis plus d’un millénaire, après Landon, l’un de ses plus obscurs prédécesseurs (pape de 913 à 914) 3.

Ce nom de François était déjà tout un programme  : en inscrivant sa figure dans le sillage du Poverello d’Assise, depuis longtemps l’un des saints les plus populaires à l’échelle de l’Église universelle, Jorge Mario Bergoglio voulait montrer qu’il faisait sien, tout en le réinterprétant, son idéal d’attention primordiale accordée aux exclus, comme de réforme radicale de l’Église par retour à la simplicité évangélique. De même, dans la relation d’émerveillement qu’entretenait l’auteur du Cantique des créatures à la Création, François a voulu discerner les prémices de la préoccupation écologique pour la « Maison commune » qu’il a lui-même mise au cœur de son pontificat. Résolument, François s’est conçu et a voulu se montrer en pape de rupture. Si beaucoup de hiérarques catholiques — comme lui-même à l’occasion — ont parfois mis en avant les formes de continuité inévitable avec ses prédécesseurs immédiats, c’est de loin la rupture qui l’emporte. On peut même avancer que le pape François apparaît comme une figure très différente, non seulement de Jean-Paul II et Benoît XVI, mais même de tous les autres papes depuis la fin des États de l’Église en 1870, voire depuis la Révolution française  : dans sa conception de la papauté, il diffère assurément plus d’eux-mêmes qu’ils ne différaient entre eux. Aux nouveautés formelles que représentait son élection – vues comme accessoires mais au fond très significatives des reconfigurations de l’Église –, répondent donc des innovations volontaires, qu’il convient d’expliquer en se penchant plus avant sur la personnalité de Jorge Mario Bergoglio, l’homme et le prêtre avant d’être pape.

La vocation d’un jésuite

Jorge Mario Bergoglio est né le 17 décembre 1936 à Buenos Aires, dans le quartier populaire de Flores, aîné d’une fratrie de cinq enfants (dont une sœur est toujours vivante à l’heure actuelle. Son père, Mario José Bergoglio, est un immigré italien de la première génération, originaire du Piémont, arrivé en Argentine une dizaine d’années plus tôt, pour y être comptable au service des chemins de fer ; et si sa mère, Regina Maria Sivori, est quant à elle née en Argentine, elle-même est la fille d’immigrés italiens venant de Ligurie. Du fait de cette double ascendance nordo-italienne, commune à nombre d’Argentins 4, Jorge Mario Bergoglio parlera couramment l’italien, quoiqu’avec un léger accent, l’espagnol étant sa langue maternelle, et baignera dans une culture familiale largement européanisée : ces deux faits sont loin d’être anodins pour une Curie encore dominée par les Italiens au moment de son élection, et ils ont certainement compté dans celle-ci, en ce qu’ils atténuent l’impression de rupture produite par le choix d’un non-européen.

Son milieu familial le rattache donc aux classes moyennes inférieures, à la limite entre la petite bourgeoisie et des milieux plus populaires, marqués par une forte piété mariale, transmise par sa grand-mère maternelle. Il effectue ses études secondaires au collège privé salésien de Ramos Meijia, en banlieue proche de Buenos Aires, mais c’est dans son église de quartier qu’il acquiert, à dix-sept ans, la conviction de sa vocation religieuse, après une confession au cours de laquelle il a, selon ses propres mots, une « révélation de la Miséricorde de Dieu ». On ne s’étonnera pas, dès lors, de son insistance sur cette notion centrale, la capacité de Dieu à pardonner les errements humains, tout au long de son pontificat 5. Alors qu’il était fiancé à une jeune fille, il décide de rompre cet engagement pour entrer dans les ordres. Pour autant, il diffère dans l’immédiat son entrée au séminaire, pour entamer des études supérieures à l’École nationale d’enseignement technique, où il obtient un diplôme de technicien en chimie. C’est durant ces années d’études qu’il exerce différents petits métiers pour subvenir à ses besoins, dont celui, sans doute inhabituel pour un futur pape, de videur dans un night-club louche de Cordoba. C’est également pendant la même période qu’il connaît de graves problèmes de santé, jusqu’à subir une ablation du haut du poumon droit à la suite d’une pneumonie 6. Il en gardera une grande fragilité respiratoire.

C’est dans son église de quartier qu’il acquiert, à dix-sept ans, la conviction de sa vocation religieuse.

Jean-Benoît Poulle

En 1957, âgé de 21 ans, il entre en propédeutique au séminaire diocésain de Villa Devoto, dans la banlieue résidentielle de Buenos Aires. Pour l’époque, il s’agit presque là d’une vocation tardive  : au contraire du futur Benoît XVI, Bergoglio n’est pas passé par un petit séminaire, ces pépinières de prêtres à la vocation précoce qui tenaient lieu d’enseignement secondaire. Son diplôme de l’enseignement supérieur, avant l’entrée au séminaire, constitue une autre rareté dans ces années 1950  : son profil novateur, au fond, correspond bien davantage à ce qui est attendu de nos jours des candidats au sacerdoce, y compris au en termes de maturité de vie. Le séminaire diocésain n’est toutefois qu’une courte étape de discernement, qui lui permet de confirmer qu’il a la vocation non seulement sacerdotale, mais aussi religieuse. Par la suite, le pape François a souvent témoigné que sa première vocation était d’être missionnaire dans un pays lointain, et plus particulièrement au Japon, un pays vers lequel il se sentait mystérieusement attiré 7. Le 11 mars 1958, il entre comme novice dans la Compagnie de Jésus, l’ordre des jésuites.

Cette congrégation, qui est en droit canonique une compagnie de clercs séculiers — et permet donc une présence dans le monde plus active qu’un ordre monastique ou de religieux mendiants —, est alors perçue par beaucoup comme l’élite du clergé catholique. Il est difficile de se faire de nos jours une idée de la puissance et de l’influence acquises par les jésuites dans l’Église d’avant le concile Vatican II  : en 1959, avec plus de 34 000 membres sur les cinq continents, ils constituaient de loin la congrégation religieuse la plus nombreuse au monde 8. Le vaste réseau de leurs collèges et de leurs universités dispensait, dans tous les pays catholiques et au-delà, une formation intellectuelle très exigeante, et diffusait une spiritualité ascétique dans les élites laïques des classes supérieures. Leur perception comme élite de choc de l’Église catholique venait aussi de ce qu’aux trois vœux religieux traditionnels (pauvreté, chasteté, obéissance au supérieur), les jésuites en ajoutent un quatrième, d’obéissance spéciale au pape. Leur supérieur général, qu’on appelle simplement le général (ce qui renforçait encore leur assimilation à une armée) n’était-il pas surnommé le pape noir, à cause du crédit immense qu’il était supposé détenir auprès du véritable pape, l’homme en blanc  ? Sans doute précisément à cause de ce crédit, voir un jésuite lui-même élu sur le trône de Pierre était alors peu concevable  : le grand pouvoir de la Compagnie était aussi très critiqué, non seulement dans les milieux laïques et anticléricaux qui se plaisaient parfois à l’exagérer, mais au sein même du catholicisme, dans le clergé diocésain ou parmi les autres ordres, ses rivaux. Leur réputation de congrégation d’élite venait enfin de la longueur des études qu’on effectuait en son sein  : au lieu du noviciat relativement rapide effectué dans d’autres ordres, la période probatoire chez les jésuites, de plus de quinze ans, était si étendue qu’elle tendait à devenir une sorte de formation continue, ce qui permettait de produire de véritables érudits. Les vastes compétences de ces derniers étaient reconnues jusque dans le monde profane, en théologie et exégèse, mais aussi en philosophie, histoire, philologie, etc. sans oblitérer leur vocation pastorale. C’est à une formation aussi exigeante, et en pleine connaissance de cause, que Jorge Bergoglio se destine quand il est admis comme novice.

Ses premières années dans la Compagnie, marquées par l’expérience du déracinement, concept clef dans la pensée jésuite, se passent à l’étranger  : il est d’abord envoyé au Chili — bien plus proche que le Japon rêvé. En 1963, il revient à Buenos Aires pour son cursus de philosophie, puis ce sont les années de régence, soit une expérience d’enseignement, qui l’amènent à être professeur de littérature au Colegio de Immaculada de Santa Fe et au Colegio del Salvador de Buenos Aires (1964-1966), suivies de ses trois années d’étude de la théologie (1967-1970) au théologat San Miguel, annexe de l’université del Salvador, la grande université jésuite du pays. Étape centrale de son parcours, il est ordonné prêtre le 13 décembre 1969  : la date est d’importance, car la fin de cette année 1969 marque précisément l’entrée en vigueur de la réforme liturgique promulguée par Paul VI, à la suite de Vatican II, réforme marquée par le passage à la langue vernaculaire 9 et une grande simplification des rites. Jorge Mario Bergoglio, là encore au contraire de ses prédécesseurs, n’a donc jamais célébré la messe en latin selon la forme traditionnelle (dite missel de 1962)  : par un effet de génération frappant, il est pleinement un prêtre de la réforme liturgique. 

Sa formation jésuite est parachevée en 1971-1972 par l’étape dite du Troisième An  : un nouveau séjour de retraite à l’étranger, à l’université d’Alcala de Henares en Espagne, à l’issue duquel il prononce son quatrième vœu d’obéissance particulière au pape et à l’Église. De retour en Argentine, il devient maître des novices du collège jésuite de San Miguel, toujours en banlieue de la capitale. Sa profession solennelle dans l’ordre, couronnement de sa formation, a lieu le 22 avril 1973. Trois mois plus tard, à l’âge de 36 ans, il est nommé provincial, c’est-à-dire supérieur de tous les jésuites d’Argentine.

C’est durant ses années d’études qu’il exerce différents petits métiers pour subvenir à ses besoins, dont celui, sans doute inhabituel pour un futur pape, de videur dans un night-club louche de Cordoba.

Jean-Benoît Poulle

Un provincial sous la dictature

Ces années classiques de formation, qui sont aussi celles d’un certain retrait du monde, ont volontairement laissé de côté le contexte politique, social et ecclésial dans lequel évolue Jorge Maria Bergoglio. En réalité, cette période est marquée par une intense effervescence  : dans l’Église, ce sont les réformes fondamentales mises en œuvre par le concile Vatican II (1962-1965), et leurs répercussions d’ampleur, spécialement dans la Compagnie de Jésus  ; à Buenos Aires, ce sont les années non moins agitées de l’héritage du péronisme, entre contestations violentes et retour au pouvoir de Juan Domingo Perón (1973-1974). L’une comme l’autre de ces crises multiformes peuvent expliquer et la nomination si précoce de Bergoglio comme provincial, et son attitude pendant la dictature militaire de sinistre mémoire (1976-1983). 

Dès sa jeunesse, Jorge Mario Bergoglio n’est pas indifférent à la politique. Ses héritages familiaux à cet égard sont divers, du socialisme radical d’un de ses oncles au conservatisme. Par ses lectures et ses fréquentations, le jeune Bergoglio entre précocement en dialogue avec des pensées de gauche. Mais ses années de maturation sont avant tout marquées par l’omniprésence de Juan Domingo Perón (1895-1974) et du péronisme. Président de la Nation argentine depuis 1946, réélu au suffrage universel en 1951 avant d’être renversé en 1955, Perón entend rompre avec les élites corrompues de la « Décennie infâme » (1930-1943) en s’appuyant sur son lien direct avec les masses populaires, en faveur desquelles il mène de nombreuses réformes sociales. Le « populisme » au sens originaire, dont il se réclame, est une pensée par nature rétive à toute classification à gauche ou à droite, puisqu’elle se revendique aussi bien de l’une que de l’autre  : il met en exergue la justice sociale autant qu’une conception organique et autoritaire de la nation argentine, fondée sur son leader charismatique. Sur le plan international, il cherche une troisième voie entre le camp occidental et le bloc de l’Est  ; dans son œuvre de réforme intérieure enfin, Perón ne craint pas de s’opposer à tous les corps intermédiaires, y compris l’Église catholique. Étudiant, Bergoglio assiste à une rencontre de son école avec Perón, et est en contact suivi avec des sections justicialistes (du nom du parti officiel péroniste). Mieux, il adhère à la fin des années 1960 à un groupement péroniste, l’Organización Única del Trasvasiamento Generacional, alors même que Perón est en exil. Fin 1974, il confie le contrôle de l’université del Salvador à d’anciens membres de l’Organización. Il est indéniable que le péronisme a eu sur lui, comme sur des millions d’Argentins, une influence profonde et durable. Cela explique probablement le caractère souvent inclassable des prises de position politiques de François, ainsi que le lien direct avec le « peuple de Dieu » que le pontife revendique. Et malgré le retrait imposé par la Compagnie, il est raisonnable de penser que Bergoglio a été profondément marqué par l’atmosphère de passion, même de violence politique de ces années 1950-1960, au cours desquelles l’héritage péroniste fut âprement débattu.

Il serait cependant vain d’imaginer les structures de l’Église catholique épargnées par les turbulences. Les conséquences des réformes postconciliaires ont été particulièrement sensibles dans l’Église latino-américaine, avec des oppositions entre conservateurs et progressistes plus tranchées qu’ailleurs. En 1968, le Conseil épiscopal latino-américain, réuni en conférence à Medellín, dénonce la violence institutionnalisée des dictatures militaires du continent, et proclame « l’option préférentielle » de l’Église pour les pauvres, qui doit conduire à son soutien dans leurs luttes contre l’oppression. C’est l’acte de naissance de ce qui sera appelé la « théologie de la libération », pour qui le message évangélique de Salut est indissociable de l’effort de libération des exclus et des dominés contre les structures socio-économiques oppressives. Si cette orientation provoque de grands débats au sein de l’épiscopat, nombreux sont les ordres religieux à s’y engager résolument, et les jésuites parmi les premiers. L’espagnol Pedro Arrupe (1907-1995), supérieur général de la Compagnie de Jésus depuis 1965, impulse les mesures décisives pour ce repositionnement, poussant son ordre à rompre avec son image élitiste afin de s’engager plus avant en faveur de la justice sociale, spécialement en Amérique du Sud. Il voit sa ligne confirmée par une congrégation générale de la Compagnie en 1974. Mais Arrupe ne peut empêcher une crise ouverte parmi les jésuites  : l’ordre se retrouve écartelé entre ses membres les plus progressistes, pour qui l’engagement au service de la libération doit se faire plus visible, en privilégiant les luttes sociales réelles, et sa frange conservatrice qui redoute l’infiltration du marxisme dans l’Église. Ces années 1968-1976 sont ainsi celles qui voient des milliers de jésuites quitter la vie religieuse, entraînant une véritable crise des cadres de la Compagnie. Dans ce contexte, Bergoglio se trouve être l’homme idoine pour empêcher l’éclatement de la province jésuite d’Argentine, car il incarne une voie médiane  : on le sait proche de la « théologie du peuple » 10, variante la plus modérée de la théologie de la libération, tout en refusant de mêler sa voix à celle des contestataires. Et de fait, durant les sept années d’exercice de sa charge de provincial (1973-1980), il réussit à maintenir l’unité de la province d’Argentine. 

Avec la dictature militaire du général Videla (1976-1981) et de ses épigones (1981-1983), c’est une répression sanglante d’une toute autre ampleur qui s’abat sur l’Argentine. L’Église est elle-même divisée entre la franche approbation du « processus national », exprimée par certains de ses hiérarques au nom de l’anticommunisme, et l’engagement de prêtres et de communautés de base dans la résistance ouverte. En tant que provincial, Bergoglio conserve une attitude prudente qui vise à la protection de ses religieux, tout en apportant à l’occasion un soutien matériel discret aux opposants au régime. L’influence du péronisme le maintient idéologiquement à l’écart de la dictature d’extrême-droite, mais aussi d’une bonne part de ses opposants les plus résolus. Il est certain qu’il a couvert ou caché des prêtres résistants, et pris à l’occasion des risques personnels pour faire libérer certains détenus clercs ou laïcs — comme l’avocate Alicia Oliveira. En 2005, la controverse sur son rôle exact sera relancée par un livre du journaliste Horacio Verbitsky 11, qui pointe sa passivité lors de l’arrestation et la torture de deux opposants jésuites, Orlando Yorio (1932-2000) et Franz Jalics (1927-2021), accusation dont ce dernier le disculpera. En 2012, la Conférence épiscopale d’Argentine, qu’il préside alors, présente ses excuses pour son attitude dilatoire pendant la dictature. Son comportement personnel ne peut être ainsi dissocié de ceux de l’Église et de la société argentines dans leur ensemble, qui souffrirent la dictature plutôt qu’ils ne se dressèrent contre elle. En tout état de cause, l’accusation de complicité avec Videla, parfois lancée, paraît bien outrancière 12.

Bergoglio se trouve être l’homme idoine pour empêcher l’éclatement de la province jésuite d’Argentine car il incarne une voie médiane  : on le sait proche de la « théologie du peuple » tout en refusant de mêler sa voix à celle des contestataires.

Jean-Benoît Poulle

La traversée du désert du Père Bergoglio

Après son provincialat, le P. Bergoglio est nommé professeur de théologie et recteur de la faculté de philosophie de San Miguel en 1980, tout en assumant une charge de curé de paroisse dans la même ville.

C’est là un débouché tout à fait normal pour un ordre voué à l’enseignement, et Bergoglio ne craint pas, dans ses homélies, de dénoncer les problèmes sociaux. Ses rapports avec la direction de la Compagnie deviennent dans ce temps-là plus difficiles, d’autant plus qu’elle connaît une nouvelle crise en août 1981, lorsque le P. Arrupe est victime d’une thrombose cérébrale qui le laisse paralysé. Le pape Jean-Paul II saisit l’occasion pour reprendre la main sur un ordre qui lui semble s’éloigner de ses orientations restauratrices, et nomme d’autorité un délégué pontifical personnel pour diriger la Compagnie, le très traditionnel P. Paolo Dezza. Cette ingérence est très mal vécue par les jésuites, dont les constitutions spécifient que seule la congrégation générale a autorité pour élire leur supérieur. En 1983, une telle assemblée peut enfin se tenir avec la permission du pape, et élit pour sortie de crise le Néerlandais Hans-Peter Kolvenbach (1928-2016), homme de consensus dont la ligne « centriste » est au fond la même que celle de Bergoglio en Argentine  : il s’emploie à restaurer la confiance. Néanmoins, Bergoglio conserve des relations difficiles avec plusieurs jésuites argentins, qui lui reprochent une forme d’intransigeance dans sa conduite de la faculté, notamment avec son nouveau provincial élu en 1986. Il décide alors de prendre du champ, et part en Allemagne la même année pour entreprendre une thèse de doctorat en théologie à l’université de Francfort, sur le théologien et liturgiste Romano Guardini (1885-1968), l’un des grands inspirateurs de Vatican II et de Benoît XVI. Durant sa formation, il avait appris l’allemand, et quelques rudiments d’anglais et de français 13. Pour des raisons qui demeurent en partie mystérieuses, il n’achèvera jamais ce travail.

De manière générale, ce mitan des années 1980 semble correspondre selon plusieurs témoignages concordants à une période de traversée du désert dans la carrière et la vie de Jorge Mario Bergoglio. Son parcours paraît marquer le pas, et à son retour en Argentine fin 1986, il se retrouve sans affectation. Plus profondément, lui-même évoquera cette période comme un temps de grave crise spirituelle  : après des débuts brillants, il n’a pas eu les responsabilités qu’il méritait sans doute, et a dû en ressentir une déception inévitable, qu’il doit dissimuler derrière l’obéissance absolue à la Compagnie. Dans leur spiritualité ascétique et volontaire, les jésuites mettent en garde contre l’acédie, ce sentiment de vanité et de dégoût des choses spirituelles, qui peut survenir vers le milieu de la vie  ; et chaque dimanche soir, à l’office de complies, ils récitent le verset 6 du psaume 90 qui invoque le secours des anges contre le daemonium meridianum, ce « démon de midi » que l’explication populaire a trop vite réduit à la seule tentation d’infidélité sexuelle. Arrivé à la cinquantaine après avoir dû assumer des charges très lourdes, le P. Bergoglio a pu connaître une forme de découragement. Le nouveau poste auquel il est envoyé en 1990 est très clairement une relégation  : il doit rejoindre une petite paroisse de Cordoba, seconde ville d’Argentine dans le Centre-Nord du pays, pour y faire office de confesseur, mais a interdiction de prêcher. Son ministère se déroule dans l’ombre. Beaucoup de ceux qui le connaissent diront que ces années l’ont profondément changé, et sans doute endurci  ; dans le même temps, l’expérience quotidienne du confessionnal, qui est la seule charge qui lui reste, accroît encore chez lui la conviction de l’importance centrale de la Miséricorde. Devenu archevêque de Buenos Aires, il continuera à confesser régulièrement lui-même ses fidèles à la cathédrale.

Dans leur spiritualité ascétique et volontaire, les jésuites mettent en garde contre l’acédie, ce sentiment de vanité et de dégoût des choses spirituelles, qui peut survenir vers le milieu de la vie.

Jean-Benoît Poulle

Le nouveau primat d’Argentine

Au début des années 1990, une rencontre donne une orientation toute nouvelle à sa carrière  : celle du prélat Antonio Quarracino (1923-1998), archevêque de La Plata en 1985, puis nommé archevêque de Buenos Aires en 1990, élu président de la Conférence épiscopale argentine et créé cardinal l’année suivante. Fils d’immigrés italiens comme Bergoglio, Quarracino (lui-même né à Salerne) a pourtant un profil assez différent du futur pape, car il est considéré comme un représentant clair du camp conservateur. Il s’est certes moins compromis dans le soutien à la dictature militaire que ses prédécesseurs Antonio Plaza à La Plata ou le cardinal Aramburu à Buenos Aires, mais il prône une politique de réconciliation nationale et d’amnistie, au risque de faire oublier les exactions commises. Sur les sujets de société (divorce, avortement, homosexualité…), il est un fervent soutien des orientations restauratrices de Jean-Paul II. Dans le même temps, Quarracino se fait aussi l’avocat convaincu du dialogue avec le judaïsme, et de la présence médiatique de l’Église. Ces deux personnalités assez dissemblables tissent des liens de confiance, si bien qu’en 1992, Quarracino propose à Rome que Bergoglio devienne l’un de ses évêques auxiliaires à Buenos Aires. Les jésuites n’étant pas censés briguer de charge épiscopale, Bergoglio doit obtenir une dispense de son ordre, qui donne lieu à la rédaction d’un rapport sous la supervision du supérieur général Kolvenbach. Si ce rapport semble avoir disparu des archives, plusieurs signes montrent qu’il émettait un jugement assez défavorable sur la personnalité du futur pape  : c’est là un argument que ses adversaires ne manqueront pas de brandir pendant son pontificat, y entretenant à dessein une atmosphère sans doute exagérée de secret, voire de scandale. Mais Quarracino décide de passer outre, et obtient gain de cause après une entrevue avec Jean-Paul II  : le 20 mars 1992, le P. Bergoglio est nommé évêque auxiliaire, et se met en congé de la Compagnie de Jésus. En juin 1997, un nouveau pas décisif est franchi lorsqu’il devient le coadjuteur du cardinal Quarracino, c’est-à-dire qu’il obtient le droit à sa succession automatique : à la mort de ce dernier, moins d’un an plus tard (le 28 février 1998), il est de droit le nouvel archevêque de Buenos Aires, primat d’Argentine. 

C’est comme archevêque de la capitale, parvenu à ce poste à 62 ans, que Jorge Mario Bergoglio se singularise, et qu’il prend pour la première fois l’audace de la rupture. Clairement, son style de gouvernement diocésain annonce en bien des points celui qu’il adoptera comme souverain pontife. Cette sobriété se manifeste en premier lieu par une très grande austérité de vie  : il refuse de loger dans la luxueuse résidence épiscopale pour résider dans un petit appartement à proximité de la cathédrale. Il dédaigne la voiture de fonction avec chauffeur, et assume lui-même la plupart des tâches de son secrétariat. Levé à 4h30 tous les jours, il passe toute sa journée au travail, et ne prend jamais de période de vacances pour se reposer — une habitude qu’il maintiendra au Vatican. La proximité avec son clergé est un autre de ses soucis constants  : les 500 prêtres de son diocèse savent qu’ils peuvent l’appeler directement au téléphone, sur une ligne dédiée  ; il manifeste en particulier une grande sollicitude pour les curés des banlieues défavorisées, prêtres de favelas qu’il visite fréquemment et héberge à l’occasion. Car l’attention aux pauvres et aux marginaux est l’autre grand axe de sa charge de pasteur. Au moment où la faillite budgétaire de l’Argentine (en 2001) exacerbe la précarité des fidèles, il multiplie les visites dans les institutions sociales et caritatives, auprès de tous les laissés-pour-compte, et leur témoigne son attention par des gestes emblématiques, destinés à frapper l’opinion  : il effectue ainsi le rite du lavement des pieds du Jeudi Saint dans un hôpital, auprès de malades du sida. L’urgence est pour lui de retrouver le sens du peuple, auprès des gens simples, et de se mettre en quelque sorte à l’école de la piété populaire  : c’est la raison pour laquelle il appelle l’Église à adopter devant les pauvres une attitude d’humilité qui passe par le renoncement aux positions de pouvoir. 

Un tel engagement dans une période de crise sociale aggravée possède nécessairement des résonances politiques, dont Mgr Bergoglio est pleinement conscient. Ses critiques des réformes économiques néolibérales, comme son engagement aux côtés des mouvements populaires et syndicaux démontrent qu’il n’a pas oublié les conceptions péronistes, mêlées à sa propre « théologie du peuple ». Mais il entretient par la suite des rapports très ambivalents avec les héritiers revendiqués du péronisme de gauche regroupés dans le parti justicialiste de Nestor Kirchner (1950-2010), le vainqueur de l’élection présidentielle de 2003, avec qui les relations vont progressivement se dégrader quand Kirchner mettra en œuvre sa volonté de laïciser la société argentine. Avec son épouse, Cristina Fernández de Kirchner (née en 1953), qui lui succède à la présidence en 2007, elles deviendront notoirement très mauvaises  : la loi de 2010 autorisant le mariage homosexuel, soutenue par le parti présidentiel, entraîne une vigoureuse opposition de l’archevêque de Buenos Aires qui mobilise les ressources de l’Église contre elle  ; elle sera même analysée comme un affrontement personnel entre Bergoglio et la présidente.

C’est comme archevêque de la capitale, parvenu à ce poste à 62 ans, que Jorge Mario Bergoglio se singularise, et qu’il prend pour la première fois l’audace de la rupture.

Jean-Benoît Poulle

Les ressorts d’une élection surprise

Si Bergoglio possède un flair politique certain, il sait aussi récuser des positions de pouvoir  : en 2001, il refuse ainsi, dans un premier temps, d’être élu à la présidence de la Conférence épiscopale argentine 14. Il accepte néanmoins la même année d’être créé cardinal par Jean-Paul II, comme primat d’une des communautés catholiques les plus importantes au monde. Mais il s’oppose à l’idée que l’événement soit marqué par des festivités à Rome trop coûteuses pour ses compatriotes  : le produit de la quête lancée pour financer les billets d’avion est reversé aux pauvres. Comme membre du collège des cardinaux et de cinq dicastères, les instances de la Curie romaine 15, il doit pourtant s’y rendre régulièrement, mais limite toujours ses séjours au strict minimum  : il est l’un des cardinaux qui connaît le moins bien la Ville Éternelle où, de son propre aveu, il ne s’est jamais senti à son aise. Sa réputation d’austérité et d’humilité fait pourtant son chemin dans les hautes sphères vaticanes  : lors du conclave de 2005 qui suit la mort de Jean-Paul II, il impressionne ses collègues par une forme de radicalité évangélique  ; il est en outre identifié alors comme un progressiste modéré, bien moins voyant, et donc moins clivant qu’un autre ex-jésuite, le cardinal-archevêque de Milan Carlo Maria Martini (1927-2012), qui avait fait figure d’alternative intellectuelle progressiste durant tout le pontificat précédent. Aussi les votes de ses pairs le font-ils apparaître comme le principal rival du candidat du camp conservateur, Joseph Ratzinger  : d’abord dispersées en faveur d’autres cardinaux, les voix progressistes ou modérées s’agrègent bientôt sur sa tête, au point de former une minorité de blocage qui empêche l’élection de Ratzinger. Si l’on en croit un journal anonyme du conclave, Bergoglio aurait alors fait savoir qu’il refusait de devenir pape, et demandé à ses soutiens de reporter eux aussi leurs voix sur Ratzinger, ce qui aurait permis l’accession au pontificat du prélat bavarois 16.

Quoi qu’il en soit, il est patent que quelque chose de crucial s’est joué lors du conclave de 2005, qui permet de comprendre en partie celui de 2013, lequel a effectivement élu le cardinal Bergoglio comme pape après la renonciation de de Benoît XVI, et a pris à cet égard des allures de match-retour. Les acteurs en étaient pour bonne part les mêmes 17  : le cardinal Bergoglio avait été maintenu à la tête de son diocèse un an et demi après avoir atteint ses 75 ans (âge auquel tout évêque doit présenter sa démission) ; mais c’est la situation de l’Église, quant à elle, qui avait profondément changé. 

En effet, les multiples crises qui avaient émaillé le pontificat de Benoît XVI avaient désormais fait apparaître comme une impasse le choix de la continuité conservatrice ou « restauratrice », qui semblait encore le plus raisonnable en 2005. Le collège cardinalice paraissait convaincu de la nécessité de changements profonds sur de multiples plans  : d’abord formels, quant au profil du futur pape, pour que l’Église cesse d’être perçue comme le club des vieilles nations européennes  ; mais aussi quant à ses orientations religieuses, tant les scandales qui avaient éclaboussé la curie sous Benoît XVI avaient fini par porter le discrédit sur l’ensemble du programme conservateur. Dans ces conditions, une minorité très active de cardinaux progressistes était déjà déterminée à pousser de nouveau la candidature de Bergoglio, et avait fini par le convaincre lui-même de se laisser cette fois élire pape. Ce petit club de prélats progressistes, convaincus de la nécessité de réformes radicales au sein de l’Église, portait le nom de groupe de Saint-Gall, du nom de la ville suisse où il tenait ses réunions informelles : outre le cardinal Martini (décédé un an avant le conclave) 18 et l’évêque du lieu, il réunissait principalement les Allemands Walter Kasper (né en 1933) et Karl Lehmann (1936-2018), le Belge Godfried Danneels (1933-2019), le Britannique Cormac Murphy O’Connor (1932-2017), et l’Italien Achille Silvestrini (1923-2019), membre de la Curie, sans compter quelques évêques français de  rang non cardinalice. Tous ces cardinaux ont été les chevilles ouvrières de l’accession de Bergoglio au pontificat, et plusieurs sont d’ailleurs très significativement apparus les premiers à ses côtés au balcon de Saint-Pierre, le soir de son élection. 

Le groupe de Saint-Gall, à lui seul, n’a certes pas suffi à faire l’élection. Lors des congrégations générales préparatoires, Bergoglio a réussi à obtenir le soutien inattendu de deux clans curiaux qui se menaient jusque-là une guerre féroce, et ont conclu une entente tactique à cette occasion  : il s’agissait des partisans du secrétaire d’État de Benoît XVI, le cardinal Tarcisio Bertone (né en 1934), et de ceux plus nombreux de son prédécesseur, le très puissant et controversé cardinal Angelo Sodano (1927-2022), doyen du Sacré Collège, plus électeur mais « faiseur de pape », et porte-voix des diplomates de la Curie, qui s’étaient sentis mis à l’écart sous Benoît XVI. Ces deux groupes se sont ralliés à la candidature Bergoglio, homme extérieur aux affaires curiales (et qui pouvait donc d’autant mieux se poser en outsider capable de les réformer), en échange de la promesse d’un regain d’influence des diplomates du Saint-Siège, symbolisé par la nomination du nonce Pietro Parolin (né en 1955), comme nouveau secrétaire d’État de François  : du reste, selon la majorité des commentateurs, ce choix s’est révélé très heureux. Enfin, lors des congrégations générales préparatoires, le discours très sobre et recueilli du cardinal Bergoglio sur la nécessité de l’Église de sortir d’elle-même, d’aller à ses marges, fait forte impression sur ses pairs, et convainc sans doute beaucoup d’indécis. Pour qu’il ne soit pas dévoilé trop tôt comme le principal candidat progressiste, au risque d’amoindrir ses chances, ses soutiens font courir le bruit que leur choix se porte plutôt sur le cardinal brésilien d’origine allemande Odilo Scherer (né en 1949), qui a un profil assez similaire au sien. Lors du conclave, selon toute probabilité, il a profité de la division des voix des cardinaux conservateurs entre le cardinal Angelo Scola (né en 1941), archevêque de Milan, considéré comme l’héritier intellectuel de Benoît XVI, et le préfet de la congrégation pour les évêques, le cardinal québécois Marc Ouellet (né en 1944) — que François maintiendra en poste.

Quelque chose de crucial s’est joué lors du conclave de 2005, qui permet de comprendre en partie celui de 2013, lequel a effectivement élu le cardinal Bergoglio comme pape après la renonciation de de Benoît XVI, et a pris à cet égard des allures de match-retour.

Jean-Benoît Poulle

François a donc pu être élu grâce aux efforts patients de ses soutiens et aux leçons tirées de leur échec au conclave précédent. Son accession au pontificat, très inattendue, montre l’ampleur des recompositions qui ont eu lieu lors des moments cruciaux du conclave. La meilleure preuve de la surprise que représentait son élection réside dans le télégramme de félicitation que la Conférence épiscopale italienne envoya par erreur, le soir même, au cardinal Scola 19  ! Il ne faut donc pas minorer le moment de rupture que le conclave de 2013 a représenté pour l’Église. Mais le pontificat de François, dans son style, ses méthodes et son programme de fond, s’est révélé encore plus déroutant — y compris pour ceux qui l’avaient élu dans une visée clairement réformatrice. 

Le style médiatique du pape François

Dans l’Église catholique aussi, le style, c’est l’homme. Dès ses premières paroles au balcon de Saint-Pierre, le pape François adopte un mode de communication qui tranche avec les solennités en usage pour ses prédécesseurs, saluant la foule d’un cordial « Buonasera  ! » 20  : il apparaît en simple soutane blanche, sans aucun des autres ornements papaux, et garde sa croix épiscopale argentée au lieu de la dorée prévue pour lui. Il se présente d’abord comme « évêque de Rome », et non comme chef de l’Église universelle, appelle à prier pour « Benoît, notre évêque émérite », avant de demander à la foule de faire de même pour lui. Beaucoup de ses gestes montrent qu’il entend rompre avec les honneurs monarchiques qui restaient dévolus au souverain pontife  : plutôt que dans les appartements pontificaux officiels, au premier étage du Palais Apostolique, il fait le choix de continuer à résider dans la maison Sainte-Marthe, l’hôtellerie du Vatican qui accueillait déjà les cardinaux en conclave. Au début de son pontificat, il fait un premier coup d’éclat en refusant de se rendre à un concert de musique classique, arguant qu’il n’est « pas un prince de la Renaissance »  : image frappante, en présence de toute la curie, l’imposant trône papal reste obstinément vide. 

À plusieurs occasions, il fait montre de sa très grande simplicité  : non seulement en refusant de prendre des vacances à Castel Gandolfo, lieu de villégiature ordinaire des papes, où s’était retiré Benoît XVI pendant le conclave  ; mais aussi en portant lui-même sa propre valise noire de dossiers, comme pour mieux donner l’impression qu’il s’occupe personnellement des affaires les plus sensibles  ; il dédaigne les mules papales rouges pour des chaussures de ville d’un noir passe-partout, et sa soutane blanche — un habit hérité des dominicains 21 — semble fréquemment élimée  ; il aurait même caressé l’idée de se rendre en simple clergyman aux JMJ de Rio en 2013, le premier rendez-vous important du pontificat. La volonté de montrer qu’il ne perd pas le contact personnel avec les gens ordinaires semble prioritaire chez le pape François  : c’est pourquoi il a toujours préféré les contacts personnels aux canaux institutionnels, dans tous les dossiers. Il privilégie les coups de téléphone individuels à des acteurs de terrain — d’ailleurs souvent très surpris d’avoir le pape au bout du fil… Et on l’a vu déambuler dans les rues de Rome, sans apparat, pour acheter de nouvelles paires de lunettes chez un opticien populaire. Cette volonté affichée de simplicité permet aussi de réaliser des coups médiatiques. 

Dans le domaine liturgique également, le style sobre du pape François confine à une grande austérité  : en contraste avec les célébrations solennelles de Benoît XVI, les siennes sont marquées par une simplicité évidente, et il a montré à de multiples reprises que cette question n’était pas prioritaire pour lui, en déléguant le traitement de ce dossier à des prélats qui ayant des idées très arrêtées et se réclamant de sa volonté tacite pour mettre en œuvre leurs propres conceptions.

Du projet d’une « Église synodale » à la réalité d’une gouvernance autoritaire

Pour ce qui est de son gouvernement, François a été élu avec une feuille de route simple  : réformer la Curie. Il s’y est attelé dès les débuts de son pontificat, avec la création d’un nouvel organisme qui, d’une certaine manière, la court-circuite  : le Conseil des cardinaux, ou « C8 », puis « C9 », composé, outre son bras droit — le cardinal secrétaire d’État Pietro Parolin — de huit hauts prélats 22, généralement des archevêques en poste dans des métropoles des cinq continents, et non des cardinaux de Curie. Ces hiérarques sont censés exciper de leur expérience du terrain pour donner au pape une vision programmatique générale. Mais le C9 lui-même n’a pas été épargné par les vicissitudes  : son modérateur, le cardinal hondurien Oscar Maradiaga, accusé de malversations financières et de couverture d’abus sexuels, a dû en être écarté  ; il en a été de même pour un autre membre de cette instance, le cardinal australien George Pell (1940-2023) qui, malgré ses orientations bien plus conservatrices, avait un rôle clef dans les réformes du pape en tant que secrétaire pour l’Économie du Saint-Siège, chargé de la réforme de ses finances  : accusé personnellement d’agressions sexuelles, condamné en première instance, puis incarcéré en Australie, Pell est finalement innocenté en appel en 2019. 

En ce qui concerne la bonne gouvernance du Saint-Siège, il est indéniable que des progrès notables ont été enregistrés en matière de transparence et de conformité aux standards internationaux, etc. L’organigramme de la Curie a été simplifié, avec la réunion de plusieurs Conseils pontificaux en deux grands Dicastères (ministères), l’un pour le « développement humain intégral », l’autre pour « les Laïcs, la Famille et la Vie » (2016), confiés à des hommes de confiance du pape. Ces changements ont été couronnés en 2022 par la promulgation de la constitution apostolique Praedicate Evangelium 23  : d’esprit résolument missionnaire, elle donne pour la première fois la prééminence au Dicastère pour l’évangélisation, présidé par le pape en personne — fusionné avec celui pour la Nouvelle Évangélisation, une des rares innovations institutionnelles de Benoît XVI —, sur celui pour la Doctrine de la foi  : comme si l’annonce de la Bonne Nouvelle, le kérygme, primait désormais sur la défense de l’orthodoxie doctrinale 24. Désormais également, tous les hiérarques de la Curie sont tenus de présenter au pape leur démission au bout de 5 ans d’exercice de leur charge, le pontife pouvant choisir de les maintenir pour 5 nouvelles années, ou de les écarter. Pour la première fois, il a nommé une religieuse, l’Italienne Simona Brambilla, à la tête d’un dicastère, celui pour la vie consacrée  ; ce qui ne fait que refléter la prédominance numérique écrasante des congrégations religieuses féminines sur les masculines dans l’Église.

Au fond, le pape a mis en scène de manière spectaculaire ses conflits avec la Curie, y trouvant l’appui d’un storytelling efficace qui permettait de préserver sa domination charismatique et son aura médiatique contre une bureaucratie qui freinerait toujours ses intuitions et mots d’ordre. Cette « distribution des rôles » du « bon pape » contre les « mauvais conseillers » avait l’avantage de sauvegarder le travail de fond de la Curie et de ses hommes de l’ombre. Pour autant, il a existé de véritables épisodes de tensions entre le pape et la Curie  ; le plus retentissant a été le discours du 22 décembre 2014 où, au lieu des vœux de Noël attendus, le pape François a dressé la liste des « 15 maladies » qui minent la Curie — commérages, rigidité, fonctionnarisme, mais aussi « Alzheimer spirituel » ou « face d’enterrement »…. Il est certain qu’il s’est montré un « patron » extrêmement dur et exigeant pour ses propres employés, n’hésitant pas à les tancer en public.

Le pape François a mis en scène de manière spectaculaire ses conflits avec la Curie, y trouvant l’appui d’un storytelling efficace qui permettait de préserver sa domination charismatique et son aura médiatique contre une bureaucratie qui freinerait toujours ses intuitions et mots d’ordre.

Jean-Benoît Poulle

Mais l’une des clefs de lecture du pontificat n’en demeure pas moins le contraste éclatant entre l’appel permanent à la « synodalité » 25 — c’est-à-dire l’inscription de l’Église dans une gouvernance collective et partagée, qui prolonge en l’approfondissant la « collégialité » souhaitée par Vatican II — et la réalité de la pratique du pouvoir pontifical, plus centralisée et autoritaire que jamais. François gouverne à l’aide de motu proprio (décrets exécutifs personnels), passe souvent outre son propre entourage par ses prises de position imprévisibles, et préfère voir les problèmes traités par des commissions ad hoc plutôt que par les services du Saint-Siège dédiés. Ainsi par exemple de la crise de gouvernance de l’ordre de Malte en 2017  : pour résoudre les divergences de ligne entre ses dirigeants 26, François, après une brève entrevue, exige et obtient la démission immédiate du grand-maître de cet ordre militaire et hospitalier pourtant théoriquement « souverain ». Par la suite, il court-circuite le cardinal protecteur de l’ordre, l’Américain très conservateur Raymond Burke, avec qui ses relations sont notoirement difficiles, et nomme son propre délégué spécial auprès de l’ordre de Malte, Mgr Angelo Becciu, substitut de la secrétairerie d’État. Or ce même Becciu, devenu cardinal et préfet pour la Cause des Saints, se trouve bientôt accusé d’avoir réalisé des investissement immobiliers douteux pour le compte du Saint-Siège, à l’avantage de ses proches  : le pape lui retire toutes ses prérogatives en 2020, et un procès pénal pour détournement de fonds — toujours en cours — a lieu au Vatican. Sans préjuger de la culpabilité dans cette affaire du prélat sarde, d’ailleurs totalement issu du sérail curial, on touche là à un problème récurrent du pontificat  : François a trop vite accordé sa confiance à des hommes qui ne la méritaient pas, y compris, parfois, dans des scandales d’abus sexuels sur mineurs. Il a ainsi trop longtemps soutenu l’évêque chilien Juan Barros, reconnu coupable de dissimulation d’actes pédocriminels commis par des membres de son clergé, et a reconnu en 2018 une grave erreur de jugement, ce qui a conduit à la démission collective de l’épiscopat chilien. Récemment, des voix se sont élevées pour que le pape se distancie clairement d’un autre jésuite, le Slovène Marko Ivan Rupnik, artiste mosaïste apprécié au Vatican, qui avait déjà été l’objet de sanctions pour les mêmes raisons. 

Dans ce dernier domaine, il est indéniable que Bergoglio, poursuivant sur la lancée de Benoît XVI, a initié des réformes qui ont constitué de grands progrès, notamment avec la formation d’une Commission spéciale pour la protection des mineurs, présidée par le cardinal américain O’Malley. Ces mesures ont cependant toujours semblé prendre un temps de retard par rapport aux scandales toujours plus retentissants qui éclataient dans un nombre croissant de pays, et semblent s’être heurtées, au Vatican, à d’inexplicables blocages — la volonté du pape n’étant ici pas en cause — qui ont mené à la démission successive de plusieurs membres de cette commission, pourtant experts reconnus du sujet. Pour le cas français, l’audience au Vatican de Jean-Marc Sauvé, rédacteur du rapport commandité par l’épiscopat sur les violences sexuelles sur mineurs, a été ajournée sine die. 

Un bilan diplomatique et interreligieux en demi-teinte

Sur le plan de l’action diplomatique proprement dite, le bilan du pape François apparaît en demi-teinte.

D’une part, après un certain effacement sous Benoît XVI, le Saint-Siège a bien effectué un retour en force sur la scène internationale, il est une voix qui compte à nouveau, notamment grâce à son réseau diplomatique très bien informé, ses offres de médiation et de bons offices.

D’autre part, toutes les initiatives diplomatiques de François n’ont pas été couronnées de succès. Si elle sait parfois faire primer l’éthique de conviction sur celle de responsabilité — ainsi dans la dénonciation du génocide arménien, ou, plus récemment, des persécutions des catholiques par la dictature nicaraguayenne — la diplomatie vaticane rechigne souvent à couper tout contact avec les régimes autoritaires, semblant parfois préférer un dialogue de sourds ou un marché de dupes à l’absence de toute relation. L’un des points les plus critiqués du pontificat de François à cet égard réside dans l’accord provisoire qui a été conclu en 2018 avec la République populaire de Chine, au prix de l’effacement de l’Église clandestine qui résistait au régime, et au moment même où ce dernier, dirigé par Xi Jinping, radicalisait sa répression religieuse tous azimuts. De même, au moment de la guerre en Ukraine, l’absence de condamnation franche par François de la guerre d’agression déclenchée par le régime poutinien a choqué le camp occidental  : c’est que le pape, qui défend ici un pacifisme intégral, n’a pas perdu tout espoir d’imposer sa médiation aux belligérants, pour l’instant sans aucun succès. Dans une certaine mesure, les conceptions géopolitiques du pape François semblent marquées par un certain tiers-mondisme à la mode sud-américaine : grande méfiance à l’égard des États-Unis, pays que le pape a avoué connaître très peu, appui à des pays « neutres » ou « non-alignés » comme Cuba, qui a joué un rôle notable dans la rencontre inédite entre François et le patriarche Kirill de Moscou, critique tonnante de la « mondialisation néo-libérale », comme du « colonialisme idéologique » du Nord envers le Sud 27. Le pape Bergoglio a sans doute en tête les immenses écarts de richesse de son continent natal lorsqu’il stigmatise la production d’armes ou l’argent comme le « fumier du diable »  ; il a d’ailleurs reconnu devant un journaliste européen qu’il n’avait pas assez pris en considération dans ses analyses la montée en puissance des classes moyennes. En somme, l’activité internationale de François a eu comme un parfum d’Ostpolitik.

Sur le dialogue interreligieux, le pape François a poursuivi les efforts de ses prédécesseurs, et a rencontré quelque succès  : il a entretenu des relations apaisées avec les grands représentants de l’islam sunnite — le recteur de la mosquée Al Azhar, avec lequel il a publié une déclaration commune, dite d’Abu Dhabi en 2018 28 — et chiite  — l’ayatollah irakien Ali Al Sistani, qu’il a rencontré en 2021 —, maintenu la très bonne entente avec le judaïsme, une constante depuis Buenos Aires et, pour ce qui est de l’œcuménisme, eu des relations plus que cordiales avec les hiérarques protestants et orthodoxes, comme le patriarche Bartholomée de Constantinople, lui aussi très engagé en faveur de l’action environnementale. En cela, il a davantage approfondi volontairement un sillon ouvert depuis Vatican II que procédé à des innovations notables.

L’activité internationale de François a eu comme un parfum d’Ostpolitik.

Jean-Benoît Poulle

Y a-t-il une doctrine François  ? Théorie et pratique de l’attention aux périphéries

Il est peu aisé de tracer les contours d’une « doctrine François », d’abord parce que le pape François n’est pas un homme de doctrine. Il a toujours préféré l’action et les gestes symboliques aux longs exposés théoriques, un genre dans lequel il n’est pas à son aise. Fait très significatif, il a publié peu d’encycliques — trois seulement, Laudato Si’ (2015), Fratelli Tutti (2023) et Dilexit nos (2024) sont de sa main, Lumen fidei (2013) étant très largement l’œuvre de Benoît XVI —, documents pontificaux destinés à délivrer un enseignement magistériel doctrinal, et bien plus d’exhortations apostoliques à la tonalité beaucoup plus pastorale et pragmatique 29. S’il faut dégager une constante dans la pensée de Jorge Mario Bergoglio, ce serait l’injonction au décentrement, à sortir de soi-même pour aller aux marges — sociales, géographiques, existentielles des laissés-pour-compte. Le terme clef de « périphéries » est pour lui, si l’on peut dire, un lieu théologique, et le pape ne déteste rien tant que « l’autoréférentialité », qu’il assimile à ce qui est pour lui le péché le plus grave, la « mondanité spirituelle », sorte de narcissisme chrétien. Une autre image clef, qu’il a évoquée dès les débuts de son pontificat, est celle de l’Église comme un « hôpital de campagne » qui accueillerait tous les blessés de la vie avec le remède de la Miséricorde  : c’est au nom de cette dernière notion qu’il décrète un Jubilé exceptionnel en 2015. Dans la figure du pasteur attentif à toutes ses brebis dont il « connaît l’odeur » 30, le pape François entend inscrire ses pas dans ceux d’un Christ guérisseur de toutes les infirmités, ou d’un bon Samaritain au chevet de l’humanité blessée  : un vicaire du Christ qui « n’est pas venu pour les justes, mais pour les pécheurs » (Luc 5, 32), sans doute le verset évangélique le plus emblématique de son pontificat.

L’attention portée aux périphéries se retrouve en effet à de multiples niveaux de son action  : d’abord dans des gestes personnels forts, par exemple lorsqu’il embrasse un homme défiguré au cours d’une audience, lave les pieds de malades du sida ou de prisonniers mineurs lors du Jeudi Saint, embrasse les pieds du président sud-soudanais pour le supplier de mettre fin à la guerre civile dans son pays — surprenant renversement d’un geste de dévotion traditionnel à l’égard du souverain pontife, l’osculatio pedis. Le décentrement est chez lui programmatique, et se reflète jusque dans ses nominations cardinalices. Il délaisse les diocèses des métropoles des grandes nations catholiques où l’obtention de la pourpre était quasi-automatique  : fait quasi-inédit, les sièges prestigieux de Paris, Lyon 31, Milan, Venise, Philadelphie ou Tolède se retrouvent sans cardinal à leur tête. Inversement, des nations qui comptent très peu de catholiques voient pour la première fois un de leurs ressortissants accéder au Sacré Collège  : les Tonga, le Lesotho, la Birmanie, la Mongolie, le Bangladesh, la Malaisie ou la Papouasie ont désormais leur cardinal, reflet d’une géographie de l’Église où les pays du Sud gagnent toujours davantage de terrain sur un Occident déclinant. De toute manière, François crée ses cardinaux en considération de la personne, et non du prestige de la charge : le jésuite polonais Michael Czerny, simple prêtre, mais sous-secrétaire de la section des migrants et réfugiés du Saint-Siège — un sujet qui tient tant à cœur au pape —, est ainsi élevé au cardinalat, de même que le nonce en Syrie Mgr Mario Zenari, pour attirer l’attention sur la guerre civile qui ravage ce pays. Les voyages du pape reflètent également le souci des périphéries de l’Église  : il s’est rendu en Albanie et Bosnie-Herzégovine, en Estonie et Lettonie, en Suède, en Grèce, au Sri Lanka et au Bangladesh, pays où les catholiques sont très minoritaires, ou dans des nations du Sud global, qui l’emportent de loin sur le Nord. Succès indéniable, pour la première fois, un pape a pu visiter l’Irak et poser le pied dans la péninsule arabique en inaugurant une église aux Émirats arabes unis. S’il s’est rendu trois fois en France, c’est d’abord pour voir les institutions européennes à Strasbourg, participer aux Rencontres sur la Méditerranée à Marseille, puis présider une rencontre sur la piété populaire en Corse — le protocole simplifié était dans ce dernier cas le même que lors d’un voyage en Italie. Chacun a en mémoire son refus sec de se rendre à la cérémonie de réouverture de Notre-Dame, qui a surpris bien des chancelleries, tant sur la forme que sur le fond. Fait très étonnant, il n’est jusqu’à présent pas retourné en Argentine, alors qu’il a été très largement acclamé lors de ses autres visites en Amérique latine. Des raisons politiques ont été alléguées à cet égard — criantes depuis l’élection à la présidence de Javier Milei — de même que l’importance, dans la pensée jésuite, de la séparation radicale entre deux stades de la vie, avec la nécessité de ne pas regarder derrière soi.

Chez François, le décentrement est programmatique.

Jean-Benoît Poulle

Pour François, l’attention aux périphéries désigne aussi la sollicitude pastorale pour tous ceux qui se sont éloignés de l’Église. De ce point de vue, il est vrai que son enseignement sur les questions de morale sexuelle et de bioéthique présente un net infléchissement par rapport à ceux de Benoît XVI et surtout de Jean-Paul II, beaucoup plus focalisés sur ces sujets. Très significativement, l’Institut Jean-Paul II pour la famille est renommé « pour les sciences de la famille », comme pour marquer une prise de distance sociologique avec un programme familialiste. Sans déclarer en rien changée la doctrine catholique de condamnation de l’avortement — François aura même des mots assez durs à son sujet, comparant à plusieurs reprises l’IVG au recours à un tueur à gages — et de l’homosexualité, le pape met en œuvre une attitude pastorale d’accueil, d’écoute et de compréhension, qui passe parfois par des phrases-chocs  : c’est le cas de l’emblématique « Qui suis-je pour juger  ? », prononcé au début de son pontificat lorsqu’il est interrogé sur le cas d’une « personne gay, qui cherche sincèrement le Seigneur ». En semblant s’en remettre lui-même à la conscience individuelle subjective, François démontre ainsi la conception particulière qu’il se fait du Magistère du pontife romain, pourtant traditionnellement décrit comme l’office du « juge suprême et docteur infaillible » 32 dans l’Église  : il répugne à trancher doctrinalement avec l’autorité de la chaire pétrinienne, et préfère initier des processus qui porteront leurs fruits le moment venu. Selon un adage quelque peu cryptique qu’il affectionne, « le temps est supérieur à l’espace », ce qui semble vouloir dire qu’il faut savoir renoncer à l’illusion du contrôle uniforme sur tous les terrains, au profit de la lente maturation et du discernement, si importants dans la tradition jésuite. 

C’est ainsi que sur de nombreux points de tension entre progressistes et conservateurs dans l’Église, le pape Bergoglio a toujours semblé donner des gages aux premiers, sans jamais leur offrir pleinement satisfaction, donnant ainsi l’impression qu’il reculait face aux seconds. Il a laissé les adeptes du changement se réclamer de lui, mais ne s’est pas investi à leurs côtés, prodiguant tantôt des coups de pouce, tantôt des coups de frein. Ainsi, à propos d’une revendication de longue date des secteurs avancés de l’Église, l’accès à la communion pour les divorcés-remariés, sa manière d’avancer « en crabe » est tout à fait significative  : en 2014, il convoque un synode des évêques sur les défis pastoraux de la famille. Le rapport intermédiaire de cette instance, document de travail qui préconise un assouplissement de la discipline ecclésiale pour les divorcés-remariés et les ménages homosexuels, se heurte à un tir de barrage de l’opposition conservatrice, si bien que le rapport final est bien plus prudent. Qu’à cela ne tienne  ! François lance d’office une deuxième session du synode pour 2015, sorte de second round où l’épiscopat mondial paraît plus divisé que jamais, et où les propositions les plus novatrices échouent à obtenir la majorité canonique des deux tiers. Mais les préconisations du synode des évêques 33 ne peuvent être appliquées que si le pape décide de les reprendre dans son exhortation apostolique post-synodale  : c’est chose faite de manière extrêmement prudente dans Amoris Laetitia (« la joie de l’amour ») publiée en 2016, où il faut attendre la note 52 du chapitre VIII pour que soit entr’ouverte de manière sibylline la possibilité — laissée à la discrétion du confesseur — que des divorcés-remariés puissent communier. Dans une lettre privée aux évêques chiliens, et publiée par la suite dans les Actes apostoliques du Saint-Siège, Jorge Mario Bergoglio confirme que cette interprétation libérale est la bonne. Il a fallu avancer avec une extrême prudence pour ne pas donner l’impression de remettre en cause l’indissolubilité du mariage, qui est une question doctrinale — et non seulement disciplinaire

La même méthode est appliquée quelques années plus tard en 2019 pour une périphérie géographique cette fois-ci : l’Amazonie. Le pape convoque à nouveau un synode spécial pour répondre aux défis de l’évangélisation de cette vaste zone transnationale, où l’encadrement des groupes indigènes catholiques très isolés par le clergé est structurellement déficient. Dans cette situation très spécifique de pénurie, beaucoup avancent que la solution résiderait dans l’ordination sacerdotale d’hommes mariés d’expérience, des viri probati  : l’idée revient comme un leitmotiv tout au long du synode. Or l’on constate bien qu’à alléguer la pénurie de prêtres, qui touche tout aussi bien le Vieux Continent, la question dépasse de loin le seul cadre amazonien, lequel pourrait servir de laboratoire pour étendre l’expérience. Mais finalement, l’exhortation apostolique post-synodale (Querida amazonia) referme la porte entrouverte  : le pape refuse de lever la discipline du célibat ecclésiastique pour les prêtres de rite latin — un moyen terme proposé a été la création d’un « rite amazonien » catholique spécifique — expliquant dans une interview qu’il ne s’est pas senti autorisé à le faire. Cette fois, il s’agit d’un recul tactique par rapport au programme progressiste. 

Enfin, le pape François a peut-être été dépassé par des processus qu’il avait lui-même approuvés, voire initiés. C’est ce qui est arrivé avec le synode — ou plus exactement, le « chemin synodal » allemand. Ce dernier a été décidé en 2021 par la Conférence épiscopale allemande sous la pression de la base des fidèles (réunis dans le Zdk, le comité central des laïcs allemand), atterrés par l’ampleur des abus sexuels révélés dans leur pays, et autorisé, et peut-être même encouragé par le Saint-Siège à ses débuts. Or il a connu une forme elle-même évolutive, qui l’a conduit à laisser de plus en plus de place, dans les procédures décisionnelles, aux laïcs et aux femmes, à parité avec les évêques, en même temps que ses revendications se radicalisaient  : parmi ses propositions se trouvent non seulement la bénédiction, voire le mariage de couples homosexuels à l’Église, mais aussi l’ordination diaconale et presbytérale des femmes, la sélection et le contrôle des évêques par des comités de laïcs  ; en somme, une sorte de « révolution culturelle » censée mettre fin à la perpétuation des abus sexuels et spirituels « systémiques » censément permis par l’institution cléricale. Or si le pape François a lui-même souvent dénoncé le « cléricalisme », il est clair qu’il ne saurait donner son assentiment à cette feuille de route, qui dépasse de beaucoup la seule Allemagne et concerne l’Église universelle. D’où la crainte d’un nouveau schisme. Bergoglio, dans cette affaire, n’a jamais tapé du poing sur la table, et s’en est tiré par une pirouette aux questions des journalistes  : « l’Église protestante en Allemagne est déjà formidable, il n’est pas besoin d’en créer une deuxième  ! ».

Il est un autre sujet sur lequel le pape François n’est pas en phase avec une portion importante de l’opinion publique européenne  : la question des migrations. Ici pourtant, dans la volonté d’accueil, le pape François se situe pleinement dans la continuité de ses prédécesseurs 34  : le Conseil pontifical pour la pastorale des migrants avait été établi dès 1988. Mais c’est l’insistance du pape sur ce thème qui constitue la véritable nouveauté : par ses séjours répétés dans des camps de personnes réfugiées, à Lampedusa ou Lesbos, dans ses nombreux appels à un accueil inconditionnel, ou quasi inconditionnel 35, des populations migrantes — qu’elles soient de demandeurs d’asile ou de réfugiés socioéconomiques — par les sociétés développées, on retrouve cette même conception du décentrement vers les périphéries. La condition migrante est alors elle-même élevée au rang de « lieu » théologique, qui vaut comme métaphore de l’humanité blessée ou de l’Église pèlerine sur la terre. Si l’engagement constant et répété du Saint-Siège sur la question a été salué par les ONG spécialisées, le pape François a sans doute sous-estimé à quel point cette question divisait les opinions des pays occidentaux. Les clivages sur la question migratoire ont trop souvent été réduits à un effet de tapage provenant d’une extrême droite résiduelle, sans y discerner les mouvements de fond qui convergent, en Europe, vers l’idée d’une inquiétude civilisationnelle 36, qu’on la juge fondée ou non. François a paradoxalement été érigé en défenseur des valeurs chrétiennes et de la tradition européenne d’hospitalité contre les nouveaux « populismes », représentés surtout par des gouvernements hongrois et polonais, sans doute emblématiques d’un « christianisme identitaire », alors qu’il a été lui-même fortement marqué par un « populisme » au sens originel du terme, le péronisme  : comme il l’a répété de nombreuses fois, pour lui, le peuple n’est pas une catégorie sociologique, mais « mystique ». Et Bergoglio a souvent revendiqué un lien organique entre la base des laïcs et lui — le « bon sens populaire » étant en quelque sorte assimilé au sensus fidei, tandis que la désignation des « élites » est souvent péjorative dans sa bouche. Il n’en demeure pas moins que c’est autour de la question migratoire que l’incompréhension entre nombre de catholiques et la figure papale s’est cristallisée.

La condition migrante est elle-même élevée au rang de « lieu » théologique, qui vaut comme métaphore de l’humanité blessée ou de l’Église pèlerine sur la terre.

Jean-Benoît Poulle

Avec les traditionalistes également, les relations sont difficiles. Ici encore, le pape François montre qu’il est un homme de paradoxes  : à l’égard des lefebvristes de la Fraternité-Saint-Pie X, connue pour son opposition à Vatican II et sans statut canonique régulier, il a plusieurs gestes de bienveillance, reconnaissant la licéité des confessions et des mariages tenus en son sein, et louant même son efficacité pastorale. Dans le même temps, en 2019, il supprime la commission pontificale Ecclesia Dei, qui rassemblait les instituts traditionalistes attachés au giron romain. Mais c’est en juillet 2021 que vient la vraie rupture, avec le motu proprio Traditionis Custodes, qui revient à une conception très restrictive de la messe traditionnelle (la « messe en latin ») que Benoît XVI avait, lui, libéralisée en 2007  : les livres liturgiques de 1969 sont définis comme « l’unique forme du rite romain », et l’usage du missel traditionnel est désormais très chichement concédé (et son extension, franchement entravée), laissé à la discrétion d’évêques eux-mêmes sous la surveillance tatillonne du Saint-Siège. En un temps de désaffection généralisée envers la pratique religieuse, pareille fixation étonne. François paraît craindre avant tout la « rigidité doctrinale »,  provenant de clercs passéistes et psychologiquement immatures, et par-là rendus aptes au cléricalisme le plus borné. Là encore, il n’a pas mesuré à quel risque de rétorsion ces accusations l’exposaient auprès de fidèles laïcs traditionalistes de plus en plus jeunes, dynamiques et visibles. 

Il existe cependant un domaine où l’engagement du pape François a rencontré les aspirations profondes des élites, tant catholiques que sécularisées  : l’écologie, le souci pour la « Maison commune ».

Le pape François a encouru sans le conjurer le risque que son programme trop audacieux de décentrement faisait prendre  : l’incompréhension des catholiques de base.

Jean-Benoît Poulle

Il n’a certes pas été le premier pape à parler de la préoccupation environnementale, mais Bergoglio a été le premier à s’y engager avec une telle persévérance. L’encyclique Laudato Si’ (2015), sans doute le document de son pontificat à avoir reçu l’audience la plus large, est emblématique de ce qui a été défini en termes assez forts comme la « conversion écologique » de l’Église. Non seulement, l’origine anthropique du changement climatique y est nettement réaffirmée, mais les atteintes à l’environnement y sont pour la première fois définies comme un type spécifique de péché, et les besoins des générations futures définis par un texte magistériel. Le court-termisme du « paradigme technocratique globalisé » est pointé du doigt, avec comme remède la proposition d’une approche qui lierait ensemble les facteurs économiques, sociaux et environnementaux, une « écologie intégrale » en somme, au service du « développement humain de la personne ». La même année, lors de la COP 21 de Paris, le Saint-Siège a très clairement pris position en faveur d’objectifs chiffrés ambitieux de réduction des gaz à effet de serre. Bien loin de constituer un feu de paille, l’encyclique a par la suite rencontré de véritables échos prolongés chez les catholiques de nombreux pays, et a suscité en retour les initiatives multiformes des paroisses, mouvements de jeunesse et associations de laïcs. On peut d’ores et déjà affirmer que ce profil écologique constitue une des marques les plus profondes, et sans nul doute l’une des réussites du pontificat.

Avec la disparition du pape François s’efface le profil d’un leader religieux peu aisé à cerner, qui s’est plu à désarçonner interlocuteurs et commentateurs. 

Élu au trône de Pierre pour mettre en œuvre d’importantes réformes de structure et de fond, Jorge Mario Bergoglio ne s’est pas dérobé à cette tâche herculéenne, qu’il a en partie menée à bien, sans pouvoir régler la multitude de problèmes nouveaux qui se posaient au monde catholique. Son action complexe a trop souvent été schématisée et réduite à la caricature, dans le monde médiatique, mais aussi chez les catholiques  : les secteurs progressistes ont imposé la figure trop lisse du « pape des pauvres » simple et populaire, au risque d’oublier l’autoritarisme et même l’extrême dureté dont il a souvent fait montre, pour les autres comme pour lui-même. Le pape de l’ouverture au monde a aussi été profondément marqué par l’ascétique volontariste jésuite qui fait du monde un ennemi, et porte une attention spéciale au combat spirituel contre « l’Adversaire », dont Bergoglio a fréquemment parlé. Quant aux conservateurs et aux traditionalistes, ils ont trop souvent été pris en tenaille entre une obéissance inconditionnelle, presque aveugle, à la figure papale, et la critique systématique de son action, menant toutes deux à des impasses

Au fond, le pape François a encouru sans le conjurer le risque que son programme trop audacieux de décentrement faisait prendre  : l’incompréhension des catholiques de base. Pape de l’accueil du fils prodigue de la parabole (Luc, 15, 11-32), il s’est trouvé constamment en butte aux reproches du fils aîné  : l’amour des marges et des marginaux n’a-t-il pas été payé du désintérêt, et même de ce qui a pu être ressenti comme du dédain pour les fidèles et les clercs ordinaires, qui sont pourtant le cœur de l’Église  ? À la fin de la parabole pourtant, le père a des mots de réconfort pour son fils aîné — et les deux fils festoient ensemble. C’est le programme d’unité retrouvée et de concorde heureuse qui reste pleinement à réactualiser.

Sources
  1. Les Camaldules sont des semi-ermites se rattachant à la famille bénédictine.
  2. Il a précisé de lui-même vouloir être appelé simplement « François », et non « François Ier » comme certains médias l’ont fait après son élection, ce qui renforce encore la volonté de rupture.
  3. Albino Luciani, élu pape en 1978, s’était contenté d’accoler les deux noms de ses prédécesseurs immédiats Jean XXIII (1962-1965) et Paul VI (1965-1978), les papes du concile Vatican II, pour prendre le nouveau nom de Jean-Paul Ier  ; après ses 33 jours de pontificat éphémère, son successeur Jean-Paul II choisit de s’inscrire dans ses pas.
  4. Selon un aphorisme populaire argentin, les Mexicains descendent des Aztèques, les Péruviens des Incas, et les Argentins des bateaux.
  5. Devenu pape, il fait distribuer des chapelets dans un emballage similaire à celui d’un médicament au nom nouveau, la « Miséricordine ».
  6. Pour cause de cette pneumonie sont invoqués tantôt une tuberculose traitée par pneumothorax, tantôt un tabagisme excessif. Jorge Bergoglio deviendra par la suite un grand amateur de maté, la boisson nationale argentine.
  7. Il ne s’y rend finalement qu’en 2019, en tant que pape.
  8. En 2022, ce chiffre est tombé à 14 000.
  9. Le passage à la langue vernaculaire est en réalité décidé dès 1967, et il était dès avant cette date effectif dans beaucoup de célébrations  ; mais dans l’esprit collectif, la réforme liturgique de Paul VI de 1969 reste associée à la fin de la « messe en latin ».
  10. Jean-Robert Armogathe et Andrés Di Cio, « Théologie du peuple et pastorale populaire » Communio, 2021/6, n°278, p. 8-11.
  11. Horacio Verbitsky, El silencio : de Paulo VI a Bergoglio : las relaciones secretas de la Iglesia con la ESMA, Sudamericana.
  12. Une photo grossièrement truquée a circulé après son accession au pontificat, sur laquelle on voit un prêtre qui lui ressemble donner la communion à Videla.
  13. Bergoglio est un amateur de littérature française et c’est par la littérature qu’il s’est un peu familiarisé avec le culture européenne  : outre son compatriote Borges et Dostoïevski, il affectionne particulièrement Pascal et Joseph Malègue, l’auteur plus confidentiel d’Augustin ou Le maître est là.
  14. Il la présidera tout de même pendant deux mandats de trois ans, de 2005 à 2011.
  15. Ce sont les Congrégations pour le culte divin et la discipline des sacrements, pour le clergé, pour les instituts de vie consacrée et les sociétés de vie apostolique, le Conseil pontifical pour la famille et la Commission pontificale pour l’Amérique latine.
  16. Selon la reconstitution proposée par un « journal du conclave » anonyme d’un cardinal électeur (peut-être Attilio Nicora), confiée par ce dernier au cardinal Achille Silvestrini, non-électeur, puis par ce dernier à la revue italienne de géopolitique Limes.
  17. Lors du conclave de 2013, 42 cardinaux électeurs (sur 115) avaient participé au conclave de 2005, auxquels il faut ajouter 78 cardinaux trop âgés pour être électeurs dans la même situation, mais dont l’avis a tout de même pu peser lors des congrégations générales préparatoires. Par comparaison, lors du conclave de 2005, seuls 2 cardinaux électeurs (dont Ratzinger) et 9 non-électeurs avaient connu le conclave précédent, qui remontait à 1978.
  18. Martini lui-même semble avoir été très critique quant à l’éventualité d’élire Bergoglio comme pape en 2005, mettant en exergue son supposé manque de carrure intellectuelle.
  19. « Les évêques italiens ont remercié Dieu pour l’élection de… Scola », Reuters France, 14 mars 2013.
  20. La formule en usage lors de ce moment crucial est « Loué soit Jésus-Christ  ! »
  21. Depuis l’élection du dominicain et inquisiteur Michele Ghislieri comme pape, Pie V, en 1565 ; avec l’élection d’un ex-jésuite, certains ont d’ailleurs spéculé sur un changement en faveur de la soutane noire…
  22. Pour les membres initiaux, il s’agit, outre Maradiaga, Parolin et Pell, d’Oswald Gracias, archevêque de Bombay, de Reinhard Marx, archevêque de Munich aux vues progressistes, de Sean O’Malley, archevêque de Boston, très engagé dans la lutte contre les abus sexuels, de Francisco Javier Errazuriz Ossa, archevêque émérite de Santiago du Chili, Laurent Monsengwo Pasinya, archevêque de Kinshasa, puis son successeur Fridolin Ambongo Besungu, et Giuseppe Bertello, président de la commission pour l’État du Vatican.
  23. Elle remplace Pastor Bonus (1988), la précédente « constitution » de la curie romaine voulue par Jean-Paul II.
  24. En outre, François s’est très mal entendu avec le cardinal Müller, préfet de la Doctrine de la foi nommé par Benoît XVI, dont il est à bien des égards un très proche : à l’expiration de son mandat à la tête de la CDF, Müller s’est trouvé sans cardinal affectation bien avant d’atteindre l’âge de l’éméritat.
  25. En 2023 doit même avoir lieu un « synode sur la synodalité ».
  26. Le déclencheur de la crise a été la distribution, couverte par le n°2 de l’Ordre, de matériel contraceptif et abortif dans des pays en développement. Elle a révélé le conflit latent entre deux visions pour l’ordre de Malte, celle d’une organisation humanitaire efficace, et celle d’un ordre catholique de chevalerie aux règles très contraignantes.
  27. Il y a cependant ici une inflexion du « colonialisme », qui peut désigner ici, dans la bouche des hiérarques catholiques, avant tout la promotion des identités LGBT.
  28. Voyage apostolique du pape François aux Émirats Arabes Unis, Document sur la fraternité humaine pour la paix mondiale et la coexistence commune, 4 février 2019.
  29. Ce sont Evangelii gaudium (2013), sur l’évangélisation et le refus du prosélytisme, Amoris Laetitia, sur le mariage et l’amour conjugal, Gaudete et exsultate, sur « l’appel à la sainteté », Christus Vivit, sur la jeunesse, et Querida Amazonia, sur l’Amazonie (cf. infra).
  30. Expression issue d’un de ses premiers discours, l’homélie pour la messe chrismale du 28 mars 2013.
  31. Un fait très significatif de la perte d’influence de la France au Saint-Siège et dans l’Église universelle  : pendant un bref temps, la France n’a compté plus aucun cardinal en activité à la tête d’un diocèse.
  32. Pour reprendre le beau titre de l’article de Bruno Neveu,  « Juge suprême et docteur infaillible  : le pontificat romain de la bulle In Eminenti (1643) à la bulle Auctorem fidei (1794) », Mélanges de l’École française de Rome, 1981, 93-1, p. 215-275.
  33. Ce dernier n’est qu’un instrument consultatif du gouvernement de l’Église par le pape, récemment institué à la suite de Vatican II, à la différence d’un concile œcuménique, réunion de tous les évêques sous l’autorité du pape et dont les décisions sont d’une portée incommensurablement plus grande.
  34. Comme le reconnaissent eux-mêmes des auteurs très opposés à l’immigration, comme Laurent Dandrieu, Église et immigration, le grand malaise, Presses de la Renaissance, 2017. En sens contraire, voir Erwan Le Morhedec, Identitaire. Le mauvais génie du christianisme, Paris, éd. du Cerf, 2017 ou le P. Benoist de Sinety, Il faut que des voix s’élèvent. Accueil des migrants, un appel au courage, Paris, Flammarion, 2018.
  35. Il a semblé à certains moments infléchir sa position, et reconnu la possibilité pour les États d’édicter des règles contraignantes en matière d’immigration.
  36. Cf., au milieu d’une littérature abondante, Laurent Bouvet, L’insécurité culturelle, Paris, Fayard, 2015.