Né Ahmed Hussein al-Sharaa en 1982, Joulani passe ses sept premières années à Ryad, en Arabie saoudite, dans une famille relativement aisée.
- Son père, un économiste diplômé de l’université de Bagdad, est un ingénieur pétrolier, nasseriste, acquis aux idéaux de la gauche nationaliste arabe, ayant fait de la prison. Il est également l’auteur de plusieurs ouvrages sur l’économie et le développement du monde arabe.
- Sa famille déménage à Damas à la fin des années 1980, la ville où son grand-père s’était installé après l’occupation israélienne du plateau du Golan en 1967. Il grandit dans le quartier résidentiel aisé de Mazzeh.
- Joulani déclare avoir été radicalisé à 17 ans par la deuxième intifada, en 2000 : « J’ai commencé à réfléchir à la manière dont je pouvais accomplir mes devoirs en défendant un peuple opprimé par des occupants et des envahisseurs » 1. Son nom de guerre « al-Joulani » fait référence au plateau du Golan.
La formation d’un djiadhiste
Frappé par les attentats du 11 septembre 2001 qu’il admire profondément et par son idole, Oussama Ben Laden, qu’il imite dans sa façon de s’habiller et de parler, al-Joulani commence à assister à des sermons secrets et à des tables rondes dans des banlieues marginalisées de Damas telles que Hajira, Sbeneh et Drosha 2.
- En 2003, il est attiré par l’idée de résister à l’invasion américaine de l’Irak et se rend à Bagdad en bus depuis Damas, grâce à des réseaux logistiques djihadistes syriens seulement quelques semaines avant l’arrivée des forces américaines.
- Il intègre un petit groupe djihadiste particulièrement actif dans la grande ville de Mossoul (Saraya al-Mujahideen) et commence à gravir les échelons de l’insurrection, en finissant par devenir un proche collaborateur de Abou Moussab al-Zarqawi.
- Il est ensuite arrêté par les forces américaines et emprisonné pendant 5 ans à la prison de Camp Bucca. Pendant sa détention, Joulani établit des relations étroites avec plusieurs jihadistes irakiens qui deviendront par la suite des commandants et dirigeants clefs de Daesh.
- Libéré au début du soulèvement syrien en 2011, Jolani traverse la frontière avec des sacs remplis d’argent et une mission : étendre l’influence d’Al-Qaïda. En janvier 2012, il fonde Al-Nosra aux côtés d’Abou Bakr al-Baghdadi, le leader de l’État islamique tué fin 2019 par une opération américaine dans le nord-ouest de la Syrie.
Grâce à un accord préalable entre Jolani et Baghdadi, la formation d’al-Nosra s’est faite sans révéler ses liens organisationnels avec l’État Islamique. Ces derniers craignaient de répéter les échecs du passé et cherchaient à éviter une mise à l’index précoce par les États-Unis et d’autres puissances étrangères.
La question syrienne et l’échelle nationale
- L’année suivante, en 2012, les États-Unis désignent ce groupe comme organisation terroriste.
- En 2013, il a un désaccord avec Baghdadi et refuse de fusionner Al-Nosra avec l’État islamique pour ne pas perdre son autorité et devenir subordonné au calife de l’organisation terroriste.
- En 2017, il fond Al-Nosra dans une organisation islamiste plus large appelée Hayat Tahrir al-Cham (HTC), désormais désignée comme organisation terroriste.
Joulani s’éloigne de l’idéologie djihadiste transnationale et développe sa faction rebelle sous la bannière d’une lutte nationaliste pour la Syrie, en affrontant ce faisant ouvertement Al-Qaïda et l’État islamique.
L’art politique de la mise en scène
- Quelques jours avant que ses forces ne renversent le régime d’Assad en Syrie, al-Joulani a monté triomphalement les marches de la citadelle médiévale d’Alep, vêtu de kaki de la tête aux pieds et entouré de gardes non armés.
- Joulani excelle dans l’art de saisir les opportunités au bon moment. Il a opté pour un lieu chargé de symboles, dépourvu d’armes visibles, dans le but de projeter l’image d’un dirigeant sérieux et politique.
- Il a également purgé les éléments les plus radicaux de HTC et contribué à la mise en place d’une administration technocratique. « Le destin de Joulani est en train de s’écrire. La manière dont il gérera la phase suivante, si le HTC parvient à rester inclusif, déterminera ce que sera son héritage », déclare Jerôme Drevon, expert en djihad au sein du groupe de réflexion Crisis Group.
Joulani semble se distinguer par une grande finesse dans la compréhension des dynamiques intra-institutionnelles, à la fois pendant sa période au sein d’Al-Qaïda ainsi que dans la gestion de la région d’Idlib. Le fait qu’il soit perçu comme un acteur raisonnable et modéré avec qui l’on peut discuter l’a certainement aidé dans l’unification des groupes rebelles et sera un atout majeur pour la structuration des autorités de transition. La collaboration du Premier ministre d’Assad, Mohammed Ghazi al-Jalali, avec la coalition de Joulani suite à la prise de Damas témoigne d’un niveau élevé de confiance.
- Tout comme l’État islamique à son époque, Joulani démontre une parfaite maîtrise des codes de la communication et une compréhension profonde des sphères médiatiques occidentales. De ce point de vue, son imitation de Zelensky dans le style vestimentaire et le soin apporté aux visuels sont presque caricaturaux.
- D’un point de vue militaire, on constate un changement d’apparence radical dans beaucoup des unités de HTC avec notamment une plus grande uniformité des tenues, du matériel et l’adoption du camouflage type MultiCam, typique des armées occidentales (Royaume-Uni, Australie, Ukraine…)
- Cela s’est vraisemblablement accompagné d’un renforcement de l’entraînement des unités par une plus grande standardisation des pratiques ainsi que l’intégration de tactiques modernes, comme des opérations nocturnes. On a aussi vu l’assimilation des leçons du conflit Ukrainien (utilisation de drones FPV notamment).
Il semble cependant qu’une des composantes majeures ayant poussé à la victoire de HTC ait été la désagrégation complète des forces du régime. Des rumeurs sur ce point ont circulé sur les réseaux, faisant allusion à de supposées opérations de désinformation durant l’offensive qui auraient pu contribuer à la désorganisation des forces du régime. Bien qu’il n’y ait, à ce stade, pas d’éléments concrets en ce sens, une action dans le champ informationnel (voire cyber) pourrait expliquer la complète incapacité de l’Armée arabe syrienne (SAA) à organiser une réponse structurée, qui a surpris beaucoup d’observateurs — jusqu’à Bachar el Assad lui-même.
Sources
- « The Jihadist : Abu Mohammad al-Jolani Military Leader, Hayat Tahrir al-Sham », PBS, février 2021.
- Hamzah Almustafa et Hossam Jazmati, « Syria war : Inside the world of HTS leader Abu Mohammad al-Jolani », Middle East Eye, 22 juin 2021.