La campagne présidentielle américaine est, depuis l’abandon de Joe Biden et la nomination de Kamala Harris à la tête du ticket démocrate, sans aucun doute l’une des plus serrées de l’histoire récente. L’écart national en matière d’intentions de vote n’a jamais dépassé 4 points de pourcentage entre les deux candidats et la courte avance de Harris tout comme le léger retard de Trump se situent tous deux dans la marge d’erreur.

Malgré le calme apparent qui s’est installé dans la campagne depuis le débat présidentiel de septembre, le camp démocrate semble pris d’un vent de panique concernant le soutien de certains blocs d’électeurs.

  • Il y a quelques semaines, nous soulignons que le soutien des hispano-américains à Harris se trouvait à un niveau historiquement faible : 54 % dans une enquête NBC News/Telemundo/CNBC du 23 septembre.
  • Les données des sondages à la sortie des urnes de ces 50 dernières années indiquent que, lorsque le candidat démocrate à la présidentielle reçoit moins de 64 % du vote hispanique, celui-ci perd généralement l’élection.
  • Des sondages récents ont indiqué que Harris pourrait également perdre le soutien d’une partie significative de l’électorat afro-américain. Dans le dernier sondage New York Times/Siena College du 13 octobre, 70 % des hommes noirs déclaraient leur intention de voter pour la candidate démocrate le 5 novembre1.

Bien que toujours substantiel, ce chiffre est largement inférieur aux 85 % ayant déclaré qu’ils voteraient pour Joe Biden en 20202. En réaction, la campagne de Kamala Harris a annoncé lundi 14 octobre lancer « un plan visant à donner aux hommes noirs davantage d’opportunités économiques et d’autres chances de s’épanouir »3. Parmi les propositions figurent notamment des prêts-subventions destinés aux entrepreneurs afro-américains, des programmes de mentorat ciblés ou bien une légalisation du cannabis à usage récréatif4.

Une prise de recul avec ce sondage isolé offre néanmoins une image moins alarmante que celle ayant conduit à creuser l’écart — déjà existant — en faveur de Trump dans les marchés de prédiction.

  • Le Parti démocrate a su fidéliser le vote d’une grande majorité d’afro-américains suite à la crise des années 1930 et le New Deal, puis avec les réformes mises en place dans les années 1960 (Civil Rights Act de 1964, Fair Housing Act de 1968 notamment).
  • On observe à cet égard un glissement progressif — surtout visible au cours des deux précédents cycles — qui est en partie générationnel. Celui-ci conduit à une érosion du soutien « historique » des afro-américains pour les candidats démocrates, particulièrement chez les jeunes électeurs.
  • La personnalité de Trump joue elle aussi dans cette équation : le candidat républicain a su être attrayant auprès de l’électorat non-blanc (afro-américains mais également hispano-américains), principalement en raison de sa notoriété en matière de gestion de l’économie, les afro et hispano-américains étant notamment plus impactés par l’inflation.

Plusieurs experts électoraux considèrent que ce « vent de panique » ressenti par les Démocrates est, pour le moment, excessif5. Des enquêtes réalisées au cours de la même période indiquent par ailleurs que Harris est susceptible de recevoir le même soutien de l’électorat afro-américain que Joe Biden en 20206.

Il existe enfin un élément d’explication lié à la « culture » de chaque parti : les Démocrates, bousculés par les sur-performances de Trump lors des deux derniers cycles, ont plus tendance à s’inquiéter de ces signaux faibles7. À l’inverse, le GOP — et surtout Donald Trump — refuse d’être considéré comme un underdog et proclame fréquemment avoir déjà gagné le scrutin8.

Sources
  1. Cross-Tabs : October 2024 Times/Siena Poll of the Hispanic Likely Electorate, 13 octobre 2024.
  2. Maya King, Jonathan Weisman et Ruth Igielnik, « Black Voters Drift From Democrats, Imperiling Harris’s Bid, Poll Shows », The New York Times, 12 octobre 2024.
  3. Will Weissert, « Harris announces a new plan to empower Black men as she tries to energize them to vote for her », Associated Press, 15 octobre 2024.
  4. Publication sur X (Twitter) de Kamala Harris, 15 octobre 2024.
  5. Brendan Rascius, « Is Kamala Harris losing support of Black men ? Experts weigh in on concerns after poll », Miami Herald, 16 octobre 2024.
  6. Anthony Salvanto, Fred Backus et Jennifer De Pinto, « CBS News Trump-Harris poll shows one election, two worlds : How information, beliefs shape tight campaign », CBS News, 14 octobre 2024.
  7. Kyle Kondik, Three Weeks to Go : Has Anybody Seen Our Crystal Ball Anywhere ?, The Center for Politics at the University of Virginia, 15 octobre 2024.
  8. Michael Scherer, Josh Dawsey et Tyler Pager, « Harris and Trump take divergent paths in a tied race », The Washington Post, 12 octobre 2024.