Élections européennes 2024

Ursula von der Leyen : le programme d’une réélection

Ursula von der Leyen devait faire aujourd’hui un exercice d’équilibriste : marquer un cordon sanitaire avec les forces à la droite du Parti populaire et réunir les 361 voix nécessaires à sa réélection à partir de la droite, du centre et d’une partie de la gauche. Devant les eurodéputés réunis à Strasbourg, dans un discours d’une heure, la présidente de la Commission a présenté un programme pour les cinq prochaines années.

Nous le commentons ligne à ligne.

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Le Grand Continent
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© Roberto Monaldo/LaPresse/Shutterstock

Aujourd’hui, Ursula von der Leyen remet en jeu son mandat devant le Parlement européen.

Il y a cinq ans, 383 eurodéputés du PPE, des Socialistes et Démocrates (S&D) et de Renew (RE) — trois groupes qui disposaient conjointement de 444 sièges lors  de la précédente législature — avaient soutenu la candidature d’Ursula von der Leyen à la tête de la Commission européenne — soit une courte majorité de seulement 9 voix. Après le vote des 6-9 juin, ils en totalisent 401 et la majorité est à 361. Pour autant, le vote à bulletin secret et des défections à l’intérieur des groupes  pourraient mettre en péril son élection, qui pourrait se faire — discrètement — avec une partie des CRE — le groupe de Giorgia Meloni, qui ne révèlera le vote de ses députés qu’après le scrutin.

Afin de rallier les votes dont elle a besoin, Ursula von der Leyen a prononcé un long discours présentant les axes structurants de son programme pour les cinq prochaines années. Une heure plus tôt dans la matinée, la Commission avait publié un document intitulé « Europe’s Choice » dans lequel elle listait sous forme d’agenda programmatique les principaux axes de travail qui seraient ceux d’une Commission « VDL II ».

Ce document comme son discours portent une série d’annonces et de priorités, notamment sur de nouveaux sujets — elle promet ainsi la création de quatre nouveaux poste de Commissaires un au logement,  à la Méditerranée, un à l’élargissement et un à la défense — ou sur des thématiques qui ont marqué la précédente législature comme l’approvisionnement et les prix de l’énergie. On note toutefois que le discours met moins l’accent sur la défense que ce qui aurait pu être attendu — en remarquant dans le même temps que les passages sur la défense sont prononcés en français. Sur le Pacte vert, la Présidente de la Commission maintient le cap mais en le subordonnant à la politique industrielle et à la compétitivité de l’économie européenne.

C’est là en effet l’autre thème clef avant la publication du très attendu rapport Draghi sur le sujet. Une limite du discours ambitieux de l’Union à ce sujet, repris ici par von der Leyen, est à rechercher dans le fait que la compétitivité est considérée davantage comme une fin en soi que comme un moyen. C’est ce que pointait l’ancien président du Conseil italien dans son dernier discours à Yuste en mettant davantage l’accent sur les facteurs à même d’augmenter la productivité : « nous devrons croître plus vite et mieux. Et le principal moyen de parvenir à une croissance plus rapide est d’augmenter notre productivité ».

Au total, l’agenda présenté par von der Leyen semble surtout répondre à l’impératif politique du jour J : trouver une majorité. Plutôt que de pointer dans une seule direction, elle multiplie les annonces sur des sujets à même de rencontrer le soutien des différentes tendances qui composent la coalition sur laquelle elle entend s’appuyer.

Madame la Présidente, chère Roberta,

Je tiens tout d’abord à vous féliciter du fond du cœur pour votre réélection. Votre succès reflète le travail incroyable que vous avez mené au sein de cette maison de la démocratie européenne.

Mesdames et Messieurs les députés,

Cela fait maintenant cinq ans que je suis venue pour la première fois vous demander de m’accorder votre confiance. Cinq années sans précédent dans l’histoire de notre Union. Je me souviendrai à tout jamais de ces moments forts que nous avons partagés, ensemble, dans cet hémicycle. Du jour où je me suis tenue devant vous, il y a cinq ans, pour vous demander de m’accorder votre confiance. Au jour où je vous ai proposé NextGenerationEU. Ou des interventions du président Zelenskiy, lors desquelles les traducteurs eux-mêmes ne pouvaient pas retenir leurs larmes. À cette chaise laissée vide, signe d’un hommage poignant à Alexeï Navalny, alors que sa fille s’exprimait en son nom. De ces moments de silence en l’honneur des êtres chers que nous avons perdus pendant la pandémie. À ces moments musicaux où ont résonné l’Ode à la Joie ou Auld Lang Syne. Jamais je n’oublierai les dernières paroles de David Sassoli, appelant à une Europe plus unie. Ce Parlement comprend le poids de ce moment historique.

Dans l’ouverture de son discours, von der Leyen revient sur les points clefs qui ont marqué son précédent mandat : le retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne le 31 janvier 2020, la pandémie de Covid-19, l’adoption du Plan de relance proposé dès juillet 2020 qui avait suscité les espoirs d’un « moment hamiltonien », l’invasion russe de l’Ukraine le 24 février 2022.

Mesdames et Messieurs les députés,

Les choix sont les charnières du destin. Et dans un monde où règne l’adversité, le destin de l’Europe repose sur nos actions futures. Malgré le travail considérable que nous avons accompli et les obstacles importants que nous avons surmontés, l’Europe se trouve à présent devant un choix clair. Un choix qui définira notre travail pour les cinq prochaines années et qui déterminera la place que nous occuperons dans le monde au cours des cinq prochaines décennies. Un choix qui se résume à l’alternative suivante : laisserons-nous les événements et le monde qui nous entoure nous définir ? Ou allons-nous nous unir pour prendre en main notre avenir ? Et ce choix nous revient. L’Europe ne peut pas contrôler les dictateurs et les démagogues du monde entier, mais elle peut choisir de protéger sa propre démocratie. L’Europe ne peut pas déterminer l’issue des élections dans le monde entier, mais elle peut choisir d’investir dans la sécurité et la défense de son propre territoire. L’Europe ne peut pas arrêter le changement, mais elle peut choisir d’aller dans son sens en investissant dans une nouvelle ère de prospérité et en améliorant notre qualité de vie.

Cependant, Mesdames et Messieurs les députés, pour pouvoir choisir l’Europe de demain, nous devons être conscients de ce que les gens ressentent aujourd’hui. Nous nous trouvons dans une période marquée par l’anxiété et l’incertitude profondes des Européens. Les familles souffrent du coût de la vie et du logement. Les jeunes s’inquiètent pour la planète, pour leur avenir et à l’idée d’une éventuelle guerre. Les entreprises et les agriculteurs se sentent coincés. Tout cela est symptomatique d’un monde dans lequel tout est instrumentalisé et sujet à controverse. Un monde dans lequel les tentatives de division et de polarisation de nos sociétés sont évidentes. Je suis profondément préoccupée par ces tendances. Mais je suis convaincue que l’Europe – une Europe forte – peut relever ce défi. Et c’est pour cela que je demande aujourd’hui votre confiance. Parce que, comme vous tous, je suis entrée en politique pour changer la donne pour toute la société. Pour améliorer les choses pour la génération de mes enfants et de mes petits-enfants. Comme l’ont fait celles et ceux qui étaient là avant nous. Je suis convaincue que la version de l’Europe qui a vu le jour depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, malgré toutes ses imperfections et ses inégalités, est encore la meilleure de notre histoire. Jamais je ne pourrai rester les bras croisés et assister à sa destruction, que ce soit de l’intérieur ou de l’extérieur. Jamais je ne permettrai que la polarisation extrême de nos sociétés soit acceptée. Et jamais je n’accepterai que les démagogues et les extrémistes détruisent notre mode de vie européen. Je me tiens aujourd’hui prête à mener ce combat aux côtés de toutes les forces démocratiques qui sont présentes ici, dans cette assemblée.

Mesdames et Messieurs les députés,

Telle est la vision que j’ai exposée dans mes orientations politiques. La vision d’une Europe plus forte, qui assure la prospérité, qui protège les personnes et qui défend la démocratie. Une Europe plus forte qui garantit l’équité sociale et qui vient en aide aux personnes. Une Europe plus forte qui met en œuvre ce qu’elle a convenu de manière équitable. Et qui s’en tient aux objectifs du Pacte vert pour l’Europe de manière pragmatique, en respectant la neutralité technologique et en faisant preuve d’innovation. J’ai prêté une oreille attentive aux forces démocratiques de ce Parlement. Et je suis convaincue que ces orientations reflètent tout ce que nous avons en commun, malgré nos différences, qui sont le signe d’une démocratie saine.

Mesdames et Messieurs les députés,

La prospérité et la compétitivité seront notre première priorité. Ces cinq dernières années, nous avons traversé la plus grosse tempête de l’histoire économique de notre Union. Nous sommes sortis plus forts du choc provoqué par les confinements et nous avons surmonté une crise énergétique sans précédent. Nous avons accompli cela ensemble et je trouve que nous pouvons en être fiers. Mais nous savons aussi que notre compétitivité a besoin d’un grand coup d’accélérateur. Les fondements de l’économie mondiale sont en plein changement. Ceux qui restent sans rien faire se retrouveront à la traîne. Ceux qui ne sont pas compétitifs se retrouveront dépendants. La course est lancée et je veux que l’Europe passe à la vitesse supérieure. Pour cela, il faut commencer par simplifier et rendre plus réactif l’environnement des entreprises. Nous devons approfondir notre marché unique à tous les niveaux. Il nous faut réduire les obligations de déclaration, alléger la bureaucratie, mais aussi augmenter la confiance, améliorer le respect des règles et accélérer l’octroi de permis. Et je ferai en sorte que l’on doive rendre des comptes à ce propos. Car on ne mène à bien que ce que l’on mesure. C’est pourquoi je demanderai à chaque Commissaire d’analyser son portefeuille en profondeur et de participer activement à la réduction de la charge. Et je nommerai un Vice-président qui coordonnera ces travaux et qui présentera chaque année à cette assemblée un rapport sur les progrès accomplis. Je mettrai également en place un contrôle repensé des PME et de la compétitivité dans le cadre de notre boîte à outils pour une meilleure réglementation. Nous savons tous que sans les PME, il n’y aurait pas d’Europe. Elles constituent le cœur de notre économie. Par conséquent, débarrassons-nous de la lourdeur de la microgestion, accordons‑leur plus de confiance et proposons-leur de meilleures incitations.

Ursula von der Leyen reprend le motif de la simplification administrative et de « la fin de l’Europe compliquée » déjà longuement évoqué par Emmanuel Macron dans son deuxième discours de la Sorbonne : « Depuis que Jacques Delors a fait le marché intérieur — il y a 30 ans — nous l’approfondissons, nous l’augmentons par toujours plus d’intégration. Et c’est une action de bon sens et le marché unique est une action de simplification ; c’est de passer de 27 systèmes de règles à un. Enrico Letta, dans son rapport, vient de nous proposer de continuer cette modernisation et ce travail au service de nos compatriotes et de nos entreprises. Je suis favorable à ce que, en effet, nous poursuivions le marché unique sur des secteurs qui avaient été jusque-là ignorés par celui-ci : l’énergie, les télécommunications, les services financiers. C’est indispensable parce que c’est ce qui nous permet de réduire la fragmentation de nos règles sur ces grands secteurs, et donc, de réussir à dégager plus d’innovation, de réduire les coûts de transaction, d’avoir plus de capacité, en effet, d’innovation, d’investissement et de mieux servir nos intérêts. »

Mesdames et Messieurs les députés,

Permettez-moi de citer quelques chiffres. Pour commencer : au premier semestre de cette année, 50 % de notre production d’électricité provenait des énergies renouvelables. Une production locale et propre. Les investissements réalisés dans le secteur des technologies propres en Europe ont plus que triplé au cours de ce mandat. Nous attirons plus d’investissements dans l’hydrogène propre que les États-Unis et la Chine réunis. Enfin, au cours des dernières années, nous avons conclu avec des partenaires mondiaux 35 nouveaux accords dans le domaine des technologies propres, de l’hydrogène et des matières premières critiques. C’est le Pacte vert pour l’Europe en action. Je veux donc être claire : nous maintiendrons le cap sur notre nouvelle stratégie de croissance et sur les objectifs que nous avons fixés pour 2030 et 2050. Nous mettrons l’accent sur la mise en œuvre et sur l’investissement, afin d’obtenir des résultats sur le terrain. C’est pourquoi je proposerai un nouveau Pacte pour une industrie propre au cours des premiers 100 jours. Il orientera les investissements vers les infrastructures et l’industrie, en particulier les secteurs à forte intensité énergétique. Cela permettra de créer des marchés pilotes dans tous les domaines, de l’acier propre aux technologies propres. Et cela accélérera la planification, les appels d’offres et les autorisations dans ce domaine. Nous devons être plus rapides et faire plus simple. Parce que l’Europe se décarbone et s’industrialise en même temps. Nos entreprises ont besoin de prévisibilité, pour leurs investissements et leur innovation. Et oui, elles peuvent compter sur nous. Dans cette optique, nous inscrirons notre objectif de réduction des émissions de 90 % à l’horizon 2040 dans notre Loi européenne sur le climat. Nos entreprises doivent dès aujourd’hui planifier leurs investissements pour la décennie à venir. Et cela ne concerne pas seulement les entreprises. Pour la jeune génération, les années 2030, 2040 et 2050 arrivent vite. Ils savent qu’il nous faut concilier la protection du climat et une économie prospère. Et ils ne nous pardonneraient pas de ne pas être à la hauteur. Il ne s’agit donc pas seulement d’une question de compétitivité, mais aussi d’équité intergénérationnelle. Les jeunes le méritent.

Le Pacte vert, stratégie clef du premier mandat d’Ursula von der Leyen, n’apparaît que deux fois dans le discours. La candidate, qui a besoin des votes des Verts, des socialistes, des libéraux et du PPE pour être réélue, mène une stratégie périlleuse et marche sur une ligne de crête. Afin d’avoir la garantie de leur vote, les Verts, Renew et S&D ont demandé la continuation du Pacte vert. Le PPE a quant à lui exprimé son intention de réduire l’engagement en faveur de l’action climatique et de la protection de la nature.  

Von der Leyen cherche donc à réconcilier les deux parties : elle propose de maintenir le cap — atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050 — avec une cible intermédiaire de réduction des émissions de 90 % d’ici 2040 — conformément à une proposition déjà publiée au mois de février — tout en la subordonnant à l’industrialisation et à la compétitivité de l’économie européenne. 

Le nouveau Pacte pour une industrie propre contribuera également à réduire les factures énergétiques. Nous savons tous que des prix de l’énergie structurellement élevés nuisent à notre compétitivité, et que les factures énergétiques élevées sont un facteur important de précarité énergétique pour les consommateurs. Je n’ai pas oublié le chantage exercé par Poutine à notre encontre lorsqu’il a coupé notre approvisionnement en combustibles fossiles russes. Mais nous avons résisté ensemble. Nous avons investi massivement dans des énergies renouvelables locales et bon marché. Cela nous a permis de nous libérer des combustibles fossiles russes polluants. C’est pourquoi, ensemble, nous veillerons à ce que l’époque de la dépendance à l’égard des combustibles fossiles russes soit révolue. Une fois pour toutes.

Mesdames et Messieurs les députés,

L’Europe a besoin de plus d’investissements, que ce soit dans l’agriculture ou dans l’industrie, dans les technologies numériques ou stratégiques. Mais l’Europe a aussi besoin de plus d’investissements dans le capital humain et les compétences de ses citoyens. Ce mandat doit être celui de l’investissement. Cela commence par l’achèvement de l’Union des marchés de capitaux et la mobilisation d’un plus grand nombre de financements privés. Chaque année, 300 milliards d’euros provenant de l’épargne des familles européennes quittent l’Europe pour les marchés étrangers, parce que notre marché des capitaux est trop fragmenté. Cet argent est ensuite souvent utilisé pour acheter, depuis l’étranger, des entreprises européennes innovantes. Il faut que cela change. Nous devons tirer parti de cette énorme richesse pour créer de la croissance ici en Europe. C’est pourquoi nous proposerons une Union européenne de l’épargne et des investissements. Les start-ups européennes ne devraient pas avoir besoin de se tourner vers les États-Unis ou l’Asie pour financer leur expansion. Elles doivent pouvoir trouver ce dont elles ont besoin pour se développer ici même, en Europe. Nous avons besoin d’un marché des capitaux liquide et profond. Et nous avons besoin d’une politique en matière de concurrence qui aide les entreprises à se développer. L’Europe doit être le berceau des opportunités et de l’innovation.

Présent à la fois dans le rapport d’Enrico Letta et dans celui de Mario Draghi en préparation, mais aussi dans le deuxième discours d’Emmanuel Macron à la Sorbonne, l’achèvement de l’union des marchés de capitaux est désormais largement considéré comme une étape clef de la stratégie de compétitivité de l’Union. 

Selon le spécialiste du sujet Fabrice Demarigny, l’absence d’une véritable union des marchés de capitaux peut expliquer la stagnation de la part du financement de l’économie par les marchés au sein de l’Union : « la taille relative de l’Union dans les marchés de capitaux globaux s’est réduite — passant de 18 % à 10 % en 16 ans — et la part des entreprises européennes dans la capitalisation boursière des 100 plus grandes entreprises mondiales est passée de 11 % à 5 % en 7 ans. »

Mesdames et Messieurs les députés,

Pour libérer l’investissement privé, nous avons également besoin de fonds publics. Certes, nous disposons des ressources de NextGenerationEU et du budget actuel. Mais ces ressources disparaîtront au cours des prochaines années, tandis que nos besoins en matière d’investissement, eux, persisteront. Nous avons besoin d’une plus grande capacité d’investissement. Notre nouveau budget sera renforcé. Il doit être davantage axé sur les politiques, plus simple pour les États membres et plus efficace, afin de nous permettre d’utiliser son effet de levier pour mobiliser davantage de financements privés et publics. Je proposerai par ailleurs un nouveau Fonds européen pour la compétitivité. Il sera axé sur des projets européens communs et transfrontières qui stimuleront la compétitivité et l’innovation, notamment afin de soutenir le Pacte pour une industrie propre. Il garantira qu’une technologie stratégique sera développée et fabriquée ici, en Europe. Ainsi, de l’IA aux technologies propres, l’avenir de notre prospérité doit se construire en Europe.

La question des investissements sera au centre de la mandature qui s’ouvre. Le plan de relance NextGenerationEU adopté pour faire face au choc de la pandémie de Covid-19 et revu pour faire face à la crise énergétique provoquée par l’invasion russe de l’Ukraine — grâce à des chapitres Repower EU dans les plans nationaux —, doit être versé jusqu’en 2026. Le remboursement de l’emprunt commun doit commencer en 2028, ce qui accentuera encore  la pression sur un budget commun déjà très faible.  

L’actuel budget pluriannuel va jusqu’en 2027. La Commission devra proposer une première ébauche du prochain budget (2028-2035) à l’été 2025, pour ouvrir des négociations qui s’annoncent particulièrement difficiles, alors que les finances publiques des États-membres sont déjà mises à l’épreuve : le nouveau gouvernement néerlandais a déjà annoncé qu’il ne souhaitait pas contribuer davantage. L’Allemagne exclut pour le moment tout nouvel emprunt commun, alors que les pays Baltes — mais aussi la France — sont tentés par un nouveau dispositif pour augmenter les dépenses de défense.

Mesdames et Messieurs les députés,

Nous devons aussi investir davantage dans notre sécurité et notre défense. La Russie est toujours sur l’offensive dans l’Est de l’Ukraine. Elle fait le pari d’une guerre d’usure. Elle entend faire du prochain hiver un hiver encore plus rude que le précédent. La Russie fait le pari que l’Europe et l’Occident molliront. Et certains, en Europe, jouent le jeu. Il y a deux semaines, un premier ministre de l’UE s’est rendu à Moscou. Cette mission qui se disait une mission de paix n’était rien d’autre qu’une mission d’apaisement. À peine deux jours plus tard, les avions de Poutine larguaient leurs missiles sur un hôpital pour enfants et une maternité à Kiev. Nous avons tous vu les images d’enfants couverts de sang et de mères tentant de mettre en sécurité de jeunes cancéreux. Cette frappe n’était pas une erreur. C’était un message. Un message glaçant du Kremlin qui s’adressait à nous tous. Alors, Mesdames et Messieurs les députés, notre réponse doit être juste et claire. Personne ne souhaite la paix davantage que le peuple ukrainien. Une paix juste et durable. Pour un pays libre et indépendant. Et l’Europe se tiendra aux côtés de l’Ukraine aussi longtemps qu’il le faudra.

Le « premier ministre de l’Union » qui n’est pas nommé ici est évidemment Viktor Orbán, dont le pays, la Hongrie, occupe actuellement la présidence tournante du Conseil de l’Union. C’est de ce titre qu’il s’est prévalu — mais sans aucun mandat explicite des autres États membres — lors de sa récente tournée internationale de Pékin à Washington en passant par Kiev et Moscou. De manière non dissimulée, le Premier ministre hongrois et son entourage entendent utiliser la présidence du Conseil comme plateforme pour dénoncer ce qui s’apparenterait selon eux à une « grande stratégie » mise en place par les régimes occidentaux pour maintenir leur hégémonie.

C’est contre celle-ci qu’Orbán a poursuivi sa « mission pour la paix » — jusqu’à la résidence de Trump à Mar-a-Lago (Floride). Le but affiché lors de ses échanges et interventions est de pointer la responsabilité des « libéraux » en Ukraine, les accusant de « soutenir la guerre au lieu de promouvoir la paix ». Les « élites bruxelloises » seraient quant à elles décrites comme « aveugles » face aux défis auxquels fait face l’Europe — au premier rang desquels l’immigration.

Il est extrêmement rare — sinon tout à fait inédit — pour la présidente de l’exécutif européen, qui plus est candidate à sa réélection, de s’en prendre si explicitement et si violemment au gouvernement d’un État membre. Récemment, la Commission a décidé de pratiquer la politique de la chaise vide aux réunions de haut niveau de la présidence du Conseil en protestation de l’aventurisme diplomatique d’Orbán. 

Contrairement aux apparences, le mot « d’apaisement » choisi par von der Leyen est fort : en rappelant la frappe contre un hôpital pour enfants de Kiev deux jours après la visite du Premier ministre hongrois, elle met en évidence sa complaisance vis-à-vis du Kremlin derrière un prétendu effort de paix. C’est contre cette complaisance qu’Ursula von der Leyen met l’accent, dans le paragraphe suivant, la nécessité d’un renforcement de l’Union en matière de défense.

Mesdames et Messieurs les Députés,

Nous devons donner à l’Ukraine tout ce dont elle a besoin pour résister et vaincre. Cela implique des choix fondamentaux pour notre avenir. Pour la première fois depuis des décennies, notre liberté est en danger. Nous sommes responsables pour faire tout ce qui est nécessaire pour protéger nos citoyens européens. Protéger l’Europe c’est le devoir de l’Europe. Alors je pense qu’il est temps de construire une véritable Union européenne de la défense. Oui, je sais, que certains ne sont peut-être pas à l’aise avec cette idée. Mais ce qui devrait nous mettre mal à l’aise, ce sont les menaces qui pèsent sur notre sécurité. Soyons clairs : les États membres restent responsables pour leur sécurité nationale et pour leurs armées. Et l’OTAN reste le pilier de notre défense collective. Mais nous le savons tous : Nos dépenses de défense sont trop faibles et inefficaces. Nous dépensons trop à l’étranger. Et nous devons donc créer un marché unique de la défense. Nous devons investir plus dans les capacités de défense haut de gamme. C’est-à-dire, l’Europe doit avancer sur la voie tracée par la Déclaration de Versailles. Nous devons investir plus. Nous devons investir ensemble. Et nous devons créer des projets européens communs. Par exemple un système complet de défense aérienne – « a European Air Shield ». Non seulement pour protéger notre espace aérien. Mais aussi comme symbole fort de l’unité de l’Europe en matière de défense.

Entre la guerre en Ukraine et les élections américaines, l’Europe essaie de rattraper rapidement des décennies de réduction des dépenses et de surmonter une pénurie aiguë de capacité de production, alors que les approvisionnements militaires continuent de diminuer.

Si plusieurs initiatives ont été proposées depuis 2022 (Facilité européenne pour la paix, Stratégie industrielle de défense européenne, Acte de soutien à la production de munitions), la question du financement reste centrale, ainsi que le transfert des compétences en matière industrielle et d’approvisionnement au niveau européen.

Mesdames et Messieurs les députés,

La sécurité ne se limite pas aux menaces extérieures. Les cybermenaces et les menaces hybrides s’amplifient. Les réseaux de criminalité organisée, la plupart misant sur la corruption, infiltrent notre économie. Par leur brutalité, ils sèment la peur et font mourir des innocents. Ils amassent d’énormes sommes d’argent grâce au trafic de drogue, aux attaques par rançongiciels, à la fraude, au trafic d’êtres humains et ne connaissent pas de frontières nationales. Il est nécessaire d’apporter une réponse à l’échelle européenne à cette menace croissante. Nous devons faire en sorte que la police puisse opérer dans toute l’Europe sans frontières. C’est pourquoi je proposerai de doubler les effectifs d’Europol et de renforcer son mandat. Je souhaite qu’Europol devienne un service de police véritablement opérationnel.

Et nous devons également faire davantage pour sécuriser nos frontières extérieures. Notre frontière orientale en particulier est devenue la cible d’attaques hybrides et de provocations. La Russie attire les migrants du Yémen vers le nord et les pousse délibérément contre la frontière finlandaise. Nous devons toujours garder à l’esprit qu’une frontière d’un État membre est une frontière européenne. Et nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour consolider ces frontières. C’est pourquoi nous devons renforcer Frontex. Pour le rendre plus efficace, dans le plein respect des droits fondamentaux, je proposerai donc de porter à 30 000, et donc de tripler, le nombre de gardes-frontières et de garde‑côtes européens.

Des frontières plus sûres nous aideront également à gérer les migrations de manière plus structurée et plus équitable. Le Pacte sur la migration et l’asile constitue une avancée considérable. Nous plaçons la solidarité au cœur de notre réponse commune. Les défis migratoires nécessitent une réponse européenne basée sur une approche juste et ferme fondée sur nos valeurs. En gardant toujours à l’esprit que les migrants sont des êtres humains comme vous et moi. Et nous sommes tous protégés par les droits de l’homme. Les pessimistes étaient nombreux à penser la migration était un sujet trop clivant pour faire l’objet d’un accord. Nous avons prouvé qu’ils avaient tort. Ensemble, nous l’avons fait. Et nous en sommes sortis plus forts. Nous devons maintenant nous concentrer collectivement sur la mise en œuvre et le soutien des États membres pour en faire une réalité sur le terrain. Et il reste encore beaucoup à faire. Nous avons besoin d’une approche commune sur la question des retours, afin de les rendre plus efficaces et plus dignes. Et nous devons développer nos partenariats globaux, en particulier dans notre voisinage méridional. La région méditerranéenne devrait faire retenir toute notre attention. C’est pourquoi je désignerai un commissaire pour la région et proposerai, avec Kaja Kallas, un nouveau programme pour la Méditerranée. Parce que les deux rives méditerranéennes ont un seul et même avenir.

Contrairement aux attentes et à ce qui était demandé par le PPE, von der Leyen n’a pas proposé d’externaliser la gestion des demandes d’asile, ce qui aurait pu mettre en péril le vote des Verts.

Mesdames et Messieurs les députés,

Notre voisinage est le berceau de notre avenir. Accueillir des pays dans notre Union est une responsabilité morale, historique et politique. Il s’agit d’une responsabilité géostratégique immense pour l’Europe. Parce que dans le monde d’aujourd’hui, une Union plus vaste sera une Union plus forte. Cela renforcera notre voix dans le monde. Cela contribuera à réduire nos dépendances. Et cela signifie que la démocratie, la prospérité et la stabilité pourront se diffuser dans toute l’Europe. Nous soutiendrons les candidats en travaillant sur les investissements et les réformes et en les intégrant là où nous le pourrons dans nos cadres juridiques. L’adhésion sera toujours un processus fondé sur le mérite. Et nous veillerons à ce que tous les pays soient prêts, avant leur adhésion à l’Union. Mais l’achèvement de notre Union est également dans notre intérêt premier. Et il s’agira d’une priorité essentielle pour ma Commission. L’Histoire nous appelle de nouveau. Les Balkans occidentaux, l’Ukraine, la Moldavie et la Géorgie ont fait leur libre choix Ils ont choisi la liberté plutôt que l’oppression. Ils ont choisi la démocratie plutôt que la dépendance. Et certains paient un prix élevé pour ce choix. Il nous faut donc faire notre choix et faire preuve d’un engagement sans faille. Leur avenir sera libre et prospère, au sein de notre Union.

L’annonce de la création d’un poste de Commissaire à l’élargissement — portefeuille couvert dans la précédente Commission par le Commissaire à l’Élargissement et à la Politique européenne de voisinage veut démontrer l’engagement ferme en faveur du processus d’adhésion. Les négociations officielles avec l’Ukraine et la Moldavie ont été ouvertes fin juin. En plus de ces deux pays, l’Albanie, la Bosnie-Herzégovine, la Géorgie, le Monténégro, la Macédoine du Nord, la Serbie et la Turquie sont candidats. L’avancement des négociations dépendra à la fois des avancées constatées dans les pays concernés mais aussi des évolutions politiques et de l’opinion publique dans les États-membres. 

Mesdames et Messieurs les députés,

L’Europe a le devoir de jouer un rôle actif sur la scène internationale, et pour commencer dans notre voisinage. Et en particulier au Proche-Orient. Je veux être claire : le bain de sang à Gaza doit cesser immédiatement. Trop d’enfants, de femmes et de civils ont perdu la vie en conséquence de la réponse d’Israël à la terreur brutale du Hamas. La population gazaouie n’en peut plus. L’humanité ne peut le supporter. Il faut un cessez-le-feu immédiat et durable. Il faut la libération des otages israéliens. Et nous devons préparer le jour d’après. L’Europe a un rôle à jouer. Nous avons accru massivement notre aide humanitaire pour la porter à près de 200 millions d’euros en 2024. Et nous ne nous arrêterons pas là. Nous travaillons à présent à l’élaboration d’un train de mesures de soutien pluriannuel beaucoup plus vaste en faveur d’une Autorité palestinienne effective. La solution à deux États est le meilleur moyen de garantir à la fois la sécurité des Israéliens et celle des Palestiniens. Les populations du Moyen-Orient méritent la paix, la sécurité et la prospérité. Et l’Europe se tiendra à leurs côtés.

Mesdames et Messieurs les députés,

L’Europe offre une qualité de vie incomparable. Qu’il s’agisse du vaste périmètre de la protection sociale ou de la qualité exceptionnelle des produits alimentaires régionaux. Les champs de colza, les vignobles et les vergers ne sont pas seulement synonymes de bons repas arrosés, ils constituent une partie intégrante de notre patrie. C’est pourquoi l’avenir de l’agriculture est une question si importante et si sensible en Europe. Nous devons parvenir à surmonter les désaccords et à mettre au point, avec toutes les parties prenantes, des solutions adéquates. C’est pourquoi j’ai lancé le dialogue stratégique sur l’avenir de l’agriculture en Europe. Il rassemble autour d’une même table agriculteurs, mouvements écologistes et experts de toute la chaîne alimentaire. J’ai fait la promesse d’être à leur écoute et d’apprendre à leurs côtés. Et je me tiens à cette promesse. Je tiendrai compte des recommandations judicieuses et je présenterai une nouvelle stratégie européenne pour notre agriculture et notre secteur alimentaire. Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour assurer un revenu équitable aux agriculteurs. Personne ne devrait être contraint de vendre de bons produits alimentaires à un prix inférieur à leur coût de production. Nous devons renforcer la place qu’occupent nos agriculteurs et nos agricultrices dans la chaîne de valeur agroalimentaire. Et nous avons besoin d’incitations plus intelligentes, de plus d’innovation et d’un meilleur accès aux capitaux. Quiconque a une approche durable de la nature et de la biodiversité et contribue à l’équilibre du budget carbone doit être récompensé en conséquence. Nos agriculteurs et agricultrices façonnent nos paysages. Ils façonnent le visage de l’Europe. Ils constituent un pan de notre culture. Ils garantissent notre sécurité alimentaire. Et nous sommes fiers d’eux.

C’est pourquoi nous devons nous attaquer ensemble aux problèmes qui les accablent. Ils subissent les effets du changement climatique. Les phénomènes météorologiques extrêmes et les pénuries d’eau les frappent chaque année un peu plus. L’Europe se réchauffe deux fois plus vite que la moyenne mondiale. Nous en constatons déjà les effets dévastateurs dans les champs et dans les forêts. Le visage de nos communautés rurales est en train de changer. Nous devons redoubler d’efforts pour mieux préparer l’agriculture à ce qui nous attend du fait du changement climatique. C’est pourquoi je présenterai un plan pour l’agriculture pour lui permettre de réussir la nécessaire adaptation au changement climatique et, parallèlement, une stratégie pour une gestion durable de la ressource précieuse que constitue l’eau. Ce n’est pas seulement notre sécurité alimentaire qui en dépend, mais aussi notre compétitivité dans son ensemble.

Notre qualité de vie et le tissu même de notre société sont exceptionnels. Nous avons réalisé des progrès historiques en ce qui concerne notre socle des droits sociaux, qu’il s’agisse du salaire minimal ou de la toute première garantie pour l’enfance. Pendant la pandémie, nous avons pu sauver 40 millions d’emplois grâce au programme SURE. Et nous pouvons en être fiers. Mais de nombreux nouveaux défis sont apparus, qu’il s’agisse de l’impact de l’intelligence artificielle sur la santé mentale au travail, ou des nouveaux facteurs de pauvreté. Il nous faut un nouveau plan d’action pour la mise en œuvre du socle des droits sociaux. Nous devons garantir aux travailleurs salariés comme aux indépendants une transition professionnelle équitable et de bonnes conditions de travail. Et pour cela, le dialogue social, caractéristique de notre économie sociale de marché, est crucial. Nous œuvrerons donc à l’élargissement du champ des négociations collectives et au renforcement du dialogue social européen. Et nous nous attaquerons aux problèmes dont les Européens souffrent le plus au quotidien. Par exemple, le logement. L’Europe est confrontée à une crise du logement qui touche des personnes de tous âges et des familles de toutes tailles. Les prix de l’immobilier et les loyers s’envolent. Les gens peinent à trouver un logement à un prix abordable. C’est pourquoi, pour la première fois, je nommerai un Commissaire directement chargé du logement. Nous élaborerons un plan européen pour des logements abordables, afin d’analyser tous les facteurs à l’origine de la crise, et pour permettre de débloquer les investissements privés et publics nécessaires. Généralement, le logement n’est pas considéré comme une question européenne. D’aucuns estiment que nous ne devrions pas nous en mêler. Mais je veux que cette Commission aide les citoyens dans les domaines les plus importants. Si c’est important pour les Européens, c’est important pour l’Europe.

C’est une annonce notable ce discours : Ursula von der Leyen promet la nomination d’un Commissaire européen au logement pour que l’Union se saisisse d’une question de plus en plus pressante à l’échelle du continent bien qu’elle reste de la compétence des États membres.

Mesdames et Messieurs les députés,

C’est ainsi que nous pourrons rendre notre société plus forte. Cela suppose de faire en sorte que chaque région, dans chaque partie de l’Europe, soit soutenue. Que personne ne soit laissé pour compte. Je m’engage à défendre une politique de cohésion forte, conçue en partenariat avec les régions et les pouvoirs locaux. Mon souhait est que l’Europe soit le meilleur endroit pour grandir, et le meilleur pour vieillir. Nous devons donner aux jeunes les moyens de profiter aux mieux des libertés qu’offre l’Europe ; cela va d’un programme Erasmus+ renforcé à une plus grande participation citoyenne. Mais nous devons aussi faire davantage pour protéger les jeunes. L’enfance et l’adolescence sont les âges de la vie où se forme notre caractère, où se développe notre personnalité, et où notre cerveau est façonné par les stimuli et les émotions. Ce sont des périodes de développement extraordinaire, mais aussi de réelle vulnérabilité. Et l’on entend de plus en plus parler de ce que certains qualifient de crise de la santé mentale. Nous devons aller au fond de cette question. Je suis persuadée que les médias sociaux, conjugués à une exposition excessive aux écrans et à des pratiques addictives, y sont pour quelque chose. J’ai le cœur brisé quand je lis des histoires de jeunes victimes d’abus en ligne qui s’automutilent, et vont même jusqu’à s’ôter la vie. Je pense à ces derniers moments, et à la souffrance qu’ils ont dû éprouver. Je pense à leurs parents et à leurs amis. Et c’est accablant. Nous ne devons à aucun prix accepter cela dans notre société. Nous lutterons contre le fléau du harcèlement en ligne. Nous prendrons des mesures contre les techniques de conception addictive de certaines plateformes. Et nous lancerons la première enquête à l’échelle européenne sur les conséquences des médias sociaux sur le bien-être des jeunes. Il y va de notre devoir. Et nous travaillerons sans répit jusqu’à parvenir à ce qui est juste pour eux.

Le temps passé devant les écrans avait également été un point clef du deuxième discours d’Emmanuel Macron à la Sorbonne, dans lequel il avait déclaré vouloir « défendre une Europe de la majorité numérique à 15 ans ».

Mesdames et Messieurs les députés,

L’un des choix les plus fondamentaux auxquels nous soyons confrontés est de savoir quel type de société nous voulons pour nos enfants et nos petits-enfants. Et en particulier pour nos filles et nos petites-filles. En matière de droits des femmes, nous avons accompli ensemble l’inimaginable, grâce à l’incroyable solidarité qui règne dans cette maison européenne de la démocratie, et qui transcende les lignes partisanes. Au terme de dix années de lutte, nous avons réussi à débloquer la Directive sur la présence des femmes dans les conseils d’administration. Nous avons réalisé des avancées immenses en matière de transparence des rémunérations – il n’y a absolument aucune raison pour que les femmes soient moins rémunérées, à travail égal, que les hommes. Mais il reste encore tellement à faire. Endiguer la montée de la violence à l’égard des femmes. Faire se concilier vie de famille et carrière professionnelle, pas seulement pour les femmes, mais elles sont les premières concernées. Combler l’écart de rémunération et de retraite entre les hommes et les femmes. Ce n’est pas un hasard si la pauvreté des personnes âgées frappe au premier chef les femmes. Et il y a encore tant d’autres choses à faire. Alors, travaillons ensemble à l’élaboration d’une feuille de route pour les droits de la femme. Continuons à aller de l’avant. Si on ne le fait pas maintenant, alors quand ?

Mesdames et Messieurs les Députés,

La démocratie est notre trésor commun. Elle est le cadre au sein duquel nos différences et nos désaccords peuvent s’exprimer. Ce cadre est aussi vital que fragile. Très longtemps, nous l’avons considéré comme acquis. Nous sommes devenus des démocrates de confort. Mais aujourd’hui, nos démocraties sont menacées. La Russie mène une guerre sans relâche, sur le sol européen, en Ukraine, depuis plus de deux ans. Partout dans l’Union, et au sein même de nos institutions, nos services et des journalistes, dont je veux saluer ici le travail, révèlent des cas d’espionnage, de cyberattaques, de corruption, de campagnes de désinformation menées par des acteurs étrangers, notamment russes et chinois. Jamais depuis des décennies le niveau de menaces et d’attaques hybrides n’a été aussi élevé. Au sein de la Commission, nous avons pleinement conscience de cette situation et agissons en responsabilité depuis de nombreuses années. Un énorme travail d’analyse est réalisé et des premiers outils efficaces ont été mis en œuvre, en bonne coopération avec les États membres. Mais nous devons aller plus loin. Nous devons empêcher les acteurs étrangers hostiles d’interférer dans nos processus démocratiques, de les miner et enfin, de les détruire. Pour cela, nous devons prendre des mesures fortes au niveau européen.

Si vous m’accordez aujourd’hui votre confiance, la Commission proposera un Bouclier Européen de la Démocratie. L’Union a besoin de sa propre structure dédiée à la lutte contre les manipulations de l’information et les ingérences étrangères. Cette structure regroupera toute l’expertise et assurera la liaison et la coordination avec les agences nationales existantes. Les capacités de renseignement, de détection, d’action, mais aussi de sanction doivent être renforcées. Le Bouclier va prendre en compte les recommandations émanant des travaux menés ici par les Commissions spéciales sur les ingérences étrangères, pour mieux protéger nos démocraties. Il est urgent de doter l’Union européenne d’outils performants de cyberdéfense, d’imposer la transparence des financements étrangers de notre vie publique comme une règle commune, mais aussi de garantir un cadre informationnel fiable. Pour cela, l’Union doit soutenir le journalisme indépendant, continuer à faire respecter les règles aux géants du numérique et encourager toujours davantage les programmes d’éducation aux médias. La démocratie européenne doit être plus participative, plus vivante. La société civile mieux aidée et défendue. Je sais pouvoir compter sur votre soutien pour faire advenir ce grand plan de défense de la démocratie européenne.

Mesdames et Messieurs les députés,

Nous intensifierons aussi nos efforts pour défendre toutes les composantes de notre démocratie. Nous protégerons la liberté de nos médias et notre société civile. L’état de droit et la lutte contre la corruption seront au cœur de nos travaux. Nous renforcerons tout notre arsenal d’outils et veillerons à une plus grande application des règles. Nous ferons en sorte que notre rapport sur l’état de droit mette l’accent sur la dimension « marché unique » afin de mieux protéger les entreprises. Et nous nous en tiendrons à un principe très clair dans notre budget. Le respect de l’état de droit est un impératif pour l’octroi de fonds de l’UE. Dans le budget actuel, mais aussi dans ceux qui viendront. Grâce au mécanisme de conditionnalité. Ce n’est pas négociable. Car il s’agit de l’essence même de notre mode de vie européen.

Mesdames et Messieurs les députés,

Notre Union et notre démocratie sont en constante évolution. Et nous pouvons en faire davantage. Il nous faut un programme de réformes ambitieux. Pour assurer le bon fonctionnement d’une Union élargie et renforcer la légitimité démocratique. Des réformes étaient déjà nécessaires, l’élargissement les rend indispensables. Nous devons nous en servir comme catalyseur de changement en ce qui concerne notre capacité d’action, nos politiques et notre budget. Bien sûr, nous mettrons l’accent sur les choses que nous pouvons accomplir dès maintenant, et il n’en manque pas. Mais nous devons être plus ambitieux. Je pense que nous avons besoin d’une modification des Traités là où elle peut améliorer notre Union. Et je souhaite y travailler avec cette assemblée. Cela s’inscrira dans le cadre d’un partenariat plus étroit entre la Commission et le Parlement. J’ai bien entendu vos demandes et vos préoccupations. Je continue à soutenir votre droit d’initiative et m’attacherai à renforcer notre coopération sur les résolutions au titre de l’article 225 pour veiller à ce que nous y donnions suite. Je suis donc disposée à travailler sur tous les aspects de notre partenariat. Nous devons réviser notre accord-cadre afin de garantir davantage de transparence, de responsabilité et d’assiduité au sein du Parlement. Quand toutes les institutions marchent ensemble, l’Europe avance elle aussi.

Fait notable : même si ce point n’est pas plus développé — à la fois parce que le sujet est sensible et parce que la Commission n’a pas l’initiative en la matière — la modification des traités est clairement citée dans le discours. Concernant le droit d’initiative du Parlement, von der Leyen avait exprimé son soutien également en 2019, sans aucun avancement depuis. 

Mesdames et Messieurs les députés,

Au début de son second mandat, Jacques Delors a prononcé ces mots : « Notre Communauté est non seulement le fruit de l’histoire et de la nécessité, mais aussi de la volonté ». Tel est le choix fondamental qui s’offre à nous. L’histoire continuera de frapper à la porte de l’Europe. Le besoin d’Europe se fera plus que jamais sentir. Notre détermination doit être à la hauteur de ce besoin. C’est cela qui a rassemblé notre continent. Non pas les forces impénétrables du destin, mais la puissance d’individus qui aspiraient à plus. Comme les trois prisonniers incarcérés sur l’île de Ventotene dans les années 40, qui forgèrent la vision d’un continent unifié. Et la génération d’après-guerre, qui a bâti la paix sur le charbon et l’acier. Les personnes qui, sans armes, ont affronté les tanks soviétiques, glissé des œillets dans les canons de fusil, et renversé un mur de leurs mains nues. Les personnes qui, aujourd’hui encore, risquent leur vie pour ce rêve qu’on appelle l’Europe. Les personnes qui, génération après génération, ont fait de l’Europe ce qu’elle est. Qui ont choisi une Europe forte. Et aujourd’hui, cette responsabilité nous incombe. Les cinq dernières années ont prouvé ce que nous pouvions faire ensemble. Prouvons-le à nouveau. Faisons le choix de la force. Faisons le choix du leadership. Faisons le choix de l’Europe.

En voulant se placer dans les pas de Jacques Delors, von der Leyen choisit une figure dont la mémoire a été unanimement saluée cette année. En analysant depuis cinq ses discours sur l’état de l’Union successifs et en décryptant les annonces qu’ils ont portées — dont certaines ont été suivies d’effet pendant la première législature — une constante apparaît : von der Leyen ambitionne de « répondre à l’appel de l’histoire » et veut marquer l’Union de son empreinte.

Au total, son discours du 18 juillet, à quelques heures du vote qui devrait la voir confirmée pour un deuxième mandat, reflète l’équilibre subtil qu’elle tente d’articuler pour obtenir une majorité stable. Lors de son premier mandat, le Pacte vert avait pu émerger comme barycentre efficace et porteur — reste à voir si, parmi les axes présentés, une tendance parvient rapidement à se dégager.

Merci, et vive l’Europe.

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