Depuis cinq ans, nous avons aidé plus de 25 millions de personnes à comprendre l’Europe. Aujourd’hui, notre couverture des élections européennes 2024 — y compris toutes nos publications — est exceptionnellement en libre accès. Pour nous permettre de continuer, pensez à vous abonner

Il y a cinq ans, aux Européennes, la Lega avait dépassé les 34 %. Si elle parvient à atteindre les 10 % ce soir, ce sera un succès. Pour tenter de sauver l’honneur, Matteo Salvini a dégainé une arme ultime et hautement radioactive : le général Roberto Vannacci.

Entré par dans la vie politique italienne avec fracas au moment de la publication d’un best-seller extrémiste autoédité en août 2023 1, cette figure permet au Secrétaire de la Lega de tenter de dégager un espace politique entre les deux tendances qui menacent sa position. D’une part, il s’agit pour lui de ne pas céder trop de terrain à Forza Italia — qui tient bon malgré la disparition de Silvio Berlusconi — d’autre part, et  surtout, de résister à l’ascension écrasante de Giorgia Meloni et de Fratelli d’Italia — de plus en plus au centre du jeu politique — en faisant appel aux franges les plus extrêmes de l’électorat italien. 

C’est pour cela que le chef de file de la Lega a décidé de jouer son va-tout sur le général Vannacci, en le plaçant comme candidat dans toutes les circonscriptions 2 : tête de liste dans le Centre et le Sud, il est deuxième en Sicile et en Sardaigne. Dans le Nord, les choses sont un peu différentes, notamment en raison de la controverse interne qu’a suscité ces derniers mois le pari de Salvini sur le général : dans la circonscription du Nord-Est, il est avant-dernier — et même dernier de la liste dans le Nord-Ouest. Après son leader, la Lega a choisi de placer par défaut d’abord les eurodéputés sortants puis — presque toujours par ordre alphabétique — les autres candidats : Vannacci a ainsi été pénalisé par son nom de famille. Qu’importe : le général dit vouloir viser un million de scrutins au total — vaste programme  : le Secrétaire de la Lega, il y a cinq ans, en avait obtenu 2,2 millions.

Pour tenter de sauver l’honneur, Matteo Salvini a dégainé une arme ultime et hautement radioactive : le général Roberto Vannacci.

David Allegranti

Il reste qu’en interne, Salvini a besoin d’un fort « effet Vannacci » pour ne pas succomber aux puissants gouverneurs du Nord — Luca Zaia et Massimiliano Fedriga — qui pourraient vouloir changer la direction du parti en cas de défaite le 9 juin et qui, ce n’est pas un hasard, ont fait campagne contre le général.

Autre signal intéressant, de nombreux partis d’extrême droite — comme Forza Nuova, un parti ouvertement néo-fasciste — auraient souhaité proposer la candidature de Vannacci après ses exploits d’essayiste l’été dernier, dans le but de convertir ses lecteurs en électeurs. C’est finalement la Lega qui a tiré son épingle du jeu de cette foire d’empoigne, parvenant à récupérer cet ovni politique. Pour autant, Vannacci n’a pas l’intention de rejoindre le parti de Salvini — ce qui lui donne une grande liberté de mouvement au sein d’un parti fortement identitaire, surtout dans le Nord, et laisse presque toutes les hypothèses ouvertes.

Ces derniers mois, le général a également été attaqué par le ministre de la défense Guido Crosetto, l’un des fondateurs et poids lourds de Fratelli d’Italia, qui a qualifié les positions exprimées dans son livre de « divagations personnelles ». Ce n’est pas un hasard. Le parti de Meloni tente de construire, avec le groupe CRE au Parlement européen, une offre politique conservatrice — à bien des égards pragmatique — en opposition au national-populisme de Salvini et à la partie la plus extrême du groupe europarlementaire ID.

Des classes séparées pour les handicapés aux références enthousiastes au régime fasciste et à Mussolini — qualifié « d’homme d’État » — ; des attaques contre les « pédés » à la revendication d’un droit à la haine des musulmans, nous avons sélectionné et contextualisé dix phrases pour tenter de dessiner les coordonnées d’une offre politique à étudier attentivement.

En interne, Salvini a besoin d’un « effet Vannacci » pour ne pas succomber aux puissants gouverneurs du Nord.

David Allegranti

1 — « Chers homosexuels, vous n’êtes pas normaux. Il faut s’en remettre ! La normalité, c’est l’hétérosexualité. Mais si tout vous semble normal, c’est à cause des intrigues du lobby gay international qui a banni des termes qui, il y a quelques années encore, figuraient dans nos dictionnaires : pédéraste, folle, inverti, tapette, emmanché, fiotte, tafiole, lopette, tarlouze, sodomite — qui sont aujourd’hui susceptibles de vous faire passer devant un tribunal. » 3

Si Salvini a répété à plusieurs reprises qu’il ne partageait pas la fixation obsessionnelle de Vannacci sur l’homosexualité, c’est lui qui l’a nommé et a maintenu sa candidature, expliquant qu’il l’avait fait pour laisser de la place à toutes les opinions. En réalité, la candidature du général le sert bien : en roue libre sur un certain nombre de sujets, Vannacci peut dire haut et fort ce que d’autres — y compris au sein de la Lega — ne peuvent pas exprimer.

Le général a ainsi déclaré lors d’un débat télévisé avec le parlementaire du PD Alessandro Zan que le fait d’être homosexuel n’était normal, expliquant cela par la statistique 4. Ce n’est pas la première fois que Vannacci tente de justifier ses opinions extrêmes par « les statistiques » : quiconque ne correspond pas à certaines caractéristiques dominantes serait ainsi un divergent — donc pas normal. Par ses déclarations, le militaire revendique le droit à une liberté d’expression totale contre « la dictature du politiquement correct. »

Dans une dynamique fondée sur une interprétation illibérale de la loi sur le mode de la « dictature de la majorité » décrite par Tocqueville dans La démocratie en Amérique, Vannacci revendique le droit d’utiliser des mots offensants — les homosexuels deviennent « des pédérastes, des pédés ou des tapettes » — en même temps qu’il rejette le droit des autres, et en particulier des minorités, à ne pas être discriminés, insultés, attaqués.

En roue libre sur un certain nombre de sujets, Vannacci peut dire haut et fort ce que d’autres — y compris au sein de la Lega — ne peuvent pas exprimer.

David Allegranti

2 — « Ils veulent déconstruire la société, parce qu’une société déconstruite est plus facile à diriger. Ils veulent briser la famille pour que les individus consomment plus… » — « Mais qui ça, ils ? » — « Les groupes de pouvoir. Les lobbies. Les groupes de pression sur différents sujets, des gays à l’idéologie verte. Si nous démolissons les statues de Christophe Colomb, si nous avons honte de nos racines, de nos héros, de notre identité, voire de notre progrès — diabolisé comme polluant — nous serons anéantis. L’Occident sera submergé. Parce que le reste du monde, la Russie, la Chine, le monde arabe, vont dans la direction opposée. » 5

Dans la logique du discours de Vannacci, on retrouve une référence constante aux forces occultes et aux « groupes de pression ». Dans l’une de ses premières interviews, le général avait déclaré à Repubblica  : « un lobby gay contrôle l’information… rien ne se fait par hasard. Il y a quelqu’un, un groupe de pression qui opère » 6. Une matrice complotiste aux traits particulièrement inquiétants se retrouve également lorsqu’il déclare : « Il y a eu la Shoah, d’accord, mais cela n’immunise pas la religion juive ». Comme l’explique Zeffiro Ciuffoletti dans son classique Retorica del complotto, « les groupes politiques, les partis, les idéologies, les appareils, cherchent à l’aide de théories du complot et de schémas interprétatifs connexes à maîtriser des situations qui les dépassent et à expliquer pourquoi le paradis sur terre et l’amélioration radicale des relations économiques et sociales n’ont pas été atteints — voire à expliquer les défaites et à identifier les conspirateurs. Les forces obscures qui empêchent l’établissement du paradis sur terre sont donc présentées comme des conspirateurs ». Dans le paradis de Vannacci, il n’y a pas d’homosexuels — et les Italiens ont la peau claire. 

En ce qui concerne l’hostilité aux politiques vertes, Jean-Yves Dormagen a montré dans plusieurs textes parus dans ces pages et dans le dernier volume de la revue un phénomène particulièrement frappant : la montée, parmi les forces politiques de droite et d’extrême droite, d’une position qui s’oppose aux politiques vertes. En ce sens, Vannacci, aussi extrême soit-il, incarne une position largement répandue.

Dans le paradis de Vannacci, il n’y a pas d’homosexuels — et les Italiens ont la peau claire.

David Allegranti

3 — « Mussolini est un homme d’État, comme l’étaient Cavour, Staline et tous les hommes qui ont occupé des postes important : c’est la première définition d’homme d’État dans le dictionnaire » 7. « Le fascisme a pris fin il y a de nombreuses années. Se dire antifasciste, c’est comme dire qu’on est anti-napoléonien : c’est risible. » 8

Vannacci a mené sa campagne électorale sur le terrain du politiquement incorrect, cherchant de manière parfois ambiguë mais souvent explicite — en jouant toujours avec le seuil du dicible — le vote des nostalgiques du régime fasciste.

Pour la Lega de Salvini, cette opération a une dimension stratégique évidente : il s’agit de s’adresser à un électorat déçu par le techno-souverainisme d’une Giorgia Meloni, certes héritière de la tradition du MSI mais qui était pourtant déjà considérée comme une « traîtresse » par certains néo-fascistes avant même d’accéder à la tête du gouvernement.

Avec le choix du général, l’objectif de Salvini est de faire de la Lega un agrégateur du ressentiment anti-Meloni d’une partie de l’électorat d’extrême droite, en lui offrant la possibilité de porter leurs voix vers des partis de gouvernement comme la Lega plutôt que vers des partis ultraminoritaires. Si le régime fasciste a certes pris fin il y a de nombreuses années, les nostalgiques ne manquent pas, y compris dans les institutions. Le problème n’est pas tant les collectionneurs de nombreuses antiquités de l’époque mussolinienne, comme l’actuel président du Sénat Ignazio La Russa qui prétend même posséder un buste de Mussolini, que les néo-fascistes qui ont attaqué le siège de la CGIL à Rome en octobre 2021. Comme l’écrit Emilio Gentile, « un fasciste est quelqu’un qui se considère comme l’héritier du fascisme historique, qui pense et agit selon les idées et les méthodes du fascisme historique, qui milite dans des organisations qui se réfèrent au fascisme historique et qui aspire à réaliser une conception fasciste de la nation et de l’État, pas nécessairement identique à l’État mussolinien » 9. Pour Gentile, le fascisme et l’antifascisme appartiennent au passé « mais avec une différence substantielle : le fascisme est définitivement révolu, car personne aujourd’hui, pas même les néo-fascistes, ne veut restaurer le régime totalitaire, qui a été renversé par la victoire irréversible des forces antifascistes, unies pour restaurer la liberté et la souveraineté du peuple italien. C’était l’objectif commun de tous les partis de la Résistance qui, pour l’atteindre et fonder un nouvel État républicain et démocratique, ont mis de côté leurs conceptions différentes, voire opposées, de l’État et de la société. C’est ce qui s’est passé avec la fondation de la République et de la Constitution. Il s’agit de l’héritage vital que l’antifascisme, en passant à l’histoire, a laissé aux citoyens de l’État italien, avec la tâche de réaliser la symbiose entre la méthode et l’idéal de la démocratie. Contre les démocrates sans idéal, l’idéal démocratique que la Constitution s’engage à réaliser est toujours actuel et pertinent : ‘Tous les citoyens ont une même dignité sociale et sont égaux de- vant la loi, sans distinction de sexe, de race, de langue, de religion, d’opinions politiques, de conditions personnelles et sociales.

Il appartient à la République d’éliminer les obstacles d’ordre éco- nomique et social qui, en limitant de fait la liberté et l’égalité des ci- toyens, entravent le plein développement de la personne humaine et la participation effective de tous les travailleurs à l’organisation politique, économique et sociale du Pays.’ ».

Une telle sortie justificationniste permet à Vannacci d’intercepter le vote d’une extrême droite qui n’a pas forcément envie de voter pour un parti extraparlementaire, qui mettrait encore moins un bulletin pour le parti de l’actuelle Présidente du Conseil. Lequel vient d’ailleurs de commémorer le centième anniversaire de la mort de Giacomo Matteotti en des termes très clairs : « Le 30 mai 1924, Giacomo Matteotti a défendu la liberté politique, incarnée par la représentation parlementaire et les élections libres. Aujourd’hui, nous sommes ici pour commémorer un homme libre et courageux qui a été tué par des squadristes fascistes pour ses idées. Honorer sa mémoire est fondamental pour nous rappeler chaque jour la valeur de la liberté d’expression et de pensée face à ceux qui s’arrogent le droit d’établir ce qu’il est permis de dire et de penser et ce qui ne l’est pas ». C’est un moment très clair de la bifurcation entre Meloni et Salvini sur la gestion de l’héritage fasciste.

4 — « C’est mon deuxième meeting. Vous êtes si nombreux : c’est comme si j’avais une légion devant moi, la dixième [decima] légion. » 10

Pour comprendre pourquoi cette phrase est problématique, il faut se plonger dans le rapport de Vannacci à son appartenance à l’armée italienne.

Le cursus militaire du général est très long — puisqu’il a commencé en 1991 en tant que commandant de section. Il est actuellement chef d’état-major du commandement des forces d’opérations terrestres. Entre 2016 et 2017, il a été commandant de la brigade parachutiste « Folgore ». Le fait qu’il soit encore en service suscite des questions sur les règles applicables à un militaire. Peut-il donner des entretiens ? Écrire des livres ? Il existe bien sûr des restrictions — et donc des autorisations — en ce qui concerne les déclarations, les entretiens, les livres, etc. sur des questions militaires ou de défense. Elles sont prévues par le Code militare (COM) et dans le Testo Unico dell’Ordinamento Militare (TUOM). Pour le reste, cependant, à la différence de pays comme la France qui font application d’un strict devoir de réserve, il n’y a pas de règles spécifiques et les propos d’un militaire sont protégés par la liberté d’expression. Il existait cependant une coutume — non écrite mais appliquée — selon laquelle le personnel militaire en service n’exprime pas d’opinions politiques. Le cas Vannaci révèle en tous les cas un problème de cohérence entre le serment prêté et les opinions qui contreviennent aux principes constitutionnels.

Mais tout cela ne semble pas intéresser Vannacci qui, dans les derniers jours de la campagne électorale, a insisté sur la référence à la « Decima » 11. Dans un spot de campagne, on voit le général mimer le symbole du X — le dix, Decima, en chiffres romains — en disant : « Sur le bulletin de vote, faites un X sur le symbole de la Lega et écrivez Vannacci » 12. Ce X est une référence directe à la « DECIMA MAS » (Xe Flottiglia Mas), une unité militaire italienne d’élite qui, après le 8 septembre 1943, s’est rangée du côté de la République sociale de Salò dirigée par Benito Mussolini et du côté des nazis au crépuscule du régime fasciste.

Cette provocation a suscité une vive controverse, y compris au sein de l’armée.

Pour éviter une instrumentalisation généralisée, Massimiliano Rossi, commandant du régiment de plongée (Comsubim) héritier de la DECIMA MAS, a décidé de ne pas faire crier « DECIMA » à son unité — comme c’est habituellement le cas — lorsque, à l’occasion de la fête de la République, le 2 juin, il a défilé devant les tribunes d’honneur, au Forum impérial, à Rome. « Je n’ai pas l’intention de sacrifier l’honneur de l’unité sur l’autel de l’instrumentalisation à des fins personnelles », a-t-il déclaré au quotidien La Verità. « Un militaire, en tant que serviteur de l’État, ne devrait pas être porteur d’initiatives politiques car il risque de perdre l’autonomie de la force armée. Je le dis depuis le début : les militaires doivent faire leur travail de militaires », a quant à lui déclaré le chef de file de Forza Italia, Antonio Tajani. 

5 — « Que nous le voulions ou non, nous ne sommes pas nés égaux sur cette terre. Par conséquent, ceux qui arrivent en Italie devraient être immensément reconnaissants pour notre compassion et notre générosité. Paola Egonu est de nationalité italienne, mais il est clair que ses caractéristiques physiques ne représentent pas l’italianité. » 13

Paola Egonu, née en 1998 à Cittadella dans la province de Padoue, est l’une des meilleures joueuses de volley-ball d’Italie. Fille de deux parents de nationalité nigériane, elle est devenue l’une des cibles préférées de Vannacci depuis son premier livre. Le général s’est ainsi attiré un procès de la part de la championne, auquel il a répondu par une lettre : « Suite aux malentendus qui se sont produits depuis la publication, j’ai l’intention de vous fournir une interprétation authentique des mots et des expressions que j’ai utilisés à votre égard. Sans aucune intention offensante, je crois que la diversité et les différences de religion, de culture, d’origine, d’ethnicité représentent un atout pour la société et ne devraient pas être dénaturées par la discrimination. Je n’ai jamais douté de votre citoyenneté italienne et je suis personnellement et fermement fier que vous représentiez notre drapeau par votre excellence sportive. Toutefois, cela ne peut pas cacher visuellement votre origine dont, j’en suis convaincu, vous êtes vous-même fière ». Pour Repubblica, il s’agit d’une « lettre d’excuses » — mais pas pour le général, qui déclare sur La7 : « Je n’ai jamais écrit de lettre d’excuses à Mme Egonu : je n’ai pas à m’excuser. (…) Je n’ai pas dit qu’elle n’était pas citoyenne italienne, mais que, bien qu’elle soit citoyenne italienne, elle a des caractéristiques physiques que ne partage pas la majorité des Italiens ».

Le général affirme également être italien depuis des générations et avoir « des gouttes de sang d’Énée, de Romulus, de Jules César, de Mazzini et de Garibaldi dans les veines ». Sa façon, dit-il, de résister au « lavage de cerveau de ceux qui voudraient éliminer toutes les différences, y compris celles entre les groupes ethniques, pour ne pas les appeler des races. »

Le général affirme être italien depuis des générations et avoir « des gouttes de sang d’Énée, de Romulus, de Jules César, de Mazzini et de Garibaldi dans les veines ».

David Allegranti

6 — « Aussi exécrable soit-elle, la haine est un sentiment, une émotion qui ne peut être réprimée par un tribunal. Si nous sommes à l’ère des droits humains, alors, à l’instar d’Oriana Fallaci, je revendique haut et fort le droit à la haine et au mépris et la possibilité de les exprimer librement, sur un ton et d’une manière appropriés. » 14

Vannacci veut avoir la liberté de dire ce qu’il pense au détriment de la liberté des autres de ne pas être insultés. Il ne veut pas être condamné pour ses positions extrémistes. Certes, le droit pénal est une ressource dont il ne faut pas abuser, mais c’est une chose de penser résoudre un problème social en introduisant de nouveaux délits — une autre de garantir le droit à l’insulte, comme le propose Vannacci.

En août dernier, le président de la République Sergio Mattarella avait déclaré : « Notre constitution est née pour surmonter, pour expulser la haine, en tant que mesure des relations humaines. Cette haine que la civilisation humaine nous demande de vaincre dans les relations entre les personnes, en sanctionnant sévèrement leur comportement, créant ainsi la base des règles de notre coexistence ». Il y a quelques jours, à l’occasion de la journée internationale contre l’homophobie, la transphobie et la biphobie, le chef de l’État est revenu sur le rappel des principes constitutionnels à ceux qui partagent les opinions de Vannacci : « Les principes d’égalité et de non-discrimination, inscrits dans notre Constitution, sont une condition essentielle au progrès de toute société démocratique et à la pleine réalisation de chaque personne humaine. Il existe plus de soixante pays dans le monde où l’homosexualité est punie d’emprisonnement, voire de la peine de mort dans certains d’entre eux. L’intolérance à l’égard de la différence, l’indifférence face à la mise en danger des libertés d’autrui, sont autant de coups portés à la coexistence démocratique ».

La référence à Oriana Fallaci est opératoire pour Vannacci, qui recherche l’adhésion sur la base du « politiquement incorrect ». La journaliste et autrice florentine, décédée en 2006 et controversée pour s’être engagée dans une croisade contre l’Islam après le 11 septembre, est souvent cité par Salvini dans ses discours publics, sur les réseaux sociaux et ailleurs, pour attaquer les musulmans. L’année dernière, le leader de la Lega a lancé une manifestation « pour la défense de l’Occident au nom d’Oriana Fallaci », dont les écrits sont publiés par Rizzoli — en 2017, la maison d’édition milanaise avait publié un volume rassemblant un certain nombre d’articles et d’entretiens, intitulé « Les racines de la haine. Ma vérité sur l’islam ».

7 — « Je pense que des classes à ‘caractéristiques distinctes’ aideraient les enfants à fort potentiel à s’exprimer pleinement, et que ceux qui ont plus de difficultés seraient également aidés. Ce n’est pas discriminatoire. Pour les élèves qui ont des problèmes, je fais appel à des spécialistes. Je ne suis pas un spécialiste du handicap. Mais je ne ferais certainement pas courir un handicapé à côté de quelqu’un qui bat le record du 100 mètres. On peut leur donner une leçon ensemble, dans un esprit d’appartenance, mais l’handicapé a besoin d’une aide spécifique. Il en va de même à l’école : une personne souffrant d’un trouble sévère de l’apprentissage se sent-elle plus ou moins discriminée dans une classe où tout le monde comprend tout tout de suite ? Je ne suis pas un expert en matière de handicap, mais je suis convaincu que l’école doit être dure et sélective — parce que c’est ainsi que sera la vie. Ou du moins, c’est ainsi que ma vie a été ». 15

Ces propos sur les handicapés ont fait couler beaucoup d’encre, même au sein de la Lega. Le président de la région Vénétie, Luca Zaia, a fait savoir qu’il ne les avait pas appréciés. La Conférence épiscopale italienne ne les a pas non plus appréciés. Une fois de plus, le général instrumentalise des statistiques pour décrire ce qui serait « normal » et ce qui ne le serait pas. « Les déclarations du général Vannacci sur les classes séparées pour les handicapés sont absolument déplacées. Il est impensable de revenir à des situations où les différences sont mises en évidence. C’est intolérable et discriminatoire », a ainsi déclaré la plus jeune eurodéputée italienne, Francesca Peppucci, 30 ans, de Forza Italia, qui souffre de sclérose en plaques, dans un entretien accordé à Famiglia Cristiana

Ce n’est pas une position isolée : une partie du centre-droit a tenté de s’opposer à la ligne de Vannacci sur cette question. Le Président de la République Sergio Mattarella est intervenu dans le débat, en rappelant que « les difficultés de ceux qui portent un handicap, le poids des charges de soins qui poussent souvent même les familles de ceux qui ont un travail dans le besoin, persistent. Les indicateurs positifs de la situation économique doivent nous encourager à poursuivre intelligemment dans la direction d’une croissance économique basée sur l’équité et la cohésion. »

Le général instrumentalise des statistiques pour décrire ce qui serait « normal » et ce qui ne le serait pas.

David Allegranti

8 — « La proportionnalité d’une réaction d’autodéfense doit être en rapport avec la menace perçue par la victime et non avec la valeur de l’objet qui pourrait être injustement confisqué. Comment puis-je savoir que le voyou qui s’en prend à mon portefeuille n’est pas prêt à me tuer, même à mains nues, pour l’obtenir ? Comment puis-je savoir que, même désarmé, il n’utilisera pas d’objets contondants pour mettre ma vie en danger ? Comment savoir si je n’ai pas dans ma poche un marteau ou un tournevis à utiliser rapidement ? Et si je plonge le crayon que j’ai dans la poche de ma veste dans la jugulaire de l’agresseur qui m’attaque — le tuant — pourquoi devrais-je risquer d’être condamné pour excès de légitime défense puisque le malheureux essayait seulement de me voler ma montre-bracelet ? Pourquoi devrais-je prouver que dans la nanoseconde soudaine, frénétique et chargée d’adrénaline dont je disposais pour décider de ce qu’il fallait faire, je n’aurais pas pu envisager une alternative moins violente qui aurait préservé le pauvre agresseur ? » 16

Sur le droit à l’autodéfense, la Lega s’est longuement répandue — non sans contradictions. L’année dernière, en décembre, un bijoutier, Mario Roggero, qui en 2021 dans la province de Cuneo avait tué deux voleurs et en avait blessé un autre, a été condamné en première instance à 17 ans de prison. Pour le procureur, il s’agit d’une « exécution ». Ce n’est pas l’avis de plusieurs représentants de la Lega : « Pour mériter la prison, il faut d’autres personnes, de vrais criminels, pas des gens comme Mario » (Matteo Salvini) ; si vous ne tuez que deux des trois voleurs, « vous ne devez pas aller en prison, vous devez aller au polygone pour vous entraîner » (Matteo Gazzini). La pensée de Vannacci est parfaitement en ligne avec celle de la Lega, qui est également très appréciée par les groupes pro-armes : l’Unarmi (Union des armuriers italiens), anciennement Comité Directive 477, avait publié avant les élections politiques de 2022 une sorte de manuel pour un vote conscient, exprimant une opinion flatteuse sur la Lega : « Toujours en première ligne pour la protection de la chasse et de la légitime défense — et la possession légale d’armes. Nous sommes favorables à la transposition de la directive et à la réforme de l’autodéfense de 2019 ».

9 — « Je pense que l’avortement une nécessité malheureuse à laquelle les femmes sont obligées de recourir. Je ne crois pas que ce soit un droit. Je suis contre. Il faut trouver toutes les solutions alternatives qui peuvent pousser et convaincre la femme de ne pas avorter. Étant entendu que le choix reste entre les mains de la femme. Des pro-vie dans les centres de conseil ? Pro-vie, oui. Toute alternative à l’avortement doit être proposée ». 17

Roberto Vannacci a également signé le manifeste de Pro Vita & Familia dont le premier point est « la défense de la vie humaine et l’opposition à l’introduction de l’avortement comme valeur commune dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union ». Vannacci a déclaré qu’il l’avait signé « de tout cœur » étant donné qu’il s’agit de valeurs « fondatrices » et qu’il était prêt à faire face au « sabotage » de la part de « ceux qui ne pensent pas comme nous ». Parmi les autres points du document figurent le « soutien économique à la famille et à la vie naissante », « l’opposition à l’utérus à louer », la « promotion de la liberté éducative des parents et l’opposition à l’idéologie du genre et à l’agenda LGBT+, en particulier dans les écoles », la « défense de l’épargne familiale face aux politiques ‘vertes’ basées sur un environnementalisme radical anti-nataliste », « l’opposition à l’hyper-digitalisation des mineurs avec une plus grande réglementation de l’utilisation des smartphones et des réseaux sociaux ».

10 — « Ils m’ont classé à droite. Je ne sais pas pourquoi. Je suis traditionaliste et conservateur. Je suis révolutionnaire. Et novateur. Mais encadré dans la tradition, dans les racines, dans l’identité. On m’a dit que je pouvais être un nouveau Chávez ».

La campagne électorale de Vannacci a été un crescendo de slogans. L’opposition l’a d’ailleurs aidé en lançant une sorte de boycott et en invitant les gens à l’ignorer. Cette stratégie s’est avérée contre-productive. 

La comparaison avec Hugo Chávez est pittoresque, puisque l’ancien président du Venezuela, militaire comme Vannacci, était entre autres partisan de la doctrine panaméricaine bolivarienne. Vannacci semble pourtant assez à l’aise avec la dérive populiste et un certain souverainisme de gauche. Il a ainsi fait l’éloge de l’ancien député communiste à tendance rouge-brune Marco Rizzo : « J’aime sa vision sociale. J’ai été frappé par une phrase qui m’a été adressée sur les médias sociaux : ‘Marx a dit : les prolétaires du monde entier s’unissent. Les enfants naissent d’un homme et d’une femme. Staline a interdit l’homosexualité.’ Marx a dit : l’immigration incontrôlée et illégale est l’armée de réserve du maître… ».  

Vannacci semble assez à l’aise avec la dérive populiste et un certain souverainisme de gauche.

David Allegranti

« L’immigration n’est pas une fatalité ? J’en suis convaincu, notamment parce qu’il existe sur cette planète des nations tout aussi démocratiques que les nations européennes. Dans mon livre, j’ai cité l’Australie et le Japon, qui ont définitivement résolu le problème de l’immigration irrégulière. Ils l’ont résolu avec des politiques musclées, mais ils n’ont pas été accusés par des tribunaux internationaux. Et ils l’ont fait en respectant les droits de l’homme », déclare Vannacci. « Dans les autres pays du monde, il n’y a pas de problème d’immigration. L’Occident est l’exception sur cette planète. La Chine et la Russie n’acceptent pas l’immigration irrégulière. »

Bonus — « Qui est le compositeur de l’Ode à la joie ? » — « Vivaldi »

Lors de l’émission « L’aria che tira » sur La7, l’animateur David Parenzo a présenté et salué Vannacci sur les premières notes de l’hymne européen, en lui demandant qui en était l’auteur. 

« Vous me posez une bonne question… Vivaldi ? », a répondu le général, en précisant qu’il aimait beaucoup la musique.

Sources
  1. Vannacci, Il mondo al contrario, livre auto-édité, 10 août 2023.
  2. En Italie, l’ordre des candidats sur les listes peut varier d’une circonscription à une autre et le nombre de votes total sur une candidature est comptabilisé.
  3. Matteo Pucciarelli, “Cari omosessuali non siete normali”. Le sparate del generale dell’Esercito contro gay, femministe, ambientalismo e migranti, 18 août 2023.
  4. AdnKronos editorial, Vannacci a Zan : « Lei gay non rappresenta normalità », 6 mai 2024.
  5. Aldo Cazzullo, Vannacci : « In Costa d’Avorio ho pensato : ci mangiano. Mengoni in gonna a Sanremo era ridicolo. I gay ? Condizionati dalla società »
  6. Matteo Pucciarelli, Il generale Vannacci difende il suo libro e insiste : “Gay ed ebrei non sono intoccabili”, Repubblica, 18 août 2023.
  7. Federico Capurso, Roberto Vannacci : “Mussolini ? Uno statista. Vorrei classi separate per i disabili. E gli italiani hanno la pelle bianca”, La Stampa, 27 avril 2024.
  8. Claudio Sabelli Fioretti, Roberto Vannacci : « Io sono testosteronico da quando sono nato. Da bambino ero molto “maschio”. Come le mie figlie sono molto “femmine”, Repubblica, 30 mars 2024.
  9. Emilio Gentile, Chi è fascista, Bari, Laterza, 2021.
  10. Déclaration du 1er juin 2024 sur la Piazza Duomo.
  11. La Xe Flottiglia MAS est l’une des unités spéciales — en l’occurrence de nageurs — les plus fameuses de l’Italie fasciste. Elle est notamment connue pour avoir inventé des méthodes de guerre sous-marine innovantes.
  12. En Italie, les électeurs doivent cocher d’un X le parti à qui ils donnent leur scrutin dans l’isoloir.
  13. Matteo Pucciarelli, op. cit.
  14. Sky Tg24, Generale pubblica libro contro i gay : non siete normali. Poi ritratta. Crosetto : farnetica, 17 août 2023.
  15. ANSA, Vannacci, « classi separate per i disabili aiuterebbe i ragazzi”, 27 avril 2024.
  16. Streghe, « invertiti », patria e armi : dieci frasi dal libro “Mondo al contrario” di Vannacci, Domani, 22 août 2023.
  17. Federico Capurso, Op. cit.