Nous avons retracé l’origine de cette fake news :
- Dans la nuit du 13 au 14 avril, soit quelques heures après la nouvelle selon laquelle des avions de combat et des systèmes américains et jordaniens (radars, systèmes de missiles sol-air) allaient cibler puis neutraliser des drones iraniens transitant sur le territoire du royaume pour qu’ils n’atteignent pas Israël, plusieurs comptes ont commencé à partager une série d’images détournant un article du magazine Emirates Woman (à gauche la version originale 1, à droite la version fake).
- Dans la journée du 14 avril, la chaîne israélienne Channel 13 a réalisé un reportage sur le sujet en projetant à l’écran une capture d’écran de l’article, sans rendre compte qu’il s’agissait d’une fausse publication.
- À partir de cette séquence, des centaines de comptes ont partagé la vraie émission consacrée à une fausse nouvelle.
Cette fake news permet d’aborder à chaud l’une des questions les plus importantes de cette phase. Comment réagissent les opinions publiques arabes et musulmanes au soutien explicite de leurs pays à Israël ?
Qui est Salma bint Abdullah ?
- « Bint » signifie « fille » en arabe, donc Salma, fille d’Abdullah, roi hachémite de Jordanie.
- Diplômée de l’Université de Californie du Sud en 2023, elle est titulaire d’une licence en archéologie. En 2020, alors qu’elle n’avait que 20 ans, elle est devenue parmi les premières femmes pilote des forces armées jordaniennes.
- Avec le grade de premier lieutenant/pilote, elle a effectué le 15 décembre un largage de fournitures médicales essentielles à destination de l’hôpital de campagne jordanien de Gaza. C’est de cet événement dont il était question dans la première version de l’article du magazine Emirates Woman 2.
« Tel père, telle fille ». Ce n’est pas la première fois que des fake news ciblent la famille royale de Jordanie, réputée trop proche d’Israël.
La Jordanie a été l’un des premiers pays arabes impliqués dans le processus de normalisation des relations avec Israël.
- Depuis le Traité de paix entre Israël et la Jordanie signé en 1994 en présence de Bill Clinton — mettant fin à l’état de guerre qui existait entre les deux pays depuis le conflit israélo-arabe de 1948-1949 –, les deux pays ont largement stabilisé leurs relations diplomatiques.
- Depuis 1996, un traité commercial lie davantage Amman et Jérusalem.
La Jordanie, où un cinquième de la population est palestinien (soit 2,3 milions de personnes), n’avait pas condamné fermement l’attaque du Hamas, appelant plutôt à la désescalade.
Depuis le début de la campagne menée par Israël à Gaza, on constate des critiques particulièrement intenses visant la famille royale et le gouvernement, avec des manifestations presque quotidiennes devant l’ambassade israélienne.
- Les autorités jordaniennes sont accusées par Amnesty International d’organiser « une vaste campagne de répression qui a vu des centaines de personnes arrêtées par les forces de sécurité et les services de renseignement pour avoir exprimé leur soutien aux droits des Palestiniens de Gaza ou critiqué la politique du gouvernement à l’égard d’Israël » 3.
- Selon les chiffres fournis par Amnesty International, au moins 1 000 personnes ont été arrêtées lors de manifestations de soutien à Gaza dans la capitale jordanienne, Amman, entre octobre et novembre 2023.
- L’activisme numérique renforce et accompagne ces vagues de protestations, alors que les autorités se servent de la Loi sur la cybercriminalité d’août 2023 pour arrêter et poursuivre des militants politiques pour des messages publiés sur les réseaux sociaux exprimant des sentiments pro-palestiniens ou critiquant la politique des autorités à l’égard d’Israël, et préconisant des grèves et des manifestations publiques.
Bien que les autorités jordaniennes revendiquent avoir agi uniquement pour protéger l’intégrité de leur espace aérien et de leur souveraineté lors de l’attaque iranienne du 13-14 avril, le témoignage d’un soutien direct à Israël par l’élimination de drones iraniens passant au-dessus du territoire jordanien pour atteindre l’État hébreu fait l’objet de plusieurs critiques.
- Depuis hier, plusieurs montages partagé sur Twitter (X) cumulant des millions de vues, montrent le roi de Jordanie Abdullah en Roi protecteur d’Israël (ملك حماية إسرائيل بلا منازع), habillé en général israélien, appelé d’une manière satirique Abed Ben Shalom (عبد بن شالوم) ou « Roi du Dôme de fer ».
Le soutien à Israël de certains pays comme la Jordanie produit une clarification sur leur positionnement par rapport à la guerre à Gaza, en forçant leurs autorités à prendre parti.
- Comme l’a remarqué le spécialiste de l’Iran Ali Vaez, si l’échec tactique de l’opération iranienne paraît évident, il ne faut pas sous-estimer le gain de soft power dans le monde arabe et musulman de l’attaque.
- Comme l’a écrit Nizar Rayyan, un ancien dirigeant du Hamas : « l’un des résultats les plus importants de la frappe iranienne a été la grande terreur qui a enveloppé les régimes arabes conciliants qui s’imaginaient être en sécurité en obéissant à l’Amérique et en normalisant leurs relations avec Israël ».
Sources
- Ruman Baig, « 4 times Princess Salma of Jordan has proven to be the most ambitious Royal », Emirates Woman, 10 avril 2024.
- Ruman Baig, « Princess Salma of Jordan leads Airforce initiative to airdrop medical supplies in Gaza », Emirates Woman, 15 décembre 2023. Disponible en ligne.
- Jordanie : mettre fin à la répression draconienne contre l’activisme pro-palestinien, Amnesty International. Disponible en ligne.