Cet article sera le point de départ d’un Mardi du Grand Continent à l’École normale supérieure le 7 février 2022 à 19h30 en salle Dussane avec François Ecalle, Elsa Fornero, Patrice Maniglier, Mario Monti, Marek Naczyk, Michael Zemmour.
1 — Pourquoi réformer les retraites ? Le constat démographique
La population européenne est en train de vieillir. En 2018, en moyenne, l’espérance de vie à la naissance dans les 27 pays de l’Union était de 81 ans. Pour les hommes, cette espérance moyenne était de 78,2 ans (79,7 ans en France) et pour les femmes de 83,7 ans (85,9 ans en France). En Europe, depuis la fin du XXème siècle, l’espérance de vie s’est prolongée d’environ un mois chaque année, mais cette tendance ralentit. En France, par exemple, l’augmentation de la durée de vie n’était plus que de 0,2 ans pour les femmes et 0,4 ans pour les hommes entre 2014 et 2018.
Le défi démographique en Europe est causé par l’augmentation de la population de la génération du baby-boom, née entre 1946 et 1974. Autrefois partie d’une classe active qui a contribué aux cotisations pour les retraites pendant les années 60 à 90, ces populations sont désormais des retraités, ce qui a conduit à une situation que l’on pourrait qualifier de « papy-boom ». En 2017, il y avait donc plus de 100 millions de personnes âgées de 65 ans et plus en Europe, par rapport à 85 millions en 2008 et 38 millions en 1960. Les projections à l’échelle européenne prévoient que ce chiffre atteindrait les 149 millions à l’horizon 2050.
2 — Quels sont les objectifs communs des réformes des retraites en Europe ?
Historiquement, l’objectif initial de tous les pays européens est de prévenir la pauvreté des seniors. Pour atteindre ce but, trois approches — ou piliers — ont été adoptées au cours du XXème siècle au sein des économies européennes : d’abord, l’assistance, qui offre une retraite garantie aux personnes âgées ne pouvant plus travailler. Ce pilier principal correspondant à la logique beveridgienne et a été développé en grande partie en Suède, Norvège, Finlande, Danemark, Pays-Bas. De l’autre côté, l’assurance-vieillesse correspond à une logique assurantielle surtout développée dans les pays d’Europe continentale du Sud et correspondant à un système d’assurances vieillesse pour les personnes passées un certain âge (65 ans dans l’après-guerre). Enfin, les régimes de retraite complémentaires, professionnels ou individuels, financés en capitalisation, sont le plus souvent facultatifs et ne couvrent qu’une partie de la population. Les trois approches n’ont pas été mises en œuvre successivement, mais plutôt avec des objectifs distincts.
L’accélération du vieillissement démographique avec les baby boomers qui entrent à la retraite a entraîné une prise de conscience du problème de dépendance des personnes âgées à partir des années 1990. Les gouvernements ont alors cherché à réduire les dépenses de retraite en mettant en place des réformes paramétriques, telles que le changement de l’âge de départ et la revalorisation des retraites. Les méthodes comprennent l’indexation sur l’inflation plutôt que sur les salaires et le changement de la façon de calculer le salaire de référence. Ce but est motivé par le vieillissement démographique mais aussi par une vision économique défendue par la Banque mondiale en 1993, qui considère le financement des retraites par répartition comme une perte d’investissement et préconise la capitalisation pour développer une capacité d’investissement. La réforme des retraites vise ainsi aussi à réduire les retraites publiques pour permettre la capitalisation.
Quand on analyse l’augmentation de l’espérance de vie, il faut aussi partir du postulat qu’elle n’est pas uniforme pour tous et qu’il existe de grandes différences en fonction du revenu et du sexe. Ainsi, en 2018, l’INSEE a démontré que plus une personne est aisée en France, plus son espérance de vie est élevée. Parmi les 5 % les plus riches, l’espérance de vie à la naissance des hommes est de 84,4 ans, alors qu’elle n’est que de 71,7 ans parmi les 5 % les plus pauvres — soit une différence de 13 ans. Chez les femmes, cette différence est moins importante : 8 années séparent les plus aisées des plus pauvres.
3 — Quels sont les différents modèles qui structurent les retraites en Europe ?
Il existe différents modèles de retraite dans différents pays européens. Les modèles français et allemand, dits « bismarckiens anciens » comportent un minimum vieillesse et un système d’assurance pour les personnes âgées. Il existe également un modèle bismarckien de deuxième génération mis en place en Suède notamment. D’autres pays, tels que le Danemark, les Pays-Bas et la Suisse, ont un système « multipillier » qui est fondé sur un pilier principal beveridgien, et donc un système universel de retraite de base, complété par un deuxième pilier en capitalisation privée géré par les partenaires sociaux.
Les systèmes bismarckiens anciens : le cas de la France et de l’Allemagne
En Europe continentale, les assurances-vieillesse sont le pilier principal ou le seul pilier de la retraite pour les pays tels que l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, l’Espagne, la France, l’Italie, la République tchèque et la Slovénie. Le but principal est de garantir un niveau de revenu constant aux retraités. Les fonds pour ces régimes sont fournis par les cotisations versées par les employeurs et les employés. Ils fonctionnent en répartition, les contributions des actifs financent les pensions actuelles et leur montant est déterminé en fonction des salaires antérieurs et/ou de la durée et du montant des cotisations. Ces systèmes de retraite sont parfois fragmentés en différents régimes pour différentes catégories professionnelles, ainsi qu’en régimes de base et complémentaires.
Le système français de retraite, financé par la répartition, vise à maintenir le niveau de revenu des travailleurs et offre des prestations relativement élevées pour les retraités ayant eu une carrière conventionnelle. Cependant, en raison de la persistance de régimes de retraite séparés pour différentes catégories professionnelles, le système est resté fragmenté malgré les efforts pour l’unifier. Certaines parties du système sont gérées directement par les partenaires sociaux. Dans ce contexte, les individus ayant eu des carrières atypiques ou incomplètes, souvent des femmes, ne sont pas suffisamment protégés.
Les plus vulnérables doivent compter sur un filet de sécurité supplémentaire, en plus des assurances sociales, pour couvrir leurs besoins en matière de retraite. Contrairement à beaucoup de voisins européens, le processus de réforme des retraites n’est pas continu ou automatique — il n’y a pas de lien entre l’allongement de l’espérance de vie d’une cohorte et son âge de départ à la retraite — ce qui provoque la mise en place de grandes réformes, comme celle proposée actuellement, tous les 4 ou 5 ans.
Le système de retraite en Allemagne est différent en ce sens qu’il est basé sur un système de points. Le montant de la retraite dépend du nombre de points accumulés par une personne. Chaque année de travail à un salaire moyen donne droit à 1 point, 0,5 point si le salaire est inférieur à la moitié du salaire moyen, 1,2 point s’il est supérieur à 120 % du salaire moyen, jusqu’à un plafond qui est relativement élevé.
Les systèmes bismarckiens de deuxième génération : le cas de la Suède
Les systèmes de retraite nordiques ont ajouté à leur premier pilier beveridgien — la retraite de base universelle financée en répartition — un deuxième pilier obligatoire, généralement public et unifié, fournissant des prestations liées au revenu, financées par des cotisations sociales en répartition. En termes de volume, c’est le pilier bismarckien qui fournit la majorité des pensions. Ces systèmes sont caractérisés par un désir d’égalité entre les retraités.
Avant la réforme de 1998, le système de retraite en Suède comportait trois niveaux : le premier était universel et offrait une retraite de base fixe après 30 ans de cotisations. Il s’agit désormais d’un minimum vieillesse sous condition de ressource. Le deuxième était un système contributif financé par répartition, avec le montant de la pension calculé sur les 15 meilleures années de revenus qui est devenu un régime de compte notionnel individuel. Le troisième est formé de retraites d’entreprise financées par capitalisation et peut inclure des compléments individuels basés sur l’épargne personnelle. Ce dernier pilier, non touché par la réforme de 1998, concerne actuellement 90 % des employés et les cotisations s’élèvent entre 2 % et 5 % du salaire.
Les systèmes multipiliers : le cas du Royaume-Uni
Ces systèmes de retraites ont complété leur premier pilier beveridgien financé par répartition par des régimes de retraite professionnels ou personnels obligatoires financés par capitalisation, généralement organisés par branche ou entreprise. Suite aux réformes imposées par les institutions financières internationales dans de nombreux pays d’Europe centrale et orientale au cours des années 1990, la plupart des systèmes de retraite de ces pays peuvent être classés dans cette catégorie — notamment la Hongrie, la Pologne, la Slovaquie, la Lettonie, la Bulgarie et la Croatie, à l’exception de la République tchèque et de la Slovénie qui ont renforcé un système bismarckien. Cependant, la Hongrie et la Pologne ont ré-nationalisé une partie de leur système de retraite à la fin des années 2010.
Au Royaume-Uni, il existe un deuxième pilier de retraite très diversifié, comprenant des retraites d’entreprise, individuelles et publiques. Pour faire face à l’augmentation de l’espérance de vie et au phénomène du vieillissement de la population, les gouvernements Brown et Cameron ont pris des mesures pour augmenter l’âge de départ à la retraite. Ainsi, l’âge légal de départ à la retraite a été progressivement augmenté à 68 ans pour tous les Britanniques en 2046. En 2011, ce processus a été accéléré pour faire passer l’âge légal de départ à la retraite à 65 ans pour les femmes en 2018 et à 66 ans pour tous en 2020. Enfin, un lien automatique entre l’allongement de l’espérance de vie et l’âge de départ à la retraite a été mis en place, ce qui devrait conduire à un âge légal de 67 ans en 2028 et 68 ans en 2039.
Le système de retraite du Royaume-Uni a été réformé pour s’inspirer du modèle de la Banque mondiale. Il consiste maintenant en une retraite publique fondée sur un revenu de base garanti pour tous, complété par des systèmes de retraite supplémentaires gérés par des fonds de pension personnels ou professionnels. Les retraites publiques sont désormais soumises aux mêmes règles que les retraites du secteur privé.
Les systèmes résiduels anglo-saxons : le cas de l’Irlande
Ce système de retraite, uniquement appliqué en Irlande au sein de l’Union, est basé sur un seul pilier obligatoire et uniforme. Les régimes supplémentaires financés par la capitalisation, que ce soit professionnels ou personnels, ne sont que facultatifs et ne concernent qu’une partie des individus.
4 — Au niveau européen, la réduction du coût du travail comme élément déterminant des réformes
La mise en place du Marché unique a pour effet de renforcer la compétition économique entre les entreprises européennes. Le coût du travail est devenu un élément déterminant de cette compétition.
La mise en place de la monnaie unique dans l’Union européenne implique la restriction des déficits budgétaires et la réduction des dépenses publiques, ce qui pèse sur les réformes. Les critères économiques définis par le Traité de Maastricht, tels que la réduction de l’inflation et le contrôle des déficits publics sous la barre des 3 %, doivent être respectés pour être admissibles à la monnaie unique. Le Pacte de stabilité et de croissance, adopté avec la formation de l’Union économique et monétaire, nécessite également le contrôle des déficits et de la dette publique ainsi que la surveillance des dépenses publiques, ce qui fait aussi que les réformes visant à réduire les coûts de retraite deviennent de plus en plus fréquentes.
Au cours des années 2010, à la suite de la crise financière de 2008 et à la crise de l’euro, les instances européennes exercent une forte pression sur de nombreux gouvernements pour qu’ils adoptent des plans d’austérité incluant des réformes des systèmes de retraite. Cela était justifié par la nécessité de « rassurer » les marchés financiers et les agences de notation. Des mesures ont été prises pour reporter l’âge de la retraite au-delà de 65 ans en Irlande, en Espagne, en République tchèque et en Allemagne, ou pour accélérer le calendrier d’une augmentation déjà prévue.
L’Union européenne recommande quant à elle une réforme du système de retraite basée sur un modèle à trois piliers : la capitalisation, le régime public et l’épargne individuelle. Ce modèle vise à garantir un minimum de retraite, à maintenir le système de cotisations, et à offrir de l’espace pour l’épargne individuelle, qui est soutenue par des exonérations fiscales. L’Union n’a cependant pas beaucoup de pouvoir pour imposer des réformes, même si elle peut faire des recommandations. Elle n’a imposé des réformes que dans très peu de cas, comme en Grèce, Portugal et Hongrie, par le biais de Memorandums of understanding.
5 — Pilotage régulier et pilotage automatique
Du point de vue des gouvernements, les réformes des retraites sont motivées par les défis démographiques, la gestion des recettes et des dépenses, et la financiarisation de l’économie. Les pays plus jeunes au plan démographique, comme les États-Unis et le Royaume-Uni ont mené les premières réformes.
La réforme des retraites en France, tout comme dans de nombreux autres pays européens, est motivée par des considérations politiques qui sont relativement uniformes entre les gouvernements. Premièrement, il y a un déficit budgétaire que les gouvernements cherchent à équilibrer en faisant des réformes structurelles, notamment la réforme des retraites. Deuxièmement, le système de retraite, notamment en France, nécessite un pilotage régulier en raison de l’évolution des variables économiques, démographiques et autres. Certains pays étrangers utilisent cependant un système de pilotage automatique. Troisièmement, la réforme des retraites peut être vue comme un moyen pour le gouvernement de montrer sa capacité à réformer et prouver sa légitimité, c’est le cas en France.
La modification des paramètres de retraite peut être utilisée pour réduire les dépenses publiques de retraite. Les réformes actuelles reportent l’âge de départ, ou augmentent la durée de cotisations nécessaires pour avoir droit à une retraite à taux plein ou encore jouent sur le salarie de référence, ce qui peut aller jusqu’à prendre les revenus de la carrière entière, et réduit le niveau du salaire de référence pour les carrières avec une progression salariale en fonction de l’âge. On justifie ces mesures en disant qu’elles créent un lien plus étroit entre les cotisations versées et les retraites perçues, augmentant ainsi la « contributivité » des retraites. Les modifications du calcul des retraites sont généralement mises en place de manière progressive.
6 — L’impératif budgétaire
Pour les gouvernements européens, en plus des pressions des institutions européennes sur ce volet, il est nécessaire de prendre des mesures pour limiter l’augmentation prévue des dépenses publiques de retraite. Cependant, ces mesures impliquent une réduction significative des taux de remplacement des retraites publiques. La solution alternative pour faire face au défi démographique, qui consisterait à augmenter progressivement le niveau des cotisations sociales pour maintenir le pouvoir d’achat des retraites futures, est actuellement le plus souvent exclue en raison des engagements européens et des politiques macroéconomiques associées. Ces politiques basées sur l’orthodoxie budgétaire, dont la volonté de réduire la dette et les déficits, maintenir des taux d’intérêt faibles, et une inflation faible, et la limitation des dépenses publiques, ont une orientation monétariste. Ainsi, la réduction future des retraites est imposée à la fois par les choix économiques partagés au niveau européen et par les défis démographiques.
7 — Les réformes françaises
Le système de retraite en France requiert des réformes régulières pour faire face à l’augmentation de l’espérance de vie et à l’évolution de la croissance économique et du chômage. La durée de cotisation nécessaire pour obtenir une retraite complète est allongée tous les quelques années pour tenir compte de l’augmentation de l’espérance de vie et à l’évolution de la croissance économique et du chômage.
Il faut bien prendre en compte que la France a deux âges de départ à la retraite : 62 et 67 ans. En 2010, la France avait décidé de repousser progressivement les deux âges légaux de départ à la retraite en France : de 60 à 62 ans pour l’âge légal — qui permet aux travailleurs de demander leur retraite, mais avec une décote si le nombre de trimestres de cotisation est insuffisant — et de 65 à 67 ans pour l’âge sans décote. Il a également confirmé que la durée de cotisation nécessaire pour une retraite à taux plein serait de 41,5 ans en 2020 pour les générations nées après 1954.
La réforme prévue par le gouvernement français du système des retraites, en augmentant l’âge légal de départ à la retraite de 62 à 64 ans, a pour visée de le rendre plus aligné sur les standards européens. Cependant, la situation des retraites est influencée par de nombreuses variables telles que la croissance économique, le taux de chômage, l’espérance de vie, la population, la démographie, etc. Ces facteurs évoluent au fil du temps et nécessitent une révision régulière du système — parfois abrupte — tous les 4 ou 5 ans et qui est propre à la France. Des réformes ont déjà été mises en place en 2003, 2007, 2010 et 2013, mais il n’y a pas encore de stratégie claire, de long terme, et consensuelle pour un pilotage continu du système. Par comparaison, les réformes dans les autres pays européens se font beaucoup plus en continu.
Le système de retraite français est confronté à un défi en deux volets en raison du faible taux d’emploi des personnes âgées, des changements démographiques et des inégalités dans le calcul des droits de retraite. Ce système doit s’adapter aux évolutions du monde du travail : travail atypique, travail non salarié, carrières multiples, inégalités persistantes entre les femmes et les hommes et déterminer un objectif en termes d’âge et de niveau des pensions, qui prenne en compte la diversité des situations individuelles, dont l’espérance de vie et la pénibilité du travail.
8 — Comment les différentes populations européennes se sont-elles opposées aux réformes ?
En Allemagne, en Autriche ou encore aux Pays-Bas, les partenaires sociaux jouent un rôle clef. Ce sont eux qui sont principalement à la manœuvre. L’État les enjoint de trouver des solutions parce qu’ils sont gestionnaires des fonds et donc se trouvent en situation de responsabilité. Comme ils sont beaucoup plus unis, le fait de trouver un compromis ne les place pas dans une position difficile, parce que le taux de syndicalisation — en moyenne d’environ 15 % pour les Pays-Bas et l’Allemagne et 26,3 % pour l’Autriche en 2019 est plus élevé qu’en France (10,8 %), et parce qu’il y a plus d’actifs et moins de retraités parmi les syndiqués.
Du côté de la Suède et des autres pays nordiques, la situation est légèrement différente. C’est l’État qui décide mais qui, avant de décider, met en place une commission parlementaire et attend que tous les partis soient d’accord. Même s’ils ont trouvé le consensus, ils attendent des élections générales pour savoir si, même si la majorité change, elle est toujours consensuelle. La Suède a été l’un des premiers pays à faire la réforme des retraites.
En revanche, en France comme dans de nombreux pays d’Europe du Sud, les pratiques de négociation sont beaucoup plus faibles, ce qui rend difficile la possibilité de trouver un compromis. En Europe du Sud — Italie, Espagne, Portugal, Grèce — les manifestations contre les réformes des retraites que nous observons sont menées par l’opposition des syndicats, qui défendent les travailleurs et les retraités.
9 — Un arbitrage entre générations
Globalement jusqu’à la fin des années 1990, les retraités avaient une bonne situation, qui a commencé à se dégrader au début des années 2000 dans plusieurs pays européens. Les arbitrages politiques sur la répartition des ressources pour les retraites ont en effet affecté les deux groupes les plus vulnérables, les plus âgés et les plus jeunes, en fonction des priorités politiques et des considérations budgétaires. Il y a désormais un débat sur l’impact potentiel d’une réduction des retraites sur la pauvreté des retraités et la mise en place d’un plancher pour garantir un niveau suffisant de retraites. La baisse des retraites publiques financées en répartition a eu un effet sur la pauvreté des personnes âgées et a renforcé les inégalités parmi elles. Les personnes ayant des carrières incomplètes ou atypiques voient leur taux de remplacement diminuer, ce qui augmente la demande pour les mécanismes de retraites minimales garanties.
En 2018, au sein de l’Union, les personnes âgées de plus de 65 ans avaient en moyenne un taux de pauvreté de 15,9 % si leur revenu était inférieur à 60 % du salaire médian. Cependant, les chiffres expriment aussi ce déplacement de la pauvreté vers la jeunesse, avec un taux de pauvreté des jeunes âgés de 18 à 24 ans qui était de 22,8 % en moyenne en Europe. Dans de nombreux cas de figure, la pauvreté des jeunes était ainsi plus élevée que celle des seniors, notamment en France, Danemark et Norvège, qui ont fait le choix de privilégier les seniors.
En France, les inégalités entre les femmes et les hommes sont plus accentuées après 65 ans. Les taux de pauvreté des femmes âgées en Europe sont dans pratiquement tous les cas plus élevés que ceux des hommes. Les femmes ayant souvent des carrières hachées et moins bien rémunérées, elles reçoivent une retraite inférieure à celle des hommes. Selon la DREES, en 2018, la pension moyenne de droit direct pour les retraités résidant en France, y compris la majoration pour les enfants, était de 1 137 euros par mois pour les femmes et de 1 932 euros pour les hommes. Cela signifie que la pension moyenne des femmes était inférieure de 41 % à celle des hommes.
10 — Conclusion
Quel bilan tirer à ce stade des réformes des retraites en Europe ? L’histoire des retraites en Europe a pris un tournant au XXe siècle, marqué par des politiques visant à limiter les dépenses publiques de retraite en réponse au vieillissement de la population depuis plus de trente ans.
La stratégie française, obsédée par la réduction du coût du travail, ne cherche pas à sortir par le haut, c’est-à-dire à améliorer les conditions de travail (prise en compte des troubles musculo-squelettiques, du stress au travail) mais cherche avant tout à être aussi productif qu’avant mais avec moins de monde. Ce « biais » peut faire penser que la France est en retard, mais elle est en réalité le symptôme de la politique économique des entreprises françaises construite depuis 40 ans sur l’idée que le travail est un coût et donc qu’il faut réduire ce coût.
Depuis 2020, la France cherche à suivre le mouvement des réformes de fonds entreprises chez de nombreux autres voisins européens. Elle a d’abord lancé un grand chantier pour réformer son système de retraites, visant en 2020 à adopter un système unique à points. Que ce soit la réforme de 2020 ou celle de 2023, sans principes clairs de redistribution en faveur des personnes ayant des carrières atypiques et mal rémunérées, un allongement de l’âge légal de départ à la retraite ne ferait qu’accroître la pauvreté comme en Suède, en Allemagne, en Angleterre. Il faudrait introduire dans un tel système des principes de redistribution plus compréhensifs — en faveur des personnes ayant eu des carrières hachées et mal rémunérées — pour éviter que les inégalités ne s’accroissent au moment de la retraite.