Le 14 décembre 2020 a marqué le 60ème anniversaire de la signature, à Paris, de la Convention relative à l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE)1

Cet anniversaire coïncide avec une situation pour le moins paradoxale. D’un côté, le monde est sous le feu de deux crises globales (climatique et sanitaire) de l’autre nous assistons à une remise en cause sans précédent, du concept de multilatéralisme et de l’un de ses principaux vecteurs, les organisations internationales. Pire, cette remise en cause vient en partie de pays qui sont membres de l’OCDE. 

Si l’on peut penser que le changement d’administration au États-Unis va entraîner un retour de ce pays sur la scène internationale, et cela se confirme au vu de ses premières décisions, il n’est pas certain que cela ait un impact sur la critique de fond envers certaines organisations internationales. Ainsi, à ce jour les États-Unis n’ont toujours pas débloqué leur veto sur les nominations à l’organe d’appel de l’OMC2.

La célébration de ce soixantième anniversaire et l’analyse des spécificités de l’OCDE doit constituer un outil de réflexion pour ceux qui veulent faire évoluer le multilatéralisme et les organisations internationales, non pas pour affaiblir mais pour renforcer un système qui est objectivement en difficulté.

En effet, le système multilatéral que nous connaissons est encore, pour l’essentiel, celui mis en place au sortir de la Seconde Guerre mondiale, basé sur l’universalisme et sur l’idée de la séparation entre les discussions politiques réservées à l’ONU et le travail technique de ses institutions spécialisées.

La célébration de ce soixantième anniversaire et l’analyse des spécificités de l’OCDE doit constituer un outil de réflexion pour ceux qui veulent faire évoluer le multilatéralisme et les organisations internationales, non pas pour affaiblir mais pour renforcer un système qui est objectivement en difficulté.

NICOLA BONUCCI ET JEAN-PIERRE JOUYET

Dans ce contexte, force est de constater que l’OCDE est atypique  : ni organisation régionale (elle a des membres de tous les continents sauf l’Afrique) ni organisation universelle, elle ne fait partie ni du système des Nations unies ni de celui de l’Union européenne. Tout en étant fille de l’Europe et de l’atlantisme, elle est devenue une organisation à vocation et influence globales.

Initialement connue pour ses statistiques et ses analyses macroéconomiques, et ce dans des milieux restreints, elle a au fil des ans acquis une autorité internationale dans des domaines aussi divers que l’éducation (programme PISA), la lutte contre la corruption ou la fiscalité internationale au travers de ses combats contre les paradis fiscaux et pour l’échange des informations.

Contrairement au FMI ou à la Banque Mondiale, l’OCDE n’a pas de fonds financiers à élargir et ne subsiste que par la force de ses analyses et de ses propositions. Ses rapports suscitent débats et parfois controverses.

Son influence grandissante, ainsi qu’en témoigne son rôle dans le G20 et le G7 – a lors même que le poids économique des pays qui la composent a grandement diminué dans les vingt dernières années et qu’elle est loin de représenter la communauté internationale dans son ensemble  – s’explique par une série de facteurs.

Sa multidisciplinarité  : dès son origine, l’OCDE a été conçue comme une organisation multisectorielle et pluridisciplinaire Contrairement au système des Nations unies qui a créé des organisations techniques sectorielles indépendantes, l’OCDE regroupe toutes les compétences à l’intérieur d’un seul secrétariat. Or il est évident que la crise liée au Covid-19 n’est pas seulement sanitaire, comme il est clair que la question du changement climatique n’est pas seulement environnementale.

Tout en étant fille de l’Europe et de l’atlantisme, elle est devenue une organisation à vocation et influence globales.

NICOLA BONUCCI ET JEAN-PIERRE JOUYET

La force de son secrétariat  : l’OCDE dispose d’un secrétariat composé d’experts reconnus et qui se renouvelle régulièrement (13 % par an). Sous l’égide de son secrétaire général actuel Angel Gurria, qui lui a donné une visibilité sans précédent, elle a affronté des questions délicates et cruciales comme la lutte contre le secret bancaire et ce, au prix même de conflits avec certains pays membres de l’organisation.

Le dialogue constant entre membres et secrétariat  : une des spécificités de l’OCDE se situe dans ses plus de 200 organes de travail dans lesquels le secrétariat travaille avec les experts des pays membres et, de plus en plus fréquemment, au-delà. La venue de 100 000 experts par an à l’OCDE, est l’une des clés de son succès. Une norme produite est ainsi le fruit d’un travail technique et d’échanges entre ces experts décriés et qui sont pourtant des rouages clés de la régulation internationale.

Son adaptabilité, sa réactivité et son sens de l’anticipation  : l’Organisation a toujours été à la pointe de l’agenda international.  Dans les années soixante, c’est au sein du Comité d’Aide au Développement de l’OCDE qu’on utilise pour la première fois les termes «  Official Development Assistance  » (ODA). C’est à l’OCDE qu’est conçu, dès le début des années 70, le principe pollueur-payeur. C’est grâce à l’OCDE et à sa Convention que la lutte contre la corruption internationale s’est imposée à l’agenda politique. C’est au sein d’une OCDE ouverte à plus de 160 pays et territoires que toutes les questions cruciales de taxation sont traitées, y compris, aujourd’hui, le sujet épineux de la fiscalité numérique. C’est encore l’OCDE qui, dès 2011, pose le problème des inégalités et de la nécessité d’une croissance inclusive au sein même de ses pays membres.

L’efficacité de la «  méthode OCDE  » a été soulignée par le président Macron lors de la cérémonie du 14 décembre dernier en ces termes  : «  ces succès reposent sur une méthode éprouvée, remarquablement efficace, autour de trois piliers. D’abord, des données rigoureuses permettant à chaque pays de se comparer. Ensuite, des échanges de meilleures pratiques entre experts. Enfin, des recommandations générales et adaptées à chaque État membre  »3.

Est-ce à dire que l’OCDE est sans défaut et sans faiblesses ? Bien évidemment non.  La question de sa légitimité à édicter des normes qui vont au-delà de ses seuls pays membres reste posée même si sa composition s’est diversifiée dans les vingt dernières années. De même, le fait que l’OCDE fasse de « l’adhésion aux principes d’une économie de marché ouverte et transparente  » une de ses valeurs fondamentales peut être perçue comme par trop idéologique4. On pourrait aussi faire valoir que les «  prescriptions  » OCDE sont plus adaptées aux pays développés et émergents qu’aux pays moins avancés.

Est-ce à dire que l’OCDE est sans défaut et sans faiblesses ? Bien évidemment non.  La question de sa légitimité à édicter des normes qui vont au-delà de ses seuls pays membres reste posée même si sa composition s’est diversifiée dans les vingt dernières années.

NICOLA BONUCCI ET JEAN-PIERRE JOUYET

Il en reste pas moins qu’alors que nombre d’organisations internationales sont critiquées pour leur impuissance l’OCDE n’est plus «  la Muette  » du passé, elle s’exprime et sa voix compte ; mais, plus important, elle agit et change les paradigmes – comme cela a été le cas en matière fiscale. Ainsi que le Secrétaire général aime à le rappeler l’organisation est un «  do tank  » et non seulement un «  think tank  ».

Comme cela a été remarqué dans un ouvrage qui lui est consacré, l’OCDE tire sa force d’un subtil jeu d’équilibre « entre la rigueur de la méthode et la souplesse de son fonctionnement institutionnel, entre l’expertise et le politique, entre l’attachement du marché et l’implication des responsables publics  »5.

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Quelles leçons en tirer pour le système multilatéral et pour les organisations internationales ?

En premier lieu, l’absolue nécessité pour tous de respecter et promouvoir l’indépendance des organisations internationales. Les pressions politiques, les jeux de pouvoirs, les calculs financiers entravent trop souvent le fonctionnement des organisations internationales et leur nécessaire indépendance intellectuelle. Comment peut-on encore accepter qu’en 2021 subsiste la « règle » implicite qui attribue la tête de la Banque mondiale à un ressortissant des États-Unis et la tête du FMI à un européen  ? La sélection en cours du nouveau Secrétaire général est à ce titre une meilleure pratique à suivre, pour autant qu’elle aboutisse à la désignation du meilleur candidat6. Au-delà de ce cas de figure, la pression du quotidien fait que trop de rapports, d’analyses et d’évaluations sont édulcorées en raison de la crainte de déplaire à tel ou tel pays.

Il faut ensuite que les organismes internationaux apprennent à mieux travailler ensemble. La diversité des organisations internationales est une source de richesse mais elle ne doit pas déboucher sur la confusion ou la lutte d’ego. Au-delà des déclarations d’intentions il faut que les actes suivent à travers l’élaboration de programmes de travail partagés et complémentaires, des groupes de travails inter organisations, d’échanges de personnels facilité. De plus, les agendas doivent conduire au développement de vrais synergies. La lutte contre la corruption internationale, véritable pandémie non déclarée, serait bien plus efficace si des organisations comme le FMI, l’OCDE et la Banque mondiale regroupaient leurs moyens et leurs ressources dans un plan d’action partagé.

En troisième lieu, les pays doivent donner aux institutions internationales les moyens de fonctionner car elles coûtent en fait très peu. La cotisation annuelle de la France à l’OCDE représente moins de vingt centimes par an et par habitant. En donnant aux organisations internationales des ressources à la hauteur des besoins on évitera ainsi la recherche de contribution dites «  volontaires  » et certaines formes de partenariat avec le secteur privé qui peuvent poser problème. Selon Nora Kronig, responsable de la division Affaires internationales et vice-directrice de l’Office fédéral de la santé publique en Suisse : « L’OMS a un budget équivalent à celui des Hôpitaux universitaires de Genève. Et seuls 20 % de son budget proviennent de contributions obligatoires des États membres  »7.

En quatrième lieu, les pays se doivent d’avoir une politique internationale cohérente. On entend trop souvent des représentants de pays affirmer une chose dans une organisation et une chose différente dans une autre organisation. Les organisations internationales deviennent ainsi le miroir et l’amplificateur du cloisonnement des administrations nationales. Quels sont les pays qui mettent réellement les organisations internationales en haut de leur agenda  ? Combien de fois les choix politiques nationaux ne sont-ils pas assumés en tant que tels mais sont présentés comme le fruit d’une pression indue des bureaucrates et technocrates internationaux  ?

La lutte contre la corruption internationale, véritable pandémie non déclarée, serait bien plus efficace si des organisations comme le FMI, l’OCDE et la Banque mondiale regroupaient leurs moyens et leurs ressources dans un plan d’action partagé.

Nicola Bonucci et Jean-Pierre Jouyet

Enfin la communauté internationale doit se réinventer. Le modèle des grandes réunions internationales en «  présentiel  » ne correspond ni au défi climatique ni au monde à venir. Il faut apprendre à travailler de façon plus agile, développer rapidement et de manière plus souple des normes internationales qui pourront être adaptées ou éliminées si elles perdent leur raison d’être. Il faut dépasser le cadre purement intergouvernemental, ouvrir réellement les débats à New York, Paris ou Genève aux acteurs non étatiques, aux parlements nationaux et aux citoyens sous peine d’une délégitimation des organisations internationales ainsi que des États qui les composent.

La nouvelle administration américaine a confirmé son souhait de convoquer un sommet des démocraties en 2021, le renouveau du multilatéralisme doit être en haut de l’agenda.

Dans une tribune récente parue dans Le Monde co-signée par Antonio Guterres, Ursula Van der Leyen, Emmanuel Macron, Angela Merkel, Charles Michel et Macky Sall, les auteurs définissent le multilatéralisme comme «  une manière bien particulière d’organiser les relations internationales, qui s’appuie sur la coopération, l’État de droit l’action collective et des principes communs  »8

« À problème global, réponse globale  »  : cette devise devrait bien évidemment s’imposer à tous, mais le multilatéralisme est aussi le fruit de l’arbitrage du quotidien, du compromis, qui n’est pas honteux bien au contraire, de l’écoute et du respect des voix différentes, de la décision et non de la procrastination, de l’acceptation de la critique constructive.

De par nos expériences, nous constatons que l’OCDE a plutôt mieux réussi à surmonter tous ces obstacles que d’autres organisations, mais au moment où l’on s’apprête à nommer un nouveau Secrétaire général il convient de se souvenir de ce propos d’Albert Einstein «  le monde ne sera pas détruit par ceux qui font le mal, mais par ceux qui les regardent sans rien faire  ».

Sources
  1. « 60 ans de l’OCDE, un symbole du multilatéralisme », Euronews via AFP, 14 décembre 2020 [date de consultation : 18 février 2021].
  2. Bryce Baschuk “US delays effort to restore WTO’s key decision-making power”, Ajot, 25 janvier 2021 [date de consultation : 18 février 2021].
  3. « Déclaration de M. Emmanuel Macron, président de la République, sur l’OCDE et la crise sanitaire et économique, à Paris le 14 décembre 2020. », Vie publique, 14 décembre 2020 [date de consultation : 18 février 2021].
  4. Cette référence se trouve dans la feuille de route adoptée par le Conseil qui marque le début du processus d’adhésion d’un pays à l’OCDE.  Voir par exemple la  feuille de route du Costa Rica.
  5. Cette belle formule est extraite de Pour une mondialisation raisonnée, les révolutions discrètes de l’OCDE, par Dominique Bocquet, La Documentation française, 2012.
  6. Sélection du Secrétaire général de l’OCDE.
  7. Stéphane Brussard, « L’OMS ne sortira pas indemne de cette pandémie », Le Temps, 17 mars 2020 [date de consultation : 18 février 2021].
  8. Tribune (collectif) : « L’appel de Merkel, Macron, Sall, de l’ONU et de l’UE : « Bâtir un multilatéralisme plus solidaire face au Covid », Le Monde, 3 février 2021 [date de consultation : 18 février 2021].