Huit figures, huit formes, huit macro-crises marqueront l’année qui vient — « le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître, et dans ce clair-obscur surgissent les monstres. » Ces figures sont inquiétantes, parfois totalement déconcertantes. Plutôt que de détourner le regard, nous vous invitons à les découvrir à travers des enquêtes et des portraits que nous publierons jusqu’à Noël. Chaque jour, une case du calendrier à ouvrir. Pour nous soutenir, offrez le Grand Continent
26 décembre 1992, 20h30. Sur TF1, Patrick Sébastien anime une soirée exceptionnelle, qui restera dans l’histoire de la télévision française : Le Grand Bluff. Pendant deux mois, le célèbre animateur écume les plateaux des principales émissions de télévision, mais déguisé.
Il n’a pas fait les choses à moitié : il porte des lentilles, un faux nez, de fausses dents, une fausse moustache, une perruque.
Il est absolument méconnaissable et change de personnage à chaque apparition.
Le but est simple : piéger les animateurs vedettes en les confrontant à des situations absurdes, gênantes, parfois franchement inquiétantes.
La compilation est tordante.
En pleine préparation de « Sacrée soirée », Jean-Pierre Foucault se retrouve interrompu par un faux fan un peu trop collant qui lui demande des autographes pour toute sa famille.
Dans Millionnaire, l’émission de Philippe Risoli, Patrick Sébastien joue un candidat lunaire, « grossiste de lunettes », qui déclame un poème grotesque avant de traiter une autre participante de « pouffiasse ».
Sur le plateau de « Stars 90 », il se glisse dans la peau d’un lanceur de couteaux qui se dispute avec sa partenaire de scène, en direct : elle refuse de faire le numéro, il s’énerve, couteaux à la main. Visiblement très inquiet, Michel Drucker tente de calmer le jeu : « Vous voulez vraiment le faire là… ? Il vaudrait peut-être mieux repousser ça, non ? Avec ce que vous avez dans les mains, je préfèrerais quand même… ».
Le même dispositif se décline chez Fabienne Égal dans Tournez Manège, chez Christian Morin dans La Roue de la fortune, chez Patrick Roy dans Une famille en or.
Presque toutes les figures du paysage audiovisuel français (PAF) se retrouvent piégées et moquées.
Les chiffres d’audience sont vertigineux.
Avec 17,5 millions de téléspectateurs et 74 % de parts de marché, Le Grand Bluff réalise la plus forte audience jamais enregistrée en France. Le record ne sera battu que le 12 juillet 1998, par la finale de la Coupe du monde de football.
Aujourd’hui encore, Le Grand Bluff demeure l’émission de divertissement la plus regardée de l’histoire de la télévision française.
Le mythe Patrick Sébastien prend forme.
Ce soir-là, il met en scène quelque chose qui dépasse le simple canular : une machine à révéler. En se déguisant, il ne se contente pas de piéger quelques animateurs trop aimables ; il expose à nu les réflexes d’un système entier, fondé sur le faux direct, les émotions scénarisées, les automatismes de plateau.
Le Grand Bluff est déjà une expérience à taille réelle sur le pouvoir des masques : un homme seul, muni de quelques prothèses et d’un sens aigu du jeu social, suffit à faire vaciller les codes d’un univers pourtant surcontrôlé.
La machine à révéler
Plus de trente ans plus tard, ce ne sont plus les animateurs de TF1 que Patrick Sébastien semble vouloir piéger, mais la classe politique elle-même.
Cet automne, excédé par le « spectacle désolant » offert par les responsables publics, qu’il compare à « des parents qui se mettent sur la gueule devant les enfants », il lance une initiative qu’il baptise : « Ça suffit ». Selon lui, c’est la formule qui revient le plus souvent « dans la bouche des gens » pour exprimer leur ras-le-bol du moment.
Ce n’est pas là un énième mouvement de mécontentement — ou du moins, pas seulement.
Dans l’esprit de Patrick Sébastien, il s’agit d’abord de faire remonter des solutions nouvelles, venues du « peuple ». Le mot est sans cesse invoqué.
À chaque passage médiatique, Patrick Sébastien lance le même appel : qu’on lui envoie des propositions, « les plus concrètes possibles », sur une adresse mail qu’il a créée à cette fin : « Évitez d’envoyer cinq pages, on entrera plus tard dans les détails ». L’objectif affiché est d’en sélectionner une quarantaine d’ici la prochaine élection présidentielle, « les plus réalistes et les plus réalisables ».
Dans une France qui semble politiquement bloquée, à court d’imagination pour sortir du marasme, Patrick Sébastien parie sur le retour au peuple par la boîte à idées.
« Le petit artisan, le petit agriculteur ou la petite infirmière, ils auront peut-être l’idée que n’aura pas le ministre » estime-t-il dans l’émission Les Grandes Gueules. Sur le plateau de Cyril Hanouna, sur W9, il dit aussi vouloir être « le porte-parole d’une autre France », « celle que je connais, celle qui en a marre de se faire manipuler, qui en a marre de se faire exploiter, qui en a marre qu’on les prenne pour des cons ».
Patrick Sébastien jure pourtant n’être candidat à rien.
Sa méthode consiste en ce qu’il appelle un « chantage démocratique » : une fois le cadre programmatique posé, aller voir les deux candidats qualifiés au second tour de l’élection présidentielle pour les contraindre à s’engager à mettre en œuvre ses propositions.
Comment comprendre cette démarche alors que l’année 2026 sera marquée par la campagne électorale française ?
17 % des Français déclarent qu’ils pourraient voter pour Patrick Sébastien — un score qui le place entre Laurent Berger et Dominique de Villepin.
Raphaël Llorca
Trois écueils sont à éviter pour l’aborder correctement.
Le premier consisterait à se réfugier trop vite dans le déjà-vu : ce que l’on croit reconnaître au premier coup d’œil s’avère, à l’étude, largement inexact. On peut croire assister à l’émergence d’un énième candidat-populiste, un Raoult, un Hanouna ou même un Mercier — ce personnage de la troisième saison de Baron Noir, qui surgit sur YouTube avec des idées « anti-système ».
Avec son style de bateleur, on peut également être tenté d’inscrire Patrick Sébastien dans la lignée de Coluche ou, plus récemment, de Beppe Grillo en Italie. En vérité, il convient plutôt de s’approprier le conseil de Jacques Pilhan, le communicant de François Mitterrand : « décréter obsolète tout acquis antérieur » en estimant que « chaque cas est un cas nouveau ».
Les deux autres écueils concernent la juste mesure du phénomène : il ne faut ni le sous-estimer, ni le surestimer.
Il serait confortable de balayer l’affaire d’un revers de main en considérant que son initiative est marginale et donc indigne d’attention. « Le mépris qu’il y a pour moi, tonne-t-il face à Apolline de Malherbe, c’est un mépris général pour toute une France qui n’a plus la parole, qui en a marre ». Plutôt que de lui renvoyer ce mépris, il convient de le prendre au sérieux.
À l’inverse, trop d’observateurs, terrorisés à l’idée de passer à côté d’un événement majeur, gonflent artificiellement tel ou tel phénomène pour ne pas être pris en défaut.
Soyons clairs : cette étude ne cherchera pas à spéculer sur les chances de Patrick Sébastien de gagner la prochaine élection présidentielle. Une telle candidature ne serait d’ailleurs pas sa première incursion dans ce domaine.
En 1995, déjà, Patrick Sébastien annonce une candidature « canular » à l’élection présidentielle ; quinze ans plus tard, en mars 2010, il lançait un « mouvement de conscience et de pression », intitulé le Droit au respect et à la dignité (DARD) — une initiative qui, déjà, se donnait pour objectif d’apporter aux deux candidats du second tour de la présidentielle de 2012 des propositions issues du « peuple ». Annoncé en fanfare, le mouvement sera discrètement dissous trois mois plus tard 1.
Le scénario le plus probable est que le mouvement « Ça suffit » connaisse le même destin. Cependant, à supposer que ce mouvement ne prenne pas, l’écho rencontré aujourd’hui par Patrick Sébastien suffit à justifier qu’on s’y arrête et qu’on en interroge son sens politique.
D’après le dernier baromètre Toluna/Harris interactive 2 mesurant le potentiel électoral de plusieurs personnalités françaises, 17 % des Français déclarent qu’ils pourraient voter pour Patrick Sébastien si la prochaine élection présidentielle en France avait lieu le dimanche suivant le sondage — un score loin d’être ridicule, qui le place entre Laurent Berger (16 %) et Dominique de Villepin (18 %).
Patrick Sébastien en coach contre la peur
Ce qui frappe d’abord dans le mouvement « Ça suffit » est le côté artisanal de son dispositif.
À l’ère du militantisme digital, de tels mouvements viennent habituellement avec un ensemble complet d’outils : nom de domaine, site dédié, réseaux sociaux brandés, hashtags calibrés.
Dans le mouvement de Patrick Sébastien, on ne trouve rien de tout cela : celui-ci se réduit à une adresse mail des plus simples — créable en deux minutes sur Gmail — et une poignée de vidéos mises en ligne sur ses comptes personnels. Il est vrai qu’il dispose d’une puissance de feu non négligeable : 2 millions d’abonnés sur YouTube, 473 000 sur Facebook et près de 250 000 sur X.
Lire les cahiers de doléance : un anachronisme recherché
Observons de plus près ses prises de parole de l’automne 2025.
Les vidéos sont tournées en format vertical, à l’iPhone, d’abord diffusées sur Facebook 3.
Patrick Sébastien est assis à son bureau, au travail. Ce qui accroche immédiatement l’œil, ce ne sont pourtant pas ses mots, mais ses classeurs. Massifs, posés au premier plan, ils occupent à eux seuls près d’un quart de l’écran ; on ne comprend pas tout de suite ce qu’ils font là.
Il poursuit en remerciant chaleureusement tous ceux qui l’ont contacté ; il annonce avoir reçu plus de 10 000 mails en seulement trois jours. « Je lis tout », promet-il, en ouvrant un classeur.
On comprend alors : ces milliers de messages électroniques, il les a tous imprimés pour en prendre connaissance. « Des propositions, j’en ai plein les classeurs », dira-t-il dans un autre message publié quelques jours plus tard, toujours sur Facebook 4.
L’anachronisme fait d’abord sourire. Mais plus on y regarde, et plus le geste apparaît puissamment symbolique. Imprimer les mails, c’est offrir de la considération à celles et ceux qui ont le temps d’écrire ; c’est conférer un supplément de dignité à un message qui n’est plus un encodage numérique de 0 et de 1 perdu dans une boîte de réception, mais un objet matériel, qu’on peut tenir entre ses mains, classer, archiver.
Alors même que sa démarche puise dans l’imaginaire des cahiers de doléances — ceux des Gilets jaunes — le geste de Patrick Sébastien vient réparer l’une des grandes blessures symboliques du premier quinquennat Macron.
Alors que personne n’aurait lu les cahiers de doléances de ce quinquennat — ces 200 000 contributions manuscrites réparties dans près de 20 000 cahiers en mairie, auxquelles s’ajoutent deux millions de contributions en ligne, ces cahiers de doléances — Patrick Sébastien l’affirme : « Je lis tout ». Et quand il palpe ses classeurs, on est à deux doigts de le croire.
Il y a dans cette trace matérielle une deuxième signification.
Dans un moment d’accélération technologique sans précédent, où plus d’un tiers de la population française dit utiliser quotidiennement ChatGPT, où le débat public est saturé d’alertes sur les risques de l’intelligence artificielle, où le monde des idées évoque les perspectives d’un « techno-fascisme » venu d’Amérique, Patrick Sébastien, lui, a manifestement plusieurs guerres technologiques de retard : la preuve en serait qu’il continue d’imprimer ses mails.
Il faut aller plus loin : montrer ces mails imprimés, les mettre en scène comme il le fait à l’occasion de deux vidéos, c’est en faire un acte de communication, pour délivrer un message très simple : « Tout va bien se passer. »
Sans le verbaliser, de façon purement symbolique, Patrick Sébastien envoie un puissant signal à tous ceux qui se sentent « en retard » — sur les mutations du travail, du numérique, ou plus largement de la société. En creux, il prend à rebours l’une des injonctions majeures de notre époque, ce « nouvel impératif politique » décrit par Barbara Stiegler : « Il faut s’adapter 5. »
À cette injonction, en imprimant ses mails, Patrick Sébastien en oppose une autre : « Ça suffit ! »
Non pas clown, mais guide de vie
C’est ici que la démarche semble d’une autre nature que celle de Beppe Grillo, auquel on compare trop vite Patrick Sébastien.
L’humoriste italien, passé de clown à blogueur le plus lu du pays, avant de fonder son propre mouvement politique — le Mouvement 5 étoiles — avait une caractéristique : être arrimé dès le départ à un expert en marketing, Gianroberto Casaleggio, qui comprend dès le début des années 2000 le potentiel d’Internet pour reconfigurer la politique.
Casaleggio est l’un de ces « ingénieurs du chaos » si bien décrits par Giuliano da Empoli. Avec lui, la hiérarchie traditionnelle entre homme politique et conseiller s’était inversée : c’est Casaleggio qui avait, en quelque sorte, « embauché » un comique, Grillo, et non l’inverse. Leur force à eux deux, écrit Da Empoli, est d’avoir créé « le premier avatar en chair et en os d’un parti-algorithme, […] entièrement fondé sur le recueil des données des électeurs et sur la satisfaction de leurs demandes, indépendamment de toute base idéologique 6 ».
À l’époque, l’entreprise de Casaleggio et Grillo était perçue comme la traduction politique de Facebook et Google. Rien de tel chez Patrick Sébastien, qui cultive ostensiblement un refus du nouveau monde technologique.
Olivier Tesquet, journaliste d’investigation à Télérama et co-auteur d’un livre sur le techno-fascisme, le résume d’une phrase : « Patrick Sébastien, c’est un peu Beppe Grillo sans Casaleggio 7. »
Les classeurs alignés sur le bureau de Patrick Sébastien s’inscrivent dans un récit plus large, que celui-ci a développé par écrit.
Opportunisme éditorial ou non, le lancement de son mouvement coïncide avec la parution de son ouvrage, Même pas peur, publié chez XO Éditions — maison qui avait publié en novembre 2016 l’ouvrage programmatique Révolution du candidat Emmanuel Macron.
Le livre de Patrick Sébastien est radicalement différent, mais non moins politique.
Dans cet ouvrage, il décrit la manière dont nous serions, à l’échelle individuelle comme collective, saisis par un affect qui nous étrangle et nous empêche de vivre : la peur, ou plutôt les peurs, car il les décline une par une, chapitre après chapitre : peur de la première fois, peur du regard des autres, peur de l’avion, peur du harcèlement au travail, peur de ne pas trouver chaussure à son pied, peur de vieillir, peur d’être seul.
Ces peurs sont pour Patrick Sébastien « à hauteur d’hommes » — et de femmes, puisqu’il en parle beaucoup — très loin des « peurs macro » qui saturent les unes des journaux et structurent l’essentiel des discours politiques : réchauffement climatique, risque de guerre et intelligence artificielle.
Dans La Peur en Occident 8, l’historien Jean Delumeau montrait comment la peste noire avait profondément modifié les mentalités en Europe : face à l’impuissance des rituels religieux à conjurer l’épidémie, la demande de sécurité s’était peu à peu sécularisée, les populations se tournant moins vers la providence divine que vers les pouvoirs publics pour les protéger.
Le geste anti-politique de Patrick Sébastien est net : il refuse de reconnaître la pluralité des conflits qui traversent la société pour mieux poser un peuple unifié.
Raphaël Llorca
Aujourd’hui, alors que domine le sentiment d’une disparition de la puissance publique comme force de soutien et d’accompagnement dans les épreuves de la vie, tout se passe comme si les individus se retrouvaient seuls face à leurs peurs.
C’est dans ce contexte que de nouvelles figures peuvent venir capter cette demande de prise en charge émotionnelle.
À y regarder de plus près, Patrick Sébastien ne se contente pas d’énumérer nos peurs contemporaines : son ambition est de les vaincre — car, écrit-il, il est possible d’« apprendre à ne plus avoir peur ».
On sait combien l’un des ressorts les plus puissants de l’électorat RN tient au sentiment d’avoir perdu toute maîtrise sur sa propre vie. Comme en écho, Patrick Sébastien endosse le rôle de coach de développement personnel : il écoute ce qui est arrivé à ses proches, en tire des leçons inspirantes, enchaîne les conseils de vie, propose des rituels.
Pour vaincre sa peur de la mort, raconte-t-il, il allume chaque jour une bougie en se souhaitant à lui-même un joyeux anniversaire de… mort. « Ben oui ! s’exclame-t-il, sur trois cent soixante-cinq jours dans l’année, il y en a forcément un qui est l’anniversaire de ma mort. Pour lui montrer que non seulement elle ne m’effraie pas, mais que je la fête, le sourire aux lèvres. »
Aux peurs qui nous assaillent Patrick Sébastien oppose aussi le même mot d’ordre : « Ça suffit ! ».
Le « Président de la fête »
Quand on passe en revue le contenu publié sur les différents réseaux sociaux du chanteur, une autre thématique s’impose : celle de la fête.
Depuis une quinzaine d’années, Patrick Sébastien semble être en tournée permanente un peu partout en France, avec son spectacle signature intitulé « Ça va bouger ». Deux heures de show, dix musiciens sur scène, et un programme redoutablement efficace : on rit de ses meilleures imitations, et on danse au rythme de ses tubes les plus populaires — « Il fait chaud », « Le petit bonhomme en mousse », ou bien « Pourvu que ça dure ». Sur la plateforme de vente de billets dédiée, une fiche de présentation promet « une ambiance digne des férias du Sud si chères à cet artiste au grand cœur ! »
Le 22 novembre 2025, une vidéo montre Patrick Sébastien sur la scène du Prisme, la salle de concerts et d’expositions située dans la zone industrielle d’Aurillac. Micro à la main, il harangue le public : « Continuez à faire la fête, n’ayez honte de rien, aimez-vous les uns les autres et si possible les uns sur les autres, mais ne vous privez de rien ! »
Ce qui frappe dans ces discours de Patrick Sébastien, ce sont les qualificatifs dont il fait usage pour se définir : le « roi de la fiesta », le « roi de la fête » et même le « président de la fête » — qualificatifs diffusés à coups de visuels, mais aussi par l’intermédiaire de chansons.
Dans « Patrick Président », deuxième titre de son album Patoche Forever, sorti en juin 2024, on peut par exemple entendre ceci :
« Dis Patrick, tu voudrais pas être président de la République ?
Ha-ha-ha non, certainement pas
Mais si je l’étais
Il y aurait du bonheur, tous les jours du bonheur
Toutes les nuits du bonheur, des chansons
Il y aurait du bonheur, un pays de bonheur
Où on nous apprendrait d’abord à nous aimer beaucoup plus fort
Il y aurait du bonheur, tous les jours du bonheur
Toutes les nuits du bonheur, des chansons
Il y aurait du bonheur, un pays de bonheur
Où on nous apprendrait aussi à rester jeunes toute la vie
(…)
Et pour récolter des millions
J’mettrai un impôt sur les cons
Et pour récolter des milliards
Je taxerai les salopards
Il y aurait du (bonheur), tous les jours du (bonheur)
Toutes les nuits du (bonheur, des chansons)
Il y aurait du (bonheur), un pays de (bonheur)
Où pour bosser on gagnerait ce qu’on a vraiment mérité
Pourquoi pas ? (Pourquoi pas ?)
Si t’y crois (si t’y crois)
Où les plaisirs autorisés
Une totale liberté
Hey, hey, allez »
Une promesse d’utopie
« Un pays de bonheur », « une totale liberté », « nous aimer beaucoup plus fort » : après la technologie, c’est sur le terrain émotionnel que Patrick Sébastien apparaît en complet décalage avec l’époque.
Depuis plusieurs années, toutes les enquêtes d’opinions, du Baromètre France-émotions (Viavoice) aux sondages « L’état d’esprit des Français » (Verian Group), convergent : les émotions dominantes qui traversent la population française relèvent de la honte, de la colère et du désespoir. Dans un contexte politique morose et au sein d’une société volontiers décrite comme déprimée, Patrick Sébastien dit apporter un message aux tonalités festives : face au gris dominant, les couleurs sont vives, éclatantes, dans une esthétique de kermesse ou de fête de village.
Cela fait maintenant quarante ans qu’il bâtit cette figure de « président de la fête ».
Cette construction se fit bien sûr à la télévision, dans des émissions parodiques comme Carnaval ! sur TF1 (1984–1986), Farandole sur La Cinq (1987–1988), ou encore Le Cœur au show ! et Fiesta sur France 2. Pour ceux nés lors des années 1990, il reste surtout l’animateur emblématique du Plus Grand Cabaret du Monde, qui a occupé les samedis soirs d’une large partie des téléspectateurs français entre décembre 1998 et mai 2019.
Hors du petit écran, Patrick Sébastien s’est aussi imposé par la chanson populaire à travers de 26 albums — neuf ces dix dernières années — de « Tu t’laisses aller ma vieille » (1981) à « Olé Osé » (2025), en passant par « Viva Bodega » (1998), « Ça va être ta fête » (2014) ou « Putain c’est génial » (2023).
Certaines des 409 chansons de Patrick Sébastien sont devenues de véritables tubes, tant et si bien que son répertoire est entré de longue date dans la liste musicale des soirées d’anniversaire, des mariages, et autres festivités : on peut citer « Les sardines » (2006), qui comptabilise 19 millions d’écoutes sur Spotify, « Tourner les serviettes » (2001) — 7,9 millions de vues sur YouTube — ou encore « Joyeux Anniversaire » (2001).
La construction du porte-parole
Sébastien a toujours revendiqué une liberté de parole totale.
Le pacte implicite noué de longue date avec son public lui confère une aura d’authenticité : lui dira toujours haut et fort tout ce qu’il pense, quitte à froisser.
En représentation, sur scène comme à la télévision, cette liberté de ton passe d’abord par le registre, souvent grossier — la chanson « Ah … si seulement tu pouvais fermer ta gueule » totalise près de 25 millions de vues sur YouTube — ou grivois. Le signal envoyé est implicitement le suivant : « Vous voyez, je parle comme vous, je suis des vôtres. »
Dès ses premières apparitions médiatiques, rappelle Jérémie Peltier 9, co-directeur de la Fondation Jean-Jaurès, « Patrick Sébastien a voulu inscrire ses pas dans ceux d’une vieille tradition française, notamment radiophonique, un peu libertaire, de gauche comme de droite, qui s’incarnait notamment dans Les Grosses Têtes époque Philippe Bouvard, émission dans laquelle il était l’un des ‘sociétaires’ dans les années 1980 ». Ses acolytes d’alors s’appellent Jean Yanne, Jacques Martin, Sim, Olivier de Kersauson, « des individus pleins d’esprit, de vrais érudits, avec un sens de la répartie comme on n’en fait plus ».
Cependant, en clamant haut et fort son nouveau statut de « représentant du peuple », Patrick Sébastien pourrait bien trahir l’héritage dont il se réclame. « Ses amis se moquaient de la politique, dans les deux sens du terme », explique Jérémie Peltier. « Ils étaient là pour aérer l’époque en s’amusant de tout avec beaucoup d’esprit, et surtout sans jamais se prendre au sérieux ».
De fait — et c’est tout le paradoxe — il faut être animé d’un sacré esprit de sérieux pour vociférer sur le plateau des Grandes Gueules (RMC/BFM TV) : « Je suis le porte-parole des gens ! »
On touche ici à une différence majeure d’avec le mouvement des Gilets jaunes : là où ces derniers avaient violemment rejeté l’idée même d’une incarnation de leur mouvement, Patrick Sébastien fait ici le pari de la représentation. Pour Denis Maillard, sociologue et auteur d’un essai sur les Gilets Jaunes 10, « Patrick Sébastien a capté quelque chose autour du besoin de nouveaux intermédiaires 11 ».
La situation politique française est en effet assez singulière : alors que les corps intermédiaires traditionnels — syndicats et partis politiques — peinent à faire entendre leur voix, le pouvoir politique paraît s’absenter, absorbé depuis un an par des questions d’équilibres parlementaires, et mobilisé depuis trois mois sur le vote du budget. En conséquence, les besoins et les revendications qui remontent du pays peinent à trouver un écho.
C’est ici que la démarche de Patrick Sébastien prend tout son sens : proposer un débouché, recréer de fait une médiation entre le peuple et le pouvoir. On peut ainsi voir dans sa trajectoire une tentative de faire émerger une nouvelle forme de mobilisation populaire, après l’épisode des Gilets jaunes.
Le « dégagisme festif » du Bouffon
Dans cette perspective, il n’est pas anodin que cette incarnation passe par le registre festif : ce que le « président de la fête » mobilise dans l’inconscient collectif — au sens jungien de réservoir de formes universelles — c’est une vieille figure politique et culturelle, réactualisée aujourd’hui sous les traits d’une vedette du divertissement : le Bouffon.
La puissance du Bouffon s’est toujours fondée sur l’ambivalence de sa position, entre pouvoir et marginalité. Comme l’a rappelé une récente exposition au Louvre, ses premières représentations apparaissent littéralement dans les marges (marginalia), celles des enluminures des manuscrits médiévaux, sous la forme de créatures grotesques, burlesques, souvent ailées : elles symbolisaient le désordre, la transgression, l’inversion des valeurs face à l’ordre divin.
Le Fou est d’abord l’incroyant, celui qui nie l’existence et la toute-puissance de Dieu ; mais au XIVe siècle, cette figure se politise ; en intégrant les cours royales, il devient le Bouffon du Roi.
La condition même de la parole de Patrick Sébastien — son certificat d’authenticité — est cette distance affichée avec le politique — qu’il qualifie de « cirque » et de « cinéma ».
Raphaël Llorca
En apparence, le Bouffon divertit en parlant autrement — en énigmes, en chansons ou en calembours. En réalité, son rôle est plus large : auprès du souverain, il jouit d’un statut particulier.
Dans son ouvrage canonique 12, l’historienne Sandra Billington décrit ce qu’est le « privilège du Bouffon » (jester’s privilege) : sous couvert de plaisanteries, le Bouffon énonce des vérités que « les puissants » n’osent pas dire eux-mêmes : en cela, il matérialise la possibilité d’une parole non alignée au cœur même de l’appareil monarchique, testant en permanence les limites du dicible.
Dans le cas de Patrick Sébastien, ce qui frappe, c’est que le « privilège du Bouffon » joue à l’envers : non plus en direction des puissants, mais des « gens d’en bas » dont il prétend être le porte-voix. C’est précisément parce qu’il est Bouffon — parce qu’il vient du rire, de la gauloiserie, de la chanson paillarde, parce qu’il se tient ostensiblement en dehors du sérieux politique — qu’il peut prétendre incarner une forme de représentation perçue comme légitime, car non alignée sur les intérêts des élites.
Dès lors, on comprend pourquoi Patrick Sébastien ne recule pas devant les grivoiseries : s’il les arbore comme un étendard, c’est qu’elles sont la preuve ultime de son authenticité et de sa « virginité » politique.
Les premières strophes du tube de son dernier album Olé Osé (avril 2025), « La Quéquette à Raoul », en sont la dernière preuve en date :
« Y a des gens qui sont mal foutus c’est la vie, c’est comme ça
Y en a qui ont deux trous du cul j’en ai même connu qu’en ont trois
Y a des filles qui ont des petites chattes qui miaulent comme les vraies
Et quand elles font miaou c’est qu’elles veulent se faire caresser
[Refrain]
Et quand on souffle dans la quéquette à Raoul
Ça fait tourner les p’tites boules, ça fait tourner les p’tites boulеs
Et quand on souffle dans la quéquette à Raoul
Ça fait tournеr les p’tites boules, ça fait tourner les p’tite boules »
Dans Même pas peur, Patrick Sébastien n’hésite pas à raconter, hilare, sa première fois, l’été de ses treize ans sur les dunes de Marseillan Plage, dans l’Hérault. En libertin assumé, il raconte ses virées en boîte échangiste, ou bien la fois où il s’est « tapé une putain portoricaine » et qu’il a « essayé de la payer avec des billets de Monopoly, en lui faisant croire que c’était la nouvelle monnaie européenne ».
Patrick Sébastien dit dans son livre avoir choisi « la gauloiserie comme gagne-pain ». La formule est bonne, et surtout elle produit un effet politique précis : elle déplace l’imaginaire du dégagisme, dont il se réclame explicitement avec son mouvement « Ça suffit ! ».
En France, les principales incarnations politiques du dégagisme se sont faites menaçantes, offensives, tendues comme un point : ainsi de Jean-Luc Mélenchon qui éructe, le regard noir et le doigt pointé ; de la voix rauque et du ton cassant de Marine Le Pen ; ou bien des affiches « Zemmour président » de 2022, son visage figé sur fond noir.
À l’inverse, le « président de la fête » propose une version souriante, bruyante, grivoise de ce même geste : renvoyer « les puissants » à la maison — mais en musique, en blagues, en chansons paillardes. De ce point de vue, il se rapproche davantage de figures comme Donald Trump ou Javier Milei, qui ont eux aussi rejoué la colère sur un mode carnavalesque : c’est là une forme de dégagisme festif.
Dans la France de 2027, l’alliage de la colère et de la fête pourrait devenir une combinaison gagnante.
Le « réalisme populiste » de Patrick Sébastien : anatomie d’un « Grand Bluff »
Dénigrement ostensible du politique, registre cru — les politiques sont des « salopards » —, programme présidentiel utopique 13 : on comprend qu’on ait pu régulièrement comparer Patrick Sébastien avec Coluche et sa candidature-canular à l’élection présidentielle de 1981.
Patrick Sébastien lui-même cultive habilement l’héritage de son « pote Coluche ».
Invité sur Sud Radio le 27 novembre dernier 14, il a partagé cette anecdote invérifiable : « Quand il s’est présenté à l’élection présidentielle, [Coluche] m’a dit : ‘Patrick, si je suis président, tu seras vice-président, je m’occuperai de la présidence et tu t’occuperas du vice.’ » C’est là une façon explicite de revendiquer une filiation, alors même que la figure de Coluche occupe encore une place centrale dans le paysage mental d’une partie de la population française, plutôt âgée 15.
La sacralisation du peuple
La différence décisive entre Patrick Sébastien et Coluche tient toutefois à leur rapport au « peuple ».
Sébastien ne fait preuve d’aucune auto-dérision vis-à-vis du milieu qu’il prétend représenter ; au contraire, rappelle Denis Maillard, « Coluche se tenait au milieu du peuple contre l’élite, mais en moquant les travers du peuple » ; « Il n’y avait pas de mystique du peuple chez Coluche : il n’hésitait pas à en pointer les travers et les contradictions. »
Chez Sébastien, au contraire, le « Peuple » est sacralisé : ce qu’il pense, ce qu’il dit, ce qu’il revendique est pris comme un bloc, sans jamais aucune distance critique.
Dans les pays de l’Union soviétique, la doctrine officielle de l’art, dite « réalisme socialiste », exigeait que les artistes présentent une réalité qui soit en perspective historique avec le développement de la Révolution, afin de contribuer à la transformation idéologique des travailleurs. De même, Patrick Sébastien semble inaugurer une forme de « réalisme populiste » : présenter tout ce qui vient du Peuple — ou ce qui se déclare comme tel — comme la seule façon légitime d’appréhender la réalité.
Dans une telle perspective, ce que voit, pense et exprime le Peuple n’est ni bon ni mauvais : c’est ce qui est, tout simplement. Le Peuple, celui qui est « d’en bas », n’est plus un émetteur socialement situé : il devient le cadre silencieux de ce qui paraît « réaliste » — un réalisme qui se donne comme un simple constat des faits.
Toute tentative d’interroger, de contredire ou de dépasser ce « bon sens » populaire est aussitôt disqualifiée : cela devient la preuve de l’appartenance à une élite « hors sol ».
Un discours fuyant : la caution du porte-parole
Avec Patrick Sébastien, le populisme comme doctrine politique mue pour devenir un mode de représentation du réel, le seul jugé légitime. Cette mue est particulièrement visible lors du passage de Patrick Sébastien dans l’émission Les Grandes Gueules (RMC/BFM TV), le 7 novembre dernier. Interrogé pendant une heure sur une série de sujets sensibles, souvent au cœur du discours du Rassemblement National — la peine de mort, la préférence nationale —, il n’a cessé de s’abriter derrière ce que « les gens » lui faisaient remonter : « Je ne pense pas forcément comme eux, mais … »
La chroniqueuse Flora Ghebali n’a pas manqué de relever ce discours fuyant, jusqu’à l’accuser d’être un « émissaire de Marine Le Pen ». L’intéressé répondit immédiatement 16 :
« Moi j’essaye d’être le plus sincère possible, je répertorie ce que m’envoient les gens. Vous les voyez souvent, les gens ? Moi, je les vois souvent. Ce que je vous rapporte, c’est ce que les gens d’en bas me racontent. Allez-y faire un tour ! Vous écouterez ce qu’ils vous disent ! »
À entendre Patrick Sébastien, toute parole devient dicible, à partir du moment où elle provient d’en bas et qu’elle est formulée de façon sincère. Peu importe qu’elle bouscule des tabous : c’est même plutôt une preuve de sa valeur.
Il est difficile de ne pas retrouver dans cette manière de voir une défense du free speech à la française.
Une autre scène doit attirer l’attention : sur le plateau de l’émission YouTube BangerZ, le 6 décembre 2025, Patrick Sébastien n’a pas hésité à se dire « capable de tuer si on touche à mes enfants », allant jusqu’à justifier les actes de vengeance et à soutenir que son opinion est majoritaire :
« Quand un parent te raconte que sa petite fille a été violée, défoncée, la tête explosée à coups de pierre, comment tu peux dire à un mec : ‘non non, ne te venge pas ?’ […]. Après, je pratique le pardon sur plein de choses impardonnables. Mais il y a des limites à la barbarie. Il y a des barbaries inacceptables. »
Du point de vue de l’opinion publique, un tel « réalisme populiste » est une redoutable machine à avaliser des positions extrêmes.
L’élargissement de la fenêtre d’Overton 17 désigne un moment de transgression, le franchissement d’une limite qui avait pour fonction d’étendre la limite du dicible et de l’acceptable dans le débat public. Le « réalisme populiste », lui, relève davantage du « salon d’Overton » : il marque le moment où cette idée transgressive se dote de rideaux, d’un canapé et d’une table-basse — dans le salon qu’elle ménage, on s’installe et reçoit, pour discuter à partir d’elle comme si elle allait de soi.
Le personnage que Patrick Sébastien met en scène est celui d’un homme qui jure ne jamais vouloir du pouvoir, tout en construisant patiemment une position de porte-parole.
Raphaël Llorca
Platon insistait sur ce qu’il appelait les tyrannopoioi, les « faiseurs de tyrans », ces démagogues qui attisent les passions déréglées du peuple, provoquent le désordre moral et politique de la Cité et préparent le terrain au coup d’État. Toutes proportions gardées, l’ouvrage de Patrick Sébastien Même pas peur use du même procédé.
Entre deux récits bouleversants — la mort de son fils dans un accident de moto ou la vie infernale d’une de ses amies battues par son mari — Patrick Sébastien glisse une « dinguerie » complotiste. Cependant, celle-ci n’est pas amenée à la manière d’un Philippe de Villiers ou d’un Michel Onfray, sur un ton alarmiste et menaçant, en appelant à la survie civilisationnelle ou en invoquant les mânes de Jeanne d’Arc ou de Charles Martel. Sébastien la mentionne plutôt sans avoir l’air d’y toucher, de façon très détachée, sans que l’on sache vraiment s’il y croit lui-même.
Comme il l’explique, il se sent tenu de relayer ces propos complotistes car quelqu’un « d’en bas » les a tenus ; dans sa grammaire, cela suffit à rendre la chose partageable. L’auteur reproduit ainsi les propos d’un ami, qui lui confie l’existence de « consignes de l’État et des sphères décideuses occultes pour montrer un maximum de trucs anxiogènes. La guerre, la maladie, les catastrophes. Des scénarios de fiction formatés pour entretenir une peur latente. » Cette grande stratégie n’aurait pour but que d’imposer un « effet blocage » : une atmosphère de sidération généralisée où les individus, submergés par la peur, n’osent plus rien contester.
« Ben, le mec devant sa télé, il voit des massacres d’innocents, des attentats, la petite fille qui se fait violer. Dans son canapé, il se dit : ‘Finalement, je m’en sors pas mal. C’est pas à moi que ça arrive. Pourvu que ça dure !’ Quelque part, ça l’empêche de descendre dans la rue pour demander ce qu’on lui doit. La trouille de perdre ce qu’on a, c’est la meilleure garantie d’une paix sociale »
Dans la bouche d’un essayiste d’extrême droite, ce type de discours serait immédiatement jugé problématique ; qu’un « président de la fête » qui mêle confidences intimes, anecdotes familiales et chansons paillardes, tienne les mêmes propos, ceux-ci s’en trouvent plus acceptables.
La position de victime
Ce jeu du porte-parole trouve d’autres variantes. Patrick Sébastien atténue par exemple la charge radicale de ses propos en l’enveloppant dans un imaginaire emblématique des classes populaires : le rugby.
Il a été joueur puis président du club de rugby de Brive entre 1995 et 1997, période durant laquelle le club remporta un titre européen. La discipline lui fournit quelques parallèles.
Sur le plateau des Grandes Gueules, il s’exclame : « Beaucoup de gens m’écrivent pour me dire qu’il faut qu’on soit beaucoup plus sévères vis-à-vis de la délinquance » ; c’est là un propos qu’on a l’habitude d’entendre dans la bouche des responsables de droite et d’extrême-droite.
Mais il poursuit, en tirant un exemple du rugby : « Dans mon époque, on se mettait des gros marrons dans la gueule, des coups de poing. Et un jour, ils ont dit : si vous mettez des coups de poing, c’est carton rouge. Eh bien, aujourd’hui, il n’y a plus de coups de poing. » C’est par le détour de cette image que le discours sécuritaire peut être accepté, en mobilisant d’autres référents plus larges.
Face à ces propos, Patrick Sébastien ne s’attire que peu de critiques, mais une multitude d’échos bienveillants : en effet, le « réalisme populiste » a ses émetteurs, mais aussi ses commentateurs attitrés — tous ceux qui, depuis l’ouvrage canonique de Christophe Guilluy sur La France périphérique 18, s’emploient à sacraliser les classes populaires dans une position toujours misérabiliste et victimaire. Cette sacralisation fut telle que l’étiquette du « représentant des classes populaires » est devenue un totem et un pare-feu idéal à toute critique qu’on pourrait légitimement émettre.
L’effet est manifeste ; par exemple, dans l’émission Zoom Zoom Zen du 1er septembre dernier, le sondeur Jérôme Fourquet décrit Patrick Sébastien en ces termes 19 : « Cette France des campings, qui ne se sent plus représentée, trouve en lui une espèce de champion que le ‘système’ essaierait de bâillonner parce qu’il dirait tout fort des vérités qui ne seraient pas bonnes à dire ». Et d’entonner le traditionnel couplet sur le mépris des élites : « En le stigmatisant, en se bouchant le nez en écoutant ses chansons, cela donne envie à toute une partie de la population d’adhérer à ce qu’il véhicule. »
Le renversement a opéré : plus personne n’ose attaquer de front le fond des propos de Patrick Sébastien de peur d’être accusé de mépris.
C’est ainsi que prospère une idée lourde de conséquences : celle selon laquelle les classes populaires valideraient en bloc l’ensemble des positions extrêmes que Patrick Sébastien prend soin de soutenir dans le débat public — comme si son appartenance à leur panthéon festif lui conférait la légitimité de parler en leur nom.
Un avatar de « l’Anti-politique démocratique »
Derrière le spectacle qu’offre Patrick Sébastien se niche une vision du monde et, plus précisément, une certaine idée de la politique. Sa matrice idéologique articule des éléments qui semblent contradictoires les uns avec les autres. L’homme est à la fois libertin et sécuritaire ; humaniste et dégagiste ; il peut plaisanter puis, l’instant d’après, justifier la peine de mort.
On pourrait multiplier à l’envi les couples de contraires qu’incarne Patrick Sébastien. Pour en comprendre la logique, il faut quitter le connu, et laisser de côté les catégories politiques qui se sont imposées ces dernières années.
Ce que Sébastien met en scène n’est pas une nouvelle variation du populisme ; il n’est pas non plus un énième trublion qui aurait outrepassé son rôle pour venir troubler le jeu électoral. Il faut voir en l’homme l’incarnation d’une configuration plus précise — ce que Samuel Hayat appelle « l’anti-politique démocratique », « cette forme de discours qui, au nom du peuple, refuse la politique, à savoir : ses professionnels, ses règles de fonctionnement, ses clivages 20 ».
Le refus du pouvoir comme source de légitimité
Pour Hayat, Patrick Sébastien emprunte à au moins trois formes de l’anti-politique démocratique 21.
La première forme est le refus proclamé du pouvoir : « Tout se passe comme si pour pouvoir parler de manière authentique, il faudrait commencer par jurer que l’on ne veut pas exercer le pouvoir politique ».
Cet énoncé est un renversement complet de la grammaire représentative classique : dans cette nouvelle logique, tous ceux qui participent à la compétition électorale ont, par définition, « un agenda caché », puisqu’ils désirent le pouvoir ; or, pour ceux qui, comme Patrick Sébastien, le refusent, « le pouvoir ne devrait pas aller à ceux qui le veulent ».
On comprend pourquoi Patrick Sébastien répète à longueur d’interviews et de vidéos qu’il ne fait pas de politique, qu’il n’est pas un homme politique, qu’il ne veut rien « pour lui », lâchant sur le plateau d’Apolline de Malherbe : « Je ne me présente à rien, c’est pour cela que je suis légitime. »
À l’occasion du lancement de son mouvement « Ça suffit » sur Facebook, sa première publication relaie le même message : « Je ne me présente à aucune élection ». Et de répéter, d’une vidéo à l’autre, tels des éléments de langage bien préparés : « Je ne veux pas me représenter : je veux vous représenter. Je ne veux pas vous inviter à voter pour moi, je veux vous aider à voter pour vous ».
La condition même de la parole de Patrick Sébastien — son certificat d’authenticité — est cette distance affichée avec le politique — qu’il qualifie de « cirque » et de « cinéma » dans ses interventions médiatiques. En creux, c’est l’ensemble du personnel politique qui s’en trouve disqualifié, renvoyé du côté du calcul et de la duplicité.
La classe populaire en maître-étalon
L’un des points les plus saillants dans l’analyse de Hayat tient dans cette idée que, dans l’anti-politique démocratique, les contradictions sont toujours imputées aux partis, jamais au peuple lui-même ; Patrick Sébastien nie ainsi l’antagonisme en absolutisant la classe populaire.
Dans le dispositif pensé par Sébastien, on recueille des mails, des doléances, des propositions, et on postule que rien de tout cela, en réalité, ne peut former quelque chose de contradictoire. Hayat précise : « On peut être à la fois contre les immigrés et contre le racisme, à la fois contre la bureaucratie d’État et contre le capitalisme, on peut être contre tout à la fois et pour tout à la fois » — parce que tout se tient au niveau d’un « bon sens populaire » supposé.
Dans cette perspective, ce ne sont pas les expériences populaires qui sont traversées par des lignes de clivage, mais les partis qui fabriquent artificiellement des oppositions là où il n’y aurait, dans l’état naturel du peuple, qu’une harmonie spontanée.
C’est ici que la référence à la « France d’en bas » prend tout son sens.
Cette « France d’en bas » n’est pas qu’un tic de langage : pour Samuel Hayat, elle est une figure de l’anti-politique car elle permet d’écraser toutes les autres lignes de division.
Si la France d’en bas est la France des 99 %, celle de Monsieur et de Madame Tout-le-Monde, alors les fractures que le débat public met en avant — entre blancs et racisés, entre femmes et hommes, entre métropoles et périphéries, entre gauche et droite — peuvent être rabattues sur de simples manœuvres de division. La « vraie » ligne de partage passerait alors entre ceux d’en bas et ceux d’en haut ; le reste serait secondaire, voire mensonger.
Le geste anti-politique est net : il refuse de reconnaître la pluralité des conflits qui traversent la société pour mieux poser un peuple unifié, porteur d’un message unique que les partis « nous empêchent d’entendre ».
Le « chantage démocratique »
Troisième et dernière dimension : en revendiquant un « chantage démocratique », Patrick Sébastien fait de l’anti-politique une forme pleinement agissante.
« L’anti-politique, précise Samuel Hayat, ce n’est pas l’apolitisme, ce n’est pas la sortie du politique. C’est plutôt l’idée de faire du peuple une force d’opposition à la politique. C’est bien ce qui est en jeu ici : en faisant du chantage, on va forcer les candidats à écouter le peuple. »
Ce qui se joue avec l’auteur de Même pas peur n’est pas une forme de désertion, mais une mise en demeure permanente : au nom d’un peuple présenté comme immédiatement présent dans les doléances, les mails, les témoignages, on intime aux responsables politiques de se conformer à cette parole supposée brute, sous peine de se voir aussitôt disqualifiés comme ennemis du peuple.
La séquence des cahiers de doléances et du Grand débat national, à la suite des Gilets jaunes, donne une matrice à Patrick Sébastien : faire émerger la parole du peuple non plus sous la forme d’un vote tranché, mais d’une myriade de petits récits, de fragments d’expériences, que l’on oppose ensuite à la politique ordinaire.
Dans ce dispositif, un porte-parole antipolitique est nécessaire — une personne capable de se présenter comme totalement désintéressée et impartiale, qui puisse assembler ces morceaux disparates en « volonté du peuple » tout en restant ostensiblement extérieur au jeu partisan. « Si j’osais, s’amuse Hayat, je dirais que Patrick Sébastien n’est pas loin de la figure d’impartialité du législateur chez Rousseau, c’est-à-dire quelqu’un qui est au-dessus du reste. » « Mais ce qui est intéressant avec lui, conclut-il, c’est que ce qui crée son extériorité : c’est sa figure de Bouffon. »
Toutes les pièces peuvent ainsi s’imbriquer.
Face à Bardella, un double « effet Sébastien »
À l’issue de cette étude, il convient de se demander quels effets politiques peuvent produire ces procédés.
En France, on conclut trop souvent que tout phénomène émergent dans la société française va nécessairement « favoriser l’extrême-droite ». Sur le plan des idées, c’est en effet une issue probable — étant donné la normalisation des positions extrêmes tenues dans le débat public. Sur le plan des incarnations politiques, toutefois, Patrick Sébastien pourrait, en continuant d’exister durablement dans l’opinion, affaiblir une personnalité comme Jordan Bardella.
On a souvent décrit la candidature d’Éric Zemmour comme un élargissement considérable de la fenêtre d’Overton au service de Marine Le Pen : en poussant le curseur idéologique très loin à droite, Zemmour a rendu le lepénisme plus présentable, par un effet de contraste.
En d’autres termes, Éric Zemmour a déplacé le centre de gravité du débat, si bien que ce qui paraissait hier radical est apparu, en 2022, comme une option moins extrême que le zemmourisme. Marine Le Pen n’a pas changé de projet ; c’est la focale qui a bougé.
La séquence en cours pourrait en vérité produire un effet symétrique exactement inverse, et Patrick Sébastien pourrait faire l’effet d’un boomerang sur une candidature Bardella.
Au lieu d’élargir le champ de normalité, il pourrait rappeler à quel point le président du RN est, malgré sa rhétorique « populaire », un produit d’élite parlant au nom d’un peuple dont il ne partage ni l’âge, ni les codes, ni les lieux de sociabilité.
Patrick Sébastien pourrait, en continuant d’exister durablement dans l’opinion, affaiblir une personnalité comme Jordan Bardella.
Raphaël Llorca
Esthétique du « boomerisme »
Le premier effet que pourrait produire Patrick Sébastien serait celui d’un dévoilement générationnel.
La France est démographiquement un pays bien plus « boomerisé » qu’on ne veut le croire : le décalage est patent entre l’image idéalisée qu’on peut projeter de sa population et la réalité démographique.
La France a élu en 2017 le plus jeune président de son histoire politique depuis Louis-Napoléon Bonaparte, mais compte désormais davantage de personnes de plus de 60 ans que de moins de 20 ans ; le pays devrait voir cette année, pour la première fois depuis 1944, le nombre des décès surpasser celui des naissances — alors même que beaucoup de Français estiment que leur pays est l’un des plus fertiles d’Europe.
L’économiste Maxime Sbaihi le résume : « La France est un pays de vieux qui se prend pour un pays de jeunes. »
Sur le temps long, une telle pyramide des âges ne pouvait pas ne pas produire des effets politiques : l’irruption de Patrick Sébastien dans le champ politique peut être analysée comme une tentative de constitution de ce qu’on pourrait appeler le « boomerisme ».
Le « boomerisme » est d’abord une esthétique.
Chez Patrick Sébastien, elle s’incarne dans une chemise à fleurs, une barbichette, des cheveux blancs et des couleurs éclatantes. L’homme dit fumer « deux paquets de cigarettes par jour » et passer son samedi après-midi devant le Top 14 à la télé. Ces traits ne sont pas loin du persona marketing qu’une agence média pourrait créer à la va-vite pour cibler ses audiences de plus de soixante-dix ans.
Cette caricature apparente colle cependant trop au réel pour être négligée : Patrick Sébastien est l’âge vrai de la France qui vote, la classe d’âge des 50—75 ans — une génération qui remplit les urnes, tient les bureaux de vote et suit les soirées électorales. Il rappelle brutalement, en le plaçant au premier plan, que le centre de gravité électoral n’est pas sur TikTok mais dans les lotissements, les pavillons, les bourgs où l’on connaît par cœur « Les sardines » et « Tourner les serviettes ».
Dans ce miroir, Jordan Bardella paraît pour ce qu’il est : très jeune, et même trop jeune esthétiquement minoritaire, avec son look de trentenaire urbain, ses costumes cintrés, sa musculature en perpétuel développement. Sociologiquement, le voici décentré par rapport au cœur de l’électorat RN, dont l’âge est supérieur au sien.
Le « boomerisme » de Patrick Sébastien ne rajeunit pas le RN : il vieillit le pays, il donne à voir une France grisonnante, et, ce faisant, juvénilise Bardella, le rendant presque étranger au plus grand nombre.
Le fantasme d’une France populaire
Le second effet que pourrait produire Patrick Sébastien est un dévoilement de classe.
Il incarne frontalement la France populaire telle qu’elle se fantasme : accent du Sud-Ouest, codes ruraux et périurbains, fêtes de village, chanson de comptoir, gauloiseries et cabaret télévisuel. Tout, chez lui, crie le bar PMU et le comité des fêtes.
Dans ce décor, Bardella, pourtant porte-parole autoproclamé des classes populaires est démasqué : l’on ne voit plus qu’un jeune homme de la région parisienne, sur-articulé, parfaitement à l’aise avec les codes mondains, ses lieux branchés et ses célébrités 22.
Lorsque Sébastien raconte des histoires dans ses livres, elles sont souvent poignantes ; il y parle de gamins paumés, de couples qui explosent, de copains morts, de soirées qui finissent mal ; il met des noms, des lieux, des odeurs, des dialogues, et l’on sent la vie, la honte, la fierté, la crasse et la tendresse. C’est un témoignage et non un discours.
À l’inverse, quand Jordan Bardella publie en 2025 Ce que veulent les Français, tout, dans le dispositif, respire l’opération de positionnement : titre programmatique, segmentation des « attentes », promesse d’épouser une demande supposée homogène. Là où Patrick Sébastien part d’histoires concrètes pour laisser remonter une expérience, on a le sentiment que Jordan Bardella plaque un récit pré-écrit sur des catégories d’électeurs 23.
Quand Sébastien donne l’impression de partir du bas vers le haut, Bardella, lui, semble aller du haut vers le bas. Dans ce jeu de miroir, l’authenticité rugueuse de l’un rend d’autant plus visibles les ficelles marketing de l’autre : le premier écrit avec ses cicatrices, le second avec son équipe de com’.
Plus l’animateur mobilise un narratif du « peuple d’en bas », et plus le président du RN est renvoyé à l’image d’un professionnel de la parole politique, parfaitement inséré dans les élites médiatico-partisanes.
Un remake du Grand Bluff
Dans L’École des dictateurs 24, fable politique parue en 1938, Ignazio Silone met en scène un aspirant dictateur américain, M. Double Vé, venu en Europe pour s’enquérir de la meilleure méthode pour instaurer le fascisme aux États-Unis.
Au fil de ses entretiens, on lui parle de la personnalité des dictateurs du XXe siècle : « Ce n’est point qu’ils aient été intellectuellement plus à jour, lui dit-on, mais ils étaient des hommes nouveaux, des hommes d’instinct, engagés jusqu’au cou dans la nouvelle réalité sociale. »
Il serait plutôt baroque que Patrick Sébastien entame une carrière de dictateur à l’âge de soixante-douze ans. Mais il convient précisément de se méfier des individus qui se définissent, précisément, comme « engagés jusqu’au cou dans la nouvelle réalité sociale ».
Trente ans après, le titre de l’émission qui a fait entrer Sébastien dans l’histoire de la télévision française devrait être compris autrement.
En 1992, Le Grand Bluff consistait à piéger le petit monde de l’audiovisuel français avec des perruques et des faux nez : en 2025, avec « Ça suffit », c’est la représentation des classes populaires elle-même que l’animateur est en train de flouer.
Le personnage que Patrick Sébastien met en scène est celui d’un homme qui jure ne jamais vouloir du pouvoir, tout en construisant patiemment une position de porte-parole ; un « président de la fête » qui recycle son capital de popularité pour prétendre dire « ce que les gens pensent vraiment » ; un animateur vedette qui se targue d’être le seul à parler sérieusement au nom de « ceux d’en bas ».
Le bluff réside dans cette prétention à l’authenticité absolue, alors même que tout, dans le dispositif, relève d’une mise en scène — les classeurs de mails imprimés, les vidéos tournées à l’iPhone, les confidences intimes savamment distillées, les formules répétées en boucle sur tous les plateaux.
Patrick Sébastien est l’âge vrai de la France qui vote.
Raphaël Llorca
Comme en 1992, Patrick Sébastien joue sur un double registre : il dévoile les ficelles du spectacle politique en en proposant un autre, présenté comme plus vrai, plus brut, plus « populaire ».
Ce grand bluff ne se réduit pourtant pas à sa personne ; il tient aussi à ce que nous avons collectivement accepté de regarder sans broncher.
Nous avons laissé prospérer un « réalisme populiste » où tout ce qui se réclame du peuple vaut d’emblée comme réalité indiscutable.
Nous avons sacralisé les classes populaires au point de ne plus oser contester les discours les plus extrêmes dès lors qu’ils sont enveloppés dans les bons référents culturels.
Nous avons laissé s’installer l’idée qu’un animateur de télévision pourrait, sans contradiction, devenir la bouche unique d’une France qui « en a marre », sans jamais être renvoyé à ses propres angles morts.
Le bluff, ici, consiste à faire croire que la simple sincérité supposée de l’émetteur suffit à valider le contenu de ce qu’il dit.
Au long de son parcours, on le voit tenter de transférer un capital d’authenticité construit dans le monde du spectacle vers le champ politique — et ce au travers de ses métamorphoses successives : roi de la fête, coach anti-peur, figure de l’« anti-politique démocratique ».
À chaque étape, la même ambiguïté se manifeste : Sébastien capte quelque chose de très réel — la solitude politique des classes populaires, l’effondrement des corps intermédiaires, l’épuisement de l’offre partisane —, mais le recompose à sa main, en effaçant les conflits, en absolutisant la « France d’en bas », en transformant des colères situées en bon sens indiscutable.
C’est ici que le grand bluff devient dangereux : lorsqu’il ne piège plus seulement les puissants, mais qu’il prétend engager, au nom de ceux qu’il dit représenter, des glissements de norme que l’on aurait jugés impensables il y a encore quelques années — qu’il s’agisse de peine de mort, de sécurité ou de vengeance.
Sources
- Augustin Scalbert, « Patrick Sébastien : ‘Populiste, pour moi, c’est pas péjoratif’ », Le Nouvel Obs, 10 avril 2010.
- Enquête Toluna/Harris Interactive, « L’Opinion des Français à l’égard de la Présidentielle », Vague 4, novembre 2025.
- Patrick Sébastien, Facebook, 28 octobre 2025.
- Patrick Sébastien, Facebook, 19 novembre 2025.
- Barbara Stiegler, « Il faut s’adapter » : sur un nouvel impératif politique, Paris, Gallimard, 2019.
- Giuliano da Empoli, Les ingénieurs du chaos, Paris, JC Lattès, 2019.
- Entretien avec l’auteur, le 5 décembre 2025. Voir aussi Olivier Tesquet, Nastasia Hadjadj, Apocalypse Nerds : comment les technofascistes ont pris le pouvoir, Paris, Éditions Divergences, 2025.
- Jean Delumeau, La Peur en Occident : XIVe–XVIIIe siècles, Paris, Fayard, 1978.
- Entretien avec l’auteur, le 4 décembre 2025.
- Denis Maillard, Une colère française, Paris, Éditions de l’Observatoire, 2019.
- Entretien avec l’auteur, le 1er décembre 2025.
- Sandra Billington, A Social History of the Fool, The Harvester Press, 1984.
- Promesse d’« une totale liberté », où « Il y aurait du bonheur, tous les jours du bonheur ».
- Sud Radio, Youtube, 27 novembre 2025.
- Lors d’entretiens qualitatifs menés avec Destin Commun, j’ai été régulièrement frappé de constater que le nom de Coluche ressortait spontanément, près de quarante ans après sa mort. Ces entretiens de deux heures, dits focus group, furent menés avec des groupes de six Français dans le but de leur faire parler de leurs ressentis et de leurs réflexions sur un ensemble de thématiques et de questionnements relatifs à la société française.
- « Je suis désolé, mais je connais très peu de gens qui diraient non », in BangerZ, Youtube, 6 décembre 2025.
- La fenêtre d’Overton désigne l’ensemble des idées et pratiques considérées comme plus ou moins acceptables par l’opinion publique d’une société donnée.
- Christophe Guilluy, La France périphérique, Paris, Flammarion, 2014.
- Zoom Zoom Zen, France Inter, 1er septembre 2025.
- Entretien avec l’auteur, le 9 décembre 2025. Les propos qui suivent sont tirés de cette même interview.
- Hayat distingue également d’autres formes non démocratiques de l’anti-politique : ainsi, par exemple, du gouvernement des experts.
- Une récente enquête dans Libération décrit un dîner au Thoumieux, un resto-hôtel chic du VIIe arrondissement de Paris, en compagnie des ex-animateurs de C8 Cyril Hanouna et Jordan Deluxe : Nicolas Massol, « Contrôle de son image, relations tendues avec Marine Le Pen… Enquête sous le vernis Bardella », Libération, 12 décembre 2025. Le journaliste concluait, acide, que c’était là pour Jordan Bardella « son vrai monde, finalement ».
- La même enquête de Libération (Nicolas Massol, « Contrôle de son image, relations tendues avec Marine Le Pen… Enquête sous le vernis Bardella », op. cit.) précise qu’il fallut beaucoup d’efforts à Jordan Bardella pour trouver vingt personnes avec qui s’entretenir dans son livre. Incapable de trouver un représentant de la magistrature, Bardella a fini par demander en catastrophe à une eurodéputée RN de bien vouloir jouer le rôle de citoyenne.
- Ignazio Silone, L’École des dictateurs, trad. Jean-Paul Samson, Paris, Gallimard, 1964.