Donroe : le corollaire Trump à la doctrine Monroe
Pour atteindre l’Europe, Trump a « besoin » de passer par le continent américain.
En subvertissant la doctrine Monroe, il sert un projet impérial explicite.
Le grand contexte de la stratégie de sécurité nationale des États-Unis.
- Auteur
- Le Grand Continent
À l’occasion des 250 ans de la doctrine Monroe, la Maison Blanche a publié mardi un communiqué officiel 1 dans lequel Donald Trump affirme son attachement à ce pilier structurant de la politique étrangère états-unienne, mais aussi son intention de l’actualiser en la complétant par un « corollaire Trump ».
Lorsque le président James Monroe prononce, le 2 décembre 1823, son discours sur l’état de l’Union, les États-Unis sont un pays jeune dont le territoire n’a pas encore atteint ses dimensions actuelles. Une décennie plus tôt, les puissances impériales ibériques longtemps prédominantes en Amérique ont commencé à s’effondrer, permettant l’apparition de nouveaux États indépendants sur le continent.
C’est dans ce contexte que le président Monroe annonce à ses concitoyens, aux habitants du continent américain et au reste du monde, que son pays entend désormais agir pour accélérer et pérenniser cette dynamique de reflux des impérialismes exogènes en terres américaines. Posant les États-Unis en garants de l’indépendance de l’ensemble du continent américain, il avertit les puissances extra-américaines qu’il ne tolérera plus de tentatives de prédations impériales de leur part sur le continent.
La doctrine Monroe est fondamentalement ambiguë. En affirmant que les États-Unis protégeront désormais l’indépendance du continent américain dans son ensemble, elle fait d’eux une puissance qui se veut fraternelle et solidaire à l’égard des autres peuples américains. Cette promesse en apparence altruiste recouvre en fait une dimension doublement égoïste : en premier lieu, ce n’est pas tant pour aider les autres Américains que pour sécuriser leur voisinage et se protéger eux-mêmes que les États-Unis décident de sanctuariser leur continent. En second lieu, cette doctrine affirme de manière implicite que les États-Unis sont par nature la puissance hégémonique aux Amériques et ont vocation à le demeurer.
La doctrine Monroe prétend donc interdire les ingérences extra-américaines, et notamment européennes, dans l’hémisphère occidental ; mais elle se garde bien d’évoquer les ingérences que les États-Unis pourraient eux-mêmes être conduits à exercer dans les affaires des autres pays américains. Cette ambiguïté ouvre une brèche dans laquelle s’engouffre en 1904 le président Theodore Roosevelt.
Adjoignant son « corollaire » à la doctrine Monroe, il affirme le droit des États-Unis à intervenir partout où ils l’estiment nécessaire en Amérique pour mieux défendre le continent des menaces que le reste du monde pourrait faire peser sur lui. La violation par les États-Unis de la souveraineté des autres États américains est ainsi présentée comme un mal nécessaire, le prix à payer pour garantir l’indépendance du continent américain à l’égard du reste du monde.
Là où la doctrine Monroe entendait sacraliser l’indépendance des États américains à l’égard du reste du monde, le corollaire Roosevelt entérine la prééminence de l’un d’entre eux — les États-Unis — sur les autres.
Dans l’interprétation que donne Trump de la doctrine Monroe, c’est ce même glissement que l’on constate — divergeant, plus radicalement encore, de son sens originel.
Le 2 décembre 1823, la doctrine de la souveraineté américaine a été gravée dans la roche lorsque le président James Monroe a déclaré devant la nation une vérité simple qui a résonné à travers les âges : les États-Unis ne failliront jamais à défendre leur patrie, leurs intérêts ou le bien-être de leurs citoyens.
Contrairement à nombre de ses prédécesseurs, Donald Trump ne cherche pas à jouer sur l’ambiguïté permise par l’adjectif anglais american : la « souveraineté américaine » qu’il célèbre est clairement celle des seuls États-Unis et non de l’ensemble du continent américain. Ce sont la patrie, les intérêts et le bien-être des seuls citoyens états-uniens qui le préoccupent.
Le 2 décembre 1823, la doctrine de la souveraineté américaine a été gravée dans la roche lorsque le président James Monroe a déclaré devant la nation une vérité simple qui a résonné à travers les âges : les États-Unis ne failliront jamais à défendre leur patrie, leurs intérêts ou le bien-être de leurs citoyens.
Contrairement à nombre de ses prédécesseurs, Donald Trump ne cherche pas à jouer sur l’ambiguïté permise par l’adjectif anglais american : la « souveraineté américaine » qu’il célèbre est clairement celle des seuls États-Unis et non de l’ensemble du continent américain. Ce sont la patrie, les intérêts et le bien-être des seuls citoyens états-uniens qui le préoccupent.
Aujourd’hui, mon administration réaffirme fièrement cette promesse dans le cadre d’un nouveau « corollaire Trump » à la doctrine Monroe : c’est le peuple américain et non les nations étrangères ou les institutions mondialistes, qui contrôlera toujours son propre destin dans notre hémisphère.
La formule « corollaire Trump » est une allusion directe au corollaire Roosevelt de 1904. Dans les deux cas, il s’agit d’infléchir la politique étrangère états-unienne. Mais de présenter ce changement non pas comme une nouveauté, mais comme une simple actualisation, qui découlerait de la doctrine Monroe sans la remettre fondamentalement en cause.
Il y a plus de deux siècles, le président Monroe a proclamé devant le Congrès américain ce qui est aujourd’hui connu sous le nom de « doctrine Monroe », une politique audacieuse rejetant l’ingérence des nations lointaines et affirmant avec confiance le leadership des États-Unis au sein de l’hémisphère occidental.
Donald Trump expose ici une interprétation impérialiste assumée de la doctrine Monroe. Il ne cherche pas comme certains de ses prédécesseurs à la présenter comme une opposition de principe aux ingérences étrangères en Amérique : les seules qu’il dénonce sont celles provenant des « nations lointaines », autrement dit non américaines. C’est là une manière de légitimer en creux les ingérences proches, autrement dit provenant des États-Unis eux-mêmes.
« Les territoires américains, en vertu de la liberté et de l’indépendance qu’ils ont acquises et maintenues, ne doivent désormais plus être considérés comme des sujets de colonisation future par aucune puissance européenne », a déclaré le président Monroe. Grâce à ces paroles puissantes, toutes les nations ont compris que les États-Unis d’Amérique étaient en train de devenir une superpuissance sans précédent dans l’histoire du monde, et que rien ne pourrait jamais rivaliser avec la force, l’unité et la détermination d’un peuple épris de liberté.
Donald Trump livre ici une lecture anachronique de la doctrine Monroe.
Au moment où cette doctrine a été énoncée, les États-Unis étaient loin de disposer des moyens de la faire appliquer : de nombreuses puissances européennes conservaient alors des colonies en Amérique. Durant des décennies, ces puissances ont continué à intervenir dans les affaires américaines sans que les États-Unis ne puissent s’y opposer.
Ce n’est qu’au XXe siècle que les États-Unis sont devenus la « superpuissance » dont parle ici Donald Trump — faisant des recommandations du président Monroe une réalité.
Au cours des siècles qui ont suivi, la doctrine de souveraineté du président Monroe a protégé les territoires américains contre le communisme, le fascisme et les atteintes étrangères. En tant que 47e président des États-Unis, je réaffirme fièrement cette politique éprouvée par le temps. Depuis mon entrée en fonction, j’ai mené une politique agressive donnant la priorité à l’Amérique et prônant la paix par la force. Nous avons rétabli l’accès privilégié des États-Unis au canal de Panama. Nous rétablissons la domination maritime américaine. Nous mettons fin aux pratiques non conformes au marché dans les secteurs de la chaîne d’approvisionnement internationale et de la logistique.
Dans ce paragraphe, Donald Trump inscrit sa politique dans le sillage de celle de Theodore Roosevelt plus que dans celui de James Monroe. La « politique agressive » qu’il revendique fait en effet écho au « gros bâton » (big stick) dont Roosevelt menaçait ceux qui prétendraient résister à la puissance états-unienne.
Mon administration met également un terme à l’afflux de drogues mortelles qui transitent par le Mexique, à l’invasion d’immigrants clandestins le long de notre frontière sud ; nous démantelons les réseaux narco-terroristes dans tout l’hémisphère occidental. Afin de défendre les travailleurs et les industries de notre nation, j’ai récemment conclu des accords commerciaux historiques avec le Salvador, l’Argentine, l’Équateur et le Guatemala, permettant un accès plus large et plus fluide au marché. Revigorée par mon corollaire Trump, la doctrine Monroe est bien vivante, et le leadership américain fait son retour, plus fort que jamais.
Dans ce paragraphe, Donald Trump justifie sa politique ingérente et agressive en Amérique latine en la présentant comme découlant des principes édictés en 1823 par Monroe, qu’il assume de réinterpréter en lui adjoignant ce qu’il appelle un « corollaire Trump ».
Aujourd’hui, nous renouvelons notre engagement à toujours faire passer la souveraineté, la sécurité et la sûreté américaines avant tout. Par-dessus tout, nous nous engageons à protéger notre précieux héritage national d’autonomie républicaine contre toutes les menaces, étrangères et intérieures.
La mention de « menaces intérieures » à l’encontre de l’héritage national états-unien constitue une forme de détournement de la doctrine Monroe, qui était tournée vers la prévention des menaces non seulement extra-états-uniennes, mais extra-américaines. Donald Trump tente ici d’utiliser la doctrine Monroe pour justifier sa politique intérieure répressive à l’égard de ses opposants.
Sources
- America 250 : Presidential Message on the Anniversary of the Monroe Doctrine, Maison-Blanche, 2 décembre 2025.