Ukraine : les contre-propositions européennes au plan Trump (texte intégral)

Obtenus par le quotidien britannique The Telegraph et par l'agence de presse Reuters, ces plans proposent, avec certaines différences, des conditions nettement moins favorables à la Russie de Poutine.

Nous les traduisons et analysons pour comprendre ce qui les différencie du plan Trump.

La contre-proposition rendue publique par Reuters a été « rédigée par les trois puissances européennes que sont la Grande-Bretagne, la France et l’Allemagne ».

Selon des sources diplomatiques européennes citées par CNN, il s’agirait de la version de référence.

Contrairement à la version publiée par The Telegraph (voir infra), elle s’appuie sur le plan américain, mais passe en revue point par point en proposant des modifications et des suppressions.

Le plan réaffirme d’abord la souveraineté de l’Ukraine et prévoit un accord de non-agression total entre l’Ukraine, la Russie et l’OTAN, tout en supprimant la clause américaine sur l’arrêt de l’expansion de l’Alliance. Après la signature d’un accord de paix, un dialogue Russie–OTAN serait instauré pour traiter les questions de sécurité. L’Ukraine recevrait des garanties de sécurité solides, dont une garantie américaine sur le type de l’article 5, assortie de conditions. 

L’armée ukrainienne serait limitée à 800 000 soldats en temps de paix, et l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN resterait soumise à un consensus — pour le moment tout à fait, inexistant. L’OTAN s’engagerait à ne pas stationner de troupes en Ukraine en temps de paix, tandis que des avions de chasse seraient basés en Pologne. L’Ukraine demeurerait non nucléaire au titre du TNP, et la centrale de Zaporijia serait redémarrée sous supervision de l’AIEA, l’électricité produite étant partagée entre Ukraine et Russie.

Si la proposition européenne maintient la mention selon laquelle l’Ukraine doit organiser des élections, elle supprime toutefois la date butoir de 100 jours présente dans le plan russo-américain. 

Le plan prévoit également un large volet économique et territorial. L’Ukraine bénéficierait à court terme d’un accès préférentiel au marché européen et deviendrait éligible à l’adhésion à l’Union européenne. 

Un programme complet de reconstruction et de développement serait mis en place, incluant un fonds de développement, la modernisation des infrastructures, la restauration des zones détruites, l’exploitation de ressources naturelles et un financement dédié de la Banque mondiale. 

La Russie serait progressivement réintégrée dans l’économie mondiale, avec des allègements de sanctions au cas par cas, un accord économique stratégique avec les États-Unis et un retour envisagé dans le G8. 

Sur les questions territoriales, l’Ukraine s’engagerait à ne pas reprendre par la force ses territoires occupés et les négociations débuteraient depuis la ligne de contact ; les futures frontières seraient garanties contre toute modification par la force. 

Le plan inclut aussi des dispositions sur la navigation sur le Dniepr et les exportations de céréales, la création d’un comité humanitaire pour échanges de prisonniers et réunification familiale, la tenue d’élections ukrainiennes, ainsi que la supervision et l’application de l’accord par un « Board of Peace » présidé par Donald J. Trump — sur le modèle du plan pour Gaza. Enfin, un cessez-le-feu immédiat entrerait en vigueur dès l’accord conclu et serait mis en œuvre sous supervision américaine.

Contre-proposition européenne en 28 points (version Reuters)

La souveraineté de l’Ukraine sera réaffirmée.

2 — Un accord de non-agression total et complet sera conclu entre la Russie, l’Ukraine et l’OTAN. Toutes les ambiguïtés des 30 dernières années seront résolues.

4 — Après la signature d’un accord de paix, un dialogue entre la Russie et l’OTAN sera engagé pour traiter toutes les questions de sécurité et créer un environnement propice à la désescalade afin de garantir la sécurité mondiale et d’accroître les possibilités de connectivité et de développement économique.

5 — L’Ukraine bénéficiera de garanties de sécurité solides.

6 — La taille de l’armée ukrainienne sera plafonnée à 800 000 militaires en temps de paix.

7 — L’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN dépend du consensus des membres de l’OTAN, qui n’existe pas.

8 — L’OTAN s’engage à ne pas stationner de manière permanente des troupes placées sous son commandement en Ukraine en temps de paix.

9 — Des avions de chasse de l’OTAN seront stationnés en Pologne.

10 — Garantie américaine similaire à l’article 5

a. Les États-Unis recevront une compensation pour cette garantie.

b. Si l’Ukraine envahit la Russie, elle perdra la garantie.

c. Si la Russie envahit l’Ukraine, outre une réponse militaire coordonnée et robuste, toutes les sanctions internationales seront rétablies et toute reconnaissance du nouveau territoire ainsi que tous les autres avantages découlant de cet accord seront retirés.

11 — L’Ukraine est éligible à l’adhésion à l’Union européenne et bénéficiera d’un accès préférentiel à court terme au marché européen pendant que sa candidature est évaluée.

12 — Un programme mondial robuste de reconstruction de l’Ukraine, comprenant notamment :

a. La création d’un fonds de développement de l’Ukraine pour investir dans les industries à forte croissance, notamment la technologie, les centres de données et l’’intelligence artificielle

b. Les États-Unis s’associeront à l’Ukraine pour restaurer, développer, moderniser et exploiter conjointement les infrastructures gazières ukrainiennes, notamment ses pipelines et ses installations de stockage

c. Un effort conjoint de reconstruction et modernisation des zones touchées par la guerre, des villes et zones résidentielles.

d. Le développement des infrastructures.

e. L’extraction des minerais et ressources naturelles.

f. Un programme de financement mis en place par la Banque mondiale pour accélérer ces efforts.

13 — Réintégration progressive de la Russie dans l’économie mondiale

a. L’allègement des sanctions sera discuté et convenu par étapes et au cas par cas.

b. Les États-Unis concluront un accord de coopération économique à long terme afin de poursuivre le développement mutuel dans les domaines de l’énergie, des ressources naturelles, des infrastructures, de l’IA, des centres de données, des terres rares, des projets communs dans l’Arctique, ainsi que diverses autres opportunités commerciales mutuellement avantageuses.

c. La Russie sera invitée à réintégrer le G8.

14 — L’Ukraine sera entièrement reconstruite et indemnisée financièrement, notamment grâce aux actifs souverains russes qui resteront gelés jusqu’à ce que la Russie indemnise l’Ukraine pour les dommages causés.

15 — Un groupe de travail conjoint sur la sécurité sera créé avec la participation des États-Unis, de l’Ukraine, de la Russie et des Européens afin de promouvoir et de faire respecter toutes les dispositions de cet accord.

16 — La Russie inscrira dans la loi une politique de non-agression envers l’Europe et l’Ukraine.

17 — Les États-Unis et la Russie conviennent de prolonger les traités de non-prolifération et de contrôle nucléaire, y compris Fair Start.

18 — L’Ukraine accepte de rester un État non nucléaire au titre du TNP.

19 — La centrale nucléaire de Zaporijia sera remise en service sous la supervision de l’AIEA, et l’électricité produite sera partagée équitablement (50-50) entre la Russie et l’Ukraine.

20 — L’Ukraine adoptera les règles de l’Union européenne en matière de tolérance religieuse et de protection des minorités linguistiques.

21— Territoires

L’Ukraine s’engage à ne pas récupérer militairement les territoires souverains occupés. Les négociations sur les échanges territoriaux commenceront à partir de la ligne de contact.

22 — Une fois que les futurs accords territoriaux auront été conclus, la Russie et l’Ukraine s’engagent à ne pas modifier ces accords par la force. Aucune garantie de sécurité ne s’appliquera en cas de violation de cette obligation.

23 — La Russie n’entravera pas l’utilisation du Dniepr par l’Ukraine à des fins commerciales, et des accords seront conclus pour permettre le libre transport des céréales par la mer Noire.

24 — Un comité humanitaire sera créé pour résoudre les questions en suspens :

a. Tous les prisonniers et corps restants seront échangés selon le principe « Tous contre tous »

b. Tous les détenus civils et otages seront libérés, y compris les enfants

c. Un programme de réunification familiale sera mis en place

d. Des dispositions seront prises pour répondre aux souffrances des victimes du conflit

25 — L’Ukraine organisera des élections dès que possible après la signature de l’accord de paix.

26 — Des dispositions seront prises pour soulager les souffrances des victimes du conflit.

27 — Cet accord sera juridiquement contraignant. Sa mise en œuvre sera supervisée et garantie par un Conseil de paix, présidé par le président Donald J. Trump. Des sanctions seront prévues en cas de violation.

28 — Une fois que toutes les parties auront accepté ce mémorandum, un cessez-le-feu entrera immédiatement en vigueur dès que les deux parties se seront retirées aux points convenus pour que la mise en œuvre de l’accord puisse commencer. Les modalités du cessez-le-feu, y compris le contrôle, seront convenues par les deux parties sous la supervision des États-Unis.

Contre-proposition européenne en 24 points (version The Telegraph)

Le plan européen dans la version rendue publique par The Telegraph pour mettre fin à la guerre en Ukraine se comprend comme une alternative beaucoup plus favorable à Kyiv que la proposition américaine portée par l’équipe Trump. 

Là où Washington envisage des concessions territoriales importantes à la Russie et des limitations pour l’armée ukrainienne — 600 000 de soldats —, le document européen insiste sur le respect de la souveraineté ukrainienne (mais ouvre la possibilité d’une limitation de l’armée à 800 000 en temps de paix), un cessez-le-feu immédiat et inconditionnel préalable à toute négociation sur des cessions territoriales, ainsi que des garanties de sécurité impliquant les États-Unis et plusieurs États européens. 

C’est sur les questions territoriales que le contraste est le plus marqué : alors que le plan Trump — avalisant largement les exigences de Vladimir Poutine — prévoit une reconnaissance de facto de l’annexion russe de plusieurs régions (la Crimée ainsi que les oblasts de Donetsk et Louhansk) et le gel de nouvelles zones sous contrôle russe, le plan européen renvoie toute négociation territoriale à l’après-cessez-le-feu. 

Il refuse d’entériner les gains russes et pose comme priorité la cessation des hostilités, sous supervision américano-européenne.

De plus, les Européens n’imposent pas de plafond strict à la présence militaire ukrainienne, et ne bloquent ni l’intégration éventuelle à l’OTAN ni la présence de forces étrangères amies sur le territoire ukrainien.

Enfin, alors que les propositions américaines se montrent très conciliantes envers Moscou — levée progressive des sanctions, réintégration économique, possible retour au G8 et coopération stratégique dans l’énergie ou l’intelligence artificielle — le plan européen subordonne tout allègement des sanctions à un respect strict du cessez-le-feu, avec un mécanisme automatique de réimposition en cas de violation. L’Europe met également l’accent sur la reconstruction complète de l’Ukraine et la compensation via les actifs souverains russes gelés. C’est une rupture totale avec le plan Trump qui ferait payer le coût de la reconstruction de l’Ukraine à l’Europe — tout en en faisant bénéficier Moscou.

Conformément au plan russo-américain, les Européens auraient accepté le retour de la Russie au sein du G8, une concession majeure qui permettrait au président russe de revenir sur le sol français dès 2026, la France organisant le prochain sommet.

1 — Fin de la guerre et dispositions pour garantir qu’elle ne se répète pas, afin d’établir une base permanente pour une paix et une sécurité durables.

2 — Les deux parties au conflit s’engagent à un cessez-le-feu complet et inconditionnel dans les airs, sur terre et en mer.

3 — Les deux parties entament immédiatement des négociations sur la mise en œuvre technique du contrôle du cessez-le-feu, avec la participation des États-Unis et des pays européens.

4 — Un mécanisme international de surveillance du cessez-le-feu, dirigé par les États-Unis et assuré par les partenaires de l’Ukraine, est mis en place. La surveillance sera majoritairement à distance grâce aux satellites, drones et autres outils technologiques, avec un volet flexible sur le terrain pour enquêter sur les violations présumées.

5 — Un mécanisme sera créé pour permettre aux parties de signaler les violations du cessez-le-feu, d’enquêter sur celles-ci et de discuter des mesures correctives.

6 — La Russie renvoie sans condition tous les enfants ukrainiens déportés et déplacés illégalement. Le processus sera soutenu par des partenaires internationaux.

7 — Les parties au conflit procèdent à un échange de tous les prisonniers de guerre (principe du « tous contre tous »). La Russie libère tous les détenus civils.

8 — Après s’être assurées de la durabilité du cessez-le-feu, les parties prennent des mesures d’aide humanitaire, notamment des visites familiales de part et d’autre de la ligne de contact.

9 — La souveraineté de l’Ukraine est respectée et réaffirmée. L’Ukraine n’est pas forcée à la neutralité.

10 — L’Ukraine reçoit des garanties de sécurité solides et juridiquement contraignantes, y compris de la part des États-Unis (un accord de type Article 5), afin de prévenir toute future agression.

11 — Aucune restriction n’est imposée aux forces de défense ukrainiennes ni à l’industrie de défense ukrainienne, y compris en ce qui concerne la coopération internationale.

12 — Les États garants constitueront un groupe ad hoc de pays européens et de pays non européens volontaires. L’Ukraine demeure libre de décider de la présence, des armements et des opérations des forces amies invitées par son gouvernement sur son territoire.

13 — L’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN dépend du consensus au sein de l’Alliance.

14 — L’Ukraine devient membre de l’Union européenne.

15 — L’Ukraine est prête à rester un État non nucléaire dans le cadre du TNP.

16 — Les questions territoriales seront discutées et résolues après un cessez-le-feu complet et inconditionnel.

17 — Les négociations territoriales partent de la ligne de contrôle actuelle.

18 — Une fois les questions territoriales réglées, la Russie et l’Ukraine s’engagent à ne pas modifier ces frontières par la force.

19 — L’Ukraine reprend le contrôle de la centrale nucléaire de Zaporijia (avec participation américaine), ainsi que du barrage de Kakhovka. Un mécanisme de transfert de contrôle sera établi.

20 — L’Ukraine bénéficie de passages sans entrave sur le fleuve Dnipro et du contrôle de l’isthme de Kinburn.

21 — L’Ukraine et ses partenaires mettent en œuvre une coopération économique sans restrictions.

22 — L’Ukraine sera entièrement reconstruite et indemnisée financièrement, notamment grâce aux avoirs souverains russes qui resteront gelés jusqu’à ce que la Russie compense les dommages causés à l’Ukraine.

23 — Les sanctions imposées à la Russie depuis 2014 pourront faire l’objet d’un allègement progressif et partiel après l’établissement d’une paix durable, et pourront être réimposées en cas de violation de l’accord de paix (mécanisme de « snapback »).

24 — Des discussions séparées s’ouvriront sur l’architecture de sécurité européenne, incluant tous les États de l’OSCE.

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