Les conférences NatCon (diminutif de « National Conservatism ») sont devenues en moins de six ans l’effort d’institutionnalisation le plus visible du mouvement national-conservateur américain — et certainement le plus attendu par de nombreux universitaires, commentateurs, journalistes et théologiens ayant contribué à fournir au trumpisme un socle idéologique.
Tout d’abord, quelques chiffres sur la cinquième conférence annuelle de la Fondation Edmund Burke, dirigée par Yoram Hazony, qui se tient du 2 au 4 septembre à Washington.
- Sur trois jours, 102 speakers (sans compter les modérateurs) prendront la parole au cours de 25 sessions plénières et ateliers (breakout session). L’an dernier, la conférence comptait 96 intervenants.
- Ces derniers sont très majoritairement des hommes : ils représentent cette année 89 % des intervenants (soit 91 hommes) contre seulement 11 % pour les femmes.
- L’équilibre était sensiblement similaire en 2024 (90 % d’hommes pour 10 % de femmes).
- Sur les 102 intervenants de cette année, près d’un tiers (30) étaient déjà présents en 2024.
- Parmi eux, on retrouve notamment le président de la Heritage Foundation Kevin Roberts, le sénateur républicain du Missouri Josh Hawley, l’influenceur MAGA Jack Posobiec ou bien John Eastman, senior fellow au Claremont Institute.
- Le nombre d’intervenants non-Américains, qui ne représentaient l’an dernier que 21 % des speakers (soit 76 Américains sur 96), a davantage reculé.
- Cette année, les Américains représentent 94 des 102 speakers de la conférence, soit environ 92 %.
- Parmi les intervenants non-Américains, le nombre d’Européens a notamment été divisé par 3. Ces derniers représentaient 9 % en 2024, contre moins de 3 % cette année.
L’ambiance de la conférence devrait être globalement triomphante. Lors de la première intervention, mardi 2 septembre, Rachel Bovard s’est félicitée des actions entreprises par l’administration Trump concernant l’immigration illégale, la réduction des dépenses fédérales et la fin des subventions et aides destinées « à la gauche » (à comprendre la recherche scientifique, les médias, institutions culturelles, l’aide à l’étranger…)
- Toutefois, certaines thématiques devraient faire l’objet de discussions et débats susceptibles de nourrir la politique et les orientations de l’administration Trump au cours des prochaines années.
- Parmi les figures importantes prenant part à la conférence cette année, figurent notamment Tulsi Gabbard, Russell Vought, Tom Homan, Jamieson Greer, Jim Banks ou encore Steve Bannon.
Plusieurs thématiques sont à suivre.
Mariage homosexuel
Demain, mercredi 3, un panel entier sera dédié au « renversement » d’Obergefell v. Hodges, un arrêt de la Cour suprême de 2015 qui garantit le mariage homosexuel à l’échelle fédérale comme relevant d’un droit constitutionnel.
- Katy Faust, fondatrice et présidente de « Them Before Us », un groupe qui défend « le droit des enfants à avoir leurs parents biologiques », figurera notamment au sein du panel.
- Celle-ci avait déclaré la semaine dernière au média en ligne conservateur The Federalist : « Dans le monde post-Obergefell, ce n’est pas seulement le mariage qui a été redéfini. C’est aussi la parentalité, l’infertilité et les relations familiales naturelles » 1.
- Elle ajoute : « Les enfants ne sont pas des marchandises. Ce sont des êtres humains. Ils ont des droits naturels fondamentaux. Le premier d’entre eux est leur droit à la vie. Mais le deuxième est leur droit d’être connus et aimés à la fois par leur mère et leur père ».
- L’auteur du mémo qui avait servi de base à la tentative de contestation des résultats de l’élection de 2020 et à l’assaut du Capitole ayant suivi le 6 janvier 2021, John Eastman, prendra également part à la discussion.
Bien que désormais soutenue par 40 % des électeurs républicains — un chiffre toutefois en baisse de près de 15 points depuis 2022 2 —, la protection constitutionnelle du mariage homosexuel pourrait être reconsidérée voire renversée par la Cour si celle-ci se saisit de la requête adressée au début du mois par Kim Davis, ancienne greffière du Kentucky qui avait refusé en 2015 de délivrer un certificat de mariage à un couple homosexuel, citant des « raisons religieuses » 3.
Architecture et design
Depuis son retour au pouvoir, Donald Trump a investi une part importante de son temps à vouloir imposer un « style » MAGA : celui-ci se retrouve dans les tenues vestimentaires des membres de son administration, dans des événements officiels comme lors du défilé militaire du 14 juin, mais également dans l’architecture même de la capitale fédérale et la décoration de la Maison-Blanche.
- Jeudi dernier, le 28 août, Trump a signé un décret présidentiel visant à « RENDRE L’ARCHITECTURE FÉDÉRALE À NOUVEAU BELLE ».
- Celui-ci consistera à « mettre l’accent principalement sur le choix de conceptions qui incarnent l’excellence architecturale » et aboutira à la création du poste de « conseiller principal en conception architecturale » 4.
- Ce dernier aura pour mission de « donner des conseils sur les normes architecturales et de fournir des orientations lors des évaluations de conception ou des jurys de conception ».
- Demain, lors de son intervention intitulée « Définir le caractère républicain de l’Amérique à travers l’architecture classique », le critique d’architecture Justin Shubow devrait défendre sa thèse du retour à une architecture s’inscrivant dans une contre-révolution esthétique et culturelle dirigée « contre le modernisme libéral ».

En à peine plus de six mois, Trump a quasi-entièrement redécoré le Bureau ovale avec des dorures qui détonnent avec les décorations de ses prédécesseurs. Comme l’explique Cole Stangler dans un entretien publié dans nos pages : « Chez Trump, le style fonctionne comme un outil stratégique. Il ne s’agit pas seulement d’esthétique ou de goût personnel : il s’agit d’un vecteur de cohésion pour sa coalition et d’un moyen de communication puissant, au même titre que ses idées ou ses politiques ».
Suppression du droit du sol
L’administration Trump a tenté de supprimer le droit du sol dès le premier jour de son retour au pouvoir, le 20 janvier. En signant un décret présidentiel intitulé « PROTÉGER LA SIGNIFICATION ET LA VALEUR DE LA CITOYENNETÉ AMÉRICAINE », le président républicain a tenté de mettre fin à un droit garanti par le XIVe amendement de la Constitution.
- Malgré une décision rendue le 27 juin par la Cour suprême offrant une victoire en demi-teinte pour l’administration, l’objectif de mettre fin au droit du sol est loin d’être atteint.
- Ces deux derniers mois, quatre cours de districts ont bloqué le décret de Trump.
- Si la Cour suprême ne s’est pas prononcée quant au caractère constitutionnel du décret, laissant ainsi la question en suspens, il semble très probable qu’elle se saisisse d’une affaire susceptible de l’amener à considérer ce point.
Lors de la conférence, la question de la fin du droit du sol fera l’objet d’une intervention du juriste de l’Université du Minnesota Ilan Wurman, mardi 2 septembre dans la soirée. Pour les conservateurs américains, la question de la citoyenneté est intrinsèquement liée à l’identité. Lors de son discours au Claremont le mois dernier, J.D. Vance avait déclaré : « Je pense que l’une de nos missions les plus urgentes, en tant qu’hommes d’État, est de redéfinir ce que signifie être citoyen américain au XXIe siècle ».
Palantir et l’IA
La technologie est étroitement liée au remodelage de l’État fédéral opéré depuis janvier par le pouvoir à Washington. Dans un livre publié en février, le PDG de Palantir, Alex Karp, appelait à transformer la nation américaine en une « République technologique » — qui s’appuierait notamment sur les logiciels fournis à l’État fédéral et ses agences par l’entreprise co-fondée par Peter Thiel.
L’utilisation de l’IA et des nouvelles technologies à des fins nationalistes occuperont une place clef au sein des débats de la NatCon.
- Lors d’une intervention intitulée « La technologie repose sur l’ambition, pas sur l’expertise », le directeur de la technologie (CTO) de Palantir, Shyam Sankar, prendra part à une discussion portant sur le « besoin d’héroïsme ». Celle-ci sera modérée par James Orr, un philosophe britannique parfois qualifié de « sherpa » de J.D. Vance au Royaume-Uni.
- Cet été, Sankar a fondé une société de production, aux côtés de Ryan Podolsky, ancien employé de Palantir, et de l’investisseur californien Christian Garrett, l’un des principaux artisans du rapprochement entre la Silicon Valley et Washington, visant à mettre à profit l’IA pour la réalisation de films célébrant les « figures héroïques » de l’histoire américaine.
- Il faisait par ailleurs partie des quatre dirigeants de la tech choisis en juin par le Pentagone pour intégrer le Detachment 201, un programme de l’armée de réserve des États-Unis. Son rôle consistera à assister et conseiller l’armée sur les manières d’intégrer l’intelligence artificielle dans ses opérations et processus de décision.
Lors du dernier jour de la conférence, jeudi 4, la technologie sera également discutée au prisme de la sécurité nationale au cours d’un panel réunissant Will Thibeau, ancien employé de Palantir et directeur du « American Military Project » au Claremont, le directeur du centre sur la sécurité nationale de la Heritage Robert Greenway et Jeffrey Nadaner, cadre dans une entreprise fournissant des logiciels au secteur de la défense, Govini.
Sources
- Breccan F. Thies, « Inside The Growing Movement To Reverse Obergefell Now That Its Critics Have Been Proven Right », The Federalist, 26 août 2025.
- Megan Brenan, Record Party Divide 10 Years After Same-Sex Marriage Ruling, Gallup, 29 mai 2025.
- Devin Dwyer, « Supreme Court formally asked to overturn landmark same-sex marriage ruling », ABC News, 11 août 2025.
- MAKING FEDERAL ARCHITECTURE BEAUTIFUL AGAIN, Maison-Blanche, 28 août 2025.