Avec Grand Tour, comme chaque année, nous vous invitons à explorer le rapport d’affinité entre des personnalités et des espaces géographiques où elles ne sont pas nés ou qu’elles n’ont pas vraiment habités — et qui ont pourtant joué un rôle crucial dans leur propre trajectoire intellectuelle ou artistique.

Après Nikos Aliagas sur Missolonghi, Françoise Nyssen sur Arles, Gérard Araud sur Hydra, Édouard Louis sur Athènes, Anne-Claire Coudray sur Rio, Edoardo Nesi sur Forte dei Marmi, Helen Thompson sur Naples, Pierre Assouline sur la Corse, Denis Crouzet et Élisabeth Crouzet-Pavan sur Venise ou Carla Sozzani sur Milan, Edwy Plenel sur la Martinique, Mazarine Mitterrand Pingeot sur La Charité-sur-Loire et Jean-Pierre Dupuy sur la Californie, Hélène Landemore sur l’Islande ou Jean-Christophe Rufin sur l’Albanie, nous suivons le président d’Arte Bruno Patino dans ses rituels strasbourgeois.

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Il peut presque paraître attendu qu’avec le président d’Arte ce Grand Tour porte sur Strasbourg. Mais est-ce si évident que cela ?  

Quand on accole un lieu à Arte, on pense naturellement à Strasbourg parce que les gens pensent qu’on est franco-allemand. 

Arte c’est la France et l’Allemagne. Géographiquement, on est ici, à Issy-les-Moulineaux, à Paris, pour la France, et à la fois à Mayence et à Baden-Baden, pour l’Allemagne. 

Mais en réalité, toute personne qui travaille chez Arte sait qu’on est organisé autour de trois pôles. Il y a donc le pôle français, le pôle allemand et disons le pôle strasbourgeois — c’est-à-dire le GEIE, groupement européen d’intérêt économique.

Comment qualifier Strasbourg pour Arte d’ailleurs ? 

C’est une vraie question. Faut-il l’appeler le siège alors que juridiquement ce n’est pas le cas ? 

Si on veut être précis : Strasbourg est le siège du GEIE, mais pas celui d’Arte France ou d’Arte Allemagne. 

Serait-ce sinon un centre de gravité, le lieu de rencontre entre les Français et les Allemands ? 

Quand vous travaillez à Arte, Strasbourg est omniprésent dans votre vie, déjà intellectuellement, parce que vous travaillez « avec Strasbourg » au quotidien, et évidemment dans votre emploi du temps, puisque vous y êtes toutes les semaines. 

Ce qui est étrange pour moi, c’est que je connaissais très peu cette ville auparavant. 

Avant de travailler à Arte, je crois que je n’y étais allé que trois fois dans ma vie. Désormais, j’y vais toutes les semaines.

Votre rapport à la ville est donc d’abord professionnel ? 

Oui mais c’est un rapport qui change, qui évolue au cours du temps. 

Au début, le rapport professionnel est scandé par le rythme suivant : la gare de l’Est, la gare de Strasbourg, le quai du chanoine Winterer — un bâtiment assez magnifique, puis à nouveau la gare de Strasbourg et la gare de l’Est. 

Petit à petit, la ville s’impose à vous. 

C’est une ville où il y a plusieurs villes mais en plus, Arte est dans le quartier européen, dans l’Europol, tout près du Parlement européen. On est situé là où on doit l’être. Or évidemment, les endroits où l’on développe nos habitudes, c’est plutôt dans la Petite France, pas loin de la cathédrale…

Quand Français et Allemands font vraiment quelque chose ensemble, qui prend les habitudes de qui ?

Bruno Patino

Vous diriez que vous avez aussi développé un rapport plus personnel à Strasbourg ? 

Je dirais qu’il y a une évolution à partir de ce rapport a priori professionnel — et qui le reste d’une certaine façon, avant de devenir plus personnel à certains égards. 

C’est assez étrange car, intellectuellement, quand vous travaillez chez Arte, Strasbourg est omniprésent dans votre vie. Mais — je ne veux pas ici choquer mes amis strasbourgeois — Strasbourg n’y est pas envisagée comme un lieu en France. 

C’est comme si vous aviez Arte France, Arte Allemagne et Arte Strasbourg qui seraient considérées comme des entités à part entière. 

Comment l’expliquez-vous ?

Le siège d’Arte à Strasbourg est vraiment franco-allemand. Il est composé de personnes venant d’autres pays d’Europe, mais c’est un lieu où le franco-allemand est présent au travail.

Strasbourg elle-même porte les marques de cette double appartenance — notamment à travers la Neustadt et la vieille ville. Mais au sein du siège d’Arte, ce mélange prend une dimension très tangible : les horaires de travail, par exemple, combinent les habitudes françaises et allemandes. Il en va de même pour le style vestimentaire, qui reflète une grande simplicité — très marquée par une influence allemande. 

Cela dit, quand Français et Allemands font vraiment quelque chose ensemble, qui prend les habitudes de qui ? 

Certaines spécificités restent bien françaises, notamment le temps accordé aux repas, qui est significativement plus long qu’en Allemagne. D’autres habitudes renvoient davantage à la culture allemande : l’usage de la mobilité douce, la manière dont le personnel est présent, ou encore une certaine rigueur discrète, une simplicité… 

En travaillant à Arte, on vit pleinement cette double culture. 

Quels sont les liens qui se mettent en place entre les bureaux d’Arte et Strasbourg ?

À Strasbourg, tout le monde sait où se trouve le siège de la chaîne. Pourtant, on a aussi le sentiment d’appartenir à un espace un peu à part : celui de l’Europe, de ce projet commun.

Des liens concrets se tissent avec la ville. Arte organise par exemple des événements ouverts au public, comme des karaokés dans différentes villes. Il y a deux ans, à l’occasion de la fête de la musique, un monde fou s’était rassemblé autour d’Arte, place Kléber. C’était un moment familial, intergénérationnel, très vivant.

Diriez-vous que vous êtes devenu d’une certaine façon strasbourgeois ? 

Personnellement, j’ai d’abord eu un rapport de passage avec Strasbourg. Mais avec le temps, des habitudes se sont installées — non pas « franco-allemandes », mais proprement strasbourgeoises. On se forge ses repères : des lieux familiers, des itinéraires, des librairies, des restaurants…

Et puis, il y a la cathédrale.

Elle est d’une beauté à couper le souffle, une beauté inégalée. Cela peut s’étendre à tout son quartier mais c’est surtout l’édifice lui-même qui est extraordinaire. Son illumination le soir est un spectacle dont on ne se lasse jamais.

Enfin, Arte entretient aussi des liens étroits avec le tissu local : l’académie, les établissements scolaires, le Théâtre National de Strasbourg, les arts vivants, les artistes strasbourgeois…  Autant d’ancrages qui font qu’à force, on devient peu à peu strasbourgeois soi-même.

Vous venez de dire que vous avez un rapport de passage avec des habitudes à Strasbourg. Est-ce que, dans l’imaginaire collectif, Strasbourg est surtout un endroit de passage ? 

Tous les collaborateurs d’Arte à Strasbourg ne sont pas de simples visiteurs de passage : la plupart vivent réellement dans la ville. Certains résident de l’autre côté de la frontière, en Allemagne, mais dans l’ensemble, le siège accueille chaque jour près de 500 personnes qui travaillent à Strasbourg.

À Strasbourg, tout le monde sait où se trouve le siège de la chaîne. Pourtant, on a aussi le sentiment d’appartenir à un espace un peu à part.

Bruno Patino

Ce n’est pas mon cas : je suis basé à Paris, où je travaille au quotidien, avec des allers-retours hebdomadaires à Strasbourg.

Ceux qui sont installés sur place se sont pleinement intégrés. Ils ne sont pas tous originaires de Strasbourg mais lorsqu’on évolue dans un environnement franco-allemand, et qu’on vient d’Alsace ou de la Sarre par exemple, il est très facile de s’insérer dans ce tissu culturel. La culture franco-allemande y est profondément ancrée. 

Pour la majorité des collaborateurs, Strasbourg n’est donc pas un lieu de passage. C’est une ville d’ancrage.   

Par sa connexion européenne, pourrait-on dresser un parallèle entre Strasbourg et Bruxelles ? 

Il y a sans doute un effet miroir possible avec Bruxelles mais je dirais que Strasbourg a une double nature. 

D’un côté, il y a le Strasbourg d’Arte, profondément franco-allemand, un espace où cette double culture se vit au quotidien dans les interactions de travail. Ce n’est pas simplement un lieu en Alsace : c’est un lieu franco-allemand, au sens plein.

D’un autre côté, il y a le Strasbourg en tant que ville, avec sa propre identité, sa culture forte et singulière. Une culture dont je perçois de mieux en mieux la richesse, la profondeur, l’attrait.

Est-ce que vous diriez que c’est une ville double — les dimension institutions européennes d’une part et la ville de Strasbourg en elle-même d’autre part ?

Oui et en ce sens, ce n’est pas un hasard si le siège d’Arte est situé à Strasbourg. 

Ce qui est intéressant c’est que nous maintenons des liens forts avec ces deux dimensions. Nous sommes dans la ville des institutions européennes mais aussi dans la ville elle-même.

À Strasbourg, est-on dans une ville européenne par excellence, selon vous ?

Strasbourg est une ville continentale ouverte — ce qui peut paraître contre-intuitif d’un point de vue géopolitique. Cela me plaît particulièrement. Il y a une sorte d’extra-territorialité.

On s’attendrait plutôt à ce qu’une ville aussi ouverte soit une ville maritime — tournée vers les mers. Pourtant, Strasbourg a accompli cette prouesse d’être à la fois continentale et pleinement ouverte.

On pourrait évoquer la présence de canaux mais cela ne suffirait pas à expliquer cette ouverture.

Je pense que cela tient à son statut de ville frontalière, à son histoire troublée, non linéaire.

Strasbourg est à la fois continentale, insulaire et ouverte. 

Qu’est-ce qui la rend si européenne ?

Elle est profondément européenne parce qu’on y croise des parlementaires européens, parce que la culture européenne y est vivante. Mais elle l’est aussi d’une manière plus intuitive, plus sensible.

Depuis Paris, Strasbourg est très facile d’accès. Mais dès qu’on s’éloigne un peu, les connexions deviennent plus complexes. Venir de Berlin, par exemple, reste une vraie difficulté. Et même si un TGV relie Bruxelles à Strasbourg, il faut souvent compter entre 3 h 30 et 4 h de trajet, avec une escale par Paris : ce n’est pas un trajet direct. En dehors de son lien privilégié avec Paris, on ne peut donc pas dire que Strasbourg soit un hub naturel de communication.

Ce paradoxe me frappe toujours : Strasbourg est une ville insulaire et ouverte, profondément continentale, mais dont la structure, la dynamique et l’identité semblent dépasser cette géographie.

C’est en cela que Strasbourg représente une sorte d’ailleurs ?

Pour moi, Strasbourg est un ailleurs. Très clairement. 

J’adore m’y rendre. Mais c’est mon travail qui a transformé cette ville en un rituel. C’est assez étrange. Je le dis sans aucune connotation négative — car un rituel est justement une pratique régulière qui finit par créer un attachement particulier. Strasbourg est devenue pour moi un de ces repères familiers. J’y ai mes habitudes. Je m’y comporte comme je le fais avec mes autres rituels.

C’est aussi un lieu central pour Arte, puisque c’est là que se prennent toutes les grandes décisions stratégiques : les discussions franco-allemandes y ont lieu, notamment à travers les assemblées générales qui réunissent les deux parties. C’est vraiment là que les choses avancent.

Strasbourg est à la fois continentale, insulaire et ouverte. 

Bruno Patino

C’est-à-dire ?

Pour se faire une idée de ce fonctionnement, il existe une petite vidéo de Karambolage qui explique très bien comment fonctionne le siège strasbourgeois du GEIE.

On est à la fois dans une chaîne de télévision, dans une rédaction implantée sur place et dans une petite organisation internationale franco-allemande. C’est une structure protéiforme, ancrée dans un bâtiment élégant, situé en bordure de canal.

Ce bâtiment fait justement partie d’un parcours touristique très fréquenté…

En effet, les bateaux-mouches qui longent les canaux passent devant Arte où l’on aperçoit facilement des éléments très distinctifs, comme ce logo en orange ou encore l’homme-girafe — une statue singulière qui intrigue toujours par son étrangeté. 

Même sur le plan climatique, Strasbourg est marquante : quand il fait chaud, il fait vraiment chaud ; quand il fait froid, c’est un froid très vif, très continental. 

Pourtant, la ville dégage une vraie douceur de vivre, surtout lorsqu’on y est de passage. C’est cette contradiction fascinante qui me marque à chaque fois.

Dans cette douceur, y a-t-il un art de vivre strasbourgeois ?

Il semblerait. Je ne peux pas parler à la place des gens qui vivent à Strasbourg et y sont nés. Mais en tant que personne de passage, je peux dire que Strasbourg donne l’impression d’un lieu accueillant où l’on peut assez rapidement se créer des repères.

Il y a une culture locale très affirmée — que ce soit à travers l’accent, les comportements ou les usages du quotidien. Mais je n’ai jamais eu le sentiment d’être face à une ville fermée sur elle-même ou difficile d’accès.

Peut-être est-elle justement tellement difficile d’accès que cela finit par passer inaperçu !

Certaines villes en France ont la réputation d’être très fermées ou inhospitalières. Ce n’est vraiment pas l’impression que Strasbourg me donne aujourd’hui.

Cela tient sans doute aussi au fait qu’Arte fait partie intégrante de l’identité locale. Pour les Strasbourgeois, Arte est d’abord strasbourgeois avant tout — et franco-allemand après. Cela se ressent dans la manière dont ils en parlent : il y a une forme de fierté locale.

Vous sentez une sorte de fierté des Strasbourgeois par rapport à Arte ?

J’espère du moins qu’ils sont fiers de nous. 

Ce qui est certain, c’est qu’Arte, c’est d’abord Strasbourg. Bien sûr, il y a aussi des bureaux à Paris, à Mayence, à Baden-Baden mais c’est Strasbourg qui prime — dans l’esprit comme dans la réalité physique.

Cela se ressent très concrètement : entre les différents locaux, c’est bien le site de Strasbourg qui domine. Il donne la pleine mesure d’un siège, d’un point d’ancrage central.

Mon endroit préféré à Strasbourg, c’est une marche. Marcher pendant des kilomètres dans cette ville.

Bruno Patino

Ce siège a aussi la particularité d’être extrêmement ouvert. Il accueille en permanence des visiteurs : pas seulement des parlementaires européens ou des artistes, mais aussi des écoliers, des groupes, des curieux. Cela en fait un lieu vivant, poreux, connecté à son environnement.

Pour nous, Strasbourg est véritablement un lieu d’interconnexion et de rencontre. 

Vous évoquiez aussi la dimension insulaire.

Je ne sais pas si les Strasbourgeois eux-mêmes se sentent insulaires, mais en ce qui me concerne, je perçois Strasbourg comme une ville ouverte. 

En même temps, la ville possède des spécificités juridiques et historiques qui peuvent lui donner, surtout pour quelqu’un venant d’ailleurs, un caractère légèrement insulaire — au sens positif du terme. C’est une ville qui a une identité très affirmée, très singulière.

Tout à l’heure, vous avez mentionné en passant vos rituels strasbourgeois. Pourriez-vous nous en parler ? 

Ils sont extrêmement simples. 

Je marche beaucoup dans Strasbourg. Le centre de la ville est d’ailleurs piétonnisé. Je marche donc de l’endroit où je dors jusqu’au siège d’Arte — et inversement. 

J’ai vraiment mes parcours piétonniers. J’adore ces moments. Je finis le soir très tard devant la cathédrale illuminée.

La cathédrale est-elle votre endroit préféré à Strasbourg ?

Ce n’est pas mon endroit préféré mais il est impossible de ne pas l’aimer beaucoup, de ne pas admirer sa beauté et sa grâce. 

Je ne connais pas les alentours de Strasbourg dont on me dit le plus grand bien en termes de promenade ou d’autres activités. 

Mon endroit préféré à Strasbourg, c’est une marche. Marcher pendant des kilomètres dans cette ville.

Quels chemins empruntez-vous ? 

Mon point d’arrivée est toujours le siège d’Arte ; le point de départ, l’endroit où je dors dans la ville. 

Entre les deux, l’itinéraire varie : il dépend de la météo, de la température ou tout simplement de mon humeur du jour. Je n’emprunte pas le chemin le plus direct. Je l’allonge, volontairement, comme si la marche faisait partie intégrante du séjour.

Le passage, le mouvement semblent caractériser votre rapport à Strasbourg. 

Mon rapport à Strasbourg n’est pas un rapport d’enracinement ou d’installation — et cela ne tient pas à la ville elle-même. C’est simplement une relation différente, marquée par une forme de légèreté. Le fait de ne pas être enraciné évite certaines obligations ou complications — même si l’enracinement apporte aussi ses propres richesses. Mais dans mon cas, ce détachement confère une liberté particulière dans la manière dont je perçois la ville.

Cela dit, ce n’est pas non plus une relation distante ou purement fonctionnelle. Je ne vois pas Strasbourg comme un lieu périphérique, où je serais contraint de me rendre avant de repartir aussitôt. Au contraire, il y a une forme de présence, de rituel. 

Chacun à Arte a ses rituels — qu’ils soient culinaires, liés à la promenade ou à des lieux précis. Nous avons tous notre manière d’habiter la ville.

Le rapport est à chaque fois singulier. En ce qui me concerne, les moments où Strasbourg me pèse le plus sont paradoxalement ceux où la ville est en fête, comme lors des marchés de Noël. Tout y est alors bouleversé : les repères, le rythme, l’atmosphère. C’est très beau — mais ce n’est pas le Strasbourg que je connais.

Y a-t-il un lieu ou une librairie que vous aimez particulièrement ?

La librairie Kléber, évidemment — tout le monde y va. J’y suis particulièrement attaché. J’ai eu la chance d’y vendre des livres. C’est donc pour moi un lieu chargé de sens, un endroit vraiment phénoménal.

J’aime aussi beaucoup le Théâtre National de Strasbourg. Ce qui s’y fait me plaît énormément et j’y prends également plaisir à travailler. C’est un lieu de création et de culture auquel je suis très sensible.

Architecturalement, je pourrais aussi évoquer le Parlement européen. C’est un très beau bâtiment, très étonnant. D’ailleurs, on revient à cette histoire insulaire : il est rond. La question qui se pose alors est de savoir si, par ce cercle, c’est un endroit ouvert ou fermé.

Le fait de ne pas être enraciné évite certaines obligations ou complications — même si l’enracinement apporte aussi ses propres richesses.

Bruno Patino

Vous parliez tout à l’heure de l’étonnante statue de l’homme-girafe qui se trouve devant Arte. Pourrait-on y voir aussi une représentation de Strasbourg, avec son côté ville-institution et ville à part entière ?

Pour moi, la statue de l’homme-girafe représente remarquablement bien Arte. Elle est à la fois familière et étrange, différente. C’est un homme avec une tête de girafe : une association surprenante mais harmonieuse. Je trouve qu’elle n’est pas dénuée de beauté — et j’espère sincèrement que c’est aussi ce que l’on peut dire de notre chaîne.

Arte, comme cette figure, réunit deux éléments très différents, qui pourtant fonctionnent ensemble.

On pourrait presque en faire une métaphore franco-allemande… 

Qui serait l’homme alors et qui la girafe ?

Je préfère ne pas répondre à cette question ! 

Ce n’est pas exactement ce que je veux défendre, mais elle évoque quelque chose de raffiné, d’esthétique, un mariage réussi entre deux entités distinctes, qui donne naissance à une forme nouvelle, équilibrée.

Strasbourg est le lieu de l’entente franco-allemande. 

C’est exactement cela. 

Strasbourg est un lieu qui n’est ni tout à fait en France, ni tout à fait en Allemagne. 

On y parle bien sûr français, parfois un peu alsacien. C’est une ville française, mais pour nous, elle représente un point d’équilibre. 

C’est un pont — au sens fort du terme. 

On pourrait même dire littéralement puisqu’il y a le pont sur le Rhin. 

Absolument. Il n’est pas situé exactement à côté du siège d’Arte, mais l’image demeure.

Strasbourg est à la fois le lien entre la France et l’Allemagne et le lieu concret de la rencontre, du travail en commun. C’est un espace où l’on se retrouve pour œuvrer ensemble. Une ville marquée par l’histoire, par la souffrance, mais qui est devenue un symbole de réconciliation, fondé sur le travail partagé et la construction d’un imaginaire commun. 

En ce sens, le choix de Strasbourg comme siège d’Arte est symboliquement extraordinaire.

C’est également une ville profondément européenne. Le fait même d’y avoir installé le Parlement européen en est un autre signe fort. Et tout cela est, pour moi, consubstantiel à l’identité d’Arte.