Spectaculaire, brutal, chaotique : le projet civilisationnel de Donald Trump semble se déployer de manière inarrêtable, irrésistible.

Cela fait six mois qu’il est à la Maison-Blanche. Face au vertige des nombreux bouleversements enclenchés à Washington, comment faire un inventaire ?

Pour dresser le bilan provisoire d’une présidence qui veut changer le cours de l’histoire en transformant la vieille république américaine en empire, nous publions cette semaine notre première série d’été pour essayer de comprendre — au-delà des sources — ce qu’a mis en acte concrètement Donald Trump pendant six mois.

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1 — L’accélération du pouvoir exécutif : plus d’executive orders — plus courts

Depuis le 20 janvier, Trump s’est considérablement reposé sur son pouvoir exécutif pour faire avancer son agenda. En matière de commerce, tout d’abord, avec la déclaration « d’urgences nationales » utilisée pour justifier l’imposition de droits de douane, notamment via l’International Emergency Economic Powers Act. Trump est ainsi devenu le premier président à s’être servi de cette loi pour imposer des tarifs douaniers.

Les décrets ont également servi à stimuler la production énergétique et l’extraction d’hydrocarbures, à réformer le gouvernement fédéral, à fermer le département de l’Éducation ou bien dissuader les grands cabinets d’avocats de contester ses actions. Plusieurs de ces décrets ont permis à Trump de contourner le pouvoir législatif, notamment en repoussant à trois reprises l’interdiction de TikTok aux États-Unis votée par le Congrès — refusant ainsi de fait d’appliquer la Take Care Clause contenue dans l’Article II de la Constitution.

Trump a eu recours au pouvoir exécutif plus que n’importe quel autre président de l’histoire américaine. En six mois, il a signé 170 décrets présidentiels — soit plus que Biden entre 2021 et 2024 (149). L’analyse du contenu de ces executive orders révèle toutefois une diminution de leur taille par rapport à la précédente administration démocrate.

Ces 170 décrets contiennent en moyenne environ 1 200 mots chacun — soit environ 4 minutes de lecture —, contre 2 100 pour ceux signés par Joe Biden entre 2021 et 2024 — ils sont ainsi 42 % plus courts. Les executive orders signés depuis le 20 janvier 2025 sont également 16 % plus courts que ceux signés par Trump au cours de son premier mandat (sur la période 2017-2020). En conséquence, le volume de décrets présidentiels de Trump depuis le début de l’année 2025 n’est que 40 % supérieur à ceux signés par Biden en 2021, bien que le nombre de documents soit quant à lui 120 % plus important.

2 — « Un million de personnes par an » : les chiffres de la lutte contre l’immigration irrégulière dans l’administration Trump

Depuis le retour au pouvoir de Donald Trump le 20 janvier, le nombre d’arrestations de migrants vivant, dans la plupart des cas, illégalement sur le territoire américain, a doublé par rapport à l’année dernière, sous le mandat de Joe Biden.

En moins de six mois, près de 100 000 personnes ont été arrêtées sur le territoire américain par l’ICE (Immigration and Customs Enforcement), l’agence de police douanière et de contrôle des frontières. Ces opérations avaient un rythme relativement stable jusqu’au début du mois de juin, avant de connaître une forte augmentation.

Au cours des 10 premiers jours de juin, le nombre de personnes arrêtées a en effet presque doublé : 11 600, contre 6 100 au cours de la même période en mai. Le nombre de franchissements illégaux de la frontière a quant à lui atteint son niveau le plus bas depuis les années 1960 en juin : 25 000 à l’échelle nationale, dont 6 000 à la frontière avec le Mexique.

Avec près de 18 000 arrestations, le Texas est de loin l’État le plus ciblé par les opérations de l’ICE. En raison de sa frontière avec le Mexique longue de plus de 2000 kilomètres, il comptait en 2022 une population en situation irrégulière d’environ 1,6 million de personnes. La Floride et la Californie ont connu le plus grand nombre de migrants arrêtés après le Texas, respectivement 9 000 et 5 000.

Le nombre d’arrestations a augmenté dans l’ensemble des 50 États au cours des six premiers mois de l’année par rapport à 2024. Si ce chiffre a en moyenne doublé à l’échelle fédérale, il a triplé en Arizona (+205 %), dans l’Utah (+207 %) et dans le Nevada (+208 %), et a quadruplé en Géorgie (+274 %) et dans le Colorado (+297 %).

L’administration Trump revendiquait début juin avoir expulsé plus de 200 000 personnes depuis le 20 janvier. Le Migration Policy Institute estimait en avril que le nombre de personnes expulsées devrait atteindre environ 500 000 personnes d’ici la fin de l’année. C’est moins que les 685 000 déportées sous Biden en 2024 1.

L’administration républicaine s’est fixé pour objectif de déporter un million de personnes par an — un chiffre inférieur aux 15 à 20 millions de personnes que Trump disait l’an dernier vouloir expulser au cours de son deuxième mandat (environ 4 à 5 millions de personnes par an). Pour ce faire, le Congrès vient de voter un nouveau budget qui alloue plus de 100 milliards de dollars à l’ICE et à la surveillance des frontières jusqu’en 2029, dont 45 milliards seront dédiés à la construction de centres de détention.

L’ICE disposera ainsi dès l’an prochain d’un budget annuel supérieur aux dépenses de plusieurs grandes armées du monde : 28 milliards de dollars contre 23 pour la Turquie en 2024 et 22 pour l’Espagne et les Pays-Bas, selon l’OTAN.

En raison d’un nombre de franchissement de la frontière considérablement plus élevé sous Biden, la plupart des migrants « déportés » étaient en réalité refoulés directement à la frontière par les autorités américaines. L’administration Trump arrête quant à elle les migrants vivant illégalement aux États-Unis principalement dans les villes, ce qui nécessite plus de temps et de moyens — d’où l’écart dans les nombres d’expulsions.

3 — « Vibe shift » et popularité : pourquoi les six mois de Trump n’ont pas converti l’opinion publique américaine

À l’occasion des Cent jours de Trump à la Maison-Blanche, Marlène Laruelle signait dans la revue une enquête portant sur le vibe shift à Washington depuis le retour au pouvoir de Trump.

Dans celle-ci, elle décrivait le basculement de tout un écosystème humain, intellectuel et financier à partir du microcosme washingtonien dans lequel les employés fédéraux, les instituts de recherche, les grandes sociétés de consulting ainsi que les universités tentaient de naviguer tant bien que mal le choc Trump.

En amont du 20 janvier, les dirigeants de plusieurs grandes entreprises avaient multiplié les signes d’allégeance à Trump en donnant des millions de dollars à son fonds d’investiture, nommant des proches du président dans leurs conseils d’administration ou bien en se rendant à Mar-a-Lago, Maison-Blanche officieuse durant la période de transition.

À Wall Street, le retour de Trump était synonyme pour certains d’une « bouffée d’air frais » : certains banquiers et acteurs de la finance avaient en effet déclaré au Financial Times se sentir « libérés », signalant un vibe shift supposément annoncé par les résultats de l’élection de novembre 2.

Des dizaines de grandes entreprises comme Amazon, Walmart, Meta ou McDonald’s annonçaient avoir mis fin partiellement ou totalement à leurs programmes DEI (Diversité, équité et inclusion), contre lesquels Trump et plusieurs membres de son administration, particulièrement le secrétaire à la Défense Pete Hegseth, ouvertement sexiste et masculiniste, avaient manifesté leur vive opposition.

Au-delà de ces signaux, les sondages réalisés à l’échelle nationale depuis le 20 janvier montrent que Trump demeure un président très contesté. Ses premiers mois au pouvoir n’ont par ailleurs pas conduit à faire bouger l’opinion américaine sur les grandes priorités de sa présidence.

Sur l’immigration, les Américains désapprouvent les méthodes violentes déployées par l’administration. Sur l’économie, 60 % disent désapprouver l’agenda de Trump, soit le taux le plus élevé enregistré par CNN au cours de ses deux mandats 3.

Si Trump a su faire campagne et gagner l’élection sur les échecs et la faible popularité de la précédente administration Biden, catalysant le mécontentement de nombreux électeurs indécis, l’opinion publique américaine ne semble pas pour autant être devenue plus conservatrice.

Notons toutefois que Trump a su bouleverser radicalement la perception par l’électorat républicain des interventions militaires américaines à l’étranger. Ainsi, avant les frappes américaines sur l’Iran du 22 juin 2025, seulement 23 % des Républicains étaient en faveur d’une intervention militaire. Dans le premier sondage réalisé par le même institut après l’attaque américaine, l’opinion des électeurs républicains s’est renversée en quelques jours : 68 % disaient « approuver » les frappes ordonnées par Trump sur les sites nucléaires iraniens.

Un autre renversement semble à l’œuvre l’Ukraine : dans une enquête Echelon Insights conduite du 10 au 14 juillet, les deux-tiers des électeurs ayant voté pour Trump en novembre disent soutenir la décision du président de continuer d’armer Kiev dans le cadre de la guerre contre la Russie 4. En décembre 2024, la même proportion affirmait que les États-Unis fournissaient trop d’aide à l’Ukraine.

À l’échelle nationale, 15 % des adultes américains disent s’identifier comme étant « MAGA » au 12 juillet selon YouGov. Pour les électeurs du Parti républicain, ce chiffre est de 48 % — soit 3 points de moins que début janvier, au moment de l’investiture de Trump 5.

4 — La « loi de Ferguson » et le poids de la dette américaine

Comme le détaille Benjamin Bürbaumer dans ces pages, l’effondrement annoncé de l’économie américaine n’a pas eu lieu.

Le taux de chômage se maintient à un taux relativement faible, l’inflation — bien qu’en hausse au mois de juin — poursuit sa dynamique baissière et les États-Unis devraient afficher cette année le taux de croissance le plus élevé du G7, malgré une baisse des prévisions de croissance du FMI.

Ces indicateurs cachent toutefois une réalité susceptible d’éclipser l’apparente bonne santé de l’économie américaine : la dette publique, qui a atteint 37 000 milliards de dollars, devrait considérablement augmenter au cours des prochaines années à la suite de l’entrée en vigueur de la réforme fiscale de Trump, ratifiée le 4 juillet dernier. Celle-ci devrait en effet ajouter 3 400 milliards de dollars à la dette américaine au cours de la prochaine décennie.

Les économistes peinent à s’accorder quant à l’impact de la dette publique sur les perspectives de l’économie américaine, bien que le président de la Fed Jerome Powell affirme que celle-ci se trouve sur « une trajectoire insoutenable » 6. Depuis 2024, une réalité s’impose toutefois : les États-Unis dépensent désormais plus pour le service de leur dette que pour la défense.

Les intérêts de la dette américaine, qui représentaient l’an dernier 3,1 % du PIB, pourraient atteindre 6,3 % d’ici 2054 selon une projection du Congressional Budget Office — contre 2,3 % pour la défense. L’historien écossais Niall Ferguson développe depuis plusieurs années une théorie, baptisée « loi de Ferguson », selon laquelle toute grande puissance consacrant plus pour le service de sa dette que pour sa défense s’engage dans une ère de déclin qui conduira inévitablement à sa chute. 

Selon Ferguson, le poids de la dette « attire vers lui des ressources rares, réduisant ainsi le montant disponible pour la sécurité nationale et rendant la puissance de plus en plus vulnérable aux risques sur le plan militaire » 7. Prenant pour exemple l’Espagne des Habsbourg, l’Empire ottoman, britannique ou la France pré-révolutionnaire, Ferguson argue ainsi que la dette américaine pourrait conduire à un déclassement des États-Unis.

5 — Bitcoin et GENIUS Act : quantifier l’enrichissement du clan Trump grâce aux cryptomonnaies

Il y a quelques jours, vendredi 18 juillet, Trump a ratifié l’une des lois les plus significatives de ses six premiers mois à la Maison-Blanche : le GENIUS Act. isant à réguler le marché des stablecoin. Ces actifs numériques servent pour l’heure surtout à réaliser des transactions sur des plateformes d’échange, mais deviennent une alternative de plus en plus crédible aux méthodes de paiements traditionnelles.

Cette législation contraint notamment les émetteurs de stablecoin à prouver qu’ils détiennent bien un dollar d’actifs « liquides » — c’est-à-dire soit en dollars, soit en bons du Trésor — pour chaque dollar distribué en stablecoin. Le GENIUS Act est le premier texte d’une série en préparation au Congrès qui s’inscrit dans l’agenda de Trump destiné à sortir les crypto-actifs de la zone grise juridique dans laquelle ils se trouvent actuellement afin de réduire les risques pour les investisseurs. En juin, le secrétaire au Trésor Bessent déclarait que l’offre de stablecoin pourrait être multipliée par 10 au cours des trois prochaines années, la propulsant d’environ 250 milliards de dollars actuellement à plus de 2 000 milliards 8.

Trump et sa famille bénéficieront directement du GENIUS Act à travers les intérêts générés par les achats d’USD1 — le stablecoin lancé par Trump et ses fils via l’entreprise World Liberty Financial, Inc. (WLFI) — ainsi que la vente de tokens de gouvernance, des cryptomonnaies qui donnent à ses détenteurs un droit de vote sur les décisions importantes du projet. Selon une déclaration financière publiée en juin, le président américain aurait gagné 57,4 millions de dollars grâce à la vente de tokens WLFI sur la période allant de décembre 2023 à décembre 2024 9.

Le crypto-projet du président américain s’étend toutefois bien au-delà de World Liberty Financial, Inc. Avec ses memecoin $TRUMP et $MELANIA, la famille présidentielle aurait engrangé environ 150 millions de dollars grâce à la vente de ces actifs strictement spéculatifs 10. Afin de conférer une valeur à ces tokens et ainsi gonfler la valeur des 800 millions de tokens $TRUMP détenus par Trump via diverses entités, le président américain a organisé en mai un crypto-dîner au cours duquel les 220 principaux détenteurs du memecoin ont pu obtenir un accès direct dans le cadre d’une « réception exclusive » en sa compagnie.

Selon nos estimations, il fallait débourser environ 5 millions de dollars pour bénéficier de « l’expérience VIP ». Dans les heures ayant suivi l’annonce de l’organisation d’un dîner en présence de Trump pour les principaux détenteurs du token, son prix a bondi de plus de 50 %.

Les crypto-actifs représenteraient aujourd’hui plus d’un tiers du portefeuille de Trump.

Principalement destinés il y a quelques années à des investisseurs marginaux, les crypto-monnaies sont aujourd’hui très populaires à Washington : un haut responsable sur cinq de l’administration Trump détiendrait d’ailleurs des crypto-actifs — parmi lesquels J.D. Vance, Scott Bessent ou Robert F. Kennedy Jr. 11

6 — Traquer les signes de fracturation de la coalition trumpiste

La coalition ayant permis à Trump d’accéder à nouveau au pouvoir en novembre 2024 s’est considérablement élargie depuis sa première victoire en 2016. Sont notamment venus s’ajouter à la branche MAGA la « techno-droite », dont l’acteur le plus influent est Peter Thiel (l’un des seuls à avoir soutenu Trump dès son premier mandat), ainsi que les néo-réactionnaires, dont le principal intellectuel Curtis Yarvin dénonce toutefois un « ralentissement » qui empêcherait de mener la « transformation monarchique » et ainsi de convertir la révolte en révolution.

Si cette nouvelle coalition a permis une transformation radicale du pays en l’espace de six mois, elle s’est également révélée fragile face aux chocs politiques : la volonté de l’administration de « normaliser » ses relations avec la Russie, l’imposition de tarifs massifs et leur impact sur le pouvoir d’achat, l’intervention militaire en Iran, les réductions drastiques du budget de l’assurance maladie dans le cadre de la réforme fiscale de Trump, et dernièrement face à l’annonce de la procureure générale Pam Bondi le 7 juillet que la « liste de clients » de Jeffrey Epstein n’existait pas — cinq mois après avoir suggéré que celle-ci serait rendue publique.

Cette annonce a sidéré des millions d’électeurs MAGA et conspirationnistes qui attendaient de la nouvelle administration des révélations sur une prétendue « cabale » libérale et les liens supposés entre les élites démocrates et l’homme d’affaires condamné en 2008 pour proxénétisme et accusé en 2019 de trafic sexuels de mineurs. Pour cause, Donald Trump n’avait cessé d’envoyer des signaux à cette frange très active de son électorat durant la campagne, promettant de « déclassifier » la « liste Epstein », de rendre publiques des vidéos du Pentagone sur les ovnis et des formes de vie extraterrestre ou bien de faire la lumière sur l’assassinat de JFK. 

Le scandale Epstein revêt un caractère particulièrement explosif en raison des liens établis et documentés entre Trump et le milliardaire, dont la relation remonte aux années 1980-1990 12. Interviewé par l’écrivain Michael Wolff, Epstein confia avoir été « l’ami le plus proche » de Trump durant une décennie, avant que ce dernier ne prenne ses distances avec Epstein suite à sa première inculpation 13.

Plusieurs dizaines d’influents conservateurs ayant permis à Trump de revenir au pouvoir ont publiquement appelé le président à faire la lumière sur l’affaire Epstein et de rendre public les noms de personnes associées aux activités criminelles de Jeffrey Epstein.

On compte notamment dans cette liste le conspirationniste fondateur d’Infowars Alex Jones, le podcast et ex-présentateur Fox News Tucker Carlson, l’ancien conseiller à la sécurité nationale de Trump Michael Flynn, l’ex-soutien et désormais potentiel futur rival du président Elon Musk, qui a insinué que Trump figurerait dans les supposés documents, ou bien l’actrice et loyale trumpiste Roseanne Barr.

7 — Une transformation radicale : la moitié du Projet 2025 a été mise en œuvre

Moins d’un mois après sa prise de fonction, Donald Trump avait déjà mis en œuvre un tiers du Projet 2025, le document programmatique dont l’élaboration a été pilotée par la Heritage Foundation en partenariat avec plusieurs dizaines d’organisations conservatrices.

Depuis que Trump a ratifié son budget — le One Big Beautiful Bill Act (OBBBA) — le 4 juillet, près de la moitié (46 %) de ce programme a été inscrit dans la loi.

Avec l’OBBBA, Trump a accompli 16 objectifs contenus dans le Projet 2025, notamment en limitant les subventions accordées pour l’installation d’éoliennes et de panneaux solaires, en instaurant des frais pour les demandes d’asile ou bien en finançant l’installation de 100 000 places supplémentaires dans les centres de détention de l’ICE, la police douanière et de contrôle des frontières.

Trump a également fait avancer le programme de la Heritage Foundation en supprimant des fonds essentiels au bon fonctionnement de l’Agence d’observation océanique et atmosphérique (NOAA), sans toutefois la démanteler comme le recommandait le Projet 2025. La prolongation de manière permanente du taux d’impôt sur les sociétés de 21 % appliqué en 2017 durant son premier mandat rapproche également la Heritage de son objectif de voir un taux d’imposition de 18 %.

Au cours des 100 premiers jours de son mandat, Trump était allé plus loin que le Projet 2025 dans certains domaines, notamment en proposant à tous les employés fédéraux une compensation en échange de leur démission (alors que la Heritage Foundation recommandait cette mesure uniquement pour la CIA) ainsi qu’en démantelant l’USAID dans sa totalité — lorsque le Projet 2025 recommandait de « réaligner l’aide étrangère des États-Unis sur les intérêts nationaux américains et les principes de bonne gouvernance ».

La Heritage Foundation n’est pas le seul think-tank conservateur dont le programme a été massivement mis en œuvre par l’administration Trump depuis le 20 janvier. 

Près de 90 % des 196 recommandations émises par l’America First Policy Institute (AFPI), un centre de recherche fondé par Brooke Rollins et Linda McMahon, ont été adoptées au cours des cent premiers jours de Trump.

La Maison-Blanche a également tenté de mettre fin au droit du sol en signant fin juin un décret présidentiel largement inspiré par les théoriciens du Claremont Institute — où le vice-président J.D. Vance a prononcé un discours le 5 juillet.

Une partie importante de sa prise de parole avait été dédiée à la citoyenneté. Vance avait notamment insisté sur le fait « qu’on ne peut pas remplacer dix millions d’Américains par dix millions de personnes venues d’ailleurs, et prétendre que le pays restera inchangé ». Il avait également déclaré que l’une des missions les plus importantes des conservateurs était « de redéfinir ce que signifie être citoyen américain au XXIe siècle ».

8 — Des licenciements massifs : comment Trump a fait disparaître un dixième de la fonction publique fédérale

Il s’agit probablement d’un des impacts les plus visibles du retour de Trump à la Maison-Blanche : fin avril, 260 000 employés fédéraux avaient été licenciés, étaient partis en retraite anticipée ou bien avaient accepté de démissionner en échange de plusieurs mois de salaire de compensation, selon Reuters 14.

Ce chiffre représente près d’un dixième de la fonction publique fédérale (environ 3 millions de personnes).

Si quelques hauts responsables ont été mis à l’écart, comme l’ancien conseiller à la sécurité nationale Michael Waltz — qui avait ajouté par erreur en mars le rédacteur en chef de The Atlantic dans une boucle Signal où des frappes contre les Houthistes avaient été discutées —, l’administration affiche une apparente stabilité en comparaison du premier mandat de Donald Trump.

En 2017, l’administration républicaine avait été bouleversée par une série de départs et de licenciements d’une ampleur inédite.

Anthony Scaramucci avait passé seulement 10 jours à la tête de la communication. Sally Yates était restée 11 jours procureur générale ad interim limogée pour avoir refusé d’appliquer le muslim ban exigé par Trump. En janvier 2019, deux ans après son arrivée au pouvoir, Trump avait établi un nouveau record en nommant son troisième directeur de cabinet, Mick Mulvaney, après que son prédécesseur John Kelly eut décrit la Maison-Blanche quelques mois plus tôt comme un « lieu de travail misérable ». À la fin de son premier mandat, en janvier 2021, le taux de turnover de l’administration Trump I était de 92 % — soit le niveau le plus élevé depuis au moins Ronald Reagan.

Le faible nombre de licenciements pour des raisons politiques ou personnelles au sein de l’administration Trump II reflète l’effort de préparation mené par des institutions comme la Heritage Foundation ainsi que la structuration de l’entourage de Trump en organisation à vocation managériale.

9 — Le recours à la force militaire : les frappes du « président de la paix »

Donald Trump se présente régulièrement comme un « président de la paix » dans ses discours, entretiens ainsi que sur sa plateforme Truth Social.

La « paix par la force » (« peace through strength ») revendiquée par le président américain a toutefois pris la forme d’un nombre très élevé de frappes de drones, de missiles et de bombardements depuis son retour à la Maison-Blanche.

Entre le 20 janvier et le 27 juin 2025, Trump a ordonné 529 frappes sur plus de 240 positions réparties en Afrique, au Moyen-Orient et en Asie centrale, selon les données du projet ACLED — contre 555 pour Biden entre 2017 et 2021. La majeure partie de ces frappes (474) a eu lieu au Yémen, tandis que les autres sont réparties entre la Somalie (45), la Syrie (4), l’Irak (2) et l’Iran (3).

Au cours de son premier mandat, Trump avait également eu recours à des frappes de drones et des raids aériens à un rythme bien plus soutenu que sous les deux administrations Obama : dans la nuit du 2 mars 2017, celui-ci avait ordonné 25 frappes au total, soit le nombre le plus élevé en l’espace de 24 heures dans l’histoire récente des États-Unis, selon le Washington Post.

Au Yémen, les frappes de Trump se sont révélées être particulièrement mortelles pour les civils. Selon l’ONG britannique Airwars, 224 personnes sont mortes dans le cadre de l’opération militaire Rough Rider, lancée par Trump en mars — soit près du double du nombre de victimes civiles causées par les actions américaines au Yémen depuis 2002. Human Rights Watch et Amnesty International ont dénoncé la frappe du 17 avril sur le port de Ras Isa, au nord d’Hodeidah, ainsi que sur la prison de Saada le 28 comme étant susceptibles de constituer des crimes de guerre 15.

Plusieurs rapports ont par ailleurs questionné l’efficacité des frappes ordonnées par Trump sur le programme nucléaire iranien. Selon une dernière évaluation des services de renseignement américains menée en juillet, seul le site de Fordo aurait été gravement endommagé voire potentiellement détruit. Les frappes américaines sur les sites de Natanz et d’Ispahan auraient quant à elles provoqué des dommages limités, qui exigeront toutefois d’importants efforts de la part de Téhéran pour une remise en service.

10 — Palantir : après les données, prendre le contrôle des armées

Fondée après les attentats du 11 septembre 2001 par Peter Thiel, l’entreprise Palantir était initialement exclusivement tournée vers la lutte antiterroriste.

L’idée de Thiel était alors de récupérer et d’exploiter des données publiques du gouvernement américain — financières ou téléphoniques notamment — afin de permettre aux autorités et à l’armée de localiser des terroristes. Relativement discrète dans ses premières années, la notoriété de Palantir explose suite à la capture de Ben laden en mai 2011, au cours de laquelle sa plateforme d’analyse « Gotham » aurait joué un rôle central.

Thiel soutient Trump dès sa première campagne de 2016 en nourrissant l’espoir que ce dernier confiera à Palantir des contrats pour équiper les agences et départements de logiciels produits par l’entreprise. S’il est mobilisé par Steve Bannon pour proposer des noms après la victoire de Trump, l’empreinte de Palantir au cours de la première administration demeure principalement sectorielle : l’entreprise développe notamment des systèmes permettant de suivre la fabrication puis la distribution de vaccins durant la pandémie, et continue de fournir des logiciels à la police de contrôle aux frontières (ICE) utilisés pour les opérations d’arrestations de migrants.

Dans la deuxième administration Trump, Palantir occupe désormais une place structurante dans le projet de construction d’une « République technologique » appelé de ses vœux par Alex Karp, le PDG de Palantir placé à la tête de l’entreprise par Thiel, dans un livre publié en février. La société se trouve désormais à l’intersection de l’effort mené par l’administration Trump visant à compiler et regrouper dans une seule méga-base de données des milliers de points d’informations sur les citoyens américains, notamment des données médicales et fiscales. Celle-ci pourrait notamment servir à la Maison-Blanche pour traquer puis déporter des personnes vivant en situation irrégulière aux États-Unis.

Depuis l’élection de Trump en novembre, l’action de Palantir a été multipliée par 3, passant de 50 dollars à 153 au 18 juillet, signant la meilleure performance du S&P500 au cours du premier semestre 2025. Pour comparaison, sa capitalisation boursière a par exemple dépassé celles de Novo Nordisk, ASML, Samsung ou LVMH.

Aux côtés d’Anduril, l’entreprise technologique de défense co-fondée par Palmer Luckey, Palantir assiste également le département de la Défense dans son intégration de l’intelligence artificielle dans ses systèmes militaires. L’entreprise de Peter Thiel devrait aussi jouer un rôle central dans les travaux visant à développer un « Golden Dome » — un système de défense aérienne sur le modèle de l’Iron Dome israélien. SpaceX, l’entreprise spatiale d’Elon Musk, a ainsi fait appel à Palantir et Anduril pour former un partenariat qui travaillera à la concrétisation du projet lancé par Donald Trump, dans un décret signé le 27 janvier.

Il y a quelques semaines, le directeur de la technologie (CTO) de Palantir, Shyam Sankar, a été choisi aux côtés de trois autres dirigeants du secteur de la tech issus de grandes entreprises comme OpenAI et Meta pour intégrer le projet du Pentagone baptisé « Detachment 201 ». Intégrés à l’armée de réserve des États-Unis avec le grade de lieutenant-colonel, ces derniers seront susceptibles de servir au plus haut niveau des chaînes de commandement comme au niveau tactique, directement au contact des soldats. Leur rôle consistera à assister et conseiller l’armée sur les manières d’intégrer l’intelligence artificielle dans ses opérations et processus de décision.

Cette forme inhabituelle de coopération placera toutefois des dirigeants d’entreprises parmi les plus importants dans les secteurs de l’intelligence artificielle et de la défense directement au centre du Pentagone, tout en conservant leurs postes actuels. Palantir devrait ainsi bénéficier de connaissances directes des besoins et difficultés rencontrées par l’armée américaine pour intégrer l’IA à ses missions, tout en travaillant simultanément à l’obtention de contrats militaires.

La participation toujours plus étroite entre les entreprises de la tech et l’État fédéral américain concrétise la volonté exprimée par Thiel au moment de la fondation de Palantir en 2003 : ramener le complexe militaro-industriel dans la Silicon Valley. Ce rapprochement passe aujourd’hui par l’explosion de certaines start-ups combinant l’IA et la défense, qui rivalisent désormais avec les géants du secteur comme Raytheon, Lockheed Martin ou Northrop Grumman.

Sources
  1. Muzaffar Chishti et Kathleen Bush-Joseph, « In First 100 Days, Trump 2.0 Has Dramatically Reshaped the U.S. Immigration System, but Is Not Meeting Mass Deportation Aims », Migration Policy Institute, 24 avril 2025.
  2. Steff Chávez, « Corporate America embraces a new era of conservatism under Donald Trump », Financial Times, 14 janvier 2025.
  3. Sondage CNN SSRS, 10-13 juillet 2025.
  4. July 2025 Verified Voter Omnibus, Echelon Insights.
  5. Philip Bump, « After 10 years, just how large is Trump’s actual base ? », The Washington Post, 16 juillet 2025.
  6. Taylor Giorno, « Powell calls for ‘change’ in ‘unsustainable’ fiscal path », The Hill, 4 décembre 2024.
  7. Niall Ferguson, Ferguson’s Law : Debt Service, Military Spending, and the Fiscal Limits of Power, Hoover Institution, History Working Paper, 21 février 2025.
  8. Jarrell Dillard, « Bessent Says $2 Trillion Reasonable for Dollar Stablecoin Market », Bloomberg, 11 juin 2025.
  9. Executive Branch Personnel Public Financial Disclosure Report (OGE Fonn 278e), US Office of Government Ethics, 13 juin 2025.
  10. Tom Maloney et Olga Kharif, « Unlocked Trump Memecoins Set to Boost President’s Wealth by $100 Million », Bloomberg, 16 juillet 2025.
  11. Arfa Momin, Clara Ence Morse et Cat Zakrzewski, « Over 1 in 5 high-level Trump picks held crypto, Post analysis finds », The Washington Post, 17 juillet 2025.
  12. Lucy Osborne, Harry Davies et Stephanie Kirchgaessner, « Teen models, powerful men and private dinners : when Trump hosted Look of the Year », The Guardian, 14 mars 2020.
  13. Benjamin Wallace-Wells, « Behind Trump’s Jeffrey Epstein Problem », The New Yorker, 19 juillet 2025.
  14. Courtney Rozen, « US agencies shrink layoff plans after mass staff exodus », Reuters, 15 juillet 2025.
  15. Yemen : US air strike that has left dozens of migrants dead must be investigated, Amnesty International, 19 mai 2025 et Yemen : US Strikes on Port an Apparent War Crime, Human Rights Watch, 4 juin 2025.