Avec son opération Am Kalavi, Israël n’a pas simplement éliminé des dirigeants militaires de premier plan, mais a créé les conditions d’un changement plus profond.
- La fin brutale d’un cycle et le désaveu définitif de la stratégie iranienne pourraient accélérer la crise du régime et marquer le début de l’émergence d’une nouvelle génération de dirigeants. Ceux qu’on appelle en Iran les « préoccupés » (دلواپسان), c’est-à-dire les hauts fonctionnaires et politiques inquiets des dérives autoritaires du régime mais qui continuent à y prendre part, pourraient, à l’issue de la situation de guerre, exprimer de façon plus ostensible leurs désaccords avec les ultraconservateurs qui dominent aujourd’hui la scène politique.
- Selon une source citée par The Economist, l’Iran serait de facto dirigé « selon la loi martiale ». Le Guide, qui se cacherait toujours dans un bunker, reste pour l’instant très discret, et aurait délégué le pouvoir de décision à un nouveau Conseil, dominé par le Corps des gardiens de la révolution islamique 1.
- Le ministre des Affaires étrangères Abbas Araqchi semble toujours être au centre des interactions avec l’extérieur. Il était ainsi présent lundi à Moscou pour rencontrer Vladimir Poutine, et aurait aussi servi de point de contact indirect avec l’administration Trump pour la mise en place du cessez-le-feu, entré en vigueur hier, mardi 24 juin 2.
- Araqchi resterait par ailleurs en lien direct avec le directeur général de l’Agence internationale de l’énergie atomique 3 — alors que le Parlement iranien a voté aujourd’hui, mercredi 25 juin, en faveur d’un projet de loi visant à suspendre la coopération avec l’AIEA, ce qui empêcherait les inspecteurs nucléaires de se rendre en Iran à moins que « la sécurité des installations ne soit garantie ».
Depuis l’élimination des principales figures des Gardiens de la révolution, l’armée semble elle aussi en pleine mutation. Plusieurs signaux faibles laissent notamment entendre que les nouveaux généraux auraient pris le dessus sur les autorités religieuses.
- Le récent discours du nouveau chef d’État-major de l’armée, Abdolrahim Mousavi, dont la nomination avait été perçue comme un signe de modération — puisqu’il provient de l’armée régulière et non des Gardiens de la Révolution —, avait des accents nationalistes étonnamment séculiers.
- Dans son discours, Mousavi ne prononce pas l’expression « République islamique » mais insiste sur son amour pour la « nation » (ملت), le « peuple » (مردم), et le « pays » (کشور). De même, alors qu’il évoque la possibilité de « mourir mille fois » pour la nation iranienne, il ne prononce pas le mot « martyr » (شهید), pourtant au cœur de l’idéologie de la République islamique 4.
Pour une majorité des analystes, le Guide continue toutefois de prendre les décisions les plus importantes par l’intermédiaire de son bureau — administration parallèle à l’État iranien —, et notamment via son fils Mojtaba Khamenei, qui joue depuis plusieurs années un rôle central.
- La dernière prise de parole vidéo du Guide date de mercredi dernier, le 18 juin. Il a également publié un communiqué écrit à la suite de la riposte iranienne contre la base américaine d’Al-Udeid lundi 23 juin.
- Son absence de l’espace médiatique est interprétée comme le signe d’une potentielle mise à l’écart par des personnalités politiques. L’Institute for the Study of War estime ainsi que des membres de l’élite iranienne, y compris certains dirigeants modérés, « auraient tenté de faire pression sur le guide pour qu’il accepte le cessez-le-feu, voire pour l’écarter complètement du pouvoir » 5.
- Hassan Rouhani, l’ancien président de la République (2013-2021) et négociateur historique du JCPOA 6, serait, selon The Atlantic, une personnalité importante d’un tel comité.
Le successeur de Khamenei devrait être choisi par l’Assemblée des Experts (مجلس خبرگان), a priori extrêmement fidèle au Guide.
- Elle est composée de 88 clercs élus au suffrage universel direct, mais dont l’approbation des candidatures dépend du Conseil des gardiens de la Constitution, dont les 12 membres sont pour moitié nommés par le Guide, et pour moitié élus par le Parlement sur proposition du chef du pouvoir judiciaire – lui-même nommé par le Guide.
- Ali Khamenei aurait demandé à l’Assemblée de se tenir prête à nommer un successeur très rapidement, et aurait même approuvé une liste de trois potentiels successeurs 7.
- Si la liste est secrète, plusieurs hypothèses crédibles circulent. Le premier nom régulièrement évoqué est celui de son fils, Mojtaba Khamenei, même si d’après Ali Vaez la similitude avec une succession monarchique soulèverait d’immenses oppositions.
- De manière plus étonnante, on trouverait le nom de Hassan Khomeyni, petit-fils du fondateur de la République islamique, qui est sur une ligne politiquement plus modérée.
- Plusieurs spécialistes considèrent que le choix pourrait également porter sur un militaire à la retraite, indiquant un tournant plus séculier.
- Il est également envisageable que Khamenei ne soit pas remplacé par un Guide mais par un Conseil composé de plusieurs personnes, comme cela avait déjà été évoqué à la suite de la disparition de l’ayatollah Khomeyni, en 1989.
Sources
- « Fierce hardliners are grabbing power in Iran », The Economist, 23 juin 2025.
- Message publié sur la chaîne Telegram du quotidien Etemad, 24 juin 2025.
- Message publié sur la chaîne Telegram de l’Agence de presse IRNA, 25 juin 2025.
- Vidéo partagée sur la chaîne Telegram du quotidien Sharq, 24 juin 2025.
- Andie Parry, Ria Reddy, Ben Schmida, Nidal Morrison, Kelly Campa, et Annika Ganzeveld, Iran Update Special Report, June 23, 2025, Institute for the Study of War.
- Il avait notamment été le premier négociateur avec les Européens en 2003-2005 en tant que Secrétaire général du Conseil suprême pour la sécurité nationale.
- « Inside story : How Iran’s next leader may be selected », Anwaj Media, 21 juin 2025.