La France et la Pologne ont une histoire commune, un roi commun (Henri III), des transferts de population (la Grande émigration en 1830 avec Chopin et Mickiewicz, la Vieille émigration dans l’Entre-deux-guerres dans le nord et l’est de la France…). Pour autant, aujourd’hui, moins de 1 % des Polonais parlent français et les Français ne sont pas les premiers touristes en Pologne, loin derrière les Allemands et les Italiens, par exemple. La France n’est sans doute pas le pays clef dans l’imaginaire polonais en dehors de clichés sur la francja elegancja, à l’inverse de ses deux pays frontaliers et envahisseurs historiques, l’Allemagne et la Russie. Quelle place occupe la France dans l’imaginaire des Polonais aujourd’hui ?
C’est une très bonne question parce que je m’occupe de ces sujets depuis des années en tant que romanisant, comme on dit dans notre milieu, c’est-à-dire quelqu’un qui a étudié la langue et la culture françaises, et qui reste disons sous le charme de la culture française malgré tous les changements politiques, géopolitiques — malgré même les changements dans l’imaginaire pour ainsi dire mytho-politique polonais.
Il y a un grand changement qui se produit dans la conscience polonaise vis-à-vis de la France après la Seconde Guerre mondiale et plus particulièrement au cours des deux dernières décennies. Je crois qu’il faut chercher toutes les origines de ce changement dans la culture populaire.
La Pologne, comme vous le savez, fait partie de ce que l’on pourrait appeler une communauté des pays francophones. C’est un peu absurde parce que la langue polonaise n’est pas une langue romane — à l’inverse de la Roumanie par exemple — et on n’a presque jamais fait partie de l’empire français colonial. Mais on entre dans cette communauté francophone pour des raisons qui relèvent plus du prestige que de la réalité.
La Pologne a été une grande amie de la France des siècles durant, avec notamment ce mythe romantique qui a un peu escorté et stimulé cette amitié — vous avez mentionné à juste titre ces liaisons romantiques littéraires entre nos deux pays. C’est une grande liaison dans la mesure où le plus grand poète romantique polonais, Adam Mickiewicz —notre Victor Hugo— a vécu à Paris où il a écrit son plus grand chef-d’œuvre, une épopée nationale polonaise qui s’intitule Messire Thadée. On nous dit d’ailleurs plusieurs fois dans le texte qu’il est écrit à Paris, comme une fière revendication…
Cette émigration polonaise a donc laissé des traces inoubliables dans la mythologie et la conscience polonaises. C’est une question de similarité au cœur des relations entre deux pays.
La France a aussi été une sorte de refuge pour la Pologne.
Absolument, c’est une chose trop souvent oubliée et qu’il faut savoir : la France était toujours un lieu de refuge pour la Pologne. Nous parlions de cette émigration romantique, mais plusieurs fois dans l’histoire, même le gouvernement polonais a résidé en France. C’était un gouvernement des émigrés. Pendant la Seconde Guerre mondiale, la France a été le premier lieu de refuge après l’invasion allemande et soviétique contre la Pologne. Le gouvernement polonais s’est installé à Paris — puis à Londres, bien sûr, après la chute de Paris. Mais la France a été le premier lieu et le premier choix, vraiment de cœur. Il n’y avait pas d’autre option dans la mentalité polonaise que la France.
Moi-même j’ai un peu vécu dans ce mythe de la culture et de la civilisation françaises qui étaient naturellement très intéressantes et très puissantes. J’ai lu beaucoup de littérature française au cours de ma formation grâce notamment à de formidables traducteurs qui ont fait un grand travail en Pologne pour transmettre les textes français. Mais cela a beaucoup changé aujourd’hui.
Comment l’expliquez-vous ?
Je dirais que cela s’explique avant tout par l’arrivée de la culture populaire américaine qui a envahi toute l’Europe — et pas seulement la Pologne. Cela est visible partout, notamment chez les jeunes générations qui vivent dans une sorte d’atmosphère où la langue anglaise est omniprésente.
On voit d’abord cette langue anglaise qui vient même s’agréger d’une certaine façon aux langues d’origines ; les jeunes vont par exemple employer un grand nombre de mots anglais dans leur langage quotidien. Et ensuite, la langue anglaise a un peu poussé le français vers l’extérieur, hors de la Pologne.
Il faut aussi ajouter un autre élément significatif. J’ai moi-même assisté au changement de l’influence culturelle française en Pologne entre désintérêt et désengagement financier de la France. L’exemple le plus frappant est celui des Instituts français en Pologne qui étaient très forts et actifs même à l’époque communiste. C’était des lieux où on pouvait avoir des nouvelles du monde, parler d’une façon ouverte de politique, de culture et de beaucoup d’autres choses. On y apprenait le français aussi, bien sûr, avant d’aller en France chercher des échanges culturels.
Et tout d’un coup, j’ai l’impression que tout ce réseau s’est affaibli considérablement. J’imagine qu’une telle politique culturelle de la part de la France devait coûter très cher. Mais je dois dire également que cela s’est vu accompagner du côté polonais d’une sorte de dégradation des finances. On a fermé plusieurs classes de français dans les lycées par exemple, même dans les universités polonaises.

Diriez-vous que ce mythe de la France en Pologne dont vous parliez n’existe donc plus ?
En réalité, il existe encore. Mais ce qui subsiste c’est un mythe un peu particulier et banal, celui de la France —et surtout de Paris— comme un lieu romantique, une ville d’amour. On trouve toujours cela dans la culture populaire qui soutient encore ce mythe.
Mais ce qui est paradoxal c’est que ce mythe est justement véhiculé par les films américains. Les Polonais —et surtout les Polonaises, il faut être honnête— regardent les films américains sur des Américains qui vont à Paris et veulent donc après faire pareil —même s’il s’agit d’un film de Woody Allen…
Mais j’aimerais aussi ajouter autre chose. Dans cette mythologie polonaise, on rencontre souvent une idée qui n’a peut-être pas beaucoup à voir avec la réalité historique, mais qui existe et qui est très forte. Elle concerne la Seconde Guerre mondiale. On avait déjà signé à ce moment-là un traité d’amitié et de sécurité avec la France et l’Angleterre.
Selon ce texte, on était obligé de s’entraider pendant l’invasion allemande. Mais les Polonais ont toujours cette idée très présente dans leur mémoire selon laquelle on a été trahi par la France au début de la guerre — malgré donc ce traité. Bien sûr, l’Angleterre et la France ont déclaré la guerre contre Hitler, mais ils n’ont rien fait. Nous aussi nous avons assisté depuis la Pologne à cette drôle de guerre pendant plusieurs mois qui se déroulait à la frontière franco-allemande. On n’a rien fait : on le sait, on ne voulait pas mourir pour Dantzig. Pendant ce temps, nous nous étions confrontés, seuls, à notre destinée. Et notre sort se jouait bien à l’Est.
Nous avons été écrasés par les Allemands avec ce que nous avons perçu comme une sorte d’immobilité ou de quiétisme du côté français, de nos supposés alliés. La France n’a pas réagi comme cela avait été espéré et n’a pas lancé une offensive contre l’Allemagne.
Malgré les liens historiques que vous avez très bien décrits, il pourrait sembler que la Pologne n’a plus de relation spécifique avec la France en dehors de liens économiques ou diplomatiques. Pourquoi pensez-vous qu’il y a ce nouveau traité qui est signé aujourd’hui entre les deux pays ?
On peut l’expliquer d’une façon tout à fait cynique en adoptant une approche purement politique. Il suffit de regarder ce qui se passe aux États-Unis : l’Amérique se détourne de l’Europe et fait un pas en arrière, en laissant tout particulièrement l’Europe de l’Est face à la Russie.
Ce grand seigneur qui regarde de haut et qui veut donner l’impression qu’il va surveiller la sécurité de la planète s’efface donc. Il se détourne de la Pologne et de l’Europe de l’Est en général. Les Polonais ont toujours en tête ce que je vous disais tout à l’heure : ils ne veulent pas se faire avoir et être d’une certaine façon abandonnés de nouveau. Face au risque que la France et l’Angleterre la laissent encore tomber, la Pologne s’était tournée vers les États-Unis.
La Pologne est, en effet, souvent présentée comme l’allié le plus fidèle des États-Unis en Europe, l’administration Trump n’a d’ailleurs pas arrêté de le répéter, notamment parce qu’elle dépense 5 % de son PIB dans la défense. Pour autant, on semble observer une inflexion, avec notamment l’idée évoquée par Duda d’accueillir des armes nucléaires françaises sur le sol polonais, au même titre que les armes américaines. Voyez-vous la figure de la France comme allié en termes de sécurité ?
La Pologne préférait l’Amérique comme une alliée plus sûre pour les raisons évoquées. Mais après le revirement des États-Unis de Trump, on a commencé à regarder vers l’Ouest et à chercher d’autres pays en Europe qui pourraient remplacer l’Amérique en tant que partenaire sûr. C’est assez naturellement la France qui apparaît presque comme une évidence : c’est la grande puissance nucléaire de l’Europe.
De l’autre côté, si la France veut jouer un rôle primordial dans une Europe unie, il est normal qu’elle se tourne vers le pays qui dépense le plus pour sa sécurité. C’est un calcul très pragmatique : la Pologne peut dépenser tout cet argent qu’elle dédie à sa sécurité dans les armes françaises — plutôt que dans les armes américaines. Alors que l’Amérique fait un pas de côté ou un pas en arrière, ce moment est une bonne occasion pour investir en Pologne — économiquement et politiquement.
Jusqu’au XIXe siècle, voire jusqu’au séjour de De Gaulle en Pologne pendant la guerre soviéto-polonaise de 1919-1921, la Pologne est très présente dans le langage diplomatique et militaire de la France. La Pologne est souvent présentée comme un pays stratégique de la France, qui doit conserver son indépendance, car elle constitue un tampon entre l’Allemagne et la Russie. Cette idée a-t-elle encore un sens aujourd’hui ?
En réalité, toute cette discussion touche en effet à quelque chose de central : notre sécurité. Là je dois employer un mot que je n’aime pas « nous ». Nous, les Polonais —je me sens toujours en minorité en Pologne, c’est pourquoi je n’aime pas ce mot-là, nous avons répété plusieurs fois que le plus grand danger était la Russie.
Nous n’avons pas été écoutés, nous n’avons pas été traités d’une façon sérieuse. On nous répétait sans cesse que nous étions en train d’exagérer. Maintenant nous sommes là, devant eux, devant la Russie, toujours et encore. Maintenant c’est peut-être plus évident : la Russie est un danger.
Dans cette situation, nous devons donc chercher des partenaires pour nous assurer une certaine sécurité. Il faut chercher de la solidarité. Pendant la Seconde Guerre mondiale et pendant d’autres conflits, la solidarité entre les nations et entre les peuples est la seule chose qui a sauvé le monde. Cette fois-ci encore, c’est une nouvelle fois la solidarité qui peut nous sauver.
Parmi les héros que la Pologne célèbre, on compte Frédéric Chopin et Marie Skłodowska-Curie, qui ont commencé leur vie en Pologne, ont revendiqué leur identité polonaise et ont pourtant terminé leur vie en France — Chopin a composé ses polonaises sur l’île Saint-Louis, Curie a baptisé sa découverte « polonium ». Chopin et Curie sont célébrés en Pologne comme polonais, sans que leur existence française ne soit réellement connue ou mentionnée. En face, peu de Français savent sans doute que Chopin a vécu et appris la musique à Varsovie. Pourquoi ne pas en faire des héros franco-polonais, ou tout simplement européens ?
C’est une très bonne idée ! C’est une question importante pour moi et je la développerai plus en détails sans doute dans vos pages plus tard… Mais je peux déjà vous dire que nous sommes sur ce continent des inconnus. Pour les Polonais, la France est une concentration de stéréotypes et de mythes — et réciproquement.
C’est peut-être même pire du côté français. La Pologne est inconnue pour un Français lambda. Je trouve que c’est donc une très bonne idée de montrer qu’on a des personnages et des histoires communes. Et surtout que l’on peut construire quelque chose à partir de cela —construire un pont pour les relations, un pont pour mieux se comprendre.
Quand on se comprend mieux, quand on en sait un peu plus sur l’autre, on peut être plus facilement solidaire. Je crois que si l’on comprend le cas dans lequel se trouve les autres, si l’on comprend leurs raisons et leurs émotions, une voie s’ouvre sur l’entraide. En Pologne, par exemple, on comprend bien la question ukrainienne ; elle est même tellement vivante et importante qu’on comprend qu’il faut aider à tout prix l’Ukraine pour ne pas être à notre tour dévorés par les Russes après. Ce sont des petites choses qui peuvent construire un pont de compréhension.
Comment pourrait-on construire cela ?
Je pense qu’il faut commencer par bien se rendre compte de cette méconnaissance mutuelle qui règne. Je vais vous donner trois exemples, trois citations que j’aime beaucoup et qui fonctionnent comme des métaphores des relations franco-polonaises.
La première citation est très connue. Il s’agit du début de la pièce d’Alfred Jarry, Ubu roi, qui commence ainsi : « En Pologne, c’est-à-dire nulle part. ». Cette Pologne imaginaire qui est un pays fou avec ses rois fous, un pays de corruption et d’inepties… Il s’agit, bien sûr, d’une sorte de métaphore présentée par un lycéen français à une époque où la Pologne justement n’existait pas sur la carte. La Pologne était donc un phénomène imaginaire pour lui. Cela explique un peu les relations franco-polonaises…
L’autre citation qui me plaît bien — peut-être apocryphe — était souvent présentée par un de nos grands poètes et prix Nobel, Czesław Miłosz. Il aimait beaucoup une phrase d’un noble français qui voyageait à travers l’Europe au XVIIIe siècle et qui tenait un carnet de voyage. Il avait tiré de ses voyages beaucoup de remarques à propos de plusieurs pays en Europe mais sur la Pologne il n’y avait qu’une phrase : « La Pologne est un pays marécageux où habitent les juifs. » Je trouve cela formidable !
Par ailleurs, ce n’était pas tout à fait faux car la communauté juive a fait une énorme partie de la culture et de la civilisation polonaises pendant des siècles — jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Après la destruction nazie surgit une autre Pologne, une autre société polonaise totalement différente. Mais les Polonais eux-mêmes ne se rendent pas compte de cela. Après la Seconde Guerre mondiale, on ne sait pas qui on est ni où on est. On était toujours dans le frigo soviétique communiste.
Maintenant, depuis une vingtaine d’années, on est en liberté, et on commence à se dévoiler de nouveau, à voir qui on est, où on est…
Quelle était la troisième citation ?
La troisième citation est aussi une phrase que j’aime beaucoup. Elle vient cette fois-ci d’Henri Rochefort, un journaliste français du XIXe siècle assez discutable dans le sens où il présente une biographie très colorée…
Je connais la citation en polonais, mais en français, cela donnerait quelque chose comme : « C’était un homme si malheureux que ses amis ont commencé à soupçonner qu’il était Polonais. »
La Pologne, c’est-à-dire nulle part, est un pays marécageux habité par les juifs. Et on soupçonnait que c’était un Polonais parce qu’il était très malheureux. Vous voyez, il y a toujours quelque chose qui s’inscrit dans le cadre du mystère, d’une terre à découvrir, à redécouvrir — la Pologne.
Je sais que les traités n’aident pas beaucoup à changer les mentalités. Mon rêve est d’ajouter à ces citations d’autres citations qui pourraient contribuer à mieux expliquer la mentalité polonaise aux Français — et inversement, à mieux expliquer la France aux Polonais.
Dans votre magnifique Voleurs d’ampoules qui a reçu le Prix Grand Continent 2023 et qui vient de paraître en français, vous racontez l’histoire de cet immeuble dans la Pologne de la fin de l’ère communiste qui se déploie comme une sorte de labyrinthe dans lequel les interactions entre les différents habitants peuvent devenir assez complexes — le simple fait de devoir traverser le fameux couloir en face de l’appartement du protagoniste est toute une aventure. Peut-on voir dans cet édifice une sorte d’allégorie des relations entre la France et la Pologne — et par là même de l’Europe actuelle ?
Oui, bien sûr, le bâtiment est une métaphore d’un pays, d’une société, de la Pologne en général qui regarde vers le sud, vers l’ouest, vers l’est aussi, depuis le haut des balcons de cet immeuble qui se trouve au cœur du roman.
Et oui, on trouve ces fissures dans les murs parce qu’il y a des explosions dans les carrières qui ne sont pas loin et qui cherchent à représenter d’une certaine façon la Pologne qui est un pays toujours déchiré ; c’est-à-dire, un pays qui est à mi-chemin entre l’Ouest et l’Est, à mi-chemin entre deux mentalités tout à fait différentes et même entre deux élans différents qui portent ce pays vers la culture européenne et vers quelque chose de plus compliqué de l’autre côté.
Je crois que cette déchirure qui divise le pays et la société aujourd’hui en Pologne est fondamentale —bien que les Polonais ne soient pas les seuls concernés bien entendu par cette double tension qui forge notre caractère national et notre conscience.
Le jury du Prix Grand Continent avait notamment remarqué et salué cette allégorie de la société polonaise et européenne.
Oui, cela m’avait beaucoup touché pendant la cérémonie au sommet des montagnes, face au Mont Blanc. Les membres du jury ont effectivement lu le roman notamment comme une métaphore du mouvement de solidarité qui se produit dans les années 1980 en Pologne.
On vit dans une société, dans un immeuble, dans un bar, ensemble. On ne s’aime pas trop a priori parce qu’on est là par hasard, mais on n’a pas vraiment le choix : il faut coopérer, il faut commencer à faire quelque chose ensemble pour se sortir d’une situation très difficile. Je crois qu’aujourd’hui, en Europe, nous sommes dans une situation difficile et il faut se débrouiller ensemble, il faut coopérer, il faut être solidaires. Sinon, nous serons écrasés un par un, dans la solitude —et les autres regarderont de loin, sans rien faire.
On est très bien pour l’instant dans nos appartements, on a tout ce qu’il faut. Le problème est chez les voisins. Pour l’instant…

Deux figures majeures de la littérature polonaise récente, le prix Nobel Czesław Miłosz, et l’autre grand auteur polonais qui est sans doute mort trop tôt pour obtenir le prix, Witold Gombrowicz, ont passé une partie de leur vie en France. Après la guerre, la revue Kultura a été un instrument majeur de diffusion de la littérature polonaise en France et en Europe de l’ouest. Aujourd’hui on voit partout dans les librairies les ouvrages d’Olga Tokarczuk (et le vôtre depuis avril !), pour autant, il semble que la littérature polonaise est peu lue et connue en France. Souvent, dans les librairies, elle est mélangée à la littérature russe… Kundera est partout, réédité, mais pas Miłosz et Gombrowicz. Qu’est-ce qui peut l’expliquer et comment donner envie aux Français de lire des Polonais ?
C’est une bonne question. C’est un sujet qui, à vrai dire, me fait aussi un peu mal chaque fois que j’y pense. Pendant des années, quand je visitais la France, Paris surtout, je voyais dans les rayons des librairies la littérature polonaise confondue avec la littérature russe. C’est vraiment très pénible.
La seule explication que je vois est que la culture polonaise n’est pas assez attractive.
C’est une question assez compliquée. Bien que cela me déplaise, la culture polonaise n’est peut-être pas une culture universelle. Vous savez, le seul écrivain polonais universel connu dans le monde entier c’est Joseph Konrad Korzeniowski. Il était Polonais, il parlait impeccablement français —parce qu’il faisait partie de la noblesse polonaise, il a vécu en Ukraine, près de Kiev, d’où il venait.
Il écrivait donc bien en français mais il a choisi la carrière littéraire en anglais et il a bien fait parce que maintenant il est connu dans le monde entier. Et on ignore souvent d’ailleurs qu’il est Polonais. Ce cas, à mon avis, est très symbolique car il montre que la culture polonaise est quand même assez provinciale.
À ce titre, même mon livre parle à propos de la Pologne, d’un immeuble polonais en Pologne avec des problèmes très ancrée dans la situation polonaise.
Cela n’empêche pas qu’il puisse même plaire à des lecteurs mexicains par exemple ; votre roman a connu un véritable succès à la Foire internationale du livre de Guadalajara où vous étiez en décembre dernier.
Oui, j’étais en train de penser à cela. J’ai vécu cette magnifique expérience au Mexique qui a montré qu’il y avait beaucoup de lecteurs qui étaient vraiment émerveillés par cette histoire. Mais pour moi c’était une grande surprise. Ce qui est drôle c’est qu’on me répétait là-bas qu’ils aimaient beaucoup le réalisme magique qu’ils trouvaient dans Les Voleurs d’ampoules qui leur faisaient penser un peu, me disaient-ils, à García Márquez, à Fuentes et à d’autres écrivains latino-américains.
Quand on disait à García Márquez que dans Cent ans de solitude il y avait du réalisme magique, il répondait : « Réalisme, oui ; magique, non. » Il précisait même qu’il s’agissait plutôt de réalisme historique…
Oui, c’est la même chose dans mon cas. Enfin, loin de moi l’idée de me comparer à García Márquez bien sûr.
Mais je le vois même en Pologne ; lorsque la jeune génération fait des compte-rendus du livre, elle le qualifie toujours de surréaliste alors qu’il ne l’est pas du tout. Au contraire, c’est un livre très réaliste : quand le narrateur raconte que l’eau qui sort du robinet est marron, ce n’est pas du surréalisme, c’est la vérité. C’était comme cela à l’époque !