L’agence de renseignement dispose d’une gradation opérative en fonction du niveau de menace pour la Constitution : du « cas de contrôle » (Prüffall), en passant par le « cas de suspicion » (Verdachtsfall) jusqu’à la « confirmation » de l’appartenance à l’extrême droite (gesichert rechstextrem). Le service peut ainsi recourir à une palette d’actions variées, dont l’utilisation d’indicateurs.

Du populisme anti-euro à l’extrême droite

L’AfD, fondée en 2013, comme un parti euro-sceptique et souverainiste, a évolué sous l’influence de son aile nationale Der Flügel vers le radicalisme de droite et une conception ethnique de la nation allant jusqu’à l’apologie ou la minimisation de la période nazie. Depuis 2018, différentes sections régionales sont surveillées par le renseignement intérieur, une mesure étendue en 2021 à l’ensemble du parti

  • Comme l’affirme le communiqué de l’office de protection de la Constitution, « la conception ethno-nationaliste du peuple dominante au sein du parti n’est pas compatible avec l’ordre fondamental libéral et démocratique ». 
  • Le service de renseignement poursuit : « l’AfD considère les ressortissants allemands d’origine immigrée venus de pays musulmans comme des citoyens de moindre valeur que les membres du peuple allemand défini par le parti selon des critères ethniques. »

En janvier 2024, la plateforme d’investigation Correctiv avait révélé une rencontre secrète de membres de l’AfD avec des personnalités de l’ultra-droite dans la ville de Potsdam pour discuter de plans de « remigration » concernant des migrants considérés comme indésirables mais aussi des citoyens allemands d’origine étrangère 1. Les révélations avaient conduit à des manifestations rassemblant plusieurs centaines de milliers de personnes dans plusieurs villes d’Allemagne. 

  • La candidate de l’AfD à la chancellerie pour les élections de février 2025, Alice Weidel, a repris à son compte le mot de « remigration ».

Le fait qu’à elle seule, la confirmation d’un parti comme étant d’extrême droite (“gesichert rechtsextrem”) puisse avoir des conséquences légales ou pour sa surveillance peut sembler étonnant vu de France. 

  • En Allemagne, l’appellation d’extrême droite désigne une forme d’extrémisme souvent violente et toujours hostile à la Constitution, alors que dans l’acception française du terme, il s’agit d’une orientation politique sans préjuger de sa légalité.
  • Par conséquent, l’AfD est généralement désigné comme populiste de droite (« rechtspopulistisch ») plutôt que « rechtsextrem ».
  • De manière plus générale, les termes mêmes de « droite » (rechts) ou de « gauche » (links) renvoient à des positions politiques plus radicales en Allemagne qu’en France. Ainsi, la CDU ne se définit pas comme un parti de droite (rechte Partei), préférant l’appellation de « parti bourgeois » (bürgerliche Partei). L’appellation de gauche (Linke) est revendiquée par des partis marqués par l’anticapitalisme et la radicalité de gauche, comme le parti Die Linke, tandis que le SPD revendique au mieux son identité « social-démocrate ».

En raison du passé nazi de l’Allemagne, la Loi fondamentale de 1949 prévoit, à l’article 21-2, un régime légal plus strict permettant l’interdiction de partis lorsqu’ils sont jugés hostiles à « l’ordre constitutionnel libéral et démocratique ». Selon ce dernier, « les partis qui, d’après leurs buts ou d’après le comportement de leurs adhérents, tendent à porter atteinte à l’ordre constitutionnel libéral et démocratique, ou à le renverser, ou à mettre en péril l’existence de la République fédérale d’Allemagne, sont inconstitutionnels ».

L’interdiction du parti reste peu probable

L’Office de protection de la Constitution n’est pas une instance juridique, mais une agence gouvernementale. 

  • C’est au Tribunal constitutionnel fédéral qu’il revient en dernière instance de décider ou non d’une interdiction du parti. 
  • La procédure peut être initiée par l’un des organes constitutionnels (Bundestag, Bundesrat, gouvernement fédéral).  
  • Dans l’histoire de la république fédérale, seules deux procédures d’interdiction ont abouti, toutes deux dans les dix premières années : le SRP, parti néo-nazi fut interdit en 1952, et le parti communiste d’Allemagne (KPD) en 1956. 
  • À l’inverse, la tentative d’interdire le parti néo-nazi NPD a échoué par deux fois devant la Cour constitutionnelle fédérale de Karlsruhe, en 2003 et en 2017. La première fois, l’interdiction a été rejetée en raison de la trop grande représentation des agents infiltrés de l’Office de protection de la constitution parmi les déclarations imputées au parti. La seconde fois, l’interdiction a été rejetée au motif que le parti était insignifiant dans le débat public.

Marco Wanderwitz, élu CDU de Saxe, avait réclamé pendant la précédente législature une procédure d’interdiction de l’AfD elle-même 2

  • Il ne siège désormais plus au Bundestag et une partie de ses collègues chrétiens-démocrates sont même partisans d’une normalisation des relations avec l’AfD, comme Jens Spahn, qui succèdera bientôt à Friedrich Merz à la tête du groupe parlementaire CDU/CSU 3
  • Devant le congrès de l’Église protestante qui se tient ce week-end à Hanovre, Olaf Scholz a souligné que l’interdiction d’un parti ne peut pas se prendre par-dessus la jambe, tandis que son successeur à la tête du parti Lars Klingbeil, s’y est montré plus ouvert vis à vis d’une éventuelle interdiction auprès du journal Bild 4
  • Dans le nouveau Bundestag, l’AfD compte 152 députés, et représente le premier parti d’opposition. Pour le moment, malgré son poids de plus en plus important, l’AfD n’a pas réussi à faire élire un de ses membres vice-président du Bundestag ou président d’une Commission du parlement.  

L’annonce de la décision, même si elle marque un tournant, pose quelques problèmes.

  • La requalification du parti repose en effet sur un rapport qui est tenu secret. 
  • Par ailleurs, le directeur sortant de l’Office pour la protection de la constitution, Thomas Haldenwang, a été élu député sous la bannière de la CDU lors des élections du 23 février, et il n’a pas encore été remplacé. 
  • C’est la Ministre de l’intérieur sortante, Nancy Faeser (SPD) qui a pris sur elle, en tant qu’autorité de tutelle, d’annoncer la décision de l’agence, alors même qu’elle quittera ses fonctions dans quatre jours après l’élection du gouvernement Merz le 6 mai.  
  • Son successeur, Alexander Dobrindt (CSU) devra reprendre le dossier, alors qu’il s’était opposé en tant que chef du groupe parlementaire de son parti à une procédure d’interdiction de l’AfD 5.

L’AfD reçoit encore un soutien des États Unis

La co-présidente de l’AfD Alice Weidel a dénoncé un processus politique de « justice secrète et de démoralisation », comparant l’agence de renseignements à la Stasi. L’AfD souhaite ainsi profiter à la fois du supposé manque de transparence lié à la non-divulgation du dossier à quelques jours du changement de gouvernement

  • Comme lors de la campagne législative du début d’année, le parti d’extrême droite a reçu le soutien du gouvernement américain, exprimé respectivement par le secrétaire d’État Marco Rubio et le vice-président J.D. Vance sur la plateforme X. 
  • Ni l’un ni l’autre des dirigeants américains ne semblent très au courant des subtilités institutionnelles de la protection de la Constitution allemande, et préfèrent dresser des parallèles avec l’histoire allemande. 
  • Le compte en anglais sur X du Ministère fédéral des affaires étrangères, encore dirigé pour quelques jours par Annalena Baerbock, a réagi par un démenti ferme. 
  • Elon Musk qui faisait partie des soutiens les plus vocaux du parti d’extrême droite pendant la campagne a également réagi, qualifiant l’AfD de parti centriste.
  • Le chœur de réactions s’est encore amplifié avec la remarque du président salvadorien Nayib Bukele.