Économie

E​t si Trump avait une stratégie ? L’escalade tarifaire vue par son conseiller clef Stephen Miran

La force brute libérée par le « Liberation Day » est un signal : la Maison-Blanche ne veut pas « d’accord de Mar-a-Lago » — et Trump est prêt à s’opposer aux marchés.

L’inspirateur de sa doctrine en matière économique, Stephen Miran, a fait volte-face et prononcé un discours étonnant : il illustre le revirement d’une stratégie de négociation à une attitude de confrontation totale avec la Chine.

Nous le traduisons — avec une introduction signée Shahin Vallée.

Auteur
Shahin Vallée
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© Aaron Schwartz/Sipa USA

Sur la politique économique mondiale, la Maison-Blanche est divisée entre deux courants contraires.

D’un côté, des hard-liners, partisans d’une politique commerciale dure. Le cœur de leur équipe est constituée autour de Robert Lighthizer, du représentant américain au Commerce Jamieson Greer, de Peter Navarro — le cerveau et « tsar des tarifs » de Trump — et de Howard Lutnick, porte-parole le plus virulent de cette politique sur les plateaux de télévision. 

De l’autre, des négociateurs, partisans d’un « accord de Mar-a-Lago ». Ils insistent sur le fait qu’il n’existerait pas de politique commerciale concluante permettant de remédier aux déséquilibres économiques des États-Unis sans un accord plus large incluant des changements de taux de change et de politique macroéconomique qui ne peuvent être obtenus que par la négociation. Outre le Secrétaire au Trésor Scott Bessent, on peut ranger dans cette catégorie un économiste comme Oren Cass qui, sans être à la Maison-Blanche, demeure influent dans les cercles trumpistes.

Dans ce contexte, il est crucial de lire les dernières interventions des décideurs politiques américains 1 et en particulier celle de Stephen Miran dont le long papier publié en novembre — traduit et commenté ici — avait largement contribué à orienter la discussion autour d’un éventuel accord de Mar-a-Lago, y compris sur ses aspects les plus improbables comme l’extension forcée de la durée moyenne des titres américains détenus par les partenaires commerciaux de Washington. De telles prises de position — publiées avant que l’administration Trump ne soit en place et qu’il y joue un rôle aussi central — sont bien différentes de la déclaration qu’il a faite cette semaine.

De manière étonnante, le discours au Hudson Institute que nous traduisons ci-dessous contraste fortement avec la doctrine Miran qui décrivait un accord global dont la finalité était coopératif, multilatéral et allant au-delà de la politique commerciale. 

Son nouveau discours est plutôt une défense vigoureuse de la politique tarifaire en cours de déploiement et ne tente même pas de mettre en évidence la nécessité et la place de la coordination, du compromis et de la négociation. Miran affirme ainsi que même des droits de douane impliquant des représailles totales permettraient d’assurer un certain niveau de rééquilibrage économique dans l’intérêt des États-Unis. Le réalignement des taux de change et la coordination des politiques macroéconomiques semblent en somme avoir complètement disparu de sa réflexion, de même que l’idée d’un échange de dettes, qui était l’aspect le plus controversé de sa proposition initiale.

Ce pamphlet flagorneur est toutefois très inquiétant : il suggère que même les membres de cette administration qui sont les plus conscients de la dynamique des marchés mondiaux semblent avoir abandonné leur rôle. La conséquence potentielle d’un tel signal sera une politique encore plus malavisée de la part de l’équipe Trump et l’illusion que le génie pourrait en quelque sorte être remis dans la lampe grâce à un ensemble d’accords commerciaux bilatéraux avec des partenaires commerciaux secondaires.

La liste des solutions proposées par Miran dans son article repose essentiellement sur le présupposé que le reste du monde fera unilatéralement des concessions aux États-Unis, y compris « faire un chèque au Trésor américain » pour financer les biens publics mondiaux que les États-Unis fourniraient gratuitement.

Face à ce revirement de Miran, le seul qui semble tenir du camp des « négociateurs » est Scott Bessent qui, depuis dimanche, tente tous azimuts de convaincre le président Trump que la négociation est le seul moyen de calmer les marchés. L’appel bilatéral avec le Premier ministre Ishiba et le début des « négociations préférentielles » sont un stratagème utile dans ce contexte et une tentative de démontrer que l’application commerciale de la stratégie du choc et de l’effroi mise en place avec le « Liberation Day » fonctionne. L’appel avec le Vietnam vendredi dernier et désormais avec le président sud-coréen suggèrent également que les négociations avec des partenaires commerciaux importants pourraient conduire à l’apaisement et au règlement. 

Mais la réalité est qu’il n’y a pas grand-chose qui puisse faire avancer une telle négociation avec les plus grands partenaires commerciaux des États-Unis : la Chine et l’Union européenne. Avec celle-ci, l’administration américaine semble déterminée à écarter la seule négociatrice légitime, Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne. Quant à la Chine, elle a promis de riposter avec force aux tarifs.

Ce qui semble clair dans la récente volonté de négocier, au moins symboliquement, c’est que, contrairement à ce qu’il dit publiquement, Trump est sensible à la pression et au stress du marché et que sa coalition pourrait très bien se fracturer si le marché s’effondre. Le fait que Musk ait commencé à s’exprimer ouvertement sur X en faveur d’une politique commerciale alternative ou que Jamie Dimon ou Larry Fink tournent tous le dos à cette politique est préoccupant. Et Trump ne pourra pas résister entièrement à une rupture de sa coalition en se reposant uniquement sur son noyau dur de députés MAGA dans la « Rust Belt ».

Tout cela donne un levier important au reste du monde. Car malgré leur puissance, les États-Unis ne représentent que 23 % du PIB et 10 % du commerce mondial. Ils pourraient exiger des concessions majeures de la part de pays qui dépendent fortement d’eux pour leur sécurité — comme la Corée du Sud ou le Japon — mais cela sera plus difficile avec des pays qui n’en dépendent ni économiquement ni militairement comme l’Inde, la Chine ou, dans une moindre mesure, l’Union.

Ce qui est frappant jusqu’à présent, et qui devrait inquiéter l’administration Trump, c’est que ces mesures tarifaires audacieuses et la violente réaction des marchés financiers qu’elles ont provoquée n’ont pas conduit à une « fuite vers la sécurité » et à un renforcement du dollar, mais plutôt à un affaiblissement généralisé de la devise américaine. Ce premier constat pourrait être le signe d’une rupture : la politique américaine semble structurellement s’opposer à la nature de valeur refuge du dollar. Si cette tendance se confirmait, cela serait un changement potentiellement profond du rôle mondial de la devise américaine à suivre de près.

Il est également important de noter que, bien que la Chine ait jusqu’à présent fait tout son possible pour limiter sa réaction à un niveau modéré afin de laisser la porte ouverte au dialogue, elle n’est pas entrée totalement dans la guerre commerciale mais a commencé à laisser sa monnaie se déprécier lentement — signalant ainsi qu’elle était prête à étendre le conflit au-delà du commerce et à le porter sur le terrain des taux de change.

Là encore, il s’agit d’un changement significatif qui devrait alarmer l’administration Trump. 

La Chine a le potentiel de ralentir la hausse du dollar, de conduire à des taux d’intérêt plus élevés et de créer un resserrement de la situation financière et monétaire par le biais d’un dollar plus fort, de taux longs américains plus élevés et d’actions plus faibles.

L’escalade avec la Chine pourrait éventuellement conduire les États-Unis à adopter des sanctions financières contre Pékin, en interdisant par exemple aux banques chinoises de réaliser des transactions en dollars ou en prenant des mesures similaires. Il s’agirait d’une escalade importante aux conséquences considérables non seulement pour la Chine, mais surtout pour le dollar américain. Ces forces pourraient toutes converger pour transformer ce qui s’est jusqu’à présent limité à une panique sur les actions américaines prenant la forme d’une liquidation des actifs américains. La combinaison de l’effondrement des marchés des actions et des titres à revenu fixe pourrait facilement s’intensifier pour devenir une véritable crise financière.

Donald Trump semble avoir conscience de ce risque, mais espère que la Réserve fédérale pourrait être contrainte d’intervenir pour faire baisser les taux ou contribuer à faire baisser le dollar. La réaction de Jerome Powell la semaine dernière ne laisse pas présager que cela se produira facilement. Le président de la Fed semble craindre que la nouvelle vague de droits de douane ne déstabilise les anticipations d’inflation et ne contraigne la Réserve fédérale à rester dans l’attente. Si la divergence entre la Fed et l’administration Trump devenait encore plus patente, la confiance des marchés pourrait s’en trouver encore plus érodée.

Enfin, la réponse de l’Union pourrait aussi avoir des conséquences inattendues pour Washington. Bien que les États-Unis partent du principe que l’Union ne répondra pas à la force par la force, l’administration Trump pourrait être surprise si la Commission annonçait une combinaison de droits de douane et d’actions potentielles contre les services numériques, pharmaceutiques et financiers. Les États-Unis seraient alors susceptibles de réagir à une nouvelle escalade.

Pour les États-Unis, il ne semble y avoir que deux façons de sortir de cette politique désastreuse :

1°) Proposer une suspension ou une réduction des droits de douane de la même manière que les États-Unis l’ont fait avec le Canada et le Mexique il y a quelques semaines. Cela pourrait entraîner un revirement rapide et les marchés pourraient tourner la page d’une expérimentation politique désastreuse.

2°) Prendre une mesure substantielle et crédible en faveur de la négociation, mais avec des partenaires commerciaux importants comme l’Union et, surtout, la Chine. La perspective d’un appel ou d’une rencontre bilatérale entre Xi et Trump suffirait à renverser la perspective actuelle d’une confrontation inévitable.

Ce qui semble plus probable à court terme, c’est la volonté de se confronter non seulement au monde, mais aussi — de manière unique et nouvelle — aux marchés financiers américains, potentiellement jusqu’à un point de rupture. 

Cette stratégie frontale signe un changement d’époque dans un pays où la bourse et Wall Street ont historiquement servi de quatrième branche du gouvernement, faisant partie intégrante des contre-pouvoirs institutionnels de la politique étatsunienne. 

Alors que le pouvoir judiciaire et le pouvoir législatif se trouvent désormais sous le joug de Trump, une confrontation avec les marchés financiers pourrait faire changer de nature la branche exécutive : un pouvoir immense et incontrôlé commandé depuis la Maison-Blanche, faisant fi de toutes les autres forces du pays — et qui ne pourrait être maintenu que par l’exercice brutal de la violence.

J’aimerais aborder aujourd’hui la question de ce que les économistes appellent les « biens publics mondiaux », que les États-Unis fournissent au reste du monde.

Premièrement, les États-Unis offrent un parapluie de sécurité, qui a généré la plus grande période de paix que l’humanité ait jamais connue.

Deuxièmement, les États-Unis fournissent le dollar et les titres du Trésor, des actifs de réserve rendant possible le système commercial et financier mondial sur lequel est fondée la plus grande période de prospérité que l’humanité ait jamais connue.

Fournir ces deux éléments nous coûte cher. 

Sur le plan de la défense, nos hommes et nos femmes en uniforme prennent des risques héroïques pour rendre notre nation et le monde plus sûrs, préservant nos libertés génération après génération. Et nous taxons lourdement les Américains qui travaillent dur afin de financer la sécurité mondiale. 

Sur le plan financier, la fonction de réserve du dollar a provoqué des distorsions monétaires persistantes et contribué, avec les barrières commerciales injustes mises en œuvre par d’autres pays, à des déficits commerciaux insoutenables. Ces derniers ont décimé notre secteur manufacturier, ainsi que de nombreuses familles d’ouvriers et leurs communautés, tout cela en facilitant les échanges commerciaux entre non-Américains.

Je précise que par « monnaie de réserve », j’entends toutes les fonctions internationales du dollar — y compris l’épargne privée et le commerce. Je prends souvent cet exemple : lorsque des agents privés de deux pays étrangers distincts commercent entre eux, leurs échanges sont généralement libellés en dollars en raison du statut de fournisseur de réserve des États-Unis. Ce commerce implique de l’épargne étant placée dans des titres en dollars, souvent des bons du Trésor. Par conséquent, les Américains payent pour la paix et la prospérité non pas seulement pour eux-mêmes mais aussi pour les non-Américains.

Le président Trump a clairement indiqué qu’il ne tolérerait plus que d’autres nations profitent de notre sang, de notre sueur et de nos larmes — que cela soit en matière de sécurité nationale ou de commerce. 

Au cours de ses cent premiers jours, l’Administration Trump a déjà agi avec fermeté afin de réorienter nos relations en matière de défense et de commerce, pour que les Américains se situent sur un terrain plus équitable. Le président a promis de reconstruire notre base industrielle endommagée, et de défendre des conditions commerciales qui donnent la priorité aux travailleurs et aux entreprises américains.

Je suis un économiste, pas un expert des questions militaires et m’attarderai donc davantage sur le commerce que sur la défense, mais les deux sont profondément liés. 

Pour comprendre comment cela fonctionne, imaginez deux nations étrangères — disons la Chine et le Brésil — qui commercent entre elles. Aucun des deux pays n’a une monnaie qui soit fiable, liquide et convertible, ce qui rend les échanges commerciaux difficiles. Toutefois, puisqu’ils peuvent effectuer des transactions en dollars américains, adossés à des bons du Trésor américain, ils sont en mesure de commercer entre eux librement et de prospérer. Ce type d’échanges ne peut avoir lieu que grâce à la puissance militaire américaine, qui garantit notre stabilité financière et la crédibilité de nos emprunts. Notre domination militaire et financière ne doit pas être tenue pour acquise, et l’Administration Trump est déterminée à la préserver.

Mais notre domination financière a un coût. S’il est vrai que la demande en dollars a maintenu nos taux d’emprunt à un niveau bas, elle a également faussé les marchés des devises. Ce phénomène a conduit à des charges excessives imposées à nos entreprises et à nos travailleurs, rendant leurs produits et leur main-d’œuvre non compétitifs sur la scène mondiale. On a aussi assisté à la réduction forcée de plus d’un tiers de notre main-d’œuvre manufacturière par rapport à son niveau maximum 2 et à un déclin de 40 % de la part des États-Unis dans la production manufacturière mondiale.

Nous devons être capables de faire les choses directement dans ce pays — c’est ce que nous avons constaté pendant la pandémie de Covid-19, quand nombre de nos chaînes d’approvisionnement ne pouvaient pas survivre indépendamment de notre plus grand adversaire, la Chine. 

Il est clair que nous ne devrions pas dépendre de notre plus grand adversaire pour des équipements qui sont essentiels à la sécurité et à la santé de notre population. Inversement, notre plus grand adversaire ne devrait pas être autorisé à bénéficier à tel point de l’architecture financière et de sécurité internationale que nous finançons.

Mais il y a d’autres effets secondaires regrettables dans le fait d’être un fournisseur d’actifs de réserve. D’autres peuvent acheter nos actifs pour manipuler leur propre monnaie, afin de maintenir leurs exportations à bas prix. Ce faisant, ils finissent par injecter tellement d’argent dans l’économie américaine que cela alimente les vulnérabilités économiques et les crises. Par exemple, dans les années qui ont précédé le krach de 2008, la Chine et de nombreuses institutions financières étrangères ont augmenté leurs avoirs en créances hypothécaires américaines, injectant des centaines de milliards de dollars de crédit dans le secteur immobilier sans se soucier de la pertinence des investissements, ce qui a contribué à alimenter la bulle immobilière. 

La Chine a donc joué un rôle significatif dans la naissance de la crise financière mondiale.

Pour s’en remettre, il a fallu près d’une décennie — jusqu’à ce que le président Trump nous remette sur les rails lors de son premier mandat.

Pour continuer à fournir ces deux biens publics mondiaux — l’accès à la sécurité et l’accès à la finance — j’estime qu’il faut un meilleur partage du fardeau à l’échelle mondiale. 

Si d’autres nations veulent bénéficier de la protection géopolitique et financière des États-Unis, elles doivent aussi apporter leur contribution et payer leur part de façon équitable. Les coûts ne peuvent pas être supportés uniquement par les Américains ordinaires, qui ont déjà tant donné.

Le meilleur scénario est celui dans lequel les États-Unis continuent à créer la paix et la prospérité dans le monde et restent le fournisseur de réserve, mais où les autres pays, au-delà de la récolte des bénéfices, participent aussi à la prise en charge des coûts. En améliorant le partage du fardeau, nous pouvons renforcer la résilience et préserver la sécurité mondiale et les systèmes commerciaux pour de nombreuses décennies à venir.

Cela est par ailleurs essentiel non seulement en termes d’équité mais aussi en termes de capacité. Nous sommes assiégés par des adversaires hostiles qui tentent d’affaiblir notre base industrielle manufacturière et de défense et de perturber notre système financier. Or nous ne pourrons fournir ni défense, ni actifs de réserve si notre capacité de production est réduite à néant. Le président a été clair sur le fait que les États-Unis sont engagés à rester le fournisseur de réserve — mais à condition que le système soit plus équitable. Nous devons donc reconstruire nos industries pour déployer la force nécessaire à la protection de notre statut de réserve et, pour y parvenir, nous devons être en mesure de payer nos factures.

Sous quelles formes ce partage du fardeau peut-il se faire ? Il existe de nombreuses options, mais voici quelques idées :

  • Premièrement, d’autres pays peuvent accepter des droits de douane sur leurs exportations vers les États-Unis sans mettre en œuvre de représailles, générant ainsi des revenus qui permettraient au Trésor américain de financer la fourniture de biens publics. Il est essentiel de noter que des mesures de rétorsion exacerberaient, plutôt qu’elles n’amélioreraient, la répartition des charges, rendant ainsi encore plus difficile aux États-Unis le financement des biens publics mondiaux.
  • Deuxièmement, ils [les autres pays] peuvent mettre fin aux pratiques commerciales déloyales et préjudiciables en ouvrant leurs marchés et en achetant davantage aux États-Unis ;
  • Troisièmement, ils peuvent augmenter les dépenses de défense et l’approvisionnement aux États-Unis, en achetant davantage de produits de fabrication américaine, et permettre d’alléger la charge de nos militaires tout en créant des emplois ici ;
  • Quatrièmement, ils peuvent investir dans des usines qu’ils installeraient aux États-Unis. Ils ne seront pas soumis à des tarifs s’ils fabriquent leurs produits dans le pays ;
  • Cinquièmement, ils pourraient simplement faire des chèques au Trésor qui nous aideraient à financer les biens publics mondiaux.

Les droits de douane méritent une attention particulière. La plupart des économistes, et certains investisseurs, considèrent qu’ils sont au mieux contre-productifs et au pire extrêmement préjudiciables. 

C’est faux.

Une raison pour laquelle le consensus économique sur les droits de douane est si faux, c’est parce que presque tous les modèles utilisés par les économistes pour étudier le commerce international partent du principe qu’il n’y a pas de déficit commercial, ou que les déficits sont de courte durée et s’auto-régulent rapidement par des ajustements monétaires. Selon les modèles standard, les déficits commerciaux entraînent un affaiblissement du dollar, ce qui conduit à une réduction des importations et à une croissance des exportations permettant finalement de faire disparaître le déficit commercial. Si un tel scénario se produit, les droits de douane peuvent s’avérer inutiles, car le commerce s’équilibre de lui-même avec le temps et, de ce point de vue, intervenir par le truchement de droits de douane ne ferait qu’empirer les choses.

Cependant, cette perspective est en contradiction avec la réalité. Les États-Unis connaissent des déficits de leur balance courante depuis maintenant cinq décennies, qui ont plongé de manière spectaculaire ces dernières années, passant d’environ 2 % du PIB sous la première administration Trump à près de 4 % du PIB sous l’administration Biden 3. Et cela s’est produit alors même que le dollar s’appréciait, et non se dépréciait !

C’est un constat de long terme face à des modèles erronés. Cela s’explique notamment par le fait qu’ils ne prennent pas en compte que les États-Unis fournissent la monnaie de réserve mondiale. Le statut de réserve est important et, à cause d’une demande en dollars insatiable, il est resté trop important pour que les flux internationaux puissent l’équilibrer, même sur cinq décennies.

Des analyses économiques plus récentes 4 envisagent la possibilité de déficits commerciaux persistants qui résistent au rééquilibrage automatique, ce qui est plus conforme à la réalité aux États-Unis. Elles montrent qu’en imposant des droits de douane à des pays exportateurs, les États-Unis pourraient améliorer leurs résultats économiques, augmenter leurs recettes et imposer d’énormes pertes à la nation ciblée, y compris en cas de mesures de rétorsion totales.

En ce sens, l’analyse de ce que les économistes appellent l’« incidence » des droits de douane indique qu’une large part des charges dues aux droits de douane sont « payées » par le pays sur lequel on les applique. Les pays qui enregistrent d’importants excédents commerciaux sont relativement rigides — ils ne peuvent pas trouver d’autres sources de demande se substituant aux États-Unis. Ils n’ont pas d’autre choix que d’exporter, et les États-Unis sont le plus grand marché de consommateurs du monde. Au contraire, les États-Unis ont de nombreuses options de substitution : nous pouvons fabriquer des biens sur le sol américain, ou acheter ces biens à des pays qui nous traitent équitablement plutôt qu’à ceux qui profitent de nous. Cet écart entre les leviers d’action implique que les autres pays finissent par supporter le coût des droits de douane.

En 2018-2019, la Chine a supporté le coût des tarifs historiques du président Trump à travers l’affaiblissement de sa monnaie, entraînant un appauvrissement de ses citoyens et une diminution de leur pouvoir d’achat sur la scène mondiale. Les recettes douanières, payées par la Chine, ont servi à financer les réductions d’impôts mises en œuvre par le président Trump en faveur des travailleurs et des entreprises américains. Cette fois-ci, les droits de douane contribueront à financer à la fois les réductions d’impôts et la réduction du déficit.

La réduction des impôts pour les Américains, financée en partie par les recettes provenant des étrangers, rendra possible une croissance économique, un dynamisme et des opportunités sans précédent dans notre pays, inaugurant ainsi le nouvel âge d’or du président Trump. La réduction du déficit contribuera à faire baisser les taux du Trésor, et avec eux les taux hypothécaires et les taux des cartes de crédit du consommateur, ce qui favorisera un pic de croissance économique.

Il est important de noter ici que les droits de douane ne sont pas prélevés simplement pour collecter des recettes. Par exemple, les tarifs réciproques du Président sont conçus pour faire face aux barrières tarifaires et non tarifaires, et à d’autres formes de tricherie telles que la manipulation des devises, le dumping et les subventions qui visent à obtenir un avantage déloyal. Les recettes sont un effet secondaire positif et, si elles sont utilisées en partie pour réduire les impôts, elles peuvent fortement contribuer à améliorer la compétitivité qui dope les exportations américaines.

Le partage du fardeau peut permettre aux États-Unis de continuer à diriger le monde libre pendant de nombreuses décennies. C’est un impératif, à la fois pour des raisons d’équité et de faisabilité. Si nous ne reconstruisons pas notre secteur manufacturier, nous aurons du mal à assurer la sécurité dont nous avons besoin et à soutenir nos marchés financiers. Le monde peut continuer à bénéficier du parapluie de défense et du système commercial des États-Unis, mais il doit commencer à payer équitablement sa part. 

Sources
  1. Voir notamment l’op-ed de Peter Navarro publié dans le Financial Times le 7 avril.
  2. All Employees, Manufacturing (MANEMP), Federal Reserve Bank of St. Louis, avril 2025.
  3. Current account balance ( % of GDP) – United States, World Bank Group.
  4. Pau Pujolas et Jack Rossbach, « Trade Wars with Trade Deficits », SSRN, 3 novembre 2024.
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