L’accord conclu avec les Verts vendredi, 14 mars, a ouvert la voie à l’adoption du plan massif d’investissement proposé par la CDU/CSU et le SPD, un contexte géopolitique inédit. 

Friedrich Merz a appelé, depuis la tribune du Bundestag, à la construction d’une communauté européenne de défense pouvant inclure des partenaires actuellement hors de l’Union, ainsi qu’à une politique de commandes fiables et qui donne la priorité à l’industrie de défense européenne.

513 voix pour un changement d’époque

La majorité des deux tiers du Bundestag, dans sa configuration de 733 sièges, s’élève à 489 voix. L’accord conclu entre la CDU/CSU, le SPD et les Verts en fin de semaine dernière pesait théoriquement 520 voix, c’est-à-dire 31 de plus que nécessaire. 

  • Le futur chancelier a pu se permettre quelques voix dissidentes : l’opposition interne au sein des différents groupes parlementaires n’a toutefois pas été structurée, malgré les craintes d’un affaiblissement de la discipline de vote chez les députés qui ne siègeront pas dans la prochaine législature.
  • Au sein du SPD et des Verts ont ainsi manqué une ou deux voix selon les annonces précédant le vote des chefs des groupes parlementaires Lars Klingbeil et Britta Hasselmann. 
  • Seul le député de la CDU Mario Czaja, ex-secrétaire général de la CDU entre 2022 et 2023, et qui ne siègera pas au sein de la prochaine législature, s’est explicitement prononcé avant le vote contre la modification de la Constitution « N’oublions pas [Wolfgang] Schäuble. Il a mis en garde contre la formation de bulles financières : Dette plus élevée = charges d’intérêts croissantes = inflation plus élevée = pickpocket des petites gens. Celui qui représente les bas salaires et la classe moyenne doit s’opposer à un tel nouvel endettement. L’État pléthorique doit être réformé. L’argent frais ne fait que masquer les problèmes structurels, il finit par les aggraver. […] Demain aurait été la dernière séance de [Wolfgang] Schäuble au Bundestag. Ce qu’il nous aurait recommandé est connu de tous ceux qui, comme moi, se souviennent de lui avec le plus grand respect ». 

Pendant le débat, les députés du Bündnis Sahra Wagenknecht (BSW), parti qui ne sera pas représenté dans la prochaine législature, ont brandi des affiches — ce qui contrevient au règlement du Bundestag — proclamant « 1914=2025 : non aux crédits de guerre », qui reposent sur un parallèle entre la situation actuelle et la politique de l’Union sacrée ou du Burgfrieden au début de la Première Guerre mondiale. 

  • Sahra Wagenknecht a également reproché à son ancien parti, Die Linke, de ne pas s’opposer suffisamment fermement au réarmement. 

Merz : un « premier pas vers une communauté européenne de défense »

Alors que le Bundestag commémorait solennellement, l’élection du 18 mars 1990 qui avait constitué la dernière Volkskammer de la République Démocratique Allemande, le premier parlement à être élu démocratiquement dans le pays depuis 1949 et le dernier avant la réunification, le futur chancelier Friedrich Merz a décrit à la tribune la modification de la Constitution comme « un grand changement pour notre avenir et celui des générations futures ». Il l’a justifiée par les circonstances exceptionnelles de la guerre que Poutine mène contre l’Europe toute entière et pas seulement contre l’Ukraine.

  • Selon Merz, le pouvoir russe mène en effet « une guerre contre notre pays qui a lieu chaque jour, avec des attaques informatiques, la destruction de conduits énergétiques, l’espionnage de casernes, des campagnes de désinformation dont vous [l’AfD] faites désormais aussi partie, avec une tentative de diviser et marginaliser l’Union européenne ».
  • Constatant que « nous avons cru à une sécurité trompeuse pendant des décennies », il a proclamé un « changement de paradigme » de la politique de défense. 
  • Le but de la décision d’aujourd’hui est bien de « reconstruire notre capacité de défense avec des systèmes automatisés, une surveillance satellite européenne autonome, des drones armés et de nombreux systèmes modernes de défense, et avant tout avec des commandes fiables et planifiables à des producteurs européens ». 
  • Cette déclaration semble annoncer un rapprochement franco-allemand, au moment où le gouvernement sortant d’Olaf Scholz s’oppose à ce que les fonds annoncés par la Commission européenne soient exclusivement réservés aux commandes passées auprès de l’industrie de défense européenne.

Pour le futur chancelier : « Actuellement, nous ne pouvons pas nous défendre seuls. Nous ne pouvons aujourd’hui le faire qu’avec les américains dans l’OTAN, mais nous voulons, pas à pas, pouvoir l’assurer par une défense européenne ».

  • « Il s’agit d’une décision en faveur d’une capacité de défense qui ne peut rien être de moins que le premier pas pour une nouvelle communauté européenne de défense, qui comprend aussi des pays qui sont hors de l’Union, mais qui sont bien sûr intéressés pour la construire avec nous », citant le Royaume-Uni et la Norvège. 
  • Cependant pour le président de l’Union-chrétienne démocrate, les dépenses pour les investissements dans les infrastructures ne peuvent être justifiées que par les circonstances exceptionnelles et l’argent seul ne résout aucun problème. 
  • Friedrich Merz a donc réitéré son projet d’une baisse des dépenses publiques, notamment dans le domaine social, sur lequel il a fait campagne. 
  • Il a ainsi martelé devant le Bundestag « qu’un endettement croissant demande aussi des plans pour rembourser la dette » et décrit « une importante pression pour consolider les finances des collectivités ». 
  • Merz a enfin souligné l’importance des plans de la Commission von der Leyen pour débureaucratiser la vie économique et rendre l’État plus efficace.

Le projet nécessite désormais une approbation du Bundesrat, où sont représentés les gouvernements des Länder. Si les membres d’une coalition régionale sont en désaccord, les représentants de cette dernière doivent cependant s’abstenir. La majorité des deux tiers (46 voix sur 69) y est désormais très probable avec l’accord obtenu lundi soir au sein de la coalition bavaroise entre l’union chrétienne-sociale (CSU) de Markus Söder et les Freie Wähler (FW) de Hubert Aiwanger 1.

Le président Emmanuel Macron sera à Berlin ce soir pour un dîner avec Friedrich Merz, ainsi qu’une rencontre avec Olaf Scholz 2. Dans la continuité du discours du futur chancelier, il pourrait y être question du fonds européen ou de différents programmes d’armement commun, alors que les 27 se réuniront pour un Conseil européen clef les 20 et 21 mars et que la Commission européenne présentera demain son livre blanc sur le futur de la défense européenne. 

Julia Klöckner désignée future présidente du Bundestag 

Selon la tradition parlementaire, le premier groupe parlementaire peut proposer le nom du président du Bundestag. Friedrich Merz souhaite voir nommée à la tête de la chambre basse Julia Klöckner, ex-ministre de l’agriculture (2018-2021) sous Angela Merkel. 

  • Originaire d’une famille de vignerons de Rhénanie-Palatinat, Klöckner représente l’aile plutôt libérale et conservatrice du parti. « [Elle] apporte des années d’expérience au Bundestag, au gouvernement, en politique locale et dans l’opposition. Elle représente la force parlementaire et une bonne culture du débat démocratique. C’est avec une grande confiance que nous la désignons pour le poste de présidente du Bundestag — et nous sommes sûrs qu’elle sera à la hauteur de ce défi ».
Sources
  1. Petr Jerabek, CSU und FW einig : Bayern stimmt Schuldenpaket im Bundesrat zu, BR24, 17 mars 2025.
  2. Hans von der Burchard, Merz’ Tag der Entscheidung, Politico, 18 mars 2025.