Le second mandat de Donald Trump à la présidence des États-Unis ouvre une période de bouleversements des relations internationales qui a peu de précédents. À la tête de la première puissance économique, financière et militaire mondiale, les revendications territoriales du président américain sur le Canada, le Panama et le Groenland, son chantage aux taxes douanières sur les échanges commerciaux avec ses partenaires et alliés les plus proches (Mexique, Canada, Union européenne…) et la Chine comme ses premières décisions laissent augurer d’un mandat où le comportement fantasque du Président, le règne de la loi du plus fort et de l’unilatéralisme, une attitude impérialiste et néocolonialiste débridée et des initiatives à l’emporte-pièce vont façonner et fracturer la scène internationale et l’ordre mondial imposé après la Seconde guerre mondiale, souvent par la force, par les États-Unis eux-mêmes 1.
La santé mondiale est l’un des domaines qui ont déjà commencé à souffrir terriblement de la nouvelle politique américaine.
Les conséquences catastrophiques d’une deuxième présidence Trump étaient anticipées par les experts américains de ce domaine avant son élection, notamment le retrait de l’OMS ou la réimposition d’une gag rule stricte 2. Les mesures prises en un mois à peine de présidence Trump vont néanmoins déjà au-delà de tout ce qui pouvait être craint.
La situation est d’autant plus préoccupante que les États-Unis sont l’acteur essentiel de la santé mondiale. Les décisions prises vis-à-vis de l’agence américaine pour le développement international (USAID) et de l’OMS ne sont qu’un des aspects du drame qui s’annonce pour des millions de personnes dans le monde, même si certains facteurs d’atténuation — pas vraiment d’espoir — existent et ne doivent pas être ignorés.
Les États-Unis : moteur de la santé mondiale
L’engagement des États-Unis dans le domaine de la santé mondiale est massif, unique et multiforme. Le pays fournit, avec 12,4 milliards de dollars en 2023, plus de 40 % de l’aide publique au développement en santé dans le monde, qui s’élève au total à 23 milliards de dollars. Les États-Unis arrivent très loin devant le Royaume-Uni (12 % du total mondial), l’Allemagne (8 %), le Japon et la France (7 % chacun) ou le Canada (5 %).
Plus de 80 % du financement de la santé mondiale par les États-Unis sont destinés à de grands programmes bilatéraux. Sans équivalent dans le monde, ils ont eu un impact majeur — largement méconnu en France — pour faire reculer les trois grandes pandémies (sida, tuberculose et paludisme) et sauver des millions de vies d’hommes, de femmes et d’enfants.
C’est d’abord le cas de PEPFAR, l’initiative présidentielle d’urgence pour la lutte contre le sida. Créée en janvier 2003 par George W. Bush, PEPFAR a été soutenue jusqu’à présent de façon transpartisane et a investi plus de 100 milliards de dollars dans la riposte mondiale au VIH/sida. PEPFAR a sauvé plus de 25 millions de vies, prévenu des dizaines de millions d’infections à VIH et a aidé de nombreux pays à contrôler l’épidémie tout en renforçant considérablement la sécurité sanitaire mondiale. Au cours de l’année fiscale 2024, elle a financé le traitement antirétroviral de 20,6 millions de personnes dans 55 pays, dont 570 000 enfants, a fourni des tests VIH à 84 millions de personnes et représenté plus de 90 % des initiations à la prophylaxie pré-exposition (PrEP) dans le monde. PEPFAR a aussi permis à 7,8 millions de bébés de naître sans VIH de mères vivant avec le VIH et financé l’activité de près de 350 000 personnels de santé dans le monde.
C’est aussi le cas de PMI, l’initiative présidentielle contre le paludisme, lancée également par George W. Bush en 2005. Elle a investi depuis sa création environ 10 milliards de dollars au bénéfice de 700 millions de personnes dans le monde en fournissant notamment près de 40 millions de moustiquaires imprégnées, 100 millions de tests diagnostic rapide et 60 millions de traitements. Dans les pays d’intervention de PMI, les taux de décès par paludisme ont chuté de près de 50 %.
Au-delà du volet bilatéral, les États-Unis orientent 19 % de leurs financements de la santé mondiale vers de grandes institutions multilatérales, qu’il s’agisse d’institutions onusiennes spécialisées comme le Fonds des nations-unies pour l’enfance (UNICEF), l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et l’Organisation panaméricaine de la santé (PAHO), le programme commun des Nations unies sur le VIH/Sida (ONUSIDA) ou le Fonds des Nations unies pour la population (FNUAP) ; ou de fonds verticaux et innovants, créés il y a un peu plus de vingt ans, comme le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme (Fonds mondial) ou l’Alliance mondiale pour les vaccins (GAVI). Ces fonds verticaux ont, comme et avec PEPFAR et PMI, changé la donne de la santé mondiale. Ils sont également trop peu connus en France alors que ce pays y joue un rôle clef depuis le début, à travers par exemple l’action de Michel Kazatchkine, un éminent spécialiste français qui a dirigé le Fonds mondial pendant de nombreuses années. Comme le souligne ironiquement Linda-Gail Bekker, qui dirige la Fondation Desmond Tutu pour la santé à l’Université du Cap, contrairement à ce pense Donald Trump, « PEPFAR est exactement ce qui fait la grandeur de l’Amérique : sécurité mondiale, diplomatie mondiale et bien-être mondial » 3.
Les premières mesures de Trump créent une situation de chaos sans précédent, dramatique pour la santé et pour la survie de millions de personnes dans le monde.
Louis-Charles Viossat
Entre 2002 et fin 2023, le Fonds mondial a sauvé 65 millions de vies, en réduisant de 60 % le taux de mortalité combiné du sida, de la tuberculose et du paludisme. Il assure 30 % du financement international des programmes de lutte contre le VIH et finance le traitement de 25 millions de personnes dans le monde. Le Fonds mondial contribue aussi à près des deux-tiers de la lutte contre le paludisme dans le monde et a financé la distribution de près de 230 millions de moustiquaires imprégnées. Il finance encore les trois quarts des programmes de lutte contre la tuberculose dans le monde, et le traitement de plus de 7 millions de tuberculeux, dont 120 000 malades atteints de formes multirésistantes. Enfin, le Fonds mondial est la principale organisation multilatérale qui soutient le renforcement des systèmes de santé dans le monde, avec un investissement de l’ordre de 2 milliards de dollars par an.
En dépit de la part modeste dans ses financements globaux qui est consacrée à l’action multilatérale, les États-Unis, par leur taille, sont le premier donateur du Fonds pour la pandémie (35 % de son financement), du Fonds mondial (33 % de son financement, soit 1,6 milliard de dollars par an environ), et de l’OMS (12 % de son financement, cf. infra). Ils sont au deuxième rang pour GAVI (18 % de son financement pour 300 millions de dollars par an).
Au total, les États-Unis financent la santé mondiale par l’intermédiaire de plusieurs agences, de plusieurs départements et de plusieurs budgets dédiés, en particulier le Département d’État, l’Agence du développement international (USAID), les centres pour la prévention et le contrôle des maladies (CDC), les Instituts nationaux de la santé (NIH) et le Département de la Défense (DoD).
L’impact déjà catastrophique de Donald Trump un mois après son investiture
Les décisions de Donald Trump et de son secrétaire d’État, Marco Rubio, comme celles d’Elon Musk, de suspendre tous les programmes d’aide au développement et de démanteler corps et biens l’agence du développement international (USAID) n’étaient pas anticipées à leur juste mesure par la communauté des experts de santé. Elles créent une situation de chaos sans précédent, dramatique pour la santé et pour la survie de millions de personnes dans le monde.
Donald Trump a signé, en effet, au premier jour de son mandat, le 20 janvier, un décret sur « la réévaluation et le réalignement de l’aide étrangère des États-Unis » 4. Le décret appelle à une pause de 90 jours des nouvelles subventions et des nouveaux décaissements d’aide au développement afin d’évaluer l’efficacité des programmes et leur cohérence avec la politique étrangère des États-Unis 5, et un examen des programmes selon les directives fournies par le secrétaire d’État en consultation avec le directeur du budget et de la gestion (OMB). Il permet au secrétaire d’État de renoncer à la pause pour des programmes spécifiques sans fournir de critères.
Une instruction envoyée par le secrétaire d’État, Marco Rubio, à tous les responsables diplomatiques et consulaires le 24 janvier va plus loin, exigeant que l’arrêt de toutes les subventions existantes d’aide au développement — et pas seulement les nouvelles subventions ou les nouveaux décaissements. Cela signifie l’arrêt de 40 % de tous les programmes d’aide au développement en santé dans le monde, y compris PEPFAR 6.
Donald Trump a créé une situation inouïe, chaotique, irresponsable et très dangereuse.
Louis-Charles Viossat
Le 28 janvier, Marco Rubio a permis aux responsables des « programmes d’aide humanitaire vitale existants de poursuivre ou de reprendre leur activité 7. L’aide humanitaire vitale est définie comme « la médecine de base, les services médicaux, la nourriture, les abris et l’aide de subsistance, ainsi que les fournitures et les coûts administratifs raisonnables nécessaires pour fournir une telle assistance ». Son instruction écarte néanmoins les programmes qui concernent l’avortement, le planning familial, les conférences et les coûts administratifs autres que ceux couverts par la dérogation à l’aide humanitaire, les programmes d’idéologie de genre ou sur la diversité et l’inclusion, les chirurgies transgenres…
PEPFAR — que le Congrès n’avait d’ailleurs refinancé que pour une année l’an dernier jusqu’en mars 2025 — a demandé une dérogation spécifique, qui a été accordée le 1er février 8 pour certaines activités seulement : les services urgents de traitement du VIH qui sauvent des vies. Mais aucune autre dérogation n’a été annoncée pour les programmes de dépistage du cancer du col de l’utérus ou les services pour les orphelins et les enfants vulnérables de PEPFAR, ni pour d’autres programmes américains de santé mondiale, comme l’Initiative présidentielle contre le paludisme (PMI), les programmes de lutte contre la tuberculose, la santé maternelle et infantile ou les activités de nutrition.
La situation créée est inouïe, chaotique, irresponsable et très dangereuse : elle coupe soudainement l’accès à des soins essentiels, et parfois vitaux, de millions de personnes dans le monde. Elle plonge tous les acteurs internationaux et nationaux dans la plus profonde incertitude à court terme mais également pour l’avenir car de nombreux professionnels de terrain ont d’ores et déjà été licenciés ou vont l’être et de nombreuses structures de soins ont été contraintes d’arrêter leurs activités ou sont sur le point de le faire. La question de savoir si les programmes du Fonds mondial lui-même doivent être arrêtés ou pas ne semble pas encore tranchée.
Les dix pays, essentiellement d’Afrique subsaharienne, qui concentrent 60 % du soutien bilatéral des États-Unis à la santé mondiale, seront les plus touchés par l’arrêt des programmes d’aide en santé. On pense en particulier au Nigéria, à la Tanzanie, au Mozambique ou à l’Afrique du Sud. Mais de très nombreux services de santé nationaux — les États-Unis financent 80 pays au total — sont déjà à l’arrêt total ou partiel ou sur le point de l’être — une situation sans précédent.
L’impact catastrophique de la pause de l’aide au développement est d’autant plus terrible qu’Elon Musk s’est attelé à faire disparaître entièrement USAID, qui finance une large part des programmes américains de santé mondiale.
Les propos du patron du D.O.G.E ne laissent pas de doute : « Il est devenu évident que ce n’est pas une pomme avec un ver dedans. Ce n’est qu’une boule de vers. En gros, il faut se débarrasser de tout cela. C’est irréparable. Nous le fermons ». Il a ajouté : « USAID est une organisation criminelle. Il est temps qu’elle meure ! ». Donald Trump a lui-même renchéri : « USAID est dirigé par une bande de fous radicaux. Et nous les conduisons vers la sortie ». La Maison Blanche a précisé que « à USAID, le gaspillage et les abus sont profonds » 9. Le site web d’USAID a disparu d’Internet, les bureaux de l’organisation ont été fermés et quasiment tous ses personnels, à l’exception d’environ 300, sont désormais mis en congés de force, rapatriés depuis l’étranger ou licenciés.
Par comparaison avec les risques d’interruption totale ou partielle, et en tout cas de chaos durable, de millions de traitements vitaux et des programmes de santé financés par les États-Unis, le retrait des États-Unis de l’OMS, l’organisation spécialisée des Nations-Unis dont les États-Unis sont un des membres fondateurs depuis 1948, n’est pas une surprise et semble moins catastrophique — du moins à court terme.
L’impact catastrophique de la pause de l’aide au développement est d’autant plus terrible qu’Elon Musk s’est attelé à faire disparaître entièrement l’agence américaine de développement international.
Louis-Charles Viossat
Donald Trump avait déjà annoncé au mois de mai 2020, c’est-à-dire en pleine pandémie de Covid-19, que les États-Unis se retireraient de l’organisation, une décision notifiée officiellement en juillet 2020. Les motifs avancés étaient les suivants : « les États-Unis sont depuis longtemps le fournisseur le plus généreux au monde d’aide sanitaire et humanitaire aux populations du monde entier. Cette aide est fournie avec le soutien des contribuables américains avec l’attente raisonnable qu’elle serve un objectif efficace et atteigne ceux qui en ont besoin. Malheureusement, l’Organisation mondiale de la santé a échoué lamentablement par ces mesures, non seulement dans sa réponse au Covid-19, mais aussi à d’autres crises sanitaires au cours des dernières décennies. En outre, l’OMS a refusé d’adopter les réformes nécessaires de toute urgence, à commencer par démontrer son indépendance vis-à-vis du Parti communiste chinois » 10.
Joe Biden avait néanmoins annoncé dès juillet 2020 qu’il interromprait ce processus de désengagement, avant l’expiration du délai d’un an prévu par la procédure. Il a effectivement mis fin à la procédure de retrait des États-Unis de l’OMS après son arrivée au pouvoir en janvier 2021. De retour à la Maison-Blanche, le nouveau décret présidentiel de retrait de l’OMS 11 signé par Donald Trump en grande pompe le premier jour est proche de celui pris quatre ans et demi plus tôt. Outre les critiques sur la mauvaise gestion de la crise Covid-19, son incapacité à se réformer et à faire preuve d’indépendance face à « l’influence de la politique inappropriée des États membres de l’OMS », il met en avant un autre argument : « l’OMS continue d’exiger des États-Unis des contributions injustement onéreuses, disproportionnées par rapport aux paiements d’autres pays. La Chine, avec une population de 1,4 milliard d’habitants, compte 300 % de la population des États-Unis, mais contribue près de 90 % de moins à l’OMS » — confondant au passage contributions obligatoires et contributions volontaires des États.
Ce faisant, Donald Trump est allé au-delà des recommandations du « Projet 2025 » qui ne préconisait pas le retrait de l’OMS mais l’imposition de conditionnalités strictes à la poursuite de son financement. Le décret du 20 janvier 2025 de Donald Trump suspend également tout transfert de fonds, de soutien ou de ressources du gouvernement des États-Unis à l’OMS, rappelle et réaffecte le personnel ou les sous-traitants du gouvernement des États-Unis travaillant à quelque titre que ce soit avec l’OMS et ordonne « d’identifier des partenaires américains et internationaux crédibles et transparents pour assumer les activités nécessaires précédemment entreprises par l’OMS ».
Quel que soit le délai effectif de retrait des États-Unis de l’organisation 12, la décision américaine est un coup de grâce pour une organisation qui était déjà mal en point, manquant de financements, reposant sur des organisations régionales et des bureaux pays trop souvent inefficaces et dotée d’une gouvernance peu agile. Elle signe aussi l’acte de décès de l’accord mondial sur la prévention, la préparation et la riposte face aux pandémies 13 et des amendements au Règlement sanitaire international (RSI) en cours de négociation 14.
L’administration américaine est, en effet, le principal financeur et partenaire technique de l’OMS.
Sur un budget total sur deux ans (2022-2023 pour le dernier exercice achevé) de 10,4 milliards de dollars, les États-Unis ont versé 1,3 milliard de dollars pour l’exercice 2022-2023, soit de l’ordre de 12 % des ressources totales. Dans le détail, Washington a versé 231 millions de dollars de contributions obligatoires sur 956 millions de dollars soit plus de 20 %, et 1,07 milliard de dollars de contributions volontaires ciblées sur 6 milliards de dollars, soit environ 16 % 15. Il semblerait en outre que l’administration Biden, qui n’a rien versé lors du cycle d’investissement de novembre 2024, n’ait pas payé non plus sa contribution pour 2024 ni pour 2025, aggravant les problèmes de financement de l’OMS.
L’arrêt des financements américains et de la coopération avec ses institutions, ses opérateurs et ses experts aura des conséquences drastiques sur les programmes mis en œuvre par l’OMS pour la santé des populations dans le monde, au Sud en particulier, dont de nombreux devront être mis en veilleuse. Le plus préoccupant et le plus dangereux s’agissant de l’OMS concerne l’arrêt total ou partiel des programmes de lutte contre les 42 urgences sanitaires en cours, dont 17 parmi les plus graves, comme le choléra, la variole du singe, le virus de Marburg… au moment même où l’institution avait fait un appel à dons pour 1,5 milliards de dollars supplémentaires et où une grave épidémie de grippe aviaire, avec de premiers cas humains, menace directement les États-Unis et le monde entier.
Le plus préoccupant et le plus dangereux s’agissant de l’OMS concerne l’arrêt total ou partiel des programmes de lutte contre les 42 urgences sanitaires en cours.
Louis-Charles Viossat
L’interdiction décidée par l’administration Trump de tout contact entre l’OMS et les CDC américains, qui disposent de moyens considérables et d’une expertise sans équivalent dans le monde, accroît encore l’impact du retrait américain de l’organisation.
L’enterrement du traité pandémique est également un grave coup porté à la préparation de la communauté internationale face à la prochaine pandémie centennale de grippe ou la nouvelle épidémie d’un virus comme le Sars-Cov-2… Mais ce n’est pas une surprise : les États-Unis du président Biden n’auraient très probablement pas ratifié ce traité non plus en raison de ses limites et des atteintes à la souveraineté qu’il implique.
Enfin, l’impact de l’arrêt ou du ralentissement des travaux d’expertise de l’OMS ainsi que des programmes de prévention des maladies chroniques et de développement de la couverture sanitaire universelle est plus difficile à évaluer même s’il semble moins préoccupant à court terme.
Alors que le directeur général de l’OMS a déjà annoncé plusieurs mesures à effet immédiat — suspension des recrutements, sauf dans les domaines les plus critiques ; missions techniques limitées aux plus essentielles, réduction des dépenses liées aux voyages, réunions exclusivement en ligne… — c’est en réalité à une paralysie de l’OMS auxquelles on peut s’attendre, un peu à l’image de la période difficile qu’a traversée l’UNESCO après le retrait temporaire des États-Unis de cette organisation.
Des conséquences indirectes très néfastes à plus long terme
Mais l’arrivée de la nouvelle administration américaine devrait avoir d’autres conséquences préjudiciables pour la santé mondiale.
Outre l’arrivée d’un Président qui a démontré urbi et orbi lors de la gestion du Covid la piètre opinion dans laquelle il tenait les médecins et les scientifiques, la nomination de Robert F. Kennedy Jr. comme nouveau ministre de la santé, qui a pour ambition de « faire que l’Amérique soit à nouveau en bonne santé », envoie un signal très négatif et déprimant en direction de la communauté scientifique et médicale. Sa rhétorique hostile à la vaccination est ancienne et constante. Son action, notamment à la tête d’une ONG intitulée par antiphrase « Défense de la santé infantile », a déjà fait de lourds dégâts humains aux Îles Samoa lors d’une épidémie de rougeole en 2019.
Robert F. Kennedy Jr. n’a eu ce cesse de critiquer les grandes agences sanitaires américaines, la FDA et le CDC, sur la production et la sécurité des vaccins, de soutenir qu’il existait un lien entre vaccins et autisme et de remettre en cause la liste des vaccins conseillés par le CDC pour les vaccins. Ses propos lors de son audition par le Sénat pour sa procédure de confirmation ont été pires que ce que ses critiques mêmes anticipaient puisqu’il a soutenu à nouveau des assertions plus fausses les unes que les autres.
La nomination de Robert F. Kennedy Jr. comme nouveau ministre de la santé envoie un signal très négatif et déprimant en direction de la communauté scientifique et médicale.
Louis-Charles Viossat
Sa nomination aura nécessairement des conséquences très négatives sur la confiance dans les vaccins et, à moyen terme, sur la santé de millions d’enfants et d’adultes ainsi que sur le moral des professionnels de santé et des scientifiques américains à tous les niveaux. Sans compter une éventuelle remise en cause du bon fonctionnement de la FDA, du CDC, des NIH et des autres grandes institutions sanitaires américaines, qui donnaient jusqu’à présent le la dans le monde entier.
Pour Lawrence Gostin, un expert mondial du droit de la santé publique professeur à Georgetown Law School, la nomination de Robert F. Kennedy Jr. représente même « le jour le plus sombre pour la santé mondiale depuis l’élection du Président Trump ».
L’abandon de la lutte contre le changement climatique, avec la sortie effective en janvier 2026 de l’accord de Paris sur le climat — une « escroquerie injuste et unilatérale » pour Donald Trump — au moment où 2024 a été l’année la plus chaude depuis le XIXe siècle, et le nouveau mot d’ordre présidentiel « drill, baby, drill » alors que les États-Unis sont toujours le deuxième pollueur mondial derrière la Chine, auront également un impact délétère sur la santé dans le monde tant le réchauffement climatique et la pollution atmosphérique sont des facteurs reconnus de morbidité et de mortalité à large échelle.
Des facteurs possibles d’atténuation
Dans ce nouveau paysage apocalyptique et surréaliste se dessinent toutefois quelques motifs, sinon d’espoir, du moins d’atténuation.
Ils reposent d’abord sur la mobilisation possible de la justice américaine, à l’initiative des Démocrates mais aussi des ONG et des professionnels, pour mettre un coup d’arrêt aux pires dérives de la nouvelle administration.
Pour beaucoup, les premières mesures prises par celle-ci semblent en effet non conformes à la loi et à la Constitution des États-Unis. Les juges fédéraux et la Cour suprême pourraient annuler bon nombre de décisions de la nouvelle administration. S’il est trop tôt pour dire ce qu’il en sera, de premières décisions judiciaires commencent à tomber et à bloquer, au moins temporairement, certaines décisions de l’administration Trump.
Une deuxième source de blocage des velléités destructrices de la santé mondiale par l’administration Trump est le Congrès des États-Unis.
Celui-ci a manifesté jusqu’au premier mandat de Donald Trump, puis à nouveau sous le mandat de Joe Biden, un souci bipartisan de soutenir les programmes de santé mondiale, notamment de lutte contre le sida, qui représente la moitié des crédits américains pour la santé mondiale environ, contre le paludisme et contre la tuberculose. Il est certes désormais dominé par les seuls Républicains — au moins pour les deux prochaines années — et les élus Républicains héritiers de l’ère du PEPFAR et de PMI sont, pour beaucoup, sortis de la vie politique, remplacés par des élus MAGA. Néanmoins, l’influence très forte des évangélistes et de certains techno-optimistes pourrait aider à préserver une partie au moins des programmes de santé mondiale. Au point que l’approche actuelle de nombreux acteurs américains et internationaux de la santé mondiale est plutôt de faire le gros dos et de chercher à négocier avec les membres raisonnables — ou du moins les moins extrémistes — du Congrès que de s’exprimer ouvertement contre l’administration Trump.
Le tempérament explosif et égotiste et la façon de procéder à la manière d’un shérif de Donald Trump peuvent également offrir une lueur d’espoir pour les malades du monde entier, comme pour les Gazaouis 16. Il est possible que les annonces concernant le retrait de l’OMS, le démantèlement d’USAID et des programmes de santé mondiale ne soient qu’une tactique de négociation 17. On en veut pour preuve les propos de Donald Trump lui-même à Las Vegas (« Peut-être que nous envisagerions de recommencer, je ne sais pas. Peut-être que nous le ferions. Il faudrait qu’ils fassent le ménage ») et le plan qui aurait été élaboré par l’administration Trump de négocier la réadhésion à l’OMS en échange de la nomination d’un directeur général américain. Il est également possible que le nouveau Président américain change soudain, et radicalement, d’approche, peut-être après les midterms de 2026, qu’il veut absolument et à tout prix gagner en contentant sa base MAGA, et inscrive ensuite son action dans une certaine continuité de la politique suivie depuis une dizaine d’années. Énormément de dégâts durables auront néanmoins été commis entretemps.
Face à Trump, l’influence très forte des évangélistes et de certains techno-optimistes pourrait aider à préserver une partie au moins des programmes de santé mondiale.
Louis-Charles Viossat
Un autre facteur susceptible de convaincre Donald Trump de changer de pied sur la santé mondiale pourrait être de voir que les Chinois et d’autres grands pays du Sud global tentent de combler le vide béant à la fois en termes de leadership et de financements laissé par les États-Unis dans les organisations multilatérales. C’est un scénario peu probable car la Chine, qui privilégie surtout les relations bilatérales, est principalement engagée vers les BRICS et n’a pas encore les mêmes moyens financiers et humains que les Américains.
Si l’on aimerait que l’Europe prenne le relais des États-Unis — elle a là une occasion unique de prendre le leadership mondial sur l’un des sujets majeurs pour l’avenir de la planète — cela semble fort improbable, du moins à une échelle massive, seule à la hauteur du retrait américain.
Certains États européens — on pense au Royaume-Uni — pourraient certainement pousser leurs cartes. Pour sa part, la France n’a tout simplement pas les moyens, ni financiers ni humains, de prendre le relais, même très partiel, des États-Unis. On voit mal enfin, prudence oblige, les philanthropes milliardaires américains comme Bill Gates, Melinda Gates ou l’ex-femme de Jeff Bezos MacKenzie Scott, prendre le contre-pied d’un Donald Trump triomphant et surpuissant dans son pays.
C’est donc la dévastation qui domine le paysage de la santé mondiale après un mois du nouveau mandat Trump. Une destruction qui intervient dans un contexte déjà très difficile entre les urgences sanitaires qui se succèdent, le poids des famines et des épidémies dues aux conflits, les limites évidentes des politiques de prévention et de lutte contre le sida, le paludisme et la tuberculose, la concurrence exacerbée entre institutions internationales pour le financement de nouveaux programmes, le double fardeau croissant — maladies transmissibles et maladies chroniques — de nombreux pays émergents et les pénuries de main-d’œuvre.
Toutes ces raisons font qu’il est d’autant plus urgent de se mobiliser contre les mesures prises par l’administration américaine, pour un financement accru des États qui croient encore au multilatéralisme et à l’aide au développement — sans oublier de s’attaquer à l’amélioration de la gouvernance de la santé mondiale, de ses grandes institutions et de ses principaux programmes.
Sources
- Raghuram Rajan, « Isolationism Won’t Make Anyone Great Again », Foreign Policy, 7 janvier 2025.
- La « règle du baillon mondial » interdit aux organisations non gouvernementales (ONG) étrangères qui reçoivent l’aide au développement en santé des États-Unis de fournir des services en matière d’avortement. Elle interdit également le plaidoyer en faveur des réformes de la loi sur l’avortement, même si cela est fait avec les fonds propres des ONG non américaines.
- Mia Malan, « Too little, too late — what a Pepfar waiver can’t do », Daily Maverick, 4 février 2025.
- Cf. « Réévaluer et réaligner l’aide étrangère des États-Unis »
- Selon son préambule, « l’industrie et la bureaucratie de l’aide étrangère des États-Unis ne sont pas alignées sur les intérêts américains et, dans de nombreux cas, antithétiques aux valeurs américaines. Ils servent à déstabiliser la paix mondiale en promouvant dans les pays étrangers des idées qui sont directement à l’opposé de relations harmonieuses et stables à l’intérieur et entre les pays ». Une note pour la presse du département d’Etat indique vouloir « éradiquer le gaspillage » et « bloquer les programmes woke ». Tout cela est cohérent avec le projet 2025.
- Cf. 109160-memo.pdf
- « Emergency Humanitarian Waiver to Foreign Assistance Pause », Département d’État des États-Unis.
- Voir le Mémo interne de PEPFAR.
- « At USAID, Waste and Abuse Runs Deep », Maison Blanche.
- Cf. la mise au point du porte-parole du département d’État en septembre 2020 : Update on U.S. Withdrawal from the World Health Organization, Département d’État des États-Unis.
- Maison-Blanche, « Withdrawing the United States from the World Health Organization », décret présidentiel, 20 janvier 2025.
- Début juillet 2025 si on prend en compte le délai déjà couru depuis le décret Trump 1.0 jusqu’à la décision de Joe Biden, ou plus probablement janvier 2026 si on part de la date du décret Trump 2.0.
- Accord mondial sur la prévention, la préparation et la riposte face aux pandémies, OMS.
- Le décret précise ainsi : « Pendant que le retrait est en cours, le secrétaire d’État cessera les négociations sur l’accord de l’OMS sur la pandémie et les amendements au Règlement sanitaire international, et les mesures prises pour mettre en œuvre cet accord et ces amendements n’auront aucune force contraignante pour les États-Unis. »
- KFF, The U.S. Government and the World Health Organization.
- Aaron Blake, « 4 explanations for Trump’s shocking Gaza proposal », Washington Post, 5 février 2025.
- Jonathan Kirshner, « Trump’s ‘America First’ is not realism », Foreign Affairs, 22 janvier 2025.