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Alors que l’avenir de l’Ukraine en tant qu’État souverain est en jeu, l’Union européenne n’est pas à la table des négociations. Comment voyez-vous la suite ?
Ce scénario n’est pas acceptable pour l’Union et c’est précisément parce que nous n’y croyons pas que nous devons travailler ensemble pour l’éviter. Cela signifie deux choses : nous devons maintenir notre engagement ouvert avec les États-Unis et nous devons accroître considérablement nos propres efforts en termes de dépenses de défense, de capacités et de soutien à l’Ukraine. La guerre qui se déroule sur notre continent et l’évolution des négociations de paix autour de l’Ukraine auront un impact direct sur l’Europe.
En tant qu’Européens, nous voulons une paix juste et durable qui reflète également les principes internationaux que nous défendons, à savoir la souveraineté et l’intégrité territoriale. Toute paix juste et durable doit inclure l’Ukraine et l’Europe.
Les États-Unis semblent préférer des discussions directes avec Vladimir Poutine et ont même suggéré qu’il pourrait ramener la Russie au sein du G7. Le vice-président J.D. Vance a déclaré à Munich que ce n’est pas la Russie, mais l’Union et ses « commissars » qui représentent la plus grande menace pour l’Europe. Comment l’Union peut-elle traiter avec Washington dans ce contexte ?
Il s’agit avant tout d’une question européenne. Il est de notre ressort d’intensifier notre engagement. Nous sommes prêts à le faire. Cela signifie plus de soutien à l’Ukraine et plus de puissance. Plus nous serons forts, plus notre voix sera forte dans ces négociations.
J’ai été surpris que le vice-président Vance n’ait pas mentionné l’Ukraine dans un discours prononcé lors d’une conférence sur la sécurité. On s’attendait à ce qu’il utilise cette plateforme pour exposer le point de vue de l’administration américaine, étant donné que le président Trump s’entretient déjà avec Poutine. En ce sens, il a laissé de nombreuses questions sans réponse. C’est pourquoi je pense que nous devons continuer à parler avec les États-Unis pour comprendre ce qu’ils pensent vraiment
Nous devons les rapprocher d’une trajectoire et d’une compréhension communes. Cela ne se fera pas sans un engagement intense entre nous.
À ce stade, notre priorité est de travailler avec les États-Unis pour voir dans quelle mesure nous pouvons éviter l’escalade.
Valdis Dombrovskis
Le président Trump devrait demander 5 % de dépenses de défense au lieu des 2 % actuels et demander aux Européens d’acheter davantage d’armes américaines. Dans le même temps, il menace d’imposer des droits de douane. Les États-Unis considèrent-ils l’Europe comme un allié — ou comme un distributeur automatique de billets ?
Il ne faut pas mélanger ces questions, même s’il est devenu très difficile de les démêler : nous devons examiner chaque question séparément, une par une.
Tout d’abord, il y a la question de l’Ukraine pour laquelle je pense que nous devons parvenir à une compréhension commune avec l’administration américaine. Ensuite, il y a l’OTAN — pour laquelle la Commission n’a aucune compétence — et les garanties de sécurité pour l’Ukraine.
En ce qui concerne les droits de douane, nous avons été très clairs sur le fait que nous ne voyons aucune justification économique ou juridique pour cibler l’Union. Sur le plan économique, nous entretenons la plus grande relation commerciale et d’investissement au monde. Nos chaînes d’approvisionnement sont profondément imbriquées et les enjeux sont considérables pour les deux économies. Des droits de douane perturberaient fortement la chaîne d’approvisionnement et l’impact économique d’une escalade serait préjudiciable pour les deux parties. Les États-Unis en souffriront grandement ; pas seulement l’Union. À ce stade, notre priorité est de travailler avec les États-Unis pour voir dans quelle mesure nous pouvons éviter une telle escalade.
La Commission est-elle prête en cas de nouvelles annonces ?
La Maison-Blanche a annoncé des droits de douane sur l’acier et l’aluminium, ainsi que ce qu’elle appelle des « droits de douane réciproques ».
Dans les deux cas, il reste à voir ce qui se passera dans la pratique. Cela dit, nous avons été clairs sur le fait que nous défendrons nos intérêts économiques et que nous répondrons de manière ferme et proportionnée, car nous ne pensons pas que ces droits de douane soient justifiés. C’est exactement la façon dont nous avons traité les droits de douane pendant la première administration Trump : ils ont imposé des droits de douane sur l’acier et l’aluminium et nous avons répondu par des contre-tarifs.
Notre objectif reste d’éviter l’escalade commerciale, mais si cela s’avère nécessaire, nous savons comment réagir.
Pour de nombreux Européens, cela ne ressemble pas à une négociation entre partenaires de bonne foi : l’Europe doit-elle capituler pour survivre ou avons-nous encore les moyens de réagir fermement ?
Notre approche est celle d’un engagement ouvert et stratégique qui ne tire pas de conclusions hâtives lorsque les discussions sont en cours.
L’Union et les États-Unis sont des alliés stratégiques, et il est particulièrement important que nous travaillions ensemble dans le contexte géopolitique actuel, avec la montée des autocraties dans le monde.
Nous défendons l’ordre fondé sur des règles. Mais si nous sommes confrontés à des difficultés concrètes dans des domaines spécifiques, nous réagirons.
En matière de défense, que ce soit 5 % ou non, nous devrons augmenter nos dépenses, non pas à cause du président Trump mais à cause de la Russie. Poutine a envahi un pays voisin et parle ouvertement d’envahir d’autres pays de l’OTAN. C’est quelque chose qui devrait préoccuper l’opinion publique européenne.
Si la Russie estime avoir réussi en Ukraine, elle poursuivra sa marche — pas contre les États-Unis mais contre d’autres pays européens. C’est pourquoi, dans notre propre intérêt, nous devons accroître nos capacités.
Le secrétaire d’État américain Marco Rubio a suggéré que dans tout conflit, des concessions doivent être faites pour parvenir à une solution. Cela pourrait avoir des implications pour l’Occident et sa politique de sanctions à l’égard de la Russie. Entrevoyez-vous la possibilité d’une levée des sanctions ?
Non. Et, de fait, nous faisons le contraire. Nous avons récemment annoncé notre seizième paquet de sanctions contre la Russie. Nous introduisons de nouvelles restrictions à l’importation et à l’exportation, des mesures plus strictes pour lutter contre l’évasion et nous nous attaquons à la flotte fantôme de la Russie. Nous maintenons la pression sur le Kremlin, nous ne la relâchons pas.
Si la Russie estime avoir réussi en Ukraine, elle poursuivra sa marche — pas contre les États-Unis mais contre d’autres pays européens.
Valdis Dombrovskis
La présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, a déclaré que nous vivions une période extraordinaire qui justifiait une flexibilité extraordinaire dans un certain nombre de domaines, notamment les règles relatives à la dette et au déficit. Mais la marge de manœuvre budgétaire reste étroite : certains États membres ont eu beaucoup de mal à adopter un budget et il n’y a toujours pas de consensus sur une nouvelle dette commune pour financer les dépenses de défense. Que signifient pour vous les mesures extraordinaires ?
La présidente von der Leyen a annoncé que la clause dérogatoire prévue par le cadre budgétaire actuel pourrait être déclenchée et nous travaillons sur cette solution possible.
Nous reviendrons avec d’autres propositions à ce sujet dans un avenir proche.
Cela signifie-t-il que les dépenses de défense seront exclues du calcul ?
Je n’entrerai pas dans les détails de la conception, mais ce que je peux dire, c’est que cette question est fermement inscrite à l’ordre du jour de la Commission.
Nous en avons discuté avec les États membres et il s’agit d’une demande claire des dirigeants européens lors du récent Conseil européen informel. En tant que Commission européenne, nous répondons à cette demande, nous y travaillons et nous proposerons bientôt des solutions.
« Bientôt » — c’est-à-dire dans quelques jours, quelques semaines ? Quand exactement ?
Bientôt signifie dans les prochaines semaines. Ce que je veux dire, c’est que nous trouverons une solution.
Certains États membres ont indiqué qu’ils soutiendraient une réponse de type Covid-19 à cette crise, arguant qu’elle est tout aussi existentielle pour l’Union. Cela signifie un emprunt commun. Le gouvernement espagnol a également affirmé que le budget de l’Union devait être doublé pour faire face à l’ampleur des défis à venir. À quoi devrait ressembler la réponse européenne ?
Il s’agit de deux questions différentes. L’une d’entre elles concerne la plus grande flexibilité, sur laquelle nous travaillons ; et l’autre a trait à la question d’un instrument similaire à NextGenerationEU. Le mois prochain, nous présenterons un Livre blanc sur l’avenir de la défense européenne. Ce sera l’occasion de discuter d’un grand nombre de ces questions.
Nous n’abandonnerons pas le Pacte vert. Nous n’abandonnerons pas nos normes sociales et environnementales.
Valdis Dombrovskis
La présidente von der Leyen a appelé à une grande simplification, ce qui, selon certains, est en fait le nom de code d’une grande dérégulation dans l’Union. Que signifie la simplification à l’européenne ?
Nous avons défini notre plan et nos objectifs. Nous voulons réduire les charges administratives de 25 % en général et de 35 % pour les PME. Nous préparons déjà les premières propositions législatives. Si vous regardez le programme de travail de la Commission pour cette année, vous verrez qu’il y a déjà un certain nombre de propositions de simplification dans les tuyaux : trois propositions omnibus et plusieurs autres paquets, y compris le numérique, la politique agricole commune et les produits chimiques. Nous avançons rapidement.
Nous sommes également clairs sur le fait qu’il s’agit d’une simplification et non d’une dérégulation. Nous n’abandonnerons pas le Pacte vert. Nous n’abandonnerons pas nos normes sociales et environnementales. La simplification fait partie de notre programme de compétitivité. Les entreprises ont fait part de leurs préoccupations concernant la bureaucratie. Nous les avons écoutées. Mais nous sommes tout aussi clairs sur le fait qu’il ne s’agit pas de dérégulation. En d’autres termes : nous simplifierons tout en maintenant nos normes.
Êtes-vous en train de défaire dans ce deuxième mandat ce que vous aviez construit dans le premier mandat d’Ursula von der Leyen ? Les critiques de la Commission pointent une approche à la « Dr. Jekyll et Mr. Hyde » de son propre travail…
Pas nécessairement.
Nous ne nous éloignons pas de nos objectifs politiques mais nous cherchons à les atteindre d’une manière plus pratique et plus rentable.
Nous sortons d’une période d’intense activité législative, il est donc temps de faire le point. Il est temps de faire le point, de voir ce qui fonctionne bien et ce qui peut être amélioré, de repérer les lacunes et les chevauchements, et de procéder aux ajustements nécessaires. Nous avons procédé à un exercice similaire après la crise financière. Après l’introduction d’une nouvelle législation visant à garantir la stabilité du secteur financier, nous avons lancé un appel à contribution pour déterminer ce qui fonctionnait et ce qui pouvait être rationalisé. Ce n’est pas la première fois que nous procédons de la sorte, mais cette fois-ci, l’exercice a une plus grande portée et nous examinons l’ensemble de la législation en vue de la simplifier de manière générale.
Nous ne nous éloignons pas de nos objectifs politiques mais nous cherchons à les atteindre d’une manière plus pratique et plus rentable.
Valdis Dombrovskis
Mario Draghi a appelé à un « changement radical » si nous voulions échapper à une « lente agonie ». Y a-t-il encore de l’espoir pour les Européens sur la scène mondiale ?
Nous sommes une grande puissance économique, une superpuissance commerciale.
Il existe des défis structurels — de la productivité à la démographie, des prix élevés de l’énergie à la charge administrative — mais cela signifie que nous devons travailler et nous atteler à la tâche. Draghi a raison, on ne peut pas continuer comme si de rien n’était. Nous devons nous concentrer sur notre compétitivité, sur la création d’un meilleur environnement pour les entreprises et sur le renforcement de notre défense.
C’est exactement ce que nous faisons.
Nous ne devons pas nous dénigrer nous-mêmes — ni permettre aux autres de le faire.