L’intelligence artificielle (IA) devient une infrastructure critique pour l’économie mondiale, comparable à l’électricité ou à Internet. D’ici 2030, la majorité des tâches cognitives, industrielles et administratives seront augmentées ou automatisées par l’IA, ce qui aura un impact profond sur la productivité et la compétitivité économique. Sans un investissement massif et coordonné dans ses infrastructures, l’Europe risque de dépendre technologiquement des États-Unis et de la Chine, ce qui menacerait son modèle démocratique, sa souveraineté et sa compétitivité. D’ici 2030, la liberté économique et technologique aura un prix : celui des GPU.

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Les infrastructures de l’IA, socle fondamental de l’avenir de l’Europe

  • Une transformation économique en cours : d’ici 2030-2035, l’IA et les modèles de langage (LLM) deviendront omniprésents dans tous les secteurs (industrie, services, santé, finance, éducation). L’accès à la puissance de calcul sera un facteur de production aussi essentiel que le charbon au XIXe siècle.
  • Un décrochage économique préoccupant : depuis 2000, la productivité européenne progresse deux fois moins vite que celle des États-Unis. Sans infrastructures propres, l’Europe ne bénéficiera pas des gains de productivité massifs apportés par l’IA.
  • Un risque de dépendance stratégique : actuellement, 70 % de la puissance de calcul mondiale pour l’IA est détenue par les Etats-Unis dont 80 % par les hyperscalers américains. L’Europe ne représente que 4 % de la capacité mondiale et souffre de coûts énergétiques industriels 1,5 à 3 fois plus élevés que ceux des États-Unis.

Scalabilité des modèles d’IA : implications matérielles et énergétiques

  • Schématiquement, le développement des modèles d’IA comporte deux grandes phases : l’entraînement (la phase d’apprentissage à partir des données) et l’inférence (utilisation du modèle pour générer des réponses et accomplir des tâches).
  • À capacité constante, le coût d’entraînement d’un modèle d’IA diminue avec le temps (d’un facteur proche de 4 chaque année) du fait des gains de performance du hardware (améliore la capacité de calcul par dollars) et efficacité algorithmique (qui réduit le nombre d’opérations à effectuer pour entraîner le modèle). En introduisant entre autres des innovations aux niveaux de l’architecture des modèles, des méthodes d’entraînement ou de l’optimisation des vitesses d’interconnexion entre GPUs, DeepSeek a pu trouver ces gains d’efficacité. 
  • Les coûts d’entraînement des modèles augmentent d’un facteur d’environ 2.4 chaque année. Les entreprises développant l’IA à la frontière technologique ne vont pas se mettre à dépenser moins pour l’entraînement de leurs modèles. Ainsi, le CapEx des GAFA relatifs aux dépenses pour les data centers et la puissance de calcul ont dépassé les 100 milliards en 2024, avec une augmentation de plus de 35 % par rapport à l’année précédente.

La taille et le coût des infrastructures de l’IA en Europe et en France 

  • L’Europe représente aujourd’hui seulement 4 % de la puissance de calcul mondiale déployée pour l’IA.
  • Pour la France, un objectif minimal serait de sécuriser sur son territoire une capacité de calcul dédiée à l’IA équivalente à 10 % de celle des États-Unis, reflétant ainsi son poids relatif dans le PIB américain — soit environ 5-6 GW à horizon 2028.
  • Si elle se fixait l’objectif de représenter 16 % — en proportion de son poids dans l’économie mondiale — de la puissance de calcul globale en IA à horizon 2030, elle devrait porter à 20 GW sa puissance énergétique dédiée à l’IA. 
  • Cela chiffrerait l’objectif français à 250-300 milliards d’euros d’investissements (soit plus de deux fois le montant de 109 milliards annoncé par le président Emmanuel Macron le 9 février) et l’objectif européen à 600-850 milliards.

Le financement des infrastructures de l’IA

  • Dans le contexte d’une série de contraintes budgétaires au niveau national une double perspective s’impose : activer la capacité d’emprunt collective de l’Union via la réallocation des fonds non utilisés de NextGenEU et l’émission de nouvelles obligations pan-européennes pour financer les infrastructures IA et énergétiques.
  • Du côté des investissements privés, la modulation des primes de risque régulatoires associées au secteur de l’IA et au financement des infrastructures pour les assureurs et les banques permettrait de mobiliser davantage de ressources financières. 
  • La création de « fonds IA » dédiés, accessibles aux épargnants européens sans limite de montant et éligibles aux produits d’investissement défiscalisés (à l’image du PEA en France), pourrait être étudiée. 
  • Du point de vue des entreprises, la généralisation et l’harmonisation par le haut à l’échelle de l’Union des crédits d’impôts innovation et recherche permettrait d’assurer la continuité fiscale du traitement des investissements en clusters entre pays de la zone.

La nécessité d’une simplification réglementaire

  • Un cadre législatif inadapté : aujourd’hui, il faut au moins cinq ans pour installer un data center en France en raison de lourdeurs administratives et de délais de raccordement électrique.
  • Une simplification à accélérer :
    • Le projet de loi de simplification de la vie économique prévoit que les centres de données de dimension industrielle soient qualifiés de projet d’intérêt national majeur, permettant d’accélérer certaines procédures. Déposé au Parlement en avril 2024, ce texte n’a pas encore été voté par les deux chambres. 
    • Cette démarche trouve un écho outre-Manche, dans le cadre des « AI Growth zones » britanniques, qui vise à réduire les obstacles réglementaires à la construction des data centers. 
  • En France, la puissance électrique nucléaire, décarbonée, ne pourra devenir un atout pour l’essor de l’IA que si son accès est priorisé et le prix de son raccordement maîtrisé.

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