La crise politique au Venezuela sera le thème du débat de notre prochain mardi du Grand Continent à l’École normale supérieure avec Yoletty Bracho, Olivier Compagnon et Maria Tadeo, le 14 janvier de 19h30 à 20h30. Informations et inscription (obligatoire) par ici

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Installée en Espagne depuis 2006, vous vous inscrivez dans la longue tradition des écrivains latino-américains exilés qui écrivent depuis l’étranger. Comment voyez-vous l’évolution du Venezuela depuis que vous êtes partie du pays ? 

Je ne retourne au Venezuela que dans mes cauchemars et dans mes livres. À ce stade de ma vie, la plupart de mes écrits tentent de comprendre la relation compliquée, presque empoisonnée que j’entretiens avec ma terre natale.

Au fil des années, j’ai commencé à me rendre compte que je n’étais pas partie au moment où je me suis envolée pour l’Espagne ; en réalité, j’étais déjà partie bien avant. Déjà là-bas je me sentais exilée. J’ai été élevée dans un foyer libéral, par une famille d’avocats qui m’a fait découvrir l’importance juridique et morale de l’État. J’ai grandi avec la première explosion sociale, dans une maison où l’on analysait la fin du cycle vénézuélien. Lorsque j’ai eu l’âge de devenir journaliste, je suis entré en contact direct avec la détérioration politique et idéologique provoquée par le chavisme. Alors que je faisais mes premiers pas dans la profession, le mouvement bolivarien radicalisait la tension avec les citoyens.

Depuis le monde de la presse, j’ai vu tout le processus de stigmatisation et de persécution des médias. J’ai vécu cette violence. Cette expérience m’a prédisposée, dans une large mesure, à vivre le Venezuela comme une tragédie.

Je ne retourne au Venezuela que dans mes cauchemars et dans mes livres.

Karina Sainz Borgo

La manière dont je traite mon identité vénézuélienne me rappelle beaucoup le cas d’Andreï Kourkov, qui raconte que les Russes le perçoivent comme une personne suspecte — ils n’aiment pas ses livres — et que les Ukrainiens ne le trouvent pas assez patriotique. Pour les Vénézuéliens, je suis quant à moi trop abstraite et fataliste, pas patriote : je ne plaide pas, dans mon écriture, contre le chavisme. Mais à l’extérieur du pays, c’est ainsi qu’on me perçoit : comme quelqu’un qui écrit contre le régime.

Ce que je fais, en fin de compte, c’est le portrait d’une société en train de se casser.

Mais ma capacité à évaluer le niveau de cette destruction a changé. Je suis désormais capable de le faire de manière de plus en plus rationnelle — et beaucoup moins émotionnelle qu’avant. Si mon roman La fille de l’Espagnole explosif dans la tentative de comprendre ce qui s’était passé, Le tiers pays porte un regard beaucoup plus distant sur une des plus graves conséquences de la crise vénézuélienne : la migration. À partir de ce moment-là, j’ai commencé à comprendre que l’Amérique du Sud était en train de vivre un processus de fin de cycle.

Dans quel sens ?

Dans le cône sud, les cycles politiques sont beaucoup plus courts. 

Au Venezuela — un pays aux entrées d’argent très élevées mais dont la culture démocratique est très jeune et amnésique — le processus n’est pas encore terminé. Pour le dire autrement, dans ce cycle, il y a encore beaucoup à détruire. Fondamentalement, une reconstruction hypothétique possible devrait impliquer la démolition de toutes les structures — à commencer par l’armée. Dans le cas spécifique du Venezuela, la grande question est celle du monopole de la violence.

Lorsque l’État vénézuélien avait le monopole de la violence au XXe siècle, en dépit de toutes les erreurs qui ont pu être commises, il y avait une structure d’ordre. Avec les tentatives de coup d’État et l’insurrection armée de Chávez, ce monopole a été complètement brisé. Ce qui était déjà à l’époque une violence citoyenne, de rue, s’est alors ajoutée à la violence politique et à la répression.

Il n’y a pas de mécanisme de contrôle des pouvoirs au Venezuela — c’est une démocratie cassée, dans tous les sens du terme.

Dans La fille de l’Espagnole, se déplace dans différentes situations de la société vénézuélienne. La narratrice décrit la situation avec des phrases telles que « C’est ainsi que nous vivions tous à l’époque : en regardant ce qu’il y avait dans le sac à provisions de l’autre et en reniflant si le voisin avait quelque chose de rare pour savoir où l’obtenir » ou encore « L’argent ressemblait à des immeubles » en parlant des immenses piles de billets qu’il fallait sortir pour acheter quoi que ce soit. Diriez-vous que la situation a changé ? Qu’elle s’est améliorée, ou aggravée ? 

Je ne suis plus sur le terrain. Autrement dit, je n’ai plus la possibilité d’enquêter de manière journalistique comme c’était le cas pour La fille de l’Espagnole, par exemple. Mais je pense qu’il y a une perception déformée. Comme dans toute bonne économie autoritaire et dopée à l’argent public, il y a un déséquilibre complet entre ceux qui n’ont absolument rien et ceux qui accumulent d’immenses quantités d’argent. Caracas est probablement devenue l’une des villes les plus chères au monde à cause de ce modèle.

La situation s’est donc aggravée. Ceux qui étaient désespérés sont partis, ceux qui veulent survivre — ou tentent de survivre — ont un champ des possibles de plus en plus réduit ; restent les élites parasites du pouvoir autoritaire. 

Ce que je fais, en fin de compte, c’est le portrait d’une société en train de se casser.

Karina Sainz Borgo

Dans Le tiers pays, la question centrale est précisément celle de la frontière — imaginaire dans le livre, mais inspirée de la frontière réelle entre le Venezuela et la Colombie — et de la migration. Vous êtes romancière mais aussi journaliste, et avant d’écrire le livre vous avez mené une enquête sur le sujet dans la région. Pourquoi avoir choisi la forme littéraire, romanesque dans ce cas, plutôt que l’article de presse ou le reportage pour raconter les terribles migrations vénézuéliennes ?

Le journalisme est une profession exigeante, difficile : il faut être très précis et ne manquer aucune information.

En tant que lectrice, il a été beaucoup plus intéressant pour moi de comprendre le phénomène de l’apartheid par exemple avec des romans de J. M. Coetzee ou de Doris Lessing que dans n’importe quel autre livre ou article. La fiction permet une complexité et un rapport au temps particuliers ; elle permet de mettre en place un dispositif artificiel auquel le journalisme ne peut pas — et ne doit pas — se permettre de toucher. Les grandes constructions symboliques de la fiction s’aventurent là où le journalisme ne peut aller. Un reportage ne peut pas entrer dans votre armoire ou se glisser dans le miroir de votre salle de bain.

C’est par le langage et la fiction que j’essaye de comprendre intellectuellement notre environnement. Ces derniers temps, j’ai beaucoup relu Federico García Lorca, en particulier son théâtre. Il a terminé La casa de Bernarda Alba quelques jours avant d’être fusillé et cela m’a frappé : cette pièce n’est pas qu’une tragédie sur des sœurs, c’est aussi la métaphore d’une Espagne qui se déchire.

La mort est un leitmotiv dans vos livres — et plus précisément le fait d’enterrer ses morts ou même d’être capable d’offrir des « funérailles dignes » comme il est dit dans La fille de l’Espagnole. Il est sans doute difficile d’établir une hiérarchie des malheurs, mais diriez-vous que c’est ce qu’il y a de plus douloureux dans les dictatures — ne pas pouvoir enterrer ses morts ? 

Tous les processus de démolition — des processus de conquête territoriale aux prises de pouvoir autoritaires — sont fondés sur l’effacement et le brouillage de tout élément permettant de se souvenir de ce qui s’est passé. À partir du moment où l’on efface la mémoire et la capacité de se souvenir, on n’est plus obligé de faire des réparations, on ne sait plus qui sont les responsables. C’est ainsi que se crée l’impunité.

Dans le cas spécifique de La fille de l’Espagnole, il s’agit de l’indignité qui touche tous les cadavres — tant de la femme dont la protagoniste vole l’identité que de sa propre mère. Dans Le tiers pays, l’angle est différent : les gens qui n’ont pas de sépultures dignes sont ceux qui fuient. Cela renvoie à une idée d’effondrement très similaire à ce que nous voyons dans tous les processus migratoires, par exemple en Méditerranée. 

La façon dont on traite les morts est politiquement beaucoup plus puissante que la façon dont on traite les vivants. Elle établit un certain rapport aux dépouilles et à la mémoire. Une société sans cimetière, sans lieu pour savoir ce qui s’est passé, serait une société barbare.

La façon dont on traite les morts est politiquement beaucoup plus puissante que la façon dont on traite les vivants.

Karina Sainz Borgo

C’est une question centrale dans les guerres. Lorsque je travaillais sur mon deuxième roman, j’avais rencontré un journaliste portugais qui avait passé beaucoup de temps dans les zones de conflit. Il m’avait expliqué comment la construction de cimetières anglais participait de la stratégie militaire britannique : créer une mémoire de la guerre.

Dans le cas du Venezuela, la démolition est en cours — et cela fait vingt-cinq ans que nous ne savons pas où se trouvent de nombreux morts…

L’écrivaine équatorienne Mónica Ojeda, que j’aime beaucoup, très talentueuse et très politique, est souvent critiquée pour écrire « des livres d’horreur ». En réalité, elle ne fait que raconter les horreurs que son pays a subies. Elle m’a dit un jour qu’elle n’avait jamais pu sortir de sa mémoire la tête de la première personne décapitée qu’elle avait vue. Ce sentiment d’angoisse qu’elle éprouvait, je le ressens exactement de la même manière. Toute personne qui a grandi dans un endroit violent connaît probablement la même chose.

C’est la mort qui crée toute la tension narrative dans votre œuvre. La narratrice de La fille de l’Espagnole lie son destin à une terre où sont enterrés ses morts, en citant l’écrivain colombien Juan Gabriel Vásquez — qui reprenait lui-même García Márquez : « On est de l’endroit où sont enterrés nos morts ». Le problème, c’est que cette même terre menace aussi de la tuer. L’excellent début de l’un des premiers chapitres du livre le montre bien : « Quand nous sommes arrivés au cimetière, le trou était déjà ouvert avec deux fosses. L’une pour elle, l’autre pour moi ». Comment résoudre un tel paradoxe — si toutefois il peut être résolu ?

Avec le temps, je me suis rendu compte que Juan Gabriel Vázquez était le seul auteur latino-américain à avoir compris notre rapport à ce qui est propre et à l’héritage. Toute son œuvre explore la violence comme héritage — il y a tout un motif autour du poids de ce passé dans le traitement du bruit que font les choses lorsqu’elles tombent dans plusieurs de ses romans.

Il reprend en effet une phrase de García Márquez mais la retourne d’une certaine façon. Le premier présente la terre avec une relation d’origine. Juan Gabriel en fait un autre traitement, que je partage : la terre où sont enterrés nos morts est aussi condamnée à être une terre violente. 

J’ai commencé à comprendre cela avec le temps, parce que j’ai eu des discussions assez vives sur le fait de retourner ou non au Venezuela. J’ai dit que je ne voulais pas y retourner — quelles que soient les circonstances. Je sais que cela ne plaît pas, que cela me rend désagréable. Mais il y a en Amérique latine quelque chose que je n’arrive pas à gérer. Vu de l’extérieur, cela peut sembler un peu irrationnel. Mais la question de l’appartenance, de l’origine, voire l’idée même d’un foyer, n’existe pas pour moi. Je suis ici en Espagne, je travaille ici, ma famille est espagnole, mais je ne m’y sens pas de racines. Je ne me vois ni dans une tombe, ni dans une maison. Dans cette sorte d’errance, je me sens à l’aise. Et je pense que c’est pour cela que j’aime tant le projet européen, qui consiste essentiellement à partager des valeurs communes, c’est-à-dire la culture, la civilisation, l’état de droit. Je ne dis pas que l’Europe est parfaite — elle ne l’est évidemment pas — mais je me sens beaucoup plus appelée à faire partie d’un tel projet.

Dans mon cas, l’origine est un conflit permanent.

Je ne me vois ni dans une tombe, ni dans une maison. Dans cette sorte d’errance, je me sens à l’aise. Et je pense que c’est pour cela que j’aime tant le projet européen.

Karina Sainz Borgo

Un conflit qui se résoudrait par l’écriture ?

Je dirais qu’au moins cela donne un sens à l’acte d’écriture. Je pense souvent à Thomas Bernhard : je n’aurais jamais pensé qu’il pouvait exister au sein d’une même personne autant de lucidité et autant de déchirements à la fois. Sa vision de l’Autriche est impressionnante : quand on regarde le XXe siècle, on peut penser à Thomas Mann — dont la mère est née à Paraty, au Brésil, à Stefan Zweig, à Joseph Roth… Ils ont tous été écrasés par leur siècle, leurs liens respectifs avec le territoire ont été dissous pour des raisons indépendantes de leur volonté, mais leurs idées étaient bien plus puissantes que cela.

Ces rapports avec le territoire sont des expériences qui me guident et me permettent de mieux penser. Je n’ai pas de tombes, je n’ai pas de maison : c’est le fait d’avoir une tradition culturelle commune qui me donne des éléments de réponses. Cela me soulage et m’offre une grande tranquillité d’esprit.

Dans La fille de l’Espagnole, on peut lire à un moment donné : « En regardant l’herbe tondue autour de sa tombe, j’ai compris que mon seul être mort me liait à une terre qui expulsait les siens avec la même force qu’elle les engloutissait. Ce n’était pas une nation, c’était un hachoir ». Même si cela change un jour, vous n’envisagez donc pas de retourner au Venezuela ?

Pour l’instant, non, je ne peux pas l’imaginer. C’est trop difficile. La vérité, c’est que je ne suis pas une écrivaine patriote. C’est pourquoi les Vénézuéliens ne m’aiment pas beaucoup. 

Cela dit, bien sûr, je souhaite profondément un changement démocratique au Venezuela pour les milliers de personnes emprisonnées et les milliers de familles divisées qui souffrent.

C’est lorsque le sentiment de rupture est vif qu’il faut le soulager. Or dans mon cas, il n’y en a pas. Beaucoup de gens ont ce besoin. Si un jour cette nation se reconstruit, cette génération d’enfants nés dans la diaspora sera la plus intéressante parce qu’elle aura surmonté certains atavismes, certains nationalismes très grossièrement construits. Cette génération sera centrale, elle devra construire la mémoire et se réunir pour penser l’avenir. Ce sera intéressant. Le Venezuela ne m’intéresse que du point de vue que pourrait avoir un archéologue — pour arriver à trouver quelque chose, il faut d’abord que l’objet d’étude ait été détruit.

Tout se passe comme si nous étions à la veille d’un dénouement — mais pas nécessairement pour le meilleur.

Karina Sainz Borgo

Comment analysez-vous la séquence de ces derniers jours avec l’investiture contestée entre Maduro et González ?

Le Venezuela est une tragédie. Il ne connaîtra pas de rédemption. C’est inévitable. Quand on voit Edmundo González, on pense immédiatement à Guaidó — même si ce n’est pas du tout la même chose, car Edmundo est élu et a la preuve de son élection. Mais l’impression de supplice de Sisyphe tend à confondre et à fatiguer l’opinion publique extérieure. C’est un facteur qui joue en la défaveur de l’opposition.

Par ailleurs, je suis préoccupée que même en Espagne, le seul véritable lieu par lequel passe la discussion sur l’Amérique latine en Europe, on considère le Venezuela comme une chose très lointaine.

Sommes-nous à un tournant avec les opposants María Corina Machado et Edmundo González ?

Il est indéniable qu’il y a cette fois-ci un leadership politique. C’est une nouveauté. Je pense que María Corina Machado est probablement la plus forte de sa génération, dans sa perspective, son projet, son discours, sa projection internationale. Elle a réussi à faire quelque chose qu’aucun autre leader de l’opposition n’avait jamais fait : les gens n’ont plus peur. Elle leur a enlevé cette peur. Elle l’a fait en juillet. Elle l’a fait à nouveau ces jours-ci. 

Pour la première fois, je pense qu’il est devenu clair qu’une très grande partie du pays veut du changement. Quel est le principal obstacle ? L’armée, qui a toujours été le soutien et l’une des principales structures du régime bolivarien. Avant son investiture vendredi, Maduro a militarisé la capitale avec son groupe de réservistes associés au gouvernement. Il dispose du renseignement militaire, c’est-à-dire de l’ensemble de l’appareil répressif. La situation est donc aussi plus tendue qu’autrefois.

Il faut prendre conscience de la peur de la répression du régime. C’est lorsqu’elles se sentent menacées que les structures autoritaires se comportent généralement de la pire façon. Plus de 2 000 personnes ont été emprisonnées depuis le mois d’août, sans compter tous les prisonniers politiques qui étaient déjà dans le pays. Je continue d’être inquiète. Tout se passe comme si nous étions sur le point de connaître une forme de dénouement —  mais pas nécessairement pour le meilleur. Il est possible que la situation s’aggrave encore.

Après les élections et dans le contexte de cette investiture, avez-vous l’impression que le régime a été affaibli — ou du moins que des fissures sont apparues ? 

Je n’ai aucun élément de preuve en interne pour appuyer cela, mais ses décisions semblent de plus en plus erratiques. Maduro lui-même se retrouve contraint d’adopter un discours plus radical. Il n’a plus le soutien populaire qu’il avait lorsqu’il contrôlait la rue — en plus de contrôler l’armée.

Il est intéressant de noter que le chavisme n’a pas réussi à casser la figure de María Corina Machado. C’est la seule qui y a résisté à ce point. L’une des stratégies du régime consiste à stigmatiser et à ridiculiser les leaders de l’opposition. Même si cela s’est déjà produit, le régime privilégie moins l’assassinat ou la torture — craignant d’ériger des martyrs. Dans le cas de Leopoldo López, Henrique Capriles, Juan Guaidó, l’élite chaviste les a laissés agir, s’user et finalement tomber dans le discrédit de l’opposition elle-même. C’est le scénario habituel.

Avec María Corina Machado, cela n’a pas fonctionné : elle a résisté à toutes les techniques de dénigrement. Pour moi, le « phénomène Machado » est réellement ce qui fait la différence. Elle crée des problèmes pour le régime ; elle se fait remarquer par le manque d’imagination qui caractérise souvent les réponses du gouvernement. J’attends avec beaucoup d’impatience et de curiosité politique ce que va faire María Corina Machado. Je ne me souviens pas avoir jamais vu un leadership politique d’une telle ampleur au sein d’une opposition habituellement persécutée et écrasée.

Pour la première fois, l’opposition vénézuélienne dispose d’un élément fondamental qu’il ne faut pas négliger : Machado a pris la peine de scanner les registres électoraux.

Karina Sainz Borgo

Au-delà des élections et de la scène internationale, pensez-vous que Machado et González aient réussi à mobiliser suffisamment de personnes dans le pays ?

La mobilisation de la rue est extrêmement importante. Pour la première fois, l’opposition vénézuélienne dispose d’un élément fondamental qu’il ne faut pas négliger : Machado a pris la peine de scanner les registres électoraux. Les gens ont le sentiment qu’elle est sérieuse, qu’elle a un plan, une vision stratégique, qu’elle a travaillé pour avoir une longueur d’avance. Aujourd’hui, grâce à elle, tout le monde sait que l’opposition a gagné les élections et que Maduro a perdu. Il n’y a plus aucun doute. C’est une nouveauté au Venezuela. 

Par ailleurs, elle appelle à l’union et à la reconstruction — c’est intéressant. Je ne suis pas en mesure de déterminer s’il y aura une réponse populaire ou non, mais il est également vrai que je ne pense pas que les gens abandonneront si facilement avec un leadership comme celui de Machado. Elle a abordé la principale demande : une proposition d’union. Il me semble que, pour la première fois, un retournement est possible.

Le chavisme le sent. De manière grossière, il a lancé un mandat d’arrêt contre le président élu. C’est une parodie, une caricature de régime autoritaire — en pas drôle.

La communauté internationale doit réfléchir à la prochaine étape alors que le Venezuela s’isole et que son régime dictatorial se normalise. Je ne sais pas dans quelle mesure l’Amérique latine peut s’en accommoder. Si le régime se radicalise, il n’y aura pas de retour en arrière.

Il n’y aura pas de retour en arrière tant que Maduro restera au pouvoir ?

Le remplacement de Maduro ne signifierait pas l’extinction de toute la structure. Par ailleurs, le chavisme résiste aussi grâce à des régimes qui le soutiennent comme la Russie et la Chine, surtout au plan économique pour cette dernière.

Il y a cependant certains signes d’espoir dans la région et des perspectives constructives peuvent poindre. Les interventions du président chilien Boric sur le Venezuela, par exemple, ont été remarquables.