Lors de son entretien sur X avec la candidate de l’AfD, Elon Musk a de nouveau explicitement soutenu Alice Weidel.
Pour le moment toutefois, dans les sondages d’opinion, l’intervention de Musk ne semble pas avoir eu un très grand impact.
- Selon une enquête INSA du 6 janvier, les chrétiens-démocrates (CDU/CSU) sont crédités de 31 % des intentions de vote, suivis par l’AfD qui paraît bien placé pour doubler son score de 2021, avec 21,5 % des suffrages.
- Les partis de la coalition sortante, à savoir le parti social-démocrate (SPD, 15,5 %) et les Verts (Die Grünen, 13,5 %), essuient un important recul, et les libéraux (FDP), voient leur présence parlementaire en danger, puisqu’ils ne sont crédités que de 4 % des intentions de vote au niveau fédéral.
- L’Alliance de Sahra Wagenknecht (BSW), qui appartient désormais aux coalitions régionales dans deux Länder de l’Est (Brandebourg et Thuringe), pourrait à l’inverse faire son entrée au Bundestag (6 % des suffrages), en remplacement de Die Linke (3 %).
- Selon une enquête de Statista, les principaux sujets de préoccupation de la population allemande sont la situation économique, la migration, les questions énergétiques et le climat.
Les élections législatives anticipées prévues le 23 février sont hors-normes par le calendrier serré imposé par la dissolution de la coalition en novembre dernier. C’est dans ce contexte qu’interviennent les prises de position d’Elon Musk, un acteur de la vie économique et politique allemande depuis au moins cinq ans.
- En novembre 2019, Musk avait annoncé l’implantation de la méga-usine de Tesla pour la construction de voitures électriques en Europe, dans le Brandebourg à Grünheide, non loin de l’aéroport Willy Brandt de Berlin.
- Le projet avait été interprété comme une victoire industrielle et symbolique majeure pour l’Allemagne, notamment vis-à-vis de la France qui avait été initialement pressentie comme lieu d’implantation.
- Contrairement à l’aéroport de Berlin, dont l’ouverture a eu lieu en 2020 avec quinze ans de retard, l’usine Tesla a ouvert ses portes en mars 2022 avec moins d’une année de retard : en 2021, le processus d’autorisation administrative par le Land du Brandebourg avait en effet ralenti la construction, notamment en raison de réserves quant à son impact sur l’environnement, ce qui avait conduit à un débat politique sur la nécessité d’une « dé-bureaucratisation ».
- En mars 2024, un début d’incendie, probablement d’origine criminelle et revendiqué par un groupuscule d’extrême-gauche, conduit à l’arrêt provisoire de la production.
- À la fin de l’année dernière, Tesla, comme les autres constructeurs automobiles en Allemagne, a vu ses ventes baisser.
L’intérêt de Musk pour l’Allemagne et son obsession pour la dérégulation outre-Rhin ne datent donc pas de la fin de l’année 2024, mais son soutien manifeste et ouvert à l’AfD semble être le produit d’une évolution plus récente, survenue concomitamment à son ralliement plein et entier à l’idéologie « MAGA » de Donald Trump.
- Musk a ainsi précédemment indiqué ne pas comprendre pourquoi l’AfD était qualifiée de parti d’extrême-droite. Le message initial sur sa plateforme « Only the AfD can save Germany » est un partage d’une publication de l’influenceuse d’extrême-droite antisémite Naomi Seibt qui a tenté à plusieurs reprises de se faire une place sur la scène néo-nationaliste américaine, participant notamment à des conférences conservatrives (CPAC) ou interpellant des influenceurs MAGA.
- La tribune de Musk, publiée ensuite dans Die Welt, témoigne d’une certaine méconnaissance à la fois de l’Allemagne — Musk semble ignorer l’existence d’accords de coalition, et semble confondre dans d’autres messages le président Frank Walter Steinmeier au rôle honorifique et le chancelier fédéral dans ses invectives insultantes sur X —, mais aussi du programme de l’AfD.
- Musk élude les aspects néo-nazis de l’AfD, parti placé sous observation de l’office de protection de la Constitution, qui cherche à minimiser la Shoah, et où les partisans d’une réévaluation positive du IIIe Reich ont progressivement pris l’ascendant. Avec une certaine mauvaise foi, il utilise le fait que la co-présidente et Spitzenkandidatin de l’AfD, Alice Weidel, vive avec une femme pour rejeter les reproches de nazisme.
En face, l’AfD, prompte à critiquer l’ingérence américaine dans les affaires européennes et à démoniser l’OTAN et le soutien apporté à l’Ukraine, est un parti ouvert à tous vents, au-delà des barrières idéologiques.
- La multiplication ces derniers mois d’affaires impliquant plusieurs informateurs chinois installés au cœur du parti a démontré encore une fois sa complaisance envers les dictatures et sa corruptibilité. L’implication de proches conseillers chinois dans un scandale d’espionnage et des propos relativisant la responsabilité des Waffen-SS dans les crimes du nazisme ont ainsi conduit en mai dernier la tête de liste aux élections européennes, Maximilian Krah, à se voir retirer l’investiture du parti. Il a malgré tout été élu et siège comme député européen sans étiquette à Strasbourg.
- Dans sa tribune dans Welt, Musk s’efforce au contraire de dépeindre l’AfD comme un parti que l’on qualifierait en allemand de « bürgerlich », selon une dénomination signifiant un conservatisme classique et fréquentable, partisan de baisses d’impôts, d’une plus grande sécurité et d’une libéralisation des réglementations.
- Ironiquement, ce profil correspond à la CDU/CSU de Freidrich Merz, qui incarne sans doute plus la figure du businessman conservateur socialement énergique et sûr de lui que Musk souhaite lui-même incarner.
Au fond, le niveau de connaissance du monde et des affaires étrangères de Musk semble caractéristique d’une personne qui s’informe uniquement sur X. La publication de la tribune permet de dissiper toute équivoque concernant les intentions d’Elon Musk et le rôle du groupe de presse Springer.
En effet, l’affaire Musk-AfD marque un tournant pour le monde de la presse en Allemagne.
- La cheffe du service débats du journal Welt a démissionné à la suite de la publication de la tribune. Le quotidien, marqué à droite et édité à Berlin par le groupe Axel Springer (qui possède également Politico), n’est pas l’équivalent du Monde en termes de référence d’envergure nationale (ce rôle est plutôt assuré par la Frankfurter Allgemeine Zeitung et la Süddeutsche Zeitung, respectivement au centre-droit et au centre-gauche). Il s’apparente davantage à l’alter ego du Figaro. Mais y compris au sein de ce journal conservateur, la publication de la tribune a suscité d’intenses polémiques, différents membres de la rédaction et contributeurs prenant à leur tour position dans les colonnes mêmes du journal pour ou contre l’espace offert au milliardaire.
- Pour Jan Philipp Burgard, le nouveau rédacteur en chef du Welt depuis le début de l’année, « le diagnostic de Musk est correct, mais sa proposition de thérapie, selon laquelle seule l’AfD pourrait sauver l’Allemagne, est fatalement fausse ». En faisant de la publicité à l’AfD, ce patron de presse conservateur et proche du monde des affaires a-t-il choisi de soutenir le modèle d’une coalition des droites sur le modèle rêvé en France par Éric Ciotti ou Éric Zemmour ?
L’intervention de Musk, marquée par des remarques grossières contre les responsables allemands, y compris après les attaques de Magdebourg le 20 décembre, a fini par déclencher des réactions officielles.
- Le chrétien-démocrate Merz a parlé à propos des diatribes de Musk d’« ingérence », tandis que le chancelier sortant Scholz a souligné que l’avenir politique de l’Allemagne ne doit pas être « décidé par des milliardaires étrangers, mais par les citoyens ». À la une de l’édition du 3 janvier 2025 du Spiegel, Robert Habeck interpelle Musk avec la déclaration : « Ne touchez pas à notre démocratie ».
- Hors de l’AfD, le seul poids lourd à chercher activement les faveurs du patron de Tesla est Christian Lindner, ancien ministre libéral des Finances, destitué par Scholz en novembre dernier, et dont le parti risque fortement de disparaître du Parlement fédéral.