« La situation est grave » : Scholz expose la crise politique en Allemagne
La coalition « feu tricolore » est tombée. Dans un discours d’une brutalité à l’opposé de son style politique, Scholz a défendu le bilan des trois ans de gouvernement SPD-Verts-FDP et attaqué frontalement Christian Lindner, limogé quelques heures plus tôt de son poste de ministre des Finances.
Pour comprendre où va l’Allemagne alors que le pays s’apprête à entrer dans une campagne hivernale, il faut partir de cette traduction inédite et du commentaire ligne à ligne que nous proposons d’un discours historique — sans doute le moins « scholzien » d’Olaf Scholz.
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- François Hublet, Pierre Mennerat •
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- Le chancelier allemand Olaf Scholz fait une déclaration après une réunion interministérielle à Berlin, Allemagne, mercredi 6 novembre 2024. © AP Photo/Markus Schreiber
Dans une allocution d’une dizaine de minutes à Berlin le soir du mercredi 6 novembre, le chancelier social-démocrate Olaf Scholz a démis de ses fonctions le ministre des finances libéral Christian Lindner. Ce divorce puise son origine dans des querelles persistantes depuis trois mais se retrouve concomitant de l’élection de Donald Trump. Ce tremblement de terre politique met fin à trois ans de coalition en « feu tricolore » entre SPD, FDP et Verts et annonce une recomposition politique imminente.
Il aura des conséquences majeures, directes et indirectes, pour l’Union européenne et le monde.
Mesdames et Messieurs,
Je viens à l’instant de demander au président fédéral de démettre de ses fonctions le ministre fédéral des Finances. Je me vois contraint à cette mesure afin d’éviter tout dommage à notre pays. L’Allemagne a besoin d’un gouvernement capable d’agir et qui ait la force de prendre les décisions nécessaires. Cette capacité d’action et de décision, c’est ce qui a été au cœur de mes préoccupations tout au long des trois dernières années, et c’est ce qui m’importe aujourd’hui.
Le gouvernement d’Olaf Scholz aura donc duré 3 années depuis novembre 2021, lorsqu’un accord ambitieux avait été négocié par les partis sortis vainqueurs de l’élection législative de septembre. Intitulé « Oser plus de progrès » une référence au slogan fameux de Willy Brandt « oser plus de démocratie », l’accord s’annoncait comme un programme pour l’Allemagne post-Merkel en réalisant des investissements massifs dans des domaines sans doute négligés par la chancelière : innovation, santé, transport, aides sociales, éducation, etc. Avec Olaf Scholz s’installait une coalition qui prévoyait de gouverner au centre. Celle-ci prévoyait la mise en place de mesures sociales marquantes : réforme et élargissement de l’assurance chômage sous le nom de Bürgergeld (revenu citoyen), renforcement de l’aide à l’enfance, et de mesures sociétales — avec le retrait du code pénal de l’article 219 pénalisant l’avortement, l’autorisation de principe de la double nationalité et la reconnaissance d’un droit au changement de genre à l’état civil.
2022 fut l’année de la Zeitenwende, un changement d’époque total. En février, devant l’entrée des troupes russes en Ukraine Olaf Scholz, souvent décrit comme terne, fut l’auteur d’un discours historique. Il y proposait plusieurs points : un soutien à l’Ukraine, des sanctions contre la Russie, une augmentation des dépenses de la Bundeswehr par l’intermédiaire d’un fonds spécial de 100 milliards et une redéfinition de la stratégie mondiale de l’Allemagne. Mais sa mise en place fut difficile. Après aux déclarations initialement très décevantes de sa ministre de la défense de l’époque Christine Lambrecht, Scholz décida de l’envoi d’armements défensifs vers l’Ukraine, mais refusa pendant très longtemps d’expédier des armes lourdes, délivrant au compte-goutte des équipements que d’autres partenaires de l’OTAN, n’hésitaient pas à livrer quant à eux aux troupes ukrainiennes.
2023 fut ainsi l’année des difficultés. La fermeture annoncée des dernières centrales nucléaires eut lieu en avril. L’affaire de la livraison des chars Léopard II s’éternisant jusqu’en janvier 2023, Olaf Scholz finit par l’accepter. Mais son gouvernement refuse encore la livraison des missiles de croisière Taurus à l’Ukraine, au motif que cela entraînerait une escalade ingérable. En octobre commençait une guerre au Proche Orient entre Israël et plusieurs groupes islamistes — Hamas, Hezbollah. Le gouvernement allemand soutint fortement Israël, mais la société civile et les campus universitaires se divisèrent alors autour de la question.
2024 fut donc l’année du passage de la dispute au divorce. La multiplication des disputes semblait être devenue quotidienne au point qu’on avait fini par s’y habituer. Le FDP, qui se considérait de plus en plus comme une « opposition interne au gouvernement » continua à lancer des papiers alternatifs en forme de provocations pour tester les limites de ses partenaires.
Ce midi, j’ai fait au FDP une proposition qui nous aurait permis de combler le déficit du budget fédéral sans plonger notre pays dans le chaos. Une offre pour renforcer l’Allemagne en ces temps difficiles. Une offre qui reprenait certaines des propositions du FDP, mais qui reconnaissait également qu’au vu des défis auxquels nous faisons face, une plus grande marge de manœuvre financière était nécessaire. Ma proposition s’organisait autour de quatre axes principaux :
1 — Rendre les coûts de l’énergie plus abordables et plafonner les tarifs pour nos entreprises afin de renforcer la production allemande.
2 — Mettre en place des mesures visant à protéger les emplois dans l’industrie automobile et parmi ses nombreux sous-traitants.
L’annonce en septembre 2024 du licenciement probable de plusieurs milliers d’employés sur des sites allemands du Groupe Volkswagen — entreprise automobile emblématique du succès mondial de l’Allemagne — a accentué la pression sur le gouvernement, sommé de donner une réponse à un événement qui a une ampleur au delà de l’économique puisqu’elle vise un mythe allemand.
3 — Introduire une prime à l’investissement et faciliter les allègements fiscaux afin d’encourager les investissements dans l’économie allemande.
4 — Augmenter notre soutien à l’Ukraine, qui est au seuil d’un hiver difficile. Au lendemain des élections américaines, il importe d’envoyer un signal fort : l’Ukraine peut compter sur nous.
Une fois de plus, j’ai cependant dû constater que le ministre fédéral des Finances ne montrait aucune volonté de mettre en œuvre ces propositions au sein du gouvernement fédéral. Je ne veux plus que notre pays ait à subir un tel comportement.
Chers concitoyens, j’aurais aimé vous épargner cette décision difficile, surtout en ces temps d’incertitude croissante. Aux États-Unis, Donald Trump a obtenu une nette victoire lors des élections présidentielles, et je lui ai adressé aujourd’hui mes félicitations. Comme chancelier, je travaillerai bien entendu en bonne intelligence avec le futur président des États-Unis. En période d’incertitude, il est d’autant plus important de pouvoir compter sur une relation transatlantique étroite. Mais une chose est sûre : l’Allemagne devra assumer ses responsabilités ― et l’Europe, plus que jamais, devra se serrer les coudes et continuer à investir ensemble dans sa sécurité et sa force sur la scène internationale.
L’ultimatum budgétaire et financier en quatre points présenté à Christian Lindner repose sur un constat simple : il est impossible de maintenir à la fois le « frein à l’endettement » (Schuldenbremse), les dépenses sociales et le soutien à l’Ukraine. Scholz met ainsi fin à une série de coups de semonce de la part du FDP, en retournant vers eux l’arme de l’ultimatum dont Christian Lindner s’est servi à plusieurs reprises.
La situation est grave : la guerre est de retour en Europe, les tensions s’accroissent au Proche-Orient. Dans le même temps, notre économie fait du surplace. Nos entreprises doivent affronter la faiblesse du commerce mondial, la hausse des prix de l’énergie consécutive à la guerre d’agression russe et les coûts de la modernisation de notre économie. Mes discussions avec les représentants du monde économique montrent que nos entreprises ont besoin de soutien, et ce dès aujourd’hui. Dans une telle situation, refuser une solution ou une offre de compromis est irresponsable. En tant que chancelier, je ne peux le tolérer.
Au cours des trois dernières années, je n’ai cessé de faire des propositions pour que notre coalition, qui allie trois partis aux profils différents, puisse parvenir à de bons compromis. Cela fut souvent difficile, et les limites de mes convictions politiques ont parfois été mises à rude épreuve. Mais en tant que chancelier, il est de mon devoir de rechercher des solutions pragmatiques, pour le bien du pays. Or trop souvent, les compromis nécessaires ont été étouffés par la mise en scène de nos désaccords dans l’espace public et par des exigences idéologiques bruyantes. Trop souvent, le ministre Lindner a bloqué des lois sans raison valable. Trop souvent, il s’est livré à des tactiques partisanes mesquines. Trop souvent, il a trahi ma confiance. Dernièrement, il est allé jusqu’à rejeter unilatéralement l’accord auquel nous étions parvenus sur le budget, alors même que nous étions parvenus à un compromis à l’issue de longues négociations. Aujourd’hui, la base de confiance nécessaire à la poursuite de la collaboration actuelle n’existe plus. Il n’est plus possible de mener ensemble un travail gouvernemental sérieux.
Scholz livre ici un discours assez brutal contre son ancien allié : il remet directement en cause la probité de son ancien partenaire Christian Lindner. Il l’accuse de mettre en priorité des considérations partisanes de court terme et d’avoir refusé dans un esprit étriqué et partisan des mesures de bon sens pour la stabilité du pays. Il est vrai que le FDP se considère depuis longtemps ouvertement comme une « opposition intérieure » au sein de la coalition. Les libéraux se sont ainsi présentés comme le contrepoids de deux partis (SPD et Verts) présentés comme englués dans une surenchère de mesures supposées délétères pour la santé économique du pays.
En 2017, Christian Lindner avait fait ainsi éclater en vol les négociations préliminaires de coalition avec les Verts et la CDU de Merkel en déclarant « Es ist better nicht zu regieren als schlecht zu regieren » — « Il vaut mieux ne pas gouverner que mal gouverner » — citant notamment des désaccords fondamentaux avec les Verts. La CDU de Merkel avait alors dû se retourner en désespoir de cause vers son ancien partenaire, le SPD qui venait d’essuyer avec Martin Schulz une défaite électorale cuisante. En octobre 2021, un selfie posté sur les réseaux sociaux de Lindner, accompagné du futur ministre libéral des transports Volker Wissing et des deux chefs du parti des Verts — Annalena Baerbock et Robert Habeck — avait semblé tourner la page de cette intransigeance du FDP : la volonté de gouverner semblait plus forte que la crainte de mal gouverner pour l’ambitieux chef des libéraux allemands.
Aujourd’hui Lindner retrouve son rôle de 2017 de destructeur de coalitions, avec sans doute l’idée de sauver l’existence au niveau fédéral de son parti, menacé selon les sondages de tomber sous la barre des 5 % nécessaire pour entrer au Bundestag — à moins d’obtenir 3 mandats directs.
Les membres d’un gouvernement se doivent d’agir de manière sérieuse et responsable, sans prendre leurs distances aussitôt que des difficultés apparaissent. Nous nous devons de trouver des compromis, dans l’intérêt de tous les citoyens. Or ce n’est manifestement pas ce qui intéresse Christian Lindner. Ce qui l’intéresse, c’est sa propre clientèle, c’est la survie à court terme de son propre parti. Aujourd’hui, au lendemain d’un événement aussi important que les élections américaines, un tel égoïsme est totalement incompréhensible.
La mise en scène des désaccords au sein de la coalition a trop longtemps détourné l’attention des actions concrètes de ce gouvernement. Nous faisons des progrès en matière de migration irrégulière, les entrées illégales ayant été réduites de plus de 50 % par rapport à l’année dernière. Nous réalisons aussi de grandes avancées s’agissant de notre sécurité énergétique et de la protection du climat : pour la première fois, l’Allemagne est en passe d’atteindre ses objectifs de développement des énergies éolienne et solaire. L’inflation est tombée à 2 %, les salaires réels et les pensions repartent à la hausse. Nous avons assuré la sobriété énergétique de l’Allemagne et stabilisé les prix de l’énergie. Il y a quelques années, près d’une personne sur quatre occupait un emploi à bas salaire ; aujourd’hui, ce n’est plus le cas que d’une personne sur sept. Ce sont là de bonnes nouvelles, résultat des politiques menées en commun par le gouvernement composé du SPD, des Verts et du FDP.
Le bilan de la coalition en feu tricolore depuis novembre 2021 nécessitera encore du temps pour être dressé de manière exhaustive, mais le chancelier se targue ici d’un certain nombre de réussites économiques et écologiques : baisse de l’inflation, hausse des salaires réels. Cependant d’autres indicateurs économiques actuels sont moins reluisants : la croissance oscille entre stagnation et récession selon les trimestres, le chômage est en hausse, la balance commerciale se dégrade et le climat de consommation et d’investissement est en berne.
Lors de ma prise de fonctions en tant que chancelier fédéral, j’ai prêté serment.
Ce serment revêt pour moi une grande importance. Je garde toujours à l’esprit l’intérêt de l’ensemble du pays. J’ai la ferme conviction que nous ne devrions jamais opposer la sécurité intérieure, la sécurité extérieure et la protection sociale. Cela mettrait en péril notre cohésion, voire notre démocratie.
Si j’insiste sur ce point, c’est que le ministre fédéral Lindner a exigé publiquement une réorientation radicale de la politique du gouvernement, incluant des réductions d’impôts de plusieurs milliards pour un petit nombre de hauts revenus et, dans le même temps, des réductions de pensions pour tous les retraités. Une telle politique ne serait ni décente, ni juste. De même, il serait absolument inacceptable de faire pleuvoir des cadeaux fiscaux tout en coupant dans les finances de nos villes et de nos communes. Christian Lindner entend aussi abandonner les investissements dans la modernisation et l’amélioration de la trajectoire climatique de notre pays, ce qui accroît l’incertitude économique et réduit nos chances d’être à la pointe des technologies du futur. Les États-Unis, la Chine et les autres grandes puissances économiques ne nous attendront pas. Enfin, Christian Lindner parle, en utilisant une formulation volontairement obscure, de « tirer parti des réserves d’efficacité » dans notre système de protection sociale. Mais derrière cette expression se cachent des coupes drastiques dans la santé et le système de soins, et donc une diminution de la protection de ceux qui en ont le plus besoin. C’est un manque de respect pour toutes celles et ceux qui ont travaillé dur pour obtenir cette sécurité, pour toutes celles et ceux qui paient des impôts et des cotisations sociales.
L’événement de la dissolution d’une coalition gouvernementale ayant conduit à un changement de chancelier a connu un précédent en 1982.
À l’époque le chancelier Schmidt, qui faisait face à une forte opposition interne au SPD à cause de son soutien aux Euromissiles Pershing II de l’OTAN, gouvernait au sein d’une coalition social-libérale avec le FDP de Hans-Dietrich Genscher. Le ministre de l’économie Otto Graf Lambsdorff (FDP) avait publié en septembre 1982 un manifeste « pour une politique de dépassement des faiblesses de la croissance et pour combattre le chômage » (Konzept für Politik zur Überwindung der Wachstumsschwäche und zur Bekämpfung der Arbeitslosigkeit). Il y appelait à un tournant libéral radical de la politique économique de l’Allemagne de l’Ouest. Après le refus par Schmidt de considérer leurs propositions, les ministres FDP quittèrent le gouvernement en octobre 1982.
En décembre, un vote de « défiance constructive » — le seul qui ait jamais réussi en Allemagne — avait conduit à la victoire d’Helmut Kohl, soutenu alors par le FDP de Genscher, puis à de nouvelles élections anticipées pour janvier 1983.
Ici, Scholz prend plus de temps pour poser la question de la confiance, arguant de la nécessité de faire passer devant le parlement des projets de loi qui ne peuvent être ajournés : réforme européenne du droit d’asile, réforme du barème de l’impôt sur le revenu, réforme du système des retraites publiques. L’adoption de ces réformes, auxquelles le FDP désormais dans l’opposition avait initialement souscrit, est néanmoins incertaine à ce stade.
La politique commence par l’observation de la réalité. Or pour l’Allemagne, la réalité est la suivante : la guerre d’agression de la Russie contre l’Ukraine a profondément modifié la situation sécuritaire pour des années à venir. Nous devons accroître considérablement notre investissement dans notre défense et notre armée, tout particulièrement au lendemain du résultat des élections aux États-Unis. 1,2 million d’Ukrainiennes et d’Ukrainiens ont trouvé refuge chez nous pour échapper à la terreur des bombardements russes. Il est juste de les accueillir. Nous soutenons l’Ukraine dans son effort de défense, à hauteur de bientôt 30 milliards d’euros. Nous la soutenons aussi parce que cela sert nos propres intérêts en matière de sécurité. Une victoire russe nous coûterait bien plus cher.
Le soutien à l’Ukraine est et demeure une juste cause.
Mais je le dis très clairement : je ne suis pas prêt à financer notre soutien à l’Ukraine et les investissements dans notre défense au détriment de notre cohésion sociale, au détriment des retraites, de la santé ou des soins. Nous avons besoin de l’une comme de l’autre : de sécurité et de cohésion sociale. C’est pourquoi je ne demanderai pas aux citoyens de choisir entre investir suffisamment dans notre sécurité ou investir dans de bons emplois, une économie moderne et une infrastructure de qualité. Ce « soit l’un soit l’autre » est un poison. Soit la sécurité, soit la cohésion. Soit le soutien à l’Ukraine, soit l’investissement dans l’avenir de l’Allemagne. Ces oppositions sont fausses et dangereuses. Elles apportent de l’eau au moulin des ennemis de notre démocratie. Surtout, poser une telle alternative est totalement inutile. Car l’Allemagne est un pays fort. Parmi toutes les grandes démocraties économiquement développées, nous avons de loin le taux d’endettement le plus faible. Il existe des solutions pour financer solidement notre collectivité et l’action publique. Il existe des solutions pour un budget qui renforce simultanément la sécurité intérieure, extérieure et sociale.
C’est la solution que j’ai proposée.
L’article 115 de la Loi fondamentale prévoit expressément la possibilité de déroger aux règles constitutionnelles de frein à l’endettement en cas de situation d’urgence exceptionnelle. La coalition avait déjà convenu de s’appuyer sur cette disposition. La guerre d’agression russe, qui en est déjà à sa troisième année, ainsi que ses conséquences, constituent une telle situation d’urgence. Or en cas d’urgence, le gouvernement fédéral n’a pas seulement le droit d’agir. Il en a le devoir.
Que va-t-il se passer maintenant ? Le ministre fédéral Lindner est démis de ses fonctions par le président fédéral. En accord avec le vice-chancelier Robert Habeck, je pense que l’Allemagne a besoin d’une clarification rapide de sa future trajectoire politique. L’échéance régulière des élections fédérales prévues pour l’automne prochain est encore lointaine. Au cours des semaines de session restantes du Bundestag jusqu’à Noël, nous soumettrons au vote tous les projets de loi qui ne peuvent être reportés. Parmi ces projets figure la compensation des effets de l’inflation sur le montant de l’impôt sur le revenu, qui garantira que les salariés bénéficient d’une augmentation de leur salaire net à partir du 1er janvier. Nous traiterons également de manière prioritaire la stabilisation du système des retraites publiques et la mise en œuvre du nouveau système européen commun d’asile. Enfin, nous prendrons des mesures immédiates pour notre industrie, au sujet desquelles j’échange actuellement avec les entreprises, les syndicats et les fédérations industrielles. Ces décisions devront être prises d’ici à la dernière réunion du Bundesrat cette année, le 20 décembre. Puis, lors de la première semaine de session du Bundestag de l’année à venir, je poserai la question de confiance, afin que le Bundestag puisse se prononcer à ce sujet le 15 janvier. Les membres du Bundestag pourront ainsi décider s’ils ouvrent la voie à des élections anticipées. Ces élections pourront alors avoir lieu au plus tard fin mars, dans le respect des délais prévus par la Loi fondamentale.
La question de confiance serait ainsi posée en janvier, suivie éventuellement d’élections législatives anticipées en mars plutôt qu’en septembre prochain comme initialement prévu si le mandat était allé à son terme. Il y a de quoi se demander tout de même si les partis de la coalition ne font pas « beaucoup de bruit pour rien », puisque pour à peine six mois de plus, si les élections ont lieu à la date prévue, le gouvernement aurait aussi pu continuer à gérer les affaires courantes jusqu’à l’été en actant sa séparation. Olaf Scholz se prépare donc ainsi à entrer dans une phase de gouvernement minoritaire d’intérim, rendant tout acte législatif encore plus difficile. Il va désormais gérer les affaires courantes jusqu’à la mi-janvier 2025, ce qui représente deux bons mois au cours desquels il est probable que le pays entre rapidement en campagne électorale hivernale, ce qui empêchera probablement la conclusion d’accords.
Selon un sondage INSA en date du mardi 5 novembre, si les élections avaient lieu ce dimanche, la CDU arriverait en tête avec 33 % des suffrages, suivie de l’AfD à 18 %, puis du SPD à 15,5 % et des Grünen à 11 %. Le nouveau parti Bündnis Sahra Wagenknecht attendrait 8 % des voix, tandis que le FDP pourrait être éliminé, se situant à 4,5 % des intentions de vote.
Mesdames et Messieurs, je m’entretiendrai également au plus vite avec le chef de l’opposition, Friedrich Merz.
Je lui proposerai à cette occasion de coopérer de manière constructive sur au moins deux questions décisives pour notre pays : le renforcement rapide de notre économie et de notre défense. Car notre économie ne peut pas attendre que de nouvelles élections aient eu lieu. Dès à présent, nous avons besoin de clarté pour assurer un financement solide de notre sécurité et notre défense sans mettre pour autant en péril la cohésion du pays. Au lendemain des élections américaines, cet enjeu est plus urgent que jamais. Il s’agit de prendre les décisions dont notre pays a besoin. J’échangerai à ce sujet avec les responsables de l’opposition.
Scholz fonde son choix sur des valeurs culturelles allemandes emblématiques : la fiabilité et la permanence de l’État. La logique semble paradoxale, puisqu’il prend lui-même la responsabilité d’une instabilité gouvernementale dans un contexte de turbulences économiques et géopolitiques. Il en appelle pour cela également à l’opposition actuelle, la CDU de Friedrich Merz, qu’il appelle à une coopération limitée sur des mesures concernant l’économie et la défense. Il n’est pas exclu que Merz, soucieux de donner l’image d’un homme d’État responsable, accepte que la CDU conduise à certaines conditions des projets transpartisans. Mais il y aurait aussi beaucoup à perdre en terme de capital politique à coopérer avec un chancelier « canard-boiteux » comme Scholz, pour celui qui se désigne depuis trois ans comme le successeur naturel de la coalition sortante et qui doit faire face au danger sur sa droite d’une AfD vindicative.
Chers concitoyens, en tant que chancelier de la République fédérale d’Allemagne, je continuerai à consacrer toutes mes forces à guider notre pays à travers cette période difficile. Je suis persuadé qu’en prenant les bonnes décisions, nous sortirons renforcés de cette crise.
Je voudrais terminer sur une remarque personnelle.
J’ai commencé cette prise de parole en évoquant la nécessité de faire des compromis. Nous devons impérativement préserver cette capacité de compromis. Ceux qui ont observé les États-Unis ces dernières semaines ont pu voir un pays profondément divisé, un pays où les désaccords politiques détruisent des amitiés et des familles, où l’idéologie a rendu presque impossible toute coopération au-delà des frontières partisanes. Nous devons faire tout notre possible pour éviter une telle situation en Allemagne ― d’autant plus que nous devrons probablement faire face, dans l’avenir, à des résultats électoraux qui exigent de nous coopération et compromis. L’exercice du compromis est souvent laborieux. Mais c’est lui qui a fait la force de l’Allemagne. C’est lui qui fait notre spécificité. Et c’est à bâtir de tels compromis que je travaille en tant que chancelier fédéral.
Le chancelier conclut son discours de manière légèrement paradoxale, compte tenu du contexte, sur l’éloge d’une autre valeur politique allemande : la culture du compromis — qu’il oppose notamment au modèle américain de la polarisation à outrance.
Olaf Scholz a lui même bâti sa carrière politique sur sa capacité à réunir des tendances différentes au sein de son parti et de coalitions hétérogènes : maire de la ville marquée à gauche d’Hambourg, mais plutôt identifié à l’aile droite des sociaux-démocrates, il entre en 2017 au gouvernement comme chef d’une coalition que ni la CDU ni son parti ne voulaient après l’échec des négociations avec le FDP et les Verts. Il s’illustre alors par la défense de la discipline budgétaire dans la longue lignée de Gerhard Schröder. Battu lors de sa tentative de prendre la tête du SPD en 2019, Scholz arrache ensuite la nomination comme Spitzenkandidat de ce même parti en 2021, malgré une relative impopularité au sein d’une base militante plus marquée à gauche que lui.
Concédant dans le programme des mesures de politique sociale assez ambitieuses, il se fait l’apôtre d’une expansion budgétaire. Cette malléabilité lui a donné l’image d’un indécis et d’un faible. Aujourd’hui, ce discours « coup de poing », qui dresse déjà un bilan de trois ans au pouvoir, est donc peut-être le moment le moins « scholzien » de sa carrière.
Merci beaucoup.