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1 — Sondages : la triple victoire annoncée de l’AfD
Depuis mi-2022, l’Alternative pour l’Allemagne (AfD) fait la course en tête dans les sondages en Saxe, Thuringe et Brandebourg.
En Saxe, le parti est donné entre 30 et 35 % des suffrages ; en Thuringe, autour de 30 % ; au Brandebourg, autour de 25 %. De tels résultats seraient les plus élevés jamais enregistrés par un parti d’extrême droite au niveau régional en Allemagne depuis la chute du nazisme, dépassant le record établi par l’AfD en Saxe en 2019 (27,5 %). L’AfD, qui n’a encore jamais remporté une élection régionale, pourrait donc s’imposer à trois reprises en l’espace de trois semaines seulement.
Cette popularité intervient dans un contexte de radicalisation permanente du parti, particulièrement marquée dans les Länder de l’Est. Le président et tête de liste de l’AfD en Thuringe, Björn Höcke, est la figure de proue de l’aile la plus radicale du parti. Tenant des théories ethno-nationalistes völkisch et proche de certains groupes néo-nazis, l’ancien professeur du secondaire n’est pas un cas isolé : les principaux représentants des sections de l’AfD à l’Est, mais aussi leurs adhérents et leur électorat, présentent un profil plus radical qu’à l’Ouest. Les sections thuringeoise et saxonne de l’AfD sont classées à ce titre comme « extrémistes de droite avérées » par l’Office fédéral de protection de la constitution (Verfassungsschutz). La section brandebourgeoise ainsi que le parti fédéral dans son ensemble font l’objet d’une « suspicion d’extrémisme de droite », le niveau immédiatement inférieur. Dans les deux cas, le Verfassungsschutz est autorisé à utiliser des moyens de renseignement pour observer les agissements du parti et prévenir de potentielles violations de l’ordre constitutionnel. À la suite des révélations du média Correctiv sur les plans de « remigration » développés par les milieux nationalistes allemands et autrichiens, des manifestations massives contre l’extrême droite avaient eu lieu au début de l’année 2024. Des appels à lancer une procédure d’interdiction du parti se sont élevés.
À ce stade, cette radicalité croissante et la mobilisation qu’elle a générée n’ont pas mené à un reflux des scores de l’AfD. Certes, les chiffres donnés par les enquêtes d’opinion sont inférieurs de quelques points à ceux enregistrés en janvier 2024. Mais la tendance de long terme reste favorable au parti, qui a su développer son ancrage territorial et s’affirmer à l’Est comme un Volkspartei, un « parti de masse » susceptible d’atteindre un électorat large sur l’ensemble du territoire.
2 — Les partis de la coalition « feux de circulation » en grande difficulté
À l’inverse, les sociaux-démocrates (SPD), les Verts et les libéraux du FDP craignent dans les trois régions des résultats historiquement bas. Au niveau fédéral, la coalition de centre-gauche connaît depuis mi-2022 une baisse de popularité très marquée : si l’élection fédérale avait lieu ce dimanche, elle ne contrôlerait plus qu’environ un tiers des sièges. Mais la situation est encore plus critique en Saxe et en Thuringe, où les trois partis pourraient dans le pire des cas n’obtenir aucun siège. En Saxe, les derniers sondages donnent le SPD à 6 %, les Verts à 5 % et le FDP en-deçà de 2 % ; en Thuringe, ces chiffres s’élèvent à 6 %, 3 % et 3 % respectivement. Les trois partis ne conservent une base électorale conséquente que dans les villes, et notamment les villes universitaires (Leipzig, Dresde, Iéna…). Ailleurs, ils n’obtiennent plus que scores marginaux. Cette faiblesse n’est pas nouvelle pour le FDP, toujours en difficulté dans les Länder de l’Est. Mais pour le centre-gauche, qui fait partie des trois gouvernements régionaux à renouveler, il s’agit d’un choc majeur : jamais les sociaux-démocrates n’ont obtenu des résultats régionaux aussi faibles ; les Verts, quant à eux, pourraient obtenir leurs plus mauvais résultats depuis deux décennies.
Au Brandebourg, la situation est un peu différente : le SPD est donné à ce stade autour de 20 %, les Verts autour de 5 % et le FDP à 2 %. La région, bastion social-démocrate depuis la chute du mur, est toujours dirigée par le ministre-président social-démocrate Dietmar Woidke. Le score de l’AfD y est un peu plus faible que dans les deux autres Länder, et la grande popularité du président régional sortant profite au SPD. Le parti pourrait cependant perdre sa première place au profit de l’AfD le 22 septembre. Dans un tel scénario, Woidke a d’ores et déjà annoncé ne pas souhaiter prendre la tête de la prochaine coalition.
3 — Les Conservateurs face à un dilemme
La grande impopularité de la coalition fédérale profite également à l’opposition de centre-droit, qui a su tirer profit de la montée en puissance des questions sécuritaires, économiques et migratoires dans le débat public. L’Union chrétienne-démocrate (CDU) dirigée par le libéral-conservateur Friedrich Merz est en capacité d’obtenir sans difficulté la deuxième place en Saxe et en Thuringe, et peut-être la première place en Saxe. La dérive continuelle de l’AfD vers la droite semble avoir résolu à court terme la question des alliances : tout accord entre la CDU et l’extrême droite est catégoriquement exclu à ce stade. Sans possibilité pour l’AfD de former une majorité, une deuxième place suffit aux conservateurs pour s’assurer la direction du gouvernement régional ― à condition de parvenir à mener une coalition contre l’AfD.
Pour une CDU dont le discours public, particulièrement à l’Est, s’est lui aussi droitisé, la période post-électorale sera risquée. Au niveau régional, il lui faudra négocier avec des partenaires fragmentés, affaiblis et incertains, et ce sans s’aliéner sa base électorale, qu’elle craint de voir glisser vers l’AfD si sa propre popularité venait à décroître. Dans le même temps, la perspective de la campagne fédérale de 2025 devrait inciter les conservateurs à maintenir un discours critique vis-à-vis du gouvernement en place, en même temps qu’ils négocieront des accords de gouvernement complexes avec les mêmes partis au niveau régional. Cet enjeu dépasse le parti : la capacité de la CDU à préserver sa crédibilité devrait en effet influer sur la capacité de l’AfD à obtenir une majorité régionale à moyen et long terme. À ce stade, la CDU apparaît seule en capacité de faire concurrence à l’AfD en Saxe et en Thuringe, et continue à obtenir des scores significatifs dans des milieux sociaux et géographiques où l’AfD est désormais bien implantée. Tant le ministre-président de Saxe sortant Michael Kretschmer que le chef de file thuringeois Mario Voigt ont mis en scène ces dernières semaines leur duel avec l’AfD, s’efforçant de s’affirmer comme la seule alternative crédible face à l’extrême droite.
4 — L’Alliance Sahra Wagenknecht en position d’arbitre
Transfuge du parti de gauche radicale Die Linke, Sahra Wagenknecht a fondé en janvier 2024 son propre parti, l’Alliance Sahra Wagenknecht (BSW).
Siégeant parmi les non-inscrits au Parlement européen, le parti combine propositions économiques redistributives, conservatisme social et revendications d’une limitation de l’immigration. Sur le plan extérieur, Sahra Wagenknecht s’est distinguée par des prises de position eurosceptiques, anti-atlantistes et hostiles au soutien à l’Ukraine. Le parti a été accusé de propager des narratifs pro-Kremlin et de diffuser des informations erronées sur le conflit en cours. Parmi les partis d’Europe de l’Ouest et du Nord, une telle doctrine apparaît inhabituelle. Vue d’Europe centrale et orientale, en revanche, elle peut être rapprochée de la pratique contemporaine de plusieurs formations politiques de gauche : en Roumanie, en Slovaquie, en Bulgarie ou en République tchèque, des partis nominalement sociaux-démocrates ou communistes ont adopté des positions similaires.
Sept mois après sa création, c’est — sans surprise — dans les Länder de l’Est que le BSW obtient ses meilleurs résultats dans les enquêtes d’opinion : 20 % en Thuringe, 17 % au Brandebourg et 15 % en Saxe. Au contraire, dans les Länder de l’Ouest, le parti ne dépasse guère 8 % des voix. Le BSW semble à ce stade avoir absorbé une part importante de l’électorat peu dynamique et vieillissant de la Linke. Mais il a aussi attiré des électeurs isolationnistes, sociaux-conservateurs et contestataires susceptibles de plébisciter l’AfD. De fait, la légère décrue des scores de l’AfD de janvier à mars 2024 correspondait à la période de croissance du nouveau parti.
Donnée en troisième position en Saxe et en Thuringe, le BSW pourrait disputer la seconde place à la CDU dans cette dernière. Sa participation sera probablement indispensable à la formation d’une majorité parlementaire dans les deux régions.
Le parti se retrouvera donc en mesure d’arbitrer entre trois options : celle d’une coopération large contre l’AfD, sans doute structurée par un binôme conservateur CDU-BSW ; celle d’une alliance BSW-AfD, pour l’instant exclue par Wagenknecht elle-même et celle d’une situation d’instabilité durable en l’absence de tout accord majoritaire. À ce stade, Sahra Wagenknecht a fait dépendre sa participation à une coalition régionale d’une revendication qui, si elle est dirigée vers le centre, apparaît totalement irréaliste : celle de voir ses partenaires potentiels s’opposer à toute livraison d’armes à l’Ukraine au niveau fédéral.
5 — La Linke en chute libre
Historiquement bien implanté à l’Est, le parti de gauche radicale Die Linke a perdu depuis janvier 2024 une grande partie de son électorat au profit du BSW. Il n’est crédité que de 4 % des voix en Saxe et 5 % au Brandebourg, et pourrait quitter les deux parlements régionaux. En Thuringe, ses pertes sont limitées par la popularité de son ministre-président sortant, Bodo Ramelow. À la tête de la région depuis 2014, Ramelow a dirigé d’abord un cabinet majoritaire de gauche et de centre-gauche (2014-2019), puis une coalition minoritaire de gauche et de centre-gauche tolérée par la CDU selon les modalités d’un « pacte de stabilité » d’un genre nouveau depuis 2020. Forte de la cote d’opinion élevée de sa tête de file, La Linke thuringeoise peut espérer obtenir environ 15 % des voix ― soit moins de la moitié de son score de 2019.
Les trois scrutins régionaux devraient ainsi consacrer la chute de la Linke, qui n’avait déjà obtenu que de justesse sa représentation au Bundestag en 2021 et n’a recueilli que 2,7 % des voix aux élections européennes de juin. Hormis en Thuringe et dans les cités-États de Berlin, Brême, Hambourg, la Linke est menacée de disparaître des parlements régionaux. À ce stade, la gauche radicale allemande apparaît promise à une forme de marginalisation lors de la prochaine législature.
6 — L’AfD pourrait-elle gouverner ?
Début 2024, la possibilité d’une ou plusieurs majorités régionales impliquant l’AfD constituait l’une des principales inquiétudes dans la perspective des scrutins de septembre. Depuis, les révélations de Correctiv et l’émergence de l’Alliance Sahra Wagenknecht ont nettement changé la donne. La radicalisation croissante de l’AfD, en même temps qu’elle l’isolait sur la scène européenne, a ainsi conduit les dirigeants de l’aile droite de la CDU à proscrire toute ambiguïté à l’égard d’une possible collaboration. Malgré ses affinités anti-occidentales et son populisme, le BSW constitue aujourd’hui un partenaire bien plus acceptable pour la CDU : socialement conservateur, favorable à une restriction de l’immigration, le parti partage avec les chrétiens-démocrates certaines thématiques, à qui il éviterait de multiplier les compromis avec le centre-gauche.
À ce titre, le BSW pourrait apparaître comme une sorte de spoiler party idéal vis-à-vis de l’AfD. À la mi-janvier, l’AfD recueillait 38 % des intentions de vote en Thuringe, à cinq points d’une majorité absolue. Désormais, l’AfD s’est affaiblie de huit points, tandis que le BSW est donné à 20 %. Pour gouverner, le parti de Björn Höcke dispose en théorie de trois possibilités. Il pourrait tenter de conclure un accord avec les Conservateurs, qui apparaît cependant à ce stade totalement invraisemblable. Un peu plus vraisemblable serait un rapprochement avec le BSW, avec lequel ils partagent un discours populiste et anti-Ukraine. Des enquêtes récentes ont d’ailleurs montré que les deux électorats présentaient des positions comparables sur un certain nombre de domaines, notamment une opposition à l’immigration et une plus forte propension à défendre des thèses racistes et anti-LGBT. Sahra Wagenknecht a pour l’instant exclu une telle option, mais semble plus susceptible d’un revirement que la direction de la CDU. Enfin, l’AfD thuringeoise pourrait compter sur la désorganisation des autres forces politiques pour tenter d’obtenir le poste de ministre-président au troisième tour de scrutin, lors duquel seule une majorité simple est nécessaire. La situation est similaire pour l’AfD saxonne, dont le chef de file, Jörg Urban, est lui aussi partisan de l’aile la plus radicale du parti.
En réalité, l’effet de l’émergence du BSW sur la possibilité d’un gouvernement d’extrême droite est incertain. D’une part, la probabilité d’une alliance AfD-BSW est très difficile à estimer : si les électorats des deux partis possèdent des caractéristiques similaires et leurs programmes certaines similitudes, le BSW pourrait avoir intérêt à garder ses distances pour permettre des alliances avec les autres partis et s’ancrer dans le paysage politique. D’autre part, en cas d’alliance gouvernementale CDU-BSW, la question d’une alternance se reposera à nouveau en 2029, avec cette fois la possibilité d’un afflux d’électeurs déçus du BSW à l’AfD. Un tel afflux, impossible à anticiper avec précision à ce stade, rendrait de plus en plus probable une majorité absolue de l’AfD à moyen terme.
7 — Quelles coalitions seront possibles après les trois scrutins ?
La formation de coalitions gouvernementales est réputée difficile dans les trois Länder de l’Est (ainsi qu’en Saxe-Anhalt voisine) depuis au moins deux législatures. Avec la croissance de l’AfD et un paysage politique de plus en plus fragmenté, seules des coalitions d’au moins trois partis ou des gouvernements minoritaires y étaient viables.
En Saxe, les sondages les plus récents ne permettent pas d’envisager de coalition majoritaire sans la participation de l’AfD ou du BSW. Une coalition CDU-BSW obtiendrait de justesse la majorité des sièges, alors qu’il manquerait 5 sièges à l’actuelle coalition CDU-SPD-Verts pour se maintenir. D’hypothétiques alliances AfD-BSW et CDU-AfD disposeraient d’une majorité confortable.
En Thuringe, sauf accord AfD-BSW ou AfD-CDU, toute coalition majoritaire devra réunir trois partis. Les accords BSW-Linke-SPD ou Linke-SPD-CDU seraient minoritaires (respectivement 40 et 41 sièges sur 90) tandis que la majorité pourrait être obtenue en cumulant CDU, BSW et SPD (47 sièges) ou CDU, BSW et Linke (55 sièges). Cette dernière constellation apparaît d’autant moins probable que la CDU s’est toujours refusée, par le passé, à conclure des accords de gouvernement avec la Linke.
Au Brandebourg, il manquerait deux sièges à la coalition sortante SPD-CDU-Verts pour se maintenir. La coalition pourrait, pour obtenir une majorité parlementaire tout en écartant l’AfD et le BSW, s’élargir vers la Linke ou négocier avec elle un accord de tolérance. Une coalition SPD-CDU-BSW serait également largement majoritaire. Au contraire des deux autres régions, des accords AfD-BSW ou AfD-CDU seraient ici insuffisants pour parvenir à une majorité.
Si la CDU et le BSW parviennent à s’entendre, la formation des exécutifs pourrait être plus simple que lors des législatures précédentes — où le refus de la CDU de négocier avec la Linke avait provoqué des blocages. Ni la CDU ni le SPD n’ont, à ce stade, fermé la porte à un tel scénario. Mais si de telles négociations venaient à échouer, la situation deviendrait encore plus difficile que lors de la législature actuelle, où des coalitions centristes élargies (Saxe, Brandebourg) et un accord de tolérance Linke-CDU (Thuringe) permettent encore d’atteindre la majorité des sièges. Le risque d’une entente AfD-BSW ou d’une crise politique prolongée s’accroîtrait dès lors significativement.
8 — L’Est de l’Allemagne et la France sont-ils dans des situations comparables ?
Dans l’Est de l’Allemagne comme en France, l’espace politique se divise en trois blocs avec, dans les deux cas, une fraction numériquement importante du bloc de gauche (Linke/BSW en Allemagne, LFI et alliés en France) rejetée frontalement par le bloc central et la droite, limitant les alliances possibles.
En Saxe, les derniers sondages prédisent un électorat divisé en tiers presque égaux, avec 32 % des voix à l’AfD, 30 % à la CDU, et 30 % aux partis de centre-gauche et au BSW. La principale différence avec la situation française tient au positionnement du BSW qui, du fait notamment de son conservatisme social, constitue un partenaire de coalition plus acceptable pour la droite que pour les Verts. Les parallèles parfois tracés entre Mélenchon et Wagenknecht ― sur la rhétorique de l’appel au peuple, la personnalisation du mouvement politique et l’anti-atlantisme, notamment ― trouvent ici leurs limites.
Malgré des cultures politiques très différentes, les deux contextes ont cependant certains points communs : une défiance importante vis-à-vis des élites politiques, une extrême droite en croissance dominant les espaces ruraux, et des difficultés répétées dans la formation d’accords gouvernementaux.
9 — La campagne de 2025 est-elle déjà lancée ?
En septembre 2025 auront lieu les prochaines élections au Bundestag. Aujourd’hui créditée de moins d’un tiers des intentions de vote, la coalition menée par Olaf Scholz tirera probablement sa révérence au lendemain du scrutin. L’hypothèse qui apparaît à ce stade la plus probable est celle d’une coalition fédérale menée par la CDU/CSU. Pour gouverner, les conservateurs devront cependant nouer des accords, probablement avec le SPD ou les Verts. L’anticipation de cette situation devrait tôt ou tard ramener la CDU/CSU vers le centre, même si la direction actuelle a évolué vers une ligne plus dure sur les questions sécuritaires et migratoires. À l’inverse, l’aile droite du SPD pourrait être tentée d’anticiper les alliances à venir en adoptant des positions plus conservatrices. Le chancelier Scholz avait annoncé dès octobre 2023 sa volonté de systématiser l’éloignement des déboutés de l’asile. Il a dernièrement déclaré souhaiter pouvoir procéder à des éloignements y compris vers l’Afghanistan ou la Syrie en cas de crime ou délit grave, et a lancé un groupe de travail sur la migration avec l’opposition conservatrice.
L’attaque au couteau commise à Solingen le 23 août dernier, pour laquelle un demandeur d’asile syrien soupçonné a été arrêté, occupe actuellement une place importante dans le débat public fédéral. Revendiqué par l’organisation État islamique, le triple meurtre a lancé un débat virulent sur la sécurité intérieure et l’asile. Si son effet sur les campagnes électorales en cours est difficile à anticiper, l’accent mis sur la migration devrait profiter à l’AfD, au BSW et à la CDU, qui ont largement mobilisé cette thématique au cours des derniers mois.
Pour la CDU, le SPD, l’AfD et le BSW, les scrutins de septembre se déroulent donc dans un climat quasiment pré-électoral. L’AfD entend asseoir sa domination sur l’Est du pays ; la CDU, s’affirmer comme le seul parti de gouvernement crédible à droite du centre. Le SPD tentera quant à lui de réduire ses pertes tout en anticipant de futures alliances, tandis que le BSW s’efforcera de peser comme un nouvel acteur incontournable et de se positionner vis-à-vis de potentiels partenaires.
10 — Quelles conséquences pour la politique continentale ?
Malgré son isolement sur la scène européenne, l’AfD devrait sortir renforcée du scrutin. Avec le BSW, l’Est de l’Allemagne voit également émerger un nouveau parti de premier plan, plus proche des partis post-communistes d’Europe orientale que de la gauche anticapitaliste ouest-européenne. Dans le même temps, les partis du centre et de la gauche verront leurs positions dans les trois régions se marginaliser. Cette reconfiguration participe d’un mouvement global de fragmentation et de polarisation des systèmes partisans européens, lequel s’accompagne de nouvelles difficultés de gouvernance et de la montée en puissance des discours et des partis anti-immigration.
Les mauvais scores des trois partis de la coalition devraient continuer de fragiliser la position du gouvernement fédéral. Si une fin prématurée de la coalition n’est pas le scénario le plus probable, l’heure est désormais à la préparation de l’« après ». Sur la sécurité intérieure, l’immigration et l’asile, le gouvernement d’Olaf Scholz pourrait adopter dès à présent une ligne plus dure, notamment sous l’impulsion de l’aile droite du SPD. Si ce durcissement rapprocherait sans doute Berlin de certains de ses partenaires européens, il pourrait aussi interférer négativement avec les positions de la diplomatie de l’Union, notamment en cas d’ouverture de négociations unilatérales avec les autorités afghanes et syriennes. Enfin, en cas d’accords avec le BSW, les sociaux-démocrates et les conservateurs pourraient être pressés d’amender leur politique de soutien à l’Ukraine ― des exigences qui ont peu de chance d’aboutir, mais généreraient sans aucun doute des inquiétudes parmi les alliés de Kyiv.
La désignation d’un gouvernement régional impliquant l’AfD constituerait sans doute la plus grande rupture dans la culture politique allemande depuis 1990. Ce scénario n’est pas le plus probable à ce stade, mais il ne peut pas non plus être exclu. Sa concrétisation dépendra en grande partie du positionnement de Sahra Wagenknecht, qui pourrait faire entrer la politique allemande dans une nouvelle ère d’imprévisibilité.