1 — Tableau des médailles : données fondamentales

Les Jeux Olympiques de Paris se sont achevés. Le tableau des médailles est désormais définitif.

Plusieurs chiffres clefs en ressortent.

  • Les athlètes de 91 pays ont remporté au moins une des 1036 médailles (or, argent, bronze) en jeu.
  • Le Comité international olympique (CIO) compte 206 pays, chaque pays ayant envoyé au moins un athlète à Paris. À partir de cette année, une délégation de réfugiés participe également sous une bannière olympique.
  • Au total 10 714 athlètes ont participé. La plus grande délégation a été celle des États-Unis (592 athlètes), suivie par la France (571 athlètes), l’Australie (460 athlètes), le Japon (403), la Chine (388), l’Espagne (382), l’Italie (372), la Grande-Bretagne (327) et le Canada (315).
  • Quatre délégations comptaient un seul membre : le Belize, le Liechtenstein, Nauru et la Somalie.

2 — Avec l’ascension de la Chine, la rivalité sino-américaine structure le sport au niveau planétaire

La rivalité entre la Chine et les États-Unis structure le monde — le sport ne semble pas faire exception. 

Les deux dernières éditions des Jeux Olympiques (Tokyo 2020 et Paris 2024) ont été dominées sportivement par le duopole américano-chinois, mais cela n’a pas toujours été le cas.

  • Grâce à leur victoire contre l’équipe française de basket féminin, les États-Unis égalisent le nombre de médailles en or de la Chine (40), mais en dépassant le nombre de médailles chinoises d’argent de 27 et 24 de bronze). 
  • C’est un aspect particulièrement important car les États-Unis sont le seul pays au monde à produire un classement en fonction du nombre de médailles et non des médailles d’or — ce qui leur permet d’être toujours en tête.

« L’évolution des relations internationales se lit en filigrane dans l’histoire des compétitions sportives »1. Depuis son entrée à l’OMC en 2001, la Chine dispute la première place aux États-Unis.

  • Les Jeux Olympiques de Pékin (2008) avaient vu la Chine arriver en première position. 
  • Depuis, les États-Unis se sont classés premiers pour la quatrième fois consécutive aux Jeux olympiques.
  • Toutefois, l’ascension de la Chine dans le sport olympique est particulièrement impressionnante. Il y a deux olympiades, les médailles d’or de la Chine représentaient un peu plus de la moitié de celles des États-Unis. 
  • Il faut s’attendre à ce qu’à Los Angeles, les Chinois tentent de dépasser les États-Unis.

La rivalité systémique entre les deux modèles sportifs s’étend également à un domaine qui peut paraître éloigné de l’esprit olympique : l’arsenalisation du dopage. 

  • Les États-Unis accusent depuis longtemps les Chinois de dopage systématique. 
  • Pendant les JO de Paris, Chinada, l’agence chinoise antidopage, a estimé qu’il y « avait des raisons de penser qu’il existait un problème de dopage systémique dans le milieu de l’athlétisme américain »2, en lançant une campagne de presse particulièrement virulente par les médias officiels chinois sur le « dopage américain » et le « double standard hypocrite en réponse aux contrôles positifs d’athlètes chinois et du sprinteur américain Erriyon Knighton »3.

Depuis que la Chine a commencé à participer aux Jeux olympiques, le Comité international olympique (CIO) a retiré trois médailles olympiques à des athlètes chinois pour dopage ou conduite anti-sportive. Huit médailles olympiques ont été retirées aux États-Unis pour cause de dopage. Les scandales de dopage impliquant des athlètes chinois dans le sport international sont largement censurés en Chine4.

3 — L’effet olympique et l’exploit français

Les pays organisateurs des Jeux ont tendance à gagner plus de médailles.

Comme le montrent les données historiques ci-dessous, à quelques exceptions près — comme à Montréal en 1976 — les délégations surperforment les années où leurs pays accueillent les Jeux.

En se classant cinquième au tableau définitif avec 64 médailles dont 16 médailles en or, la France ne déroge pas à cette règle et réalise un exploit historique, son meilleur résultat depuis les Jeux Olympiques de Paris 1900. Ce résultat entraîne également une performance pour la francophonie : mis ensemble les athlètes des pays francophones atteindraient la deuxième place du classement, dépassant les locuteurs anglophones du Commonwealth.

4 — L’Union européenne doublerait la Chine et les États-Unis

Si l’on classait les pays par organisation régionale, les athlètes de l’Union européenne seraient de très loin les premiers, devant les États-Unis — avec un total de 309 médailles dont 97 en or.

Ce résultat doit être envisagé comme une expérience de pensée. 

Il est le résultat de deux facteurs :

  • Un investissement symbolique et économique de long terme dans l’olympisme, né en France, le 25 novembre 1892 dans l’amphithéâtre de la Sorbonne.
  • Un modèle économique sportif singulier. 

Selon la Commission européenne, il faudrait comprendre ce résultat à partir d’un « modèle européen du sport »5. Le développement économique élevé du continent ainsi que des investissements dans les infrastructures sportives qui caractérisent plusieurs pays, dont la France, ont contribué à ce modèle6.

Si l’Union européenne se présentait comme un seul pays, son résultat ne pourrait toutefois être la somme linéaire des médailles obtenues par les 27 États qui la composent. Il faut en effet tenir compte de deux limites :

  • D’un côté le grand nombre d’athlètes européens ayant participé aux JO (3911) détermine une plus grande probabilité statistique d’obtenir des médailles. Chaque pays dispose en effet d’un nombre d’athlètes autorisés par sport : en multipliant les pays, on multiplie les candidats et on augmente ainsi significativement les chances de victoire. 
  • De l’autre s’observe un effet de redondance : deux pays européens peuvent s’affronter en finale, en gagnant deux médailles.

Il serait toutefois possible de retourner l’argument : en ne sélectionnant que les meilleurs sportifs du continent, on peut supposer qu’une équipe européenne plus réduite aurait un niveau plus élevé. Ainsi, une équipe de basket « Team Europe » aurait pu aligner plusieurs champions européens dans la même équipe — avec par exemple le Slovène Luka Doncic, le Grec Giannis Antetokounmpo ou le Finlandais Lauri Markkanen, à côté du Français Victor Wembanyama… — avec de plus fortes chances d’emporter l’or.

Ce classement de l’Union à la première place est le résultat d’une contribution hétérogène :

  • Parmi les 27 États membres de l’Union européenne, l’Estonie, la Finlande, la Lettonie, le Luxembourg et Malte n’ont remporté aucune médaille.
  • Après l’exploit français (16 médailles d’or, 26 d’argent, 22 de bronze), on trouve les Pays-Bas (6ème au classement général avec 15 médailles d’or, 7 d’argent et 12 bronze), l’Italie ( 9ème, 12, 13, 15), l’Allemagne (10ème, 12, 13, 8), la Hongrie (14ème, 6, 7, 6), l’Espagne (15ème 5, 4, 8), la Suède (16ème, 4, 4, 3), l’Irlande (19ème, 4, 0, 3) et la Roumanie (23ème, 3, 4, 2) qui clôt le top 10 des pays de l’Union européenne. 
  • L’Ukraine, avec 3 médailles d’or, 5 de bronze et 4 d’argent arrive en tête parmi les États candidats à l’adhésion. Notons que ce résultat est obtenu alors que 490 athlètes et entraîneurs ukrainiens ont été tués à la suite de l’agression russe, des dizaines blessés et plus de 30 capturés par la Russie ou toujours en captivité. En outre, 520 installations sportives ont été endommagées en Ukraine. Parmi elles, 15 centres d’entraînement olympiques et paralympiques7.

5 — Un siècle après Paris 1924, les BRICS sont une puissance sportive émergente

Une autre expérience de pensée permet de faire émerger des tendances non moins intéressantes.

Si les neuf pays qui se réunissent en sommets annuels BRICS+ avaient concouru sous une bannière unique à Paris, ils auraient remporté 142 médailles — dont 49 en or — en se plaçant largement en tête du classement.

Lors des Jeux olympiques de Paris en 1924 — bien avant l’ère des indépendances — le seul de ces pays à avoir participé était l’Union d’Afrique du Sud — prédécesseur de l’actuelle République d’Afrique du Sud — qui, avec un une médaille d’or, une d’argent et une de bronze s’était classée avant-dernière.

Au sein du groupe, les médailles sont distribuées de manière très hétérogène :

  • La Chine a remporté 40 médailles d’or, 27 d’argent et 24 de bronze, se classant ainsi deuxième au le tableau définitif des médailles des JO.
  • Le Brésil et l’Iran avec 3 médailles d’or chacun (32 médailles en tout) dépassent le nombre de médailles de l’Afrique du Sud, de l’Éthiopie, de l’Égypte et de l’Inde réunies.

On note que l’Inde obtient un résultat très disproportionné par rapport à son poids démographique. Avec 0.000004 médailles par million d’habitant, elle occupe la dernière place du tableau populations/médailles.

La Fédération de Russie et le Bélarus n’étaient pas officiellement représentés. Malgré cela, sous un drapeau neutre ils ont remporté 5 médailles, dont une d’or, ce qui n’a pas empêché les Russes de se produire sous d’autres drapeaux. En outre, dans plusieurs cas, les Russes ont performé sous le drapeau d’autres pays. En particulier, la gymnaste russe qui a remporté l’or pour l’Allemagne soutient l’occupation de la Crimée et la guerre actuelle8.

Nous avons étudié la stratégie olympique de Poutine ici et dans le prochain point.

6 — Le cas russe : de la sportokratura à l’auto-exclusion jusqu’à la dés-occidentalisation

À son arrivée au pouvoir, Poutine a voulu faire du sport « le symbole de la renaissance de l’État russe sur la scène internationale » selon Lukas Aubin.

Tout bascule en 2014, année des Jeux olympiques d’hiver de Sotchi — véritable point de départ du scandale du dopage d’État — et de l’annexion de la Crimée. L’isolement de la Russie dans le sport mondial commence. Comme le fait remarquer Lukas Aubin, « le monde du sport sera le premier secteur, avec le monde de l’art et de la culture, à décider et à imposer des sanctions contre le régime de Poutine. »

À Tokyo, à la suite du scandale de dopage d’État organisé à grande échelle pendant les Jeux de Sotchi, la Fédération de Russie est exclue de la compétition. 

  • C’est le Russian Olympic Committee (ROC), une entité émanant directement du CIO, qui concourra en lieu et place de la Fédération. 
  • Aux podiums des vingt médailles d’or remportées par les athlètes russes aux JO de Tokyo, ce n’est donc pas l’hymne russe qui retentit mais un extrait du Concerto pour piano n°1 de Tchaïkovski — approuvé par le CIO. 
  • De même, la bannière flottant au-dessus des vainqueurs n’est pas le drapeau russe mais le drapeau spécialement créé pour le ROC — sur lequel on retrouve les trois couleurs du drapeau de la fédération au-dessus des anneaux olympiques.

En 2024, les Jeux de Paris n’ont même pas été diffusés en Russie : seuls 15 athlètes russes étaient présents, concourant sans bannière et sans hymne.

En misant sur les Jeux des BRICS, les Jeux de l’Amitié ou les Jeux du Futur comme autant de modèles alternatifs au sport mondial considéré par le Kremlin comme pro-occidental, la stratégie de la Russie de Poutine est aujourd’hui double : dans la continuité de la doctrine Karaganov, Moscou veut dés-occidentaliser et arsenaliser le sport mondial.

7 — L’histoire du sport se fera-t-elle en l’Asie ?

Au cours de l’histoire des Jeux olympiques modernes, organisés pour la première fois en Grèce en 1896, l’Europe a été de loin le continent le plus performant, suivi par les Amériques9.

Depuis une dizaine d’années (notamment les Jeux de Rio 2016), l’Asie a commencé à réduire considérablement l’écart avec les autres régions, et ceci malgré des fortes hétérogénéités en son sein.

  • À Paris 2024, le continent aligne ainsi plusieurs puissances sportives dans les premières places du tableau : la Chine (2ème), le Japon (3ème), ainsi que la Corée du Sud (8ème).
  • En cumulé, l’Asie à Paris est la deuxième puissance sportive après l’Europe10

8 — L’Océanie : le géant caché du sport mondial 

Si l’on considère le nombre de médailles remportées par rapport à la population, l’Océanie domine largement les autres continents, principalement en raison du poids de l’Australie et de la Nouvelle Zélande.

  • Avec respectivement 20 médailles et 39 médailles pour 10 millions d’habitants, l’Australie et la Nouvelle Zélande sont respectivement deuxième et première dans un podium ratio médaille par million d’habitant, composé par les pays de plus de 5 millions d’habitants.

Après les Jeux de Sydney de 2000, l’Australie organisera les Jeux olympiques et paralympiques à Brisbane en 2032.

9 — Le Sud global du sport

Les asymétries planétaires se répercutent aussi dans une asymétrie sportive. Plus de 60 pays n’ont jamais obtenu de médaille olympique.

  • Avec 170 millions d’habitants, le Bangladesh est le pays le plus peuplé à n’avoir jamais remporté de médaille olympique.
  • Parmi les plus importants et les plus notables, on peut citer — en dehors du Bangladesh — la Bolivie, le Cambodge, le Honduras, le Népal et le Yémen.
  • Mais les inégalités économiques ne se répercutent pas automatiquement : ainsi, la principauté de Monaco a participé à 21 Jeux d’été sans remporter de médaille d’or, ce qui est le plus grand nombre de participations sans médaille d’or.

Parmi les nations existantes, le Soudan du Sud et le Kosovo sont celles qui ont le moins participé aux Jeux olympiques, avec deux participations chacune (2016 et 2021).

10 — La mesure des champions : économie, inégalités, populations

Existe-t-il un lien entre les principaux indicateurs démographiques et économiques mondiaux et la réussite aux compétitions olympiques ?

Nous avons testé des corrélations entre le nombre de médailles et une série d’indicateurs dans les tableaux ci-dessous (indice GINI sur les inégalités, PIB par habitant et PIB).

D’une manière assez attendue, les pays avec un PIB par habitant élevé tendent à remporter un nombre élevé de médailles, comme les États-Unis (126 médailles, 81 695 USD) et la Norvège (8 médailles, 87 961 USD). 

De l’autre côté du spectre, des pays qui présentent des ressources économiques limitées peuvent restreindre les performances sportives au niveau international — c’est le cas de l’Éthiopie : 1 médaille (PIB/habitant : 1 293 USD), de l’Ouganda : 2 médailles (1 014 USD) ou de la Zambie : 1 médaille (1 369 USD).

Toutefois certains pays à faible PIB par tête, comme l’Ouzbékistan (2 496) et le Kenya (1 949), performent bien en termes de médailles, suggérant d’autres facteurs clefs comme des programmes sportifs ciblés ou une excellence dans des domaines particuliers (par exemple, la course de fond pour le Kenya).

L’indice de Gini, qui varie de 0 à 100 (0 représentant une parfaite égalité et 100 une inégalité totale), permet de quantifier les écarts de richesse dans un pays.

Certains petits États se distinguent par un ratio de médailles par habitant très élevé.

  • Avec 232 208 habitants, soit quelques dizaines de milliers de personnes de plus que les habitants du 15e arrondissement de Paris et 2 médailles au total, Grenada se classe en tête avec un impressionnant 17,54 médailles par million d’habitants.
  • De même, le Commonwealth de la Dominique avec ses 70 000 habitants (soit un peu moins que le 10e arrondissement) affiche un ratio de 13,51 médailles par million d’habitants, bien qu’elle n’ait remporté qu’une seule médaille.

À l’autre extrémité du spectre, des pays comme les États-Unis et la Chine dominent le classement, mais leur ratio de médailles par habitant est beaucoup plus modeste.

  • Les États-Unis, par exemple, avec 126 médailles, ont un ratio de seulement 0,38 médailles par million d’habitants. La Chine, malgré ses 91 médailles, n’atteint que 0,06 médailles par million d’habitants.

Parmi les pays de plus de 5 millions d’habitants, c’est la Nouvelle-Zélande qui arriverait en première suivie par l’Australie et la Hongrie.

  • La Nouvelle-Zélande, par exemple, affiche 3,90 médailles par million d’habitants avec un total de 20 médailles. 
  • L’Australie, avec 53 médailles, obtient 2,01 médailles par million d’habitants.
  • La Hongrie avec 19 médailles, obtient 1,96 médailles par million d’habitants.

Des pays comme l’Inde et le Pakistan, malgré leur population élevée, montrent des ratios de médailles par habitant extrêmement bas — voire presque nuls pour l’Inde.

Sources
  1. Wahl et Arnaud, « Sport et relations internationales », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, n.42, p.114-116 (1994), cité in Lukas Aubin, Jean-Baptiste Guégan, Géopolitique du sport, Paris, La Découverte, 2024
  2. China Anti-Doping Agency (Chinada), Call for an Independent Investigation into USADA’s Cover-Up of Anti-Doping Rule Violations in the Disguise of Undercover Informants, 8 août 2024.
  3. US anti-doping agency displays double standards, cross-border jurisdiction to cover own flaws : CHINADA
  4. New York Times, An Uproar Over a Chinese Doping Case, Except in China, 3 juillet 2024.
  5. Margarítis Schinás, vice-président de la Commission européenne chargé de la Promotion du mode de vie européen, lors de sa venue à Europa Expérience Paris le 25 juillet.
  6. Ainsi, selon des estimations de BPCE, la contribution au sport des collectivités territoriales en France est de 12,5 milliards d’euros, soit près du double du budget de l’État consacré au sport — y compris la part de ce budget dépendant de l’Éducation nationale The sports industry : the challenges of a champion, BPCE L’Observatoire Économie du Sport, Janvier 2023.
  7. РБК-Україна, « В ОП назвали кількість загиблих українських спортсменів внаслідок агресії РФ », 2 août 2024.
  8. Новини Pro, « Гучний скандал на ОІ : Бубка вручив золоту медаль ексросіянці Варфоломєєвій », 10 août 2024.
  9. La composition des nations par continent et leurs sous-régions est basée sur les « régions macro-géographiques continentales » de l’ONU.
  10. À côté des 27 États membres de l’Union européenne, le CIO intègre dans la catégorie Europe également : le Royaume-Uni, l’Ukraine, la Géorgie, la Serbie, l’Azerbaïdjan, Israël, la Suisse, l’Arménie, la Moldavie, le Kosovo, et l’Albanie.