Vous avez été plusieurs millions à suivre les législatives grâce aux analyses de la revue. Ce travail a un coût. Si vous pensez qu’il mérite d’être soutenu et que vous en avez les moyens, nous vous demandons de vous abonner au Grand Continent

Là, c’est vraiment la saison de trop1. Avec le vote de dimanche, la France est comme happée par une mauvaise série : on n’y prend plus aucun plaisir, on sait qu’on ferait mieux d’aller se coucher, mais on lance un autre épisode quand même, mécaniquement, comme par dépit.

Ce feuilleton interminable commence à sérieusement s’épuiser. Ça fait maintenant quatre saisons qu’on nous ressort l’histoire du « barrage à l’extrême droite » dans le dernier épisode. Le public se lasse. Le pire étant qu’il n’y a pas de dénouement en vue : quoi qu’il arrive, on aura juste un petit répit avant de recommencer à la prochaine dissolution ou à la prochaine élection présidentielle.

La Cinquième République a été une bonne série

Elle a produit de très bonnes histoires (« Je vous ai compris », « La Force tranquille », « Mangez des pommes »). C’est la série de notre enfance, on en gardera un souvenir ému. Mais là, c’est le moment d’en écrire le dénouement final, parce qu’elle ne nous permet plus de trouver un récit commun. L’intrigue est tellement usée qu’on a complètement perdu le fil : on ne sait plus qui sont les gentils, et à écouter les uns et les autres, on dirait qu’il n’y a plus que des méchants.

La France a besoin d’écrire une nouvelle histoire. La première chose à faire, quand on se lance dans un projet de série, c’est de rédiger ce que l’on appelle une « bible » : un document court dans lequel on définit les enjeux, l’arène et les personnages qui vont s’y déployer. C’est là qu’on pose le décor et qu’on définit le ton de la série. C’est un moment un peu magique pendant lequel, en quelques paragraphes, on constitue un monde.

L’intrigue de la Cinquième République est tellement usée qu’on a complètement perdu le fil : on ne sait plus qui sont les gentils, et à écouter les uns et les autres, on dirait qu’il n’y a plus que des méchants.

Noé Debré et ses co-scénaristes

De nos jours, les pays ne sont plus fondés sur une bible, naturellement, mais sur une constitution. C’est, là aussi, un court document dans lequel on distribue les rôles — Président, Premier ministre, députés, sénateurs, juges, etc. — et où on détermine leurs rapports entre eux — dissolution, motion de censure, véto, abrogation, etc. C’est dans ce texte également qu’on pose le décor et le ton de l’histoire qu’on veut raconter.

Comme en fiction, les Américains sont très forts à ce jeu-là. 

Voilà les premiers mots de leur Constitution : « Nous, le Peuple des États-Unis ». Bam ! en quelques mots, un groupe hétérogène d’immigrés européens se constitue en Peuple américain. C’est lui le héros d’une aventure qui va en mettre plein la vue au monde entier et dont l’objectif est « de développer la prospérité générale et d’assurer les bienfaits de la liberté ». Rien que ça. On sent qu’ils vont mettre les moyens. D’ailleurs, pour assurer le spectacle et les scènes d’action, tout le monde aura le droit de porter une arme. Le succès est tel qu’aujourd’hui la constitution américaine est un peu piégée par ses fans qui ne veulent plus en changer un mot.

Depuis que De Gaulle n’est plus là, nous sommes comme des fans de James Bond orphelins de Sean Connery : on ne peut s’empêcher de comparer et ce n’est jamais à l’avantage du nouveau venu.

Noé Debré et ses co-scénaristes

En 1789, les Français n’étaient pas mal non plus : « Les représentants du Peuple français, constitués en Assemblée nationale, considérant que l’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de l’Homme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des gouvernements, ont résolu d’exposer, dans une déclaration solennelle, les droits naturels, inaliénables et sacrés de l’Homme ». Les enjeux sont clairs : on veut tourner la page de la monarchie absolue, on va créer un nouveau personnage : le citoyen. D’ailleurs, la « Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen » a donné lieu à de nombreuses adaptations et plusieurs remakes. Gros, gros succès là aussi.

Parfois, une série se monte sur un acteur. On imagine mal Breaking Bad sans Bryan Cranston, ni les Soprano sans James Gandolfini. La Cinquième République et son système présidentiel, c’est un peu la même chose. Depuis que De Gaulle n’est plus là, nous sommes comme des fans de James Bond orphelins de Sean Connery : on ne peut s’empêcher de comparer et ce n’est jamais à l’avantage du nouveau venu.

Alors voilà notre suggestion scénaristique : maintenant que le blocage institutionnel et politique est acté, au lieu d’écrire une énième saison d’une série fatiguée qui ne crée que des frustrations pour tout le monde, le Président de la République devrait donner à une assemblée constituante une page blanche pour écrire une nouvelle histoire commune.

Tout serait sur la table : les responsabilités du président et des assemblées, le mode de scrutin, la démocratie participative, les libertés publiques et le rôle de la presse. Bref, tout serait discuté et débattu – même des choses que l’on n’a pas encore imaginées, car c’est ce qui est magique quand on commence à écrire une nouvelle histoire : on ne sait jamais où elle va nous entraîner.

Tout serait sur la table, sauf la « forme républicaine du Gouvernement » que l’actuelle Constitution ne permet pas d’altérer. Donc ce ne sera ni Game of Thrones (le totalitarisme), ni The Crown (la monarchie), ni Walking Dead (l’anarchie).

Ah, et comme on sait en tant que scénaristes que le titre, c’est important, on propose d’appeler cela directement la « Septième République ». Cela évitera que Jean-Luc Mélenchon ne s’accapare les crédits au générique. Ce sera l’histoire des Français, par eux et pour eux.

Sources
  1. Ce texte a été écrit par Noé Debré et ses co-scénaristes de la série Parlement.