Le score combiné de tous les partis de gauche en Hongrie aux européennes est d’environ 16 % ; le même jour, le maire de Budapest a été réélu dimanche à seulement à 300 voix ; pendant la campagne, le Fidesz d’Orbán a dépensé 5 millions d’euros en publicités sur les réseaux sociaux. Pour naviguer dans les chiffres vertigineux de l’année des grandes élections, visitez notre Observatoire électoral et pour ne rien rater des mises à jour, abonnez-vous au Grand Continent

Le 9 juin 2024 s’est clôturée l’une des séquences les plus rocambolesques de la vie politique hongroise contemporaine. Péter Magyar et son nouveau parti Tisza ayant obtenu 29,5 % des voix aux élections européennes, cet ancien proche des hautes sphères du pouvoir devenu renégat a confirmé son entrée tonitruante dans la vie politique hongroise, et s’impose désormais comme l’opposant principal à Viktor Orbán en vue des législatives de 2026. À l’annonce des résultats, Magyar vantait le « cataclysme » provoqué par son parti, avant d’aller danser avec ses sympathisants, dans une ambiance de fête et de célébration.

Sur le papier, la victoire revient pourtant au Fidesz, le parti du Premier ministre Viktor Orbán, qui l’emporte largement avec 44,6 % et 11 eurodéputés sur 21. « Le record d’Europe » aime à penser le Premier ministre. Mais en pratique, ce résultat est vécu et perçu comme un échec. Si le Fidesz passe la barre symbolique des deux millions d’électeurs — un chiffre jamais atteint en 14 ans et essentiellement dû à une participation inhabituellement élevée pour des élections européennes, largement explicable par la tenue simultanée des municipales — cela reste son plus bas score jamais enregistré pour ce scrutin, en forte baisse par rapport aux dernières européennes (52,6 %). La tendance générale est en effet celle d’une baisse relative du vote en faveur de Viktor Orbán, qui se vérifie à toutes les échelles, de la capitale jusqu’aux communes de moins de 1000 habitants. Aux élections municipales, les résultats sont également mitigés. Si le Fidesz reprend Miskolc, la troisième ville du pays, il perd la prestigieuse et riche ville de Győr à l’ouest, et n’a vraisemblablement pas réussi à reconquérir la capitale, où l’écologiste Gergely Karácsony a été réélu à 300 voix près1.

À Budapest, l’écologiste Gergely Karácsony a été réélu contre le Fidesz à seulement 300 voix près.

Thomas Laffitte

Le Fidesz n’est certes pas menacé à court terme, et il peut même se satisfaire d’une victoire confortable seulement quelques mois après l’une des plus graves crises politiques que le parti ait connues. En février, la révélation qu’une grâce présidentielle avait été accordée au complice d’un pédocriminel par la Présidente Katalin Novák poussait celle-ci à la démission. Dans un pays où le Fidesz se targue d’avoir la supériorité morale absolue sur ses adversaires — en particulier sur les questions familiales chères à ses électeurs — le parti n’avait d’autres choix que d’admettre son erreur. L’affaire a tellement choqué la population qu’elle a débouché sur l’une des plus grandes manifestations jamais organisées à Budapest, à l’initiative non pas des partis d’oppositions, mais d’influenceurs et d’artistes. La colère et l’incompréhension face au gouvernement s’est alors répandue jusque dans les rangs du parti, laissant présager des élections compliquées au printemps. 

Analysés à l’aune de cette crise sans précédent, les résultats du parti gouvernemental, au pouvoir depuis quatorze ans, témoignent de la résilience du régime de Viktor Orbán. Mais l’émergence inattendue de Péter Magyar vient transformer radicalement le visage de l’opposition, bouleversant ainsi l’équilibre politique en Hongrie depuis 2010. Depuis son apparition en février 2024, le pays a vécu des mois en rupture avec les quatorze années précédentes de la Hongrie sous Orbán.

L’irruption du phénomène Péter Magyar

En janvier 2024, l’opposition est en ruines. Après la débâcle sans précédent des législatives 2022, où elle s’était pourtant présentée unie pour la première fois, ses partis s’enfoncent dans la division et les querelles.

Dans de nombreux sondages, le deuxième parti le plus populaire se révèle souvent être Mi Hazánk (Notre Patrie), un parti néofasciste et invité surprise du parlement en 2022. Malgré deux années d’inflation record qui ont appauvri des pans entiers de la population, le Fidesz continue d’être de loin le premier parti, dans la lignée de sa victoire écrasante en 2022. Tout allait donc pour le mieux pour le gouvernement, jusqu’à l’éclatement du scandale de pédocriminalité qui pousse la Présidente à la démission. Dans sa chute, elle entraîne celle qui était ministre de la Justice au moment de l’affaire — Judit Varga. Pourtant chargée par le Premier ministre de mener la liste du Fidesz aux européennes, elle quitte également la vie politique. Ce n’est qu’après son retrait que peut émerger la figure de Péter Magyar — son ex-mari.

Si le Fidesz passe la barre symbolique des deux millions d’électeurs, cela reste son plus bas score jamais enregistré pour ce scrutin, en forte baisse par rapport aux dernières européennes (52,6 %). 

Thomas Laffitte

Le phénomène Magyar débute sur YouTube. Parmi les influenceurs à l’origine de la grande manifestation tenue sur la place des Héros, il y a l’ex-acteur Márton Gulyás, à la tête de la chaîne YouTube Partizán, extrêmement populaire et devenue de fait l’un des principaux médias hongrois indépendants du pouvoir. En semaine, il annonce la venue dimanche soir d’un dénommé Péter Magyar, générant une grande curiosité : si Magyar est un inconnu du grand public, son ex-épouse est l’une des politiciennes les plus célèbres du pays. Or il est une règle d’airain dans la Hongrie d’Orbán : aucun cadre du système Fidesz n’accorde jamais d’entretien aux médias d’opposition — et encore moins à la chaîne la plus prisée des opposants du régime.

Diffusé en live sur YouTube, l’entretien fait grand bruit. Un million de visualisations en 24h, deux millions en trois jours — dans un pays qui compte moins de 10 millions d’habitants. Le public y découvre un homme affable en chemise blanche qui, d’une voix grave et assurée, exprime une violente diatribe contre le régime. Sans trop s’en prendre nommément à Viktor Orbán, il y développe ce qui deviendront les principaux thèmes de son discours politique  : l’enrichissement de « l’oligarchie » par la corruption  ; l’écrasement de la vie démocratique, en particulier à travers la figure d’Antal Rogán, puissant ministre de l’ombre à la tête du renseignement et surnommé le « ministre de la propagande »  ; et l’incompétence des partis d’opposition, qu’il juge rentiers et coresponsables de la situation actuelle. Conscient de la portée historique de cette discussion, le présentateur Márton Gulyás peine à cacher sa stupéfaction durant l’entretien. Mis à part peut-être la dispute entre Orbán et son bras droit, l’oligarque Lajos Simicska en 2015, jamais un cadre du système n’avait fait défection pour formuler une critique aussi violente du régime.

Avant Péter Magyar, jamais un cadre du système n’avait fait défection pour formuler une critique aussi violente du régime. 

Thomas Laffitte

À compter de ce 11 février, la vie politique hongroise est chamboulée. Les ambitions politiques de Péter Magyar, qui n’étaient pas immédiatement explicites, deviennent rapidement très claires au fil de ses entretiens donnés aux quelques médias d’oppositions qui lui confèrent joyeusement une surexposition médiatique. Le 15 mars, lors de la fête nationale hongroise célébrant la déclaration d’indépendance de 1848, il parvient même à voler la vedette au pouvoir en organisant une grande manifestation en plein cœur de la capitale. Convoquant la glorieuse mémoire des révolutionnaires de 1848, il annonce son ambition de participer aux européennes. Il met la main sur un parti politique dormant nommé Tisza, comme l’un des principaux cours d’eau du pays. Un slogan s’impose alors spontanément auprès de ses soutiens toujours plus nombreux  : « La Tisza déborde  ! »2

Péter Magyar inonde le débat public : pour la première fois, la machine de propagande du Fidesz, qui a pourtant toujours réussi à dicter l’agenda politique, est sur les talons. Cette fois, c’est un opposant au régime qui impose le calendrier. Au point qu’il parvient à faire pression sur la télévision publique — entièrement aux mains du pouvoir — pour organiser un débat télévisé entre toutes les têtes de liste, Fidesz inclus. À la surprise générale, sa demande est acceptée. Pour la première fois en quinze ans, les Hongrois peuvent voir sur une chaîne publique l’ensemble des candidats se présentant à une élection. 

Très vite, il s’avère que l’engouement qu’il suscite ne se limite pas à la capitale. Partout où il se rend en province, y compris dans des villes moyennes et petites, on se presse pour écouter une curiosité : un Budapestois en chemise blanche qui s’est retourné contre ses anciens amis du Fidesz. Avocat de profession, issu d’une famille de la haute bourgeoisie conservatrice de la capitale, Péter Magyar incarne, à 43 ans, cette seconde génération du Fidesz, qui a grandi après le changement de régime et qui a énormément bénéficié du règne de Viktor Orbán. Profondément conservateur, Péter Magyar n’hésite pas, au milieu de ses diatribes dénonçant le régime, à reconnaître les nombreux points sur lesquels il reste en accord avec le Fidesz. Tout comme Péter Márki-Zay, ce maire conservateur propulsé à la tête de la coalition d’opposition en 2022, Péter Magyar en appelle à un retour aux origines du Fidesz, quand il n’était encore qu’un parti chrétien-conservateur respectant le jeu démocratique. Magyar dira d’ailleurs explicitement souhaiter « revenir à l’Orbán de 1998, quand la croissance économique était remarquable, et que rien ne menaçait la démocratie. » 

Péter Magyar incarne, à 43 ans, cette seconde génération du Fidesz, qui a grandi après le changement de régime et qui a énormément bénéficié du règne de Viktor Orbán.

Thomas Laffitte

En tant qu’homme de droite trahi par Orbán, il ne cache pas son profond dédain envers les partis de gauche de l’opposition, qu’il tient pour coresponsables de la situation actuelle. Interrogé sur les méthodes de propagandes gouvernementales ainsi que sur l’usage du logiciel d’espionnage Pegasus qui a visé des critiques du régime, il dit ne pas condamner nécessairement ces méthodes, qui peuvent parfois se justifier. À sa vision conservatrice, il prend soin d’insister sur sa foi en la démocratie et dans les valeurs sociales. Face à ce qu’il dénonce comme de la corruption et l’enrichissement d’une élite, il appelle à de meilleures politiques de redistribution en faveur des plus défavorisés. Pour l’instant, Péter Magyar porte moins un programme politique clair et détaillé qu’un puissant discours contestataire appelant à l’unité. À chaque fois, il répète sa certitude que le régime est faillible, et que non seulement il peut être renversé, mais qu’il est même au bord de la rupture — rongé par le clientélisme et la faillite morale de ses dirigeants. À la différence de Péter Márki-Zay en 2022 qui, malgré un discours similaire, pêchait par une rhétorique confuse et un manque d’autorité, Péter Magyar est un tribun charismatique, qui s’exprime avec assurance et fermeté.

Le Fidesz tergiverse 

Devant cette montée en puissance, le Fidesz a visiblement, pour la première fois, était pris au dépourvu. Il a d’abord contre-attaqué avec une manœuvre désormais banale : s’en prendre ad hominem à un individu en mettant en branle toute la machine de propagande. Péter Magyar a ainsi été présenté comme un homme dépressif, ayant tout perdu, tentant le tout pour le tout. Son ex-épouse Judit Varga accorde une interview d’une heure à la télévision publique, où elle dépeint un homme possessif, mentalement instable, qui l’aurait violentée et battue à plusieurs reprises. Magyar balaye ses accusations : il évoque une manipulation de son ex-femme de la part du régime. De fait, ces accusations n’auront que peu d’effets, tant Magyar et son parti continuent de monter dans les sondages. 

Face à cela, Viktor Orbán lui-même doit se résoudre à s’impliquer personnellement dans la campagne. Alors qu’en 2022, le Premier ministre s’était offert le luxe de ne faire campagne qu’à peine dix jours avant le scrutin, il a cette fois-ci été beaucoup plus actif bien en amont du vote. Surtout, le dispositif de communication au service du pouvoir a encore intensifié son matraquage médiatique. Déjà rôdée à l’exercice du « tapis de bombes », la propagande gouvernementale a cette fois-ci atteint une dimension jusque là inédite en dépensant plus de 5 millions d’euros en publicités sur les réseaux sociaux. La campagne du Fidesz n’avait qu’un seul message : la guerre en Ukraine menacerait de s’étendre à cause de l’opposition et de la « gauche dollar » aux mains des Américains et de « Bruxelles » qui seraient tous des « partis pro-guerre », à l’inverse du Fidesz, qui serait un « parti de la paix ». Voter pour le Fidesz, ce serait voter pour la paix et donc pour la vie. Voter pour l’opposition, ce serait voter pour la guerre et donc pour la mort. La stratégie du Fidesz est simple : les élections européennes sont une question de vie ou de mort.

La stratégie du Fidesz est simple : les élections européennes sont une question de vie ou de mort.

Thomas Laffitte

Comment Tisza a submergé l’opposition traditionnelle 

La performance du parti Tisza est d’avoir réussi à recréer une situation de quasi-bipartisme où le Fidesz est talonné de moins de 15 points, du jamais-vu depuis 2010. Certes il y a eu de nombreuses élections où la somme de tous les résultats des partis d’opposition donnait une situation équivalente, voire un avantage à l’opposition. Mais c’est là que le bât blesse  : pour la première fois, au lieu d’une multitude de petits partis, le Fidesz est concurrencé par un seul grand parti, à la figure dirigeante bien identifiée et à la ligne idéologique claire. Le mode de scrutin aux législatives — pour moitié scrutin uninominal majoritaire à un tour — favorise les grands partis et confère donc à Tisza un avantage inédit comparé aux partis d’opposition traditionnels. De surcroît, là où l’opposition historique a toujours eu du mal à performer en province, le parti Tisza y surpasse toutes les prédictions. À l’ouest, dans la riche ville de Győr, Tisza (36 %) talonne le Fidesz de seulement quatre points (40 %). À l’autre extrémité du pays, dans la ville de Debrecen, seconde ville du pays et pourtant bastion historique du Fidesz, Tisza n’est même qu’à trois points derrière. Dans une soixantaine de villes, Péter Magyar performe plus que sa moyenne nationale, et le Fidesz y subit un recul plus important qu’ailleurs — révélant que le Parti Tisza a bel et bien réussi à attirer vers lui des électeurs pro-Orbán.

Plus encore que l’électorat du Fidesz, il est certain que Péter Magyar a largement phagocyté les
électeurs de l’opposition, faisant peser une menace existentielle sur de nombreux partis historiques. LMP, parti écologiste en vogue au début des années 2010, n’enregistre aucun gain — ni aux municipales, ni aux européennes. Le Jobbik, ancien parti d’extrême droite devenu premier parti d’opposition de 2014 à 2018 à la suite de son recentrage idéologique, n’obtient que des scores insignifiants, confirmant l’évaporation de sa base militante. Momentum, parti centriste libéral qui semblait attirer la jeunesse au tournant de la décennie, n’a pas atteint le seuil des 5 % aux européennes et ne conserve que deux arrondissements de Budapest, tout en performant relativement bien en province. Étant encore représentés au parlement, ils bénéficieront de financements en vue des prochaines élections législatives de 2026, mais leur persistance fait désormais figure d’anachronisme. À l’inverse, le parti néofasciste Notre Patrie, dont le programme est une version encore plus radicale et extrême que celui du Fidesz, solidifie sa base militante avec un score de 5 % lui permettant d’envoyer un eurodéputé à Bruxelles. Le parti parodique du Chien à deux queues échoue à atteindre le seuil requis aux européennes, mais fait bonne figure aux municipales, notamment à Budapest où il conquiert le 12e arrondissement.

La performance du parti Tisza est d’avoir réussi à recréer une situation de quasi-bipartisme où le Fidesz est talonné de moins de 15 points, du jamais-vu depuis 2010.

Thomas Laffitte

« Il est évident que pour l’opposition, une nouvelle ère commence, et que tout ce qui était avant, aujourd’hui ne l’est plus » constate le maire — réélu de justesse — de Budapest Gergely Karácsony au sujet de l’émergence de Péter Magyar. Selon lui, le parti Tisza est actuellement dans une phase de « destruction » : elle affecte « un peu » le Fidesz, mais « surtout » l’opposition. Cette figure historique de l’opposition en a profité pour faire savoir qu’il ne comptait jouer aucun rôle en vue des législatives de 2026. Les regards se tournent alors vers le seul parti d’opposition historique faisant un peu de résistance  : les sociaux-démocrates de la Coalition démocratique (DK), un parti contrôlé par l’ex-Premier ministre Ferenc Gyurcsány (2004-2009) et son épouse, Klára Dobrev, qui a obtenu 8 % des voix aux européennes.

À bien des égards, ce parti de gauche libérale, qui a toujours eu l’ambition d’être le premier parti d’opposition et de devenir un véritable parti de masse concurrent du Fidesz, constitue l’un des piliers de l’équilibre politique de l’orbanisme depuis 14 ans. Ferenc Gyurcsány reste encore aujourd’hui l’une des personnalités politiques les plus clivantes de l’histoire récente du pays3 et sa présence au sein de l’opposition a toujours été un facteur déterminant dans l’échec d’une union pérenne des partis, tant il fait figure de repoussoir pour de nombreux électeurs. Or aucune figure politique n’avait jusqu’ici réussi à détrôner Gyurcsány de son rôle d’éminence grise de l’opposition. Dès sa première sortie médiatique, Péter Magyar a donc pris soin de se placer à équidistance tant de Victor Orbán que de Ferenc Gyurcsány, qui selon lui incarnent tous deux une époque révolue de l’histoire hongroise. Il y a fort à parier que Magyar refusera toujours de s’allier à la Coalition démocratique, non pas tant du fait de divergences idéologiques fortes, mais bien parce que le coût politique d’une alliance avec Ferenc Gyurcsány n’est que trop connu en Hongrie.

Dès sa première sortie médiatique, Péter Magyar a donc pris soin de se placer à équidistance tant de Victor Orbán que de Ferenc Gyurcsány

Thomas Laffitte

En Hongrie : la chute d’Orbán pourrait arriver par la droite

Toutefois, dans la mesure où ces élections confirment la droitisation du paysage politique hongrois — le score combiné de tous les partis de gauche aux européennes est d’environ 16 % — le plus probable reste que la DK parvienne à subsister à moyen terme dans ce petit créneau. Cet état de fait semble discréditer la leçon tirée des législatives par Ferenc Gyurcsány, qui déclarait que seul un parti véritablement de gauche pourrait vaincre Orbán dans les urnes. Cette conclusion semblait raisonnable non seulement après l’échec de Péter Márki-Zay en 2022, mais aussi celui du nationaliste Gábor Vona à la tête du Jobbik en 2018. Ces deux opposants avaient tous deux tenté de doubler Orbán par la droiture, en proposant une alternative politique similaire idéologiquement à Orbán, mais dans un cadre démocratique et débarrassé de la corruption. Cette stratégie a largement échoué. Ni l’un ni l’autre n’ont pu rivaliser avec la radicalité de Viktor Orbán. Entre temps, toutes choses égales par ailleurs, l’exemple polonais d’une victoire de la coalition de centre-droit de Donald Tusk contre l’extrême droite du PiS, ainsi que la performance de Péter Magyar aux européennes, suggèrent qu’un revers électoral pour Orbán pourrait bel et bien venir de la concurrence d’un opposant de droite.

Les jeux sont toutefois loin d’être faits pour 2026. Péter Magyar profite d’un mouvement contestataire, par nature instable, qu’il a réussi à catalyser le temps d’une élection avec un discours populiste dirigé tant contre l’élite dirigeante, que contre l’ancienne élite représentée par les partis d’opposition traditionnelles. Qui plus est, il s’agissait d’un scrutin européen à mi- mandat, où de nombreux électeurs acquis au Fidesz ont pu soit ne pas voter, soit décider exceptionnellement de voter pour un autre parti. Le contexte des législatives sera bien différent, et dépendra grandement de la capacité de Magyar à consolider son parti et son assise militante.

Les six premiers mois de 2024 ont bouleversé l’équilibre politique du régime d’Orbán. Ce- dernier a connu de très nombreuses crises politiques, mais aucun acteur politique d’opposition n’avait jamais pu les exploiter pour sanctionner le parti gouvernemental. Cette fois-ci, un scandale d’État s’est traduit politiquement par le renouvellement de l’opposition, au profit d’un homme politique charismatique, renégat du système, qui fait planer la menace crédible d’une sanction dans les urnes pour le Fidesz. Isolé sur la scène européenne et faisant face à un contexte économique difficile aggravé par la suspension d’une partie des fonds européens, Viktor Orbán l’a admis au lendemain des élections  : Péter Magyar lui a « compliqué la vie ».

Sources
  1. Le résultat est si serré que son opposant Dávid Vitézy a demandé un recomptage des voix qui aura lieu dans les prochains jours. Quelques jours plus tard, le 13 juin, Gergely Karácsony, pourtant déclaré vainqueur, a réclamé la tenue de nouvelles élections. Il accuse son opposant Dávid Vitézy, qui s’est présenté en indépendant, d’avoir été de mèche avec le Fidesz depuis le début. Vitézy a reçu le soutien du Fidesz à la dernière minute, après que la candidate du parti gouvernementale a retiré sa candidature à quelques jours du vote.
  2. En hongrois  : « Árad a Tisza  ! » Le nom complet du parti est Tisztelet és Szabadság Párt pour le «  Parti du Respect et de la Liberté  ». Il a été fondé en 2021 mais n’avait jamais pris part à aucune élection.
  3.  L’impopularité de Ferenc Gyurcsány tient au fait qu’il était Premier ministre lors de la crise économique de 2008, dévastatrice en Hongrie, ainsi qu’au scandale dit du «  discours d’Öszöd  ». Le discours d’Öszöd fait référence à un scandale politique ayant eu lieu en mai 2006, un mois après la réélection du parti socialiste au pouvoir et de la deuxième défaite consécutive d’Orbán aux élections. Il éclate après qu’un enregistrement est rendu public dans lequel on entend le Premier ministre Ferenc Gyurcsány s’exprimer dans un langage très fleuri devant un parterre de caciques du parti, répéter de nombreuses fois qu’il a dû mentir en permanence sur l’état du pays lors de sa campagne pour assurer sa réélection. Cette révélation déclenche une vague de protestations inédites à travers tout le pays, ainsi que des violences policières rarement d’une ampleur inouïe. Ce scandale a beaucoup contribué au retour en grâce de Viktor Orbán en ayant fait de Ferenc Gyurcsány l’homme politique le plus détesté du pays, plus tard encore aggravé par les conséquences de la crise économique de 2008, qui ont fini par le pousser vers la sortie en 2009. Malgré ce statut peu enviable, Gyurcsány n’a jamais quitté la politique et reste aujourd’hui l’un des acteurs clefs de l’opposition. Son impopularité est continuellement exploitée par la propagande du régime qui cherche immédiatement à présenter n’importe quelle nouvelle figure de l’opposition comme une marionnette aux mains de Gyurcsány. Encore aujourd’hui, il demeure «  l’homme le plus détesté  » de Hongrie, un titre honorifique chez les Hongrois de l’opposition pour lequel seul Antal Rogán, le «  ministre de la Propagande  » du régime, parvient à le concurrencer.