Dimanche 12 mai, Vladimir Poutine a envoyé au Conseil de la Fédération ses propositions de candidats pour composer son nouveau cabinet — dont certains postes à la tête de « ministères d’application de la loi » (siloviki). Le vice-premier ministre par intérim, Andreï Belooussov, a notamment été proposé au poste de ministre de la Défense en remplacement de Sergueï Choïgou, qui occupait cette fonction depuis presque 12 ans.

Ce dernier devrait ainsi prendre la tête du Conseil de Sécurité et occupera également la vice-présidence de la Commission militaro-industrielle et la direction du Service fédéral pour la coopération militaro-technique — service directement subordonné au président1.

Belooussov est diplômé de la faculté d’Économie de l’université de Moscou, et a reçu le titre de Docteur des sciences – le plus haut titre de l’enseignement supérieur dans l’Union soviétique.

  • Après une courte carrière universitaire, il crée et dirige de 2000 à 2006 le Centre d’analyse macroéconomique et de prévision à court terme de l’Académie russe des sciences. Il devient au même moment Conseiller externe du Premier ministre.
  • À partir de 2006, Belooussov occupe plusieurs postes de haut niveau liés aux questions de développement économique au sein du gouvernement et de l’administration présidentielle.
  • De 2015 à 2017, il préside également le conseil d’administration de Rosneft, deuxième entreprise la plus importante de Russie, aujourd’hui présidée par Gerhard Schröder.
  • En 2020, à la suite de la démission du gouvernement de Medvedev, Belousov devient le numéro deux du nouveau gouvernement et occupe le poste de premier vice-premier ministre de la Fédération de Russie. Au même moment, il prend la tête du conseil d’administration des Chemins de fer russes (Российские железные дороги, RJD).

Belooussov est l’un des architectes principaux de la doctrine économique russe contemporaine. Il est connu pour ses idées dirigistes qui ont provoqué par le passé des conflits avec les ministres successifs de l’Économie et la Banque centrale.

  • Selon The Bell, organe de presse économique russe, Belooussov croit en l’existence d’un « cercle d’ennemis de la Russie ». Il était le seul haut-fonctionnaire économiste à soutenir l’annexion de la Crimée en 20142.
  • Le porte-parole de la présidence, Dmitri Peskov, a lié sa nomination à la nécessité d’introduire « des innovations » et « d’intégrer l’économie du bloc sécuritaire à l’économie du pays »3.
  • Entre 2021 et 2023, le budget attribué à la Défense — dépenses liées à la « sécurité » exclues — a bondi, passant de 3,6 % en 2022 à 5,9 % du PIB en 2023 selon le SIPRI. Il devrait atteindre 7, 1 % du PIB cette année.
Andreï Belooussov assiste à un événement marquant le 50e anniversaire du début de la construction de la ligne principale Baïkal-Amour (BAM) au palais du Kremlin d’État, le 23 avril 2024. © Vladimir Astapkovich/POOL/TASS/Sipa USA

Avec la nomination de Belooussov, Poutine souhaite parachever la transformation de l’économie russe afin de la mettre intégralement au service de l’effort de guerre. 

  • Tout comme son successeur Choïgou, Belooussov n’est pas un militaire. Il est un technocrate, proche de Poutine.
  • Selon les analystes de l’Institute for the Study of War, cette nomination s’inscrit dans la ligne d’efforts déployés par le président russe pour mettre en place toutes les conditions économiques d’une guerre prolongée, et éventuellement se préparer à une future confrontation avec l’OTAN4.
  • Malgré son manque d’expérience militaire, Belooussov a été impliqué dans un certain nombre de projets liés à l’industrie de la défense.
  • Il met l’accent sur l’optimisation de l’innovation technologique et de la production de l’industrie de défense. Il a notamment présenté un projet de commande publique de 4,4 milliards de roubles (environ 48 millions de dollars) pour la production de drones jusqu’en 2030, ainsi que des plans pour former des fabricants et des opérateurs de drones5.

L’une des tâches de Belooussov sera de dissiper les désaccords entre les militaires et les industriels afin de continuer à approvisionner l’armée et de transformer l’économie. Selon Alexeï Govrin, membre de la commission des petites et moyennes entreprises de la Douma, Belousov jouit d’une autorité « dans de nombreux cercles », notamment en raison de sa capacité à « toujours entendre et comprendre des arguments » de tous bords6.

  • Bénéficiant d’une réputation de technocrate, Belooussov devrait aussi s’attaquer à la corruption au sein du ministère de la Défense, évoquée à plusieurs reprises notamment lors de l’affrontement entre Choïgou et Prigogine à l’été 2023.

Le nouveau ministre de la Défense russe fait l’objet de sanctions ukrainiennes, européennes et figure sur la liste des sanctions individuelles adoptées par les États-Unis, le Japon, le Royaume-Uni, le Canada et l’Australie. Contrairement à Choïgou, qui est de confession bouddhiste, Belooussov, né à Moscou, est un chrétien orthodoxe pratiquant.