Le 9 juin prochain, la Belgique ne votera pas seulement pour élire ses députés européens. Elle renouvellera aussi, le même jour, son parlement fédéral et ses parlements régionaux et communautaires, qui se partagent le pouvoir dans un système politique très décentralisé. Au total, six élections auront lieu simultanément dans le pays, qui verront s’opposer pas moins d’une douzaine de partis majeurs.
Après une longue période sans majorité (2018-2020), la Belgique est gouvernée depuis 2020 par une coalition de sept partis, dite « coalition Vivaldi », qui réunit sociaux-démocrates, Verts, démocrates-chrétiens et libéraux sous la direction du Premier ministre libéral flamand Alexander De Croo. Le nombre élevé de partis dans la coalition est le résultat de l’existence de deux systèmes de partis distincts dans les deux communautés linguistiques francophone et néerlandophone, un phénomène qui complique de manière significative les négociations au fédéral. Avec la croissance du Vlaams Belang (VB, ID, extrême droite séparatiste) et du Parti du travail de Belgique (PTB/PVDA, GUE/NGL, gauche radicale), cette alliance centriste est désormais sous pression. Figures les plus visibles de la gauche wallonne et de la droite flamande, Paul Magnette, président du Parti socialiste (S&D), et Bart De Wever, président de la N-VA (CRE, droite nationaliste flamande), se feront face lors de cette campagne. Mais au lendemain du vote, ils pourraient, pour la première fois, être poussés par l’arithmétique électorale à une nouvelle forme de coopération.
Quels seront les équilibres politique probables au lendemain des élections au fédéral, mais aussi en Wallonie, en Flandre et à Bruxelles ? Quels sujets domineront la campagne ? Quelles seront les conséquences de ces dynamiques sur la politique européenne, où les personnalités belges (Charles Michel, Didier Reynders, Philippe Lamberts…) ont joué un rôle important lors de la précédente législature ?
Dans ce sixième épisode de notre podcast électoral « Décoder 2024 », nous accueillons Émilie van Haute, professeur à l’Université libre de Bruxelles, et Marc Swyngedouw, professeur à la KU Leuven.
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Quelle est l’ambiance dans cette coalition d’un genre nouveau ? Le gouvernement fédéral et le Premier ministre sont-ils bien perçus par la population belge ?
Émilie van Haute
L’ambiance est bien sûr préélectorale, mais elle a été pré-électorale pendant une bonne partie de la législature. Les relations ne sont pas faciles entre partenaires, pour plusieurs raisons. Avec un attelage à sept parties, il n’est pas toujours facile de s’entendre, en particulier dans une situation où le gouvernement a traversé plusieurs crises externes ― crise énergétique, guerre en Ukraine ― avec un grand nombre de sujets qui peuvent générer des tensions, en particulier entre partis du bloc de gauche et partis du bloc de droite au sein du gouvernement.
Peut-on dire malgré tout que la politique fédérale belge a retrouvé aujourd’hui une forme de stabilité ?
Marc Swyngedouw
D’une certaine manière, oui. Le gouvernement a survécu à différentes crises, et en particulier à la crise du Covid, et a été assez efficace dans la réalisation des projets inscrits dans la déclaration gouvernementale.
L’une des particularités du système politique belge est que ces deux principales régions présentent des profils politiques très différents. La Flandre a pour deux principaux partis un parti de droite, la N-VA, qui a été longuement séparatiste et qui se dit aujourd’hui confédéraliste, et un parti d’extrême droite toujours explicitement séparatiste, le Vlaams Belang. La Wallonie, quant à elle, est dominée historiquement par les partis du centre et de la gauche, principalement le Parti socialiste et les libéraux — avec dernièrement une forte croissance du parti de gauche radicale PTB/PVDA. La Wallonie est à ce stade l’une des dernières régions européennes qui ne connaît pas de force d’extrême droite très importante. Comment expliquer cette différence ?
Émilie van Haute
Le paradoxe, c’est que les deux espaces sont malgré tout caractérisés par des dynamiques semblables, avec une baisse de la confiance envers les politiques et un sentiment protestataire qui s’exprime cependant de manière très différente : le vote protestataire s’exprime plutôt à l’extrême droite en Flandre et à l’extrême gauche du côté francophone. Cette divergence est liée à l’offre politique plus qu’à la demande ; les positionnements et les attitudes au sein de la population, notamment vis à vis des questions migratoires, ne diffèrent pas fondamentalement. Dans les deux espaces, les partis offrent une alternative et la possibilité d’exprimer des opinions protestataires. Par ailleurs, la nature du débat public est assez différente : en Flandre, celui-ci est nettement plus centré sur les questions migratoires, ce qui est très favorable au parti qui a fait de ces questions son principal thème de campagne, c’est-à-dire le Vlaams Belang. À l’inverse, du côté francophone, le débat public est plus centré sur les questions économiques, sociales et environnementales.
Marc Swyngedouw
Cette différence est aussi due au fait que, du côté francophone, le monde médiatique, le monde politique et le monde juridique sont unanimes quant au fait qu’un parti d’extrême droite, un parti raciste, n’a pas sa place dans l’espace public : c’est le principe du « cordon médiatique ». À l’inverse, du côté flamand, il n’y a pas de consensus en ce sens, ni dans le monde politique, ni dans le monde médiatique, ni dans le monde juridique, sur l’importance de combattre ou non le racisme d’un parti comme le Vlaams Belang.
Sous la direction de Giuliano da Empoli.
Avec les contributions d’Anu Bradford, Josep Borrell, Julia Cagé, Javier Cercas, Dipesh Chakrabarty, Pierre Charbonnier, Aude Darnal, Jean-Yves Dormagen, Niall Ferguson, Timothy Garton Ash, Jean-Marc Jancovici, Paul Magnette, Hugo Micheron, Branko Milanovic, Nicholas Mulder, Vladislav Sourkov, Bruno Tertrais, Isabella Weber, Lea Ypi.
Observe-t-on malgré tout une tendance à la droitisation en Wallonie ? On peut penser par exemple au chef du MR Georges-Louis Bouchet, dont les déclarations ont été beaucoup commentées ces dernières années ?
Émilie van Haute
Oui, tout à fait. Dans le cas du président du MR Georges-Louis Bouchet, chef de file des libéraux et de la droite francophone, on observe une tentative de positionnement et une approche de la communication qui est très inspirée à la fois par les États-Unis et par la France. Il y a effectivement un positionnement qui se droitise, chez les libéraux en particulier, tant sur les questions socio-culturelles que socio-économiques. Le parti a toujours été plutôt à droite sur les questions économiques, mais sur les questions socio-culturelles, ce positionnement ne fait pas l’unanimité au sein de son parti.
En Flandre, la position de la N-VA a quelque peu évolué ces dernières années. Historiquement, le parti avait fait du séparatisme un aspect important de son programme. Même si cette mention reste présente dans un certain nombre de documents, aujourd’hui la N-VA parle bien plus volontiers de « confédéralisme ». Le débat sur le séparatisme s’est-il affaibli en Flandres, ou a-t-il simplement été repris plus nettement par le Vlaams Belang ?
Marc Swyngedouw
Il est vrai que le Vlaams Belang continue de dire, comme il l’a toujours fait, qu’il est pour la séparation du pays. Mais par ailleurs, dans toutes les études qu’on a faites depuis 1991, le séparatisme n’est pas un motif pour réellement voter pour l’extrême droite. C’est surtout la thématique de l’immigration qui est décisive pour le vote Vlaams Belang. Si plus récemment, l’idée du séparatisme a été rejetée par la N-VA, c’est principalement en raison de son impopularité : dans toutes les études qui ont été faites du côté flamand sur ce sujet, le soutien de la population à une séparation du pays était limité. Lors de la dernière élection en 2019, la séparation était encore défendue par environ 10 % de la population flamande. Du fait de cette tendance, la N-VA a modifié son programme. Mais le concept de confédéralisme qu’elle promeut désormais est peut clair. Il semble surtout qu’il s’agit pour la N-VA de mettre en avant un concept alternatif, pour ne pas avoir à dire qu’elle souhaite la séparation du pays.
La Belgique compte six gouvernements : un gouvernement fédéral et cinq gouvernements régionaux (Flandre, Wallonie, Bruxelles Capitale, communauté française et communauté germanophone) au sein d’un système fédéral organisé selon un principe de compétences exclusives, c’est-à-dire que les différents échelons disposent chacun de leurs compétences clairement définies. L’actuel gouvernement wallon (Di Rupo III) est une coalition de centre-gauche composée du PS, du MR et d’Ecolo. En Flandres, il s’agit d’un cabinet de centre-droit (Jambon I) réunissant le N-VA, les démocrates-chrétiens des CD&V et les libéraux de l’Open VLD. Enfin, à Bruxelles, le modèle du cabinet (Vervoort III) suit un modèle proche de celui du gouvernement wallon. Quelles sont les grandes tendances dans la politique régionale de cette dernière législature ?
Émilie van Haute
La gestion des affaires est évidemment un peu plus simple au niveau régional qu’au niveau fédéral, puisque le nombre de partenaires à gérer est un peu plus limité. Parmi les grands enjeux et les grands dossiers sur lesquels travaille le gouvernement, on compte bien sûr la question de la réorientation économique de la Wallonie, qui reste un enjeu majeur, en particulier au niveau communautaire. Par ailleurs, la communauté française, qui doit supporter l’enseignement et la culture, est en difficultés financières. Il s’agit à la fois d’un problème de gestion financière de ces entités fédérées et de redéploiement économique.
Marc Swyngedouw
La Flandre est gouvernée par un gouvernement de droite, mais malgré une composition idéologique assez homogène, il n’y a presque aucun sujet que le gouvernement sortait ait pu traiter d’une manière unanime. Les dossiers de [la pollution à] l’azote, des crèches, de l’éducation, ont tous été bloqués par l’un des partenaires. Le principal succès de ce gouvernement est qu’il a pu maintenir un budget à l’équilibre. Pour le reste, le gouvernement est allé d’une crise à l’autre, et apparaît très faible.
Émilie van Haute
Le gouvernement bruxellois a connu davantage de remous que les gouvernements précédents, en partie en raison de fortes personnalités qui le composent. Sur le contenu des politiques publiques, les pierres d’achoppement ont été nombreuses, en particulier sur les questions d’équilibre entre développement territorial et construction de logements versus préservation de la nature et de la biodiversité. Cela a créé des tensions, notamment, entre les socialistes et les Verts. Les questions de vivre ensemble, de mixité et de conception de la laïcité ont également figuré en bonne place dans les débats, avec des tensions entre plusieurs partenaires de la majorité, mais aussi au sein des partis politiques, sur la question du port du voile ou de l’abattement rituel. Les finances de la région ont également été sources de difficultés.
Aux Pays-Bas, des partis politiques spécifiques (DENK, BIJ1) se sont créés autour de la défense des intérêts des personnes issues de l’immigration. Observe-t-on un mouvement similaire en Belgique ?
Marc Swyngedouw
La Belgique ne compte pas de parti similaire à DENK ou BIJ1, malgré une prise en compte croissante de ce genre de thématiques, notamment dans la politique bruxelloise. Même dans une ville comme Anvers, où plus de 30 % de la population ont une histoire familiale d’immigration, aucun mouvement de ce type n’a émergé parmi les partis de premier plan. Pour autant, le sujet de l’immigration joue un rôle important dans les campagnes. Il a été l’un des sujets les plus importants dans les élections de 2019, notamment en raison de sa mise en avant systématique par le Vlaams Belang. Le comportement électoral des personnes issues de l’immigration a quant à lui évolué : précédemment, c’était principalement le parti socialiste Vooruit qui réunissait 60 à 70 % des votes de ces groupes ; aujourd’hui, davantage d’électeurs se tournent vers les Verts et le PTB/PVDA.
Émilie van Haute
Cette question est traitée un peu différemment du côté francophone et singulièrement bruxellois. On a eu des partis davantage centrés sur les questions communautaires, mais avec des scores relativement faibles. Il est probable qu’en 2024 des listes soient déposées en ce sens, qui prendront sans doute quelques voix principalement à l’extrême gauche et aux socialistes, mais sans atteindre des scores très élevés.
En Flandre, le Vlaams Belang est donné largement en tête, au-delà de 25 % dans les enquêtes d’opinion, suivi d’une N-VA assez stable autour de 21 %, et, en troisième et quatrième position, les démocrates-chrétiens et les sociaux-démocrates. Quelles sont les tendances qui expliquent cette importante croissance du Vlaams Belang ? Peut-on imaginer la formation d’un gouvernement régional N-VA-Vlaams Belang au lendemain des prochaines élections régionales ?
Marc Swyngedouw
Premièrement, il est important de noter que toutes les enquêtes qui ont été faites, côté flamand comme côté francophone, sont toutes des enquêtes en ligne, dont les résultats ne sont pas fiables ― la même enquête d’opinion a donné des écarts de dix points de pourcentage dans le score de la N-VA entre le début et la fin du mois de janvier.
Cela étant dit, il est clair que le Vlaams Belang a gagné beaucoup de voix, notamment environ 250 000 voix de la N-VA. La N-VA avait promis en 2014 de « résoudre le problème de l’immigration », mais en 2019 la situation n’avait pas vraiment changé. L’importance du Vlaams Belang est accrue quand la campagne est centrée autour de l’immigration. Si la campagne qui vient est centrée sur les dossiers socio-économiques, le Vlaams Belang ne sera pas nécessairement le grand gagnant de ces élections. Si elle est centrée sur l’immigration ou sur les dossiers culturels communautaires, il l’emportera certainement, peut-être au détriment de la N-VA.
S’agissant de la possibilité d’une majorité de la N-VA et du Vlaams Belang en Flandre, il est clair que la N-VA ne formera un gouvernement à sa droite que si elle n’est pas capable de participer au gouvernement fédéral. Si la N-VA forme un gouvernement avec le Vlaams Belang, elle se mettra automatiquement en dehors d’un possible gouvernement fédéral, parce que les partis francophones, particulièrement le PS et le MR, n’accepteront jamais de collaborer avec un parti qui gouverne avec le Vlaams Belang. Il est donc probable que la formation du gouvernement flamand attendra jusqu’à ce que les négociations au niveau fédéral aient progressé. La décision ne sera sans doute pas prise avant les élections provinciales et communales du mois d’octobre.
En Wallonie, la situation est assez différente. Le parti de gauche radicale PTB/PVDA a longtemps semblé en capacité de dépasser les libéraux du MR pour la seconde place et de terminer deuxième derrière le PS. Mais ils ont depuis chuté, s’établissant aujourd’hui aux alentours de 16 % tandis que le MR recueillerait environ 20 % des voix, suivi de près par le PS. Un autre parti qui connaît une forte hausse dans les sondages est « Les Engagés », le nouveau nom du parti démocrate-chrétien wallon, habituellement classé au centre ou au centre-gauche. Comment s’expliquent les difficultés du PTB d’une part, et la montée en puissance des Engagés de l’autre ?
Émilie van Haute
Je prendrai les mêmes précautions que mon collègue concernant l’analyse des sondages. Il y a actuellement au sein de l’électorat une grande part d’indécis, qui constituent sans doute environ un tiers du total des inscrits. Par ailleurs, l’ensemble des différences entre partis se situent généralement dans la marge d’erreur, ce qui explique aussi une partie des fluctuations dans les résultats publiés. Une autre question ouverte est celle des primo-votants. On n’a pas voté depuis cinq ans en Belgique, ce qui est rare. Les primo-votants sont donc nombreux, et leurs préférences politiques sont, par définition, moins fixées que celles du reste de la population du fait d’une moindre socialisation politique.
Il existe une certaine proportion d’électeurs qu’on peut qualifier d’aliénés politiquement (alienated voters). Ces électeurs vont-ils émettre un vote protestataire ou simplement refuser de se rendre aux urnes malgré le vote obligatoire ? Il faudra suivre de près l’évolution de la participation électorale. Dans le reste de l’électorat, on observe des mouvements assez importants au centre, dûs au repositionnement des partis politiques. Les électeurs plus centristes, en particulier au centre-droit, peuvent être davantage hésitants. Beaucoup de ces électeurs ont pu avoir voté libéral par le passé, mais le glissement vers la droite du MR pourrait les rediriger vers Les Engagés. Il s’agit de l’ancien parti démocrate-chrétien, qui a opéré une refondation importante côté wallon, attirant un certain nombre de nouvelles personnalités qui lui permettent de s’adresser à un électorat centriste dont une partie est encore indécise à ce stade.
En Wallonie comme en Flandre, on observe dans l’ensemble une grande égalisation du poids relatif des partis traditionnels. Dans ce contexte, des différences assez faibles en termes de nombre de voix peuvent faire gagner ou perdre sa première place à un parti, ce qui a des conséquences sur la distribution des postes exécutifs. Cela rend le monde politique très fébrile vis-à-vis du processus de formation gouvernementale à venir.
Peut-on envisager, en symétrique de la situation flamande, un gouvernement wallon rouge-rouge-vert entre PTB, PS et Ecolo ?
Contrairement à ce qui pourrait se passer en Flandre, en Wallonie et plus encore à Bruxelles, une formation rapide ― de préférence avant les élections provinciales d’octobre ― sera sans doute préférée. L’intégration de la gauche radicale du PTB/PVDA à une coalition me semble assez peu probable. Il est bien plus vraisemblable que le futur exécutif voie le jour entre partis « traditionnels » : socialistes, libéraux, Verts et démocrates-chrétiens.
De manière sans doute un peu anecdotique, on a assisté ces dernières semaines à une tentative de la N-VA de prendre racine en Wallonie. Le parti a nommé un chef de file, Drieu Godefridi, entrepreneur et publiciste qui rédige dans la presse des tribunes souvent très marquées à droite. Une telle opération a-t-elle une chance de fonctionner ? Quels sont ses objectifs ?
Cela semble peu probable. Il y aura peut-être quelques succès marginaux dans la province du Brabant wallon, dont le chef de file lui-même est issu, sans doute au détriment des libéraux francophones et des quelques petites listes de droite radicales présentes en Wallonie. Mais la démarche n’aura sans doute guère d’effet au niveau fédéral.
Marc Swyngedouw
L’opération menée par la N-VA ne va sans doute pas changer grand-chose côté francophone. Il s’agit plutôt d’une action symbolique, qui permet au parti de s’affirmer comme représentant des conservateurs, notamment en Flandre, mais aussi parmi les francophones, notamment autour de Bruxelles. Il existe du reste dans cette zone une minorité flamande qui pourrait se retrouver dans une partie de ces positionnements. Par ailleurs, il s’agit sans doute aussi d’une manière d’obtenir davantage de financements publics : chaque vote récolté du côté francophone donne le droit à un versement de fonds publics ; sachant que la N-VA prévoit qu’elle va perdre un peu de popularité en Flandres, obtenir quelques voix supplémentaires en Wallonie permet une forme de compensation. Enfin, cette candidature permettra à la N-VA de faire aussi (un peu) campagne en Wallonie et de se placer au centre du débat.
Au fédéral, la Vivaldi est donnée, selon les enquêtes, un peu en dessous ou un peu au-dessus de la majorité parlementaire. La force du Vlaams Belang d’un côté ― avec lequel aucun parti francophone ne voudra s’allier du fait du « cordon sanitaire » ― et celle du PTB/PVDA de l’autre ― avec lequel aucun parti de centre-droit n’accepterait de collaborer ― sont les principales causes de cet affaiblissement. Faut-il s’attendre à ce que, si la coalition conserve malgré tout sa majorité, elle continue de gouverner pendant la prochaine législature dans cette même conformation ?
Émilie van Haute
Ce qui est assez probable, c’est que la Belgique sera dirigée par un gouvernement dont la plupart des membres auront fait partie des perdants de ces élections. Pour le moment, on a sept partis qui composent le gouvernement. Or, on sait que les partis qui gouvernent ont tendance à être sanctionnés dans les urnes, ce que les sondages semblent confirmer. Mais les partis d’opposition avec lesquels composer un attelage alternatif sont peu nombreux : en Flandre, c’est à titre principal la N-VA ; en Wallonie, ce peut être Les Engagés. Ces deux partis mis à part, il est fort probable que la plupart des membres du prochain exécutif seront sortis perdants des urnes. Par conséquent, le prochain gouvernement pourrait avoir plus de difficultés à imposer sa légitimité, ce qui devrait contribuer à allonger le processus de formation gouvernementale.
Sous la direction de Giuliano da Empoli.
Avec les contributions d’Anu Bradford, Josep Borrell, Julia Cagé, Javier Cercas, Dipesh Chakrabarty, Pierre Charbonnier, Aude Darnal, Jean-Yves Dormagen, Niall Ferguson, Timothy Garton Ash, Jean-Marc Jancovici, Paul Magnette, Hugo Micheron, Branko Milanovic, Nicholas Mulder, Vladislav Sourkov, Bruno Tertrais, Isabella Weber, Lea Ypi.
Peut-on imaginer dans un avenir prochain un gouvernement associant PS et N-VA, Paul Magnette et Bart De Wever ?
Marc Swyngedouw
C’est envisageable, oui. Ce qui est certain, c’est que les deux partis seront condamnés à se mettre autour de la table et à échanger sur le fond après les élections. Le N-VA aura besoin de discuter de l’organisation du pays, le PS de la résolution des problèmes de financement nombreux côté francophone et à Bruxelles ― et donc d’une nouvelle loi de finances. S’il n’est pas possible de dire à ce stade si ces négociations seront un succès, la discussion, en tous cas, sera nécessaire. Si les deux partis réussissent à s’entendre sur les deux sujets que j’évoquais, il est possible qu’ils gouvernent ensemble.
Émilie van Haute
Je pense que tous deux, Paul Magnette et Bart De Wever, se préparent sans doute à une telle éventualité. Il ne faut pas perdre de vue que le Parti socialiste a aussi une forte composante régionaliste, et ne verrait pas nécessairement d’un mauvais œil d’autres transferts de compétences, et en particulier une révision de loi de financement. Certes, les deux partis n’apparaissent pas à première vue comme des partenaires naturels, mais je pense que cette configuration devra être considérée de manière tout à fait sérieuse et que les deux sont préparés à cela.
Le 9 juin, la Belgique sera, avec la Bulgarie, l’un des deux États-membres pour lesquels les élections européennes coïncident avec des élections nationales. Doit-on s’attendre à ce que les élections européennes fonctionnent comme une « répétition » des élections fédérales, une sorte d’archétype de l’élection de second ordre ?
Marc Swyngedouw
En Belgique, il s’agira sans aucun doute d’élections de second ordre par rapport aux élections nationales et régionales. Les questions nationales domineront les débats. Certes, avec le fait que la Belgique occupe actuellement la présidence tournante du Conseil, les questions européennes pourraient être un peu davantage mises en avant. Mais cet effet devrait être assez limité, d’autant plus que les dossiers européens les plus importants, comme par exemple le Green Deal, sont aussi présents dans la politique nationale.
Dans le collège francophone, on trouvera parmi les chefs de file aux élections européens des personnalités de premier plan : Elio Di Rupo (ministre-président wallon et ex premier ministre) pour le PS, Sophie Wilmès (ex-première ministre) pour le MR, tandis que Philippe Lamberts sera co-Spitzenkandidat des Verts au niveau européen. Est-ce que ce facteur personnel aurait le potentiel d’accroître l’intérêt pour ces élections en Wallonie ?
Émilie van Haute
Je ferai le même constat que mon collègue : les élections européennes seront sans doute éclipsées par les autres scrutins. La question des personnalités qui se présentent et de la composition des listes est aussi guidée par les spécificités des règles électorales et de découpage des circonscriptions. Les circonscriptions pour l’élection au parlement européen sont très vastes, ce qui implique des scores personnels potentiellement importants pour les têtes de liste. Cela donne à ces positions de tête de liste un certain prestige qui attirent des personnalités importantes. Il peut aussi y avoir un élément d’aboutissement de carrière, une forme de récompense. Sans compter qu’avec trois types de listes à composer aux niveaux régional, fédéral et européen, il a fallu ménager les équilibres internes au sein de chaque parti. Mais sur la question de l’attention au scrutin, je pense vraiment qu’il passera un peu inaperçu. On a un peu reparlé de l’élection européenne dans l’espace médiatique sur la question de l’extension du droit de vote obligatoire aux seize et dix sept ans aux européennes, qui a finalement été acté. Mais c’était sans doute le moment d’apogée d’attention médiatique sur ces élections.
Marc Swyngedouw
En Belgique, il n’est pas obligatoire d’être membre du parlement fédéral pour devenir ministre dans le gouvernement fédéral. Par conséquent, les personnes qui se présentent sur les listes européennes ne renoncent pas pour autant à occuper des postes exécutifs lors de la prochaine législature.
Avec Charles Michel, président du Conseil européen, et Didier Reynders, commissaire à la Justice, les libéraux francophones disposaient d’une influence importante au niveau européen pendant la législature passée, tandis qu’Alexander De Croo, libéral flamand, dirigeait le gouvernement fédéral. Donnés en baisse dans les sondages, les libéraux belges risquent-ils dans les prochains mois une marginalisation de leur position — tant fédérale qu’européenne ?
Émilie van Haute
Oui, c’est clair. Il est important de noter que ces partis sont caractérisés par le rôle important d’un certain nombre de personnalités de premier plan. Derrière ces fortes personnalités, l’appui collectif et structurel est inégal. Dans la législature passée, la configuration était exceptionnellement favorable aux libéraux belges, et il est donc probable que leur rôle diminue dans les mois à venir.
Peut-on tirer des parallèles avec la situation des libéraux ailleurs au Bénélux, et principalement au Pays-Bas, où on observe aussi un glissement vers l’extrême droite important ?
Marc Swyngedouw
C’est une question difficile. L’Open VLD est en difficulté en Flandre, n’étant parfois plus en capacité de former des listes dans certaines communes, par exemple à Anvers. Mais je ne pense pas que la situation soit si critique du côté francophone en Belgique. Avec le cas des Pays-Bas, on a vu que lorsqu’on accepte l’idée que des partis d’extrême droite participent au gouvernement, beaucoup de gens peuvent soutenir ces partis, notamment au détriment des libéraux. Mais là où s’arrête la comparaison avec les Pays-Bas, c’est que dans le cas de la Flandre, la N-VA présente un profil plus conservateur et plus libéral que le parti libéral Open VLD lui-même… amenant déjà un certain nombre d’électeurs de l’Open VLD à passer à la N-VA. Pour ces raisons, en Flandre, on ne peut pas dire que le principal moteur du succès de l’extrême droite soit l’affaiblissement des libéraux.
Sur les questions géopolitiques, on a vu ces deux dernières années une faille importante s’ouvrir au sein des partis de la droite européenne entre un groupe de partis nationalistes mais atlantistes, au nombre desquels on compte par exemple Giorgia Meloni, et un groupe qui continue de maintenir une sorte d’équidistance plus ou moins avouée entre Moscou et Washington ― on peut penser par exemple au FPÖ autrichien. Observe-t-on un clivage similaire entre N-VA et Vlaams Belang ?
Le Vlaams Belang a été accusé à plusieurs reprises d’espionnage pour la Chine et pour la Russie. Ces derniers jours, un petit groupe de personnes autour de Filip Dewinter, le premier vice-président du parti, a concentré les critiques. Le Vlaams Belang — qui n’a jamais été un grand admirateur des systèmes démocratiques — a, d’une manière ou d’une autre, soutenu la Russie et la Chine. La N-VA, pour sa part, n’est pas très claire dans ce qu’elle souhaite au niveau international. Elle ne fait pas partie du gouvernement fédéral et parle assez peu de ces sujets, même s’il est clair que sa position est fondamentalement atlantiste et pro-OTAN. De manière générale, la politique internationale a toujours été un sujet très minoritaire dans toutes les campagnes électorales des années 1990 à aujourd’hui.
Qu’en est-il de la position du PTB/PVDA s’agissant des guerres en Ukraine et à Gaza ?
La guerre en Ukraine est un sujet que le parti souhaite manifestement éviter, mais il n’est pas très saillant dans le débat public. C’est l’inverse avec la question de la guerre Israël-Palestine, qui est très présente, en particulier dans l’espace francophone bruxellois, et sur laquelle le parti a clairement pris position. Signe de l’importance de ce sujet dans une partie de l’électorat, une liste spécialement dénommée « Viva Palestina » concourra aux prochaines élections du parlement bruxellois. On a vu ces dernières semaines un certain nombre de tensions autour de l’affichage de drapeaux et des discours de certains candidats, plus encore à Bruxelles qu’en Wallonie.