À la suite de l’invasion russe de l’Ukraine, les pays de l’Union et du G7 ont gelé 260 milliards d’euros d’actifs de la Banque de Russie détenus dans leurs juridictions.
- Plus des deux tiers de ces actifs sont détenus dans l’Union, soit 200 milliards d’euros.
- 95,5 % des actifs détenus dans l’Union le sont en Belgique, par la société dépositaire Euroclear 1 — 191 milliards d’euros, soit 73 % de l’ensemble des actifs gelés de la banque centrale russe.
- À cela s’ajoute au moins 58 milliards de dollars d’actifs privés gelés dans l’ensemble des pays de l’Union et du G7 2.
La présidente de la Commission, Ursula von der Leyen a proposé le 28 février la saisie des profits exceptionnels générés par Euroclear sur les actifs de la Banque de Russie.
- Les intérêts générés par les soldes de trésorerie de la Russie ont atteint 4,4 milliards d’euros en 2023 3.
- C’est cinq fois plus qu’en 2022, du fait de la hausse des taux d’intérêt due notamment aux répercussions inflationnistes de la guerre en Ukraine.
- Les liquidités russes accumulées sur ce solde d’Euroclear — qui sont en temps normal immédiatement récupérées ou réinvesties par ses clients, le compte n’étant pas rémunéré — se composent principalement des paiements de coupons ou encore de la valeur de titres arrivés à maturité.
- Leur stock a atteint plus de 130 milliards d’euros 4.
Selon un responsable européen, le plan de la Commission permettrait de verser à l’Ukraine entre 15 et 20 milliards d’euros sur quatre ans, d’ici 2027 5.
- Une première tranche de 2 à 3 milliards d’euros provenant de ces profits pourrait être versée à l’Ukraine d’ici juillet 6.
- Ces revenus dépendent principalement du taux d’intérêt sans risque auquel les liquidités sont réinvesties par Euroclear : le taux de dépôt de la BCE se situe actuellement à 4 %, et pourrait commencer à diminuer à partir de juin, d’après plusieurs analystes.
- En prenant pour base les 130 milliards d’euros de liquidités actuellement détenues par Euroclear et dans l’hypothèse simplificatrice d’un maintien des taux à 4 % sur toute l’année 2024, les revenus générés atteindraient 22 milliards d’euro si le taux se maintenait à ce niveau jusqu’en 2027, 17,7 milliards s’il passait à 3 % en 2025-2027, et 13,5 milliards s’il chutait à 2 % sur la même période.
La Belgique a par ailleurs annoncé que les impôts prélevés sur les profits d’Euroclear liés à la détention des actifs russes seraient également reversés à l’Ukraine — un versement de 1,7 milliards d’euros est prévu en 2024.
La confiscation des actifs, impliquant un transfert de propriété, a pour l’instant été écartée par la Banque centrale européenne et notamment par la France et l’Allemagne.
- Alors que les États-Unis ne détiennent qu’une part minoritaire des actifs gelés, le Trésor américain se fait l’avocat — soutenu par le Royaume-Uni et le Canada — d’une saisie des actifs par les Européens, malgré les risques juridiques et les potentiels risques pour le rôle de l’euro comme monnaie de réserve internationale.
- Janet Yellen a décrit la saisie des revenus annoncée par la Commission uniquement comme une « première étape importante » 7.
Plusieurs options alternatives à une saisie pure et simple des actifs sont à l’étude :
- L’Ukraine pourrait utiliser les actifs russes comme collatéral pour emprunter en vue de sa reconstruction.
- L’expert de la dette souveraine Lee Buchheit et ses co-auteurs ont proposé en février un montage dans lequel l’Ukraine effectuerait ces emprunts directement auprès des pays du G7, sans obligations de remboursement et sans paiement d’intérêts. Le collatéral serait considéré comme la seule source de remboursement du prêt 8.
Les discussions sur un possible transfert des actifs à l’Ukraine sont en effet en cours depuis plus d’un an : en octobre 2023 la Commission annonçait déjà qu’elle était prête à utiliser les revenus perçus par les dépositaires. Le 12 décembre, elle présentait un projet décrivant les prochaines étapes pour immobiliser les bénéfices exceptionnels générés par les avoirs gelés de la banque centrale russe. Outre l’identification des fonds, la dernière étape consisterait à transférer le revenu net généré au budget européen, avant un versement à l’Ukraine.
Le plan de la Commission, qui doit être précisé le 15 mars, sera discuté par les chefs d’État et de gouvernement européens lors du Conseil européen des 21 et 22 mars. Le groupe de travail du G7 sur les bases juridiques d’une saisie des actifs russes fournira par ailleurs la base des négociations des dirigeants, dont la réunion est prévue du 13 au 15 juin en Italie.
Sources
- The Economist, « What do you do with 191bn frozen euros owned by Russia ? », 28 février 2024.
- U.S. Department of the Treasury, Joint Statement from the REPO Task Force, 9 mars 2023.
- Euroclear.
- Nicolas Véron, « Cash keeps accumulating at Euroclear Bank as a result of sanctions on Russia », Peterson Institute for International Economics, 9 janvier 2024.
- Reuters, « EU-frozen Russian assets to generate 15-20 bln until 2027, EU official says », 12 mars 2024.
- Financial Times, « Brussels aims to fast-track up to €3bn for Ukraine from frozen Russian assets », 11 mars 2024.
- Bloomberg, « US and Europe at Odds on Tapping $280 Billion of Russian Assets », 28 février 2024.
- Hugo Dixon, Lee Buchheit, Daleep Singh, « Ukrainian Reparation Loan : How it Would Work », 20 février 2024.