Il existe deux manières (qui ne s’excluent pas mutuellement) de considérer les discussions et le travail législatif du Congrès américain concernant le financement du gouvernement fédéral :

  • la première consiste à considérer que les 3 continuing resolutions (CR) — autorisations temporaires des dépenses au niveau de l’année précédente ou avec de légers ajustements — passées depuis septembre 2023 ont permis d’éviter des shutdowns qui auraient contraint de nombreux employés fédéraux au chômage technique ;
  • la seconde consiste à voir cette incapacité du camp républicain de la Chambre à se mettre d’accord sur un financement pour l’année fiscale comme relevant d’un dysfonctionnement qui témoigne de la guerre civile qui ronge le GOP depuis l’ouverture de l’actuelle législature en janvier 2023.

Le vote du budget annuel permettant de financer le gouvernement fédéral est, depuis la fin des années 1970 — suite à la promulgation du Congressional Budget and Impoundment Control Act de 1974 ayant établi le processus budgétaire tel qu’on le connaît aujourd’hui —, un exercice désordonné. Depuis 1977, le Congrès n’est parvenu à voter le budget annuel dans les temps qu’à quatre reprises : en 1977, 1989, 1995 et en 19971.

  • Avec 3 financements temporaires votés depuis le début de l’année fiscale 2024, le 118ème Congrès est, pour le moment, en-dessous de la moyenne (4) du nombre de mesures similaires votées par an entre 1977 et 2023.
  • Le constat diffère lorsque l’on regarde le nombre de jours couverts par ces financements temporaires. Les 21 mesures votées lors de l’année fiscale 2001 ne couvraient que seulement 82 jours au total ; à l’inverse, les 2 résolutions de l’année fiscale 2013 ont couvert la totalité de l’année fiscale2.
  • Pour l’année fiscale 2024, ces financements temporaires devraient durer au minimum 160 jours (du 1er octobre 2023 jusqu’au 8 mars 2024, date à laquelle la majorité des financements votés hier expireront), soit une durée supérieure de 17 % à la moyenne des années 1998-2023.

À cette dimension budgétaire s’ajoute un constat politique qui relève d’une spécificité du Congrès actuel, et particulièrement de la majorité républicaine de la Chambre : le GOP y est plus divisé que jamais, marqué par un renforcement de l’aile droite.

  • Le 30 septembre dernier, soit un jour avant la première menace de shutdown de l’année fiscale, 126 élus républicains avaient voté en faveur de la résolution permettant de continuer à financer temporairement le gouvernement fédéral jusqu’au 17 novembre3.
  • Hier, jeudi 18 janvier, seulement 107 élus du GOP à la Chambre ont voté en faveur du texte prolongeant le financement temporaire du gouvernement jusqu’au 1er et au 8 mars 2024, soit moins de la majorité de ses membres4.
  • Avec un vote 107-106 portant sur une question budgétaire, le Parti républicain a rarement été aussi divisé au Congrès. À partir de lundi 22 janvier, le GOP disposera de la deuxième plus courte majorité de son histoire à la Chambre suite au départ du représentant Bill Johnson (R-OH).

Dans un écho quasi-parfait avec le climat qui régnait à la Chambre en amont de la destitution de Kevin McCarthy en octobre, l’aile droite du GOP est de plus en plus mécontente vis-à-vis du speaker Mike Johnson. Bien que très radical, celui-ci est critiqué par les membres du Freedom Caucus qui estiment qu’il se plie aux demandes des Démocrates, dont le vote lui a été essentiel pour voter cette extension budgétaire (207 Démocrates ont voté en faveur, contre seulement 107 Républicains)5.

Sources
  1. James V. Saturno, Megan S. Lynch, Bill Heniff Jr., Drew C. Aherne et Justin Murray, Continuing Resolutions : Overview of Components and Practices, Congressional Research Service, 16 mai 2023.
  2. La durée d’une continuing resolution peut couvrir une période allant d’un seul jour à la totalité de l’année fiscale, soit 365 jours.
  3. Roll Call 513 | Bill Number : H. R. 5860, 30 septembre 2023.
  4. Roll Call 15 | Bill Number : H. R. 2872, 18 janvier 2024.
  5. Andrew Solender et Juliegrace Brufke, « House Republican hardliners plot revenge on Mike Johnson », Axios, 19 janvier 2024.