Israël-Hamas : le plan de l’Arabie Saoudite pour peser sur l’après

L'Arabie saoudite veut porter la voix des pays arabes dans la guerre de Soukkot. Comment ? En s’attaquant en premier lieu au système international dominé par l'Occident, qu’elle accuse d’avoir échoué. Nous traduisons pour la première fois en français les propos du ministre des Affaires étrangères du royaume qui articule la nouvelle doctrine de Riyad dans un monde post-Soukkot.

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Le Grand Continent
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Samedi 11 novembre, l’Arabie saoudite a organisé à Riyad un sommet réunissant les pays membres de la Ligue arabe et de l’Organisation de la coopération islamique afin d’appeler conjointement à la mise en place d’un cessez-le-feu immédiat dans la bande de Gaza.

Au cours de la conférence de presse ayant suivi, le ministre des Affaires étrangères saoudien, Faisal bin Farhan Al Saud, a pointé du doigt, dans un anglais parfait, l’échec de la communauté internationale à obtenir des concessions militaires et humanitaires de la part d’Israël. Selon lui, cette faillite de l’Occident témoigne d’un besoin de réforme de l’architecture de sécurité internationale.

Au sein du nouveau système qui émergerait de la guerre de Soukkot, avec l’Arabie saoudite comme leader, le rôle joué par le monde arabe et musulman dans la résolution des conflits internationaux en sortirait renforcé. Nous sélectionnons des extraits de la prise de parole d’Al Saud au Sommet de la Ligue arabe, traduits et commentés pour la première fois en français. Ils offrent une compréhension de la nouvelle stature que Riyad entend adopter — dans un monde profondément transformé après le 7 octobre 2023.

Nous avons la responsabilité d’exercer toute la pression possible sur la communauté internationale, sur les Nations unies et sur le Conseil de sécurité, afin qu’ils assument leurs responsabilités en matière de paix et de sécurité internationale. Je tiens à souligner que l’action de la Ligue arabe, soutenue également par d’autres pays, a permis de réaliser de nombreux progrès.

La résolution parrainée par la Ligue arabe à l’Assemblée générale a délivré un message très fort à cet égard et a souligné l’échec du Conseil de sécurité à assumer ses responsabilités, et nous continuerons évidemment à le faire. Je pense que cette situation met en lumière le besoin de réforme de l’architecture de sécurité internationale. Le Conseil de sécurité des Nations unies a clairement montré qu’il n’était pas en mesure de répondre aux attentes de la communauté internationale et qu’une réforme est absolument nécessaire.

La résolution non contraignante proposée par la Jordanie au nom de la Ligue arabe et appelant à une « trêve humanitaire immédiate, durable et soutenue » a été adoptée le 27 octobre par l’Assemblée générale de l’ONU avec une large majorité de 120 votes pour, 15 votes contre et 45 abstentions. Si l’Assemblée générale a adopté cette résolution, le Conseil de Sécurité n’est de son côté toujours pas parvenu à s’accorder sur un texte concernant la guerre de Soukkot. Entre le 16 et le 25 octobre, quatre projets de résolutions présentés successivement par la Russie, le Brésil, les États-Unis puis de nouveau la Russie, ont échoué à être adoptés par le Conseil de Sécurité des Nations unies. Cette paralysie du Conseil de sécurité a été vivement critiquée par le ministre des Affaires étrangères palestinien qui a qualifié « l’inaction » du Conseil d’« inexcusable ».

Je considère que grâce à la volonté collective du monde arabe et musulman, et comme son excellence et le Secrétaire-général l’ont fait remarquer, nous avons le poids nécessaire pour pousser dans cette direction. Je suis certain que nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir et qu’avec les instructions que nous avons reçues des dirigeants de ces pays, nous enverrons un message très fort dont l’un des éléments est que la structure de sécurité internationale fait actuellement l’objet d’une évaluation. Car si la communauté internationale ne peut pas demander des comptes à Israël, beaucoup d’entre nous peuvent douter que les paramètres de l’ordre international établi soient réellement fonctionnels et efficaces.

Le secrétaire d’État Antony Blinken, deuxième à droite à la table, participe à une réunion avec le ministre jordanien des affaires étrangères Ayman Safadi, le ministre saoudien des affaires étrangères Prince Faisal bin Farhan Al Saud, le Premier ministre et ministre des affaires étrangères du Qatar Mohammed bin Abdulrahman Al Thani, le ministre des affaires étrangères des Émirats arabes unis Abdullah bin Zayed Al Nahyan, le ministre égyptien des affaires étrangères Sameh Shoukry et le secrétaire général du comité exécutif de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) Hussein al-Sheikh, lors d’une journée de réunions sur le conflit actuel entre Israël et le groupe islamiste palestinien Hamas, à Amman, en Jordanie, le samedi 4 novembre 2023. 4, 2023. © Jonathan Ernst/Pool photo via AP

La communauté internationale fait sa part et exacerbe les doubles standards qui ont donné à Israël le feu vert pour commettre une longue liste de violations du droit international. Face à cette situation, les dirigeants arabes et musulmans se sont réunis lors d’un sommet conjoint exceptionnel de la Ligue arabe et de l’Organisation de la coopération islamique pour envoyer un message unifié : cette guerre doit cesser. Les dirigeants ont adopté une déclaration contenant plusieurs points dont la nécessité de briser le siège de Gaza et d’imposer l’entrée immédiate dans la bande de Gaza de convois d’aide humanitaire arabes, musulmans et internationaux contenant de la nourriture, des médicaments et du carburant.

Au 13 novembre, 980 camions d’aide humanitaire au total ont pu pénétrer dans la bande de Gaza, d’après les Nations unies, soit un nombre largement inférieur aux besoins de la population. Le Secrétaire général adjoint a rappelé qu’avant le déclenchement du siège, 500 camions d’aide humanitaire par jour étaient nécessaires à la population vivant dans la bande de Gaza.

Cette déclaration appelle également le procureur de la Cour pénale internationale à mener à bien l’enquête sur les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité commis par Israël. Le Secrétariat-général a été chargé de mettre en place deux unités spécialisées de suivi juridique pour documenter tous les crimes commis par les autorités d’occupation contre le peuple palestinien, ainsi que des plateformes de médias numériques pour publier et exposer leurs pratiques illégitimes et inhumaines.

La Cour pénale internationale enquête depuis 2014 sur les crimes commis à Gaza et en Cisjordanie. Le 30 octobre, le procureur général de la CPI, Karim Khan, affirmait que « tous les crimes commis sur le territoire de la Palestine par l’une ou l’autre des parties » feront l’objet d’une enquête. Si la résolution adoptée par les pays arabes et musulmans présents au Sommet de Riyad qualifie « l’agression israélienne en cours » de crime de guerre, aucun pays occidental n’a pour l’heure porté des accusations similaires.

En déplacement la semaine dernière à Rafah, à la frontière avec Gaza, le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, Volker Türk, a déclaré qu’Israël et le Hamas avaient tous deux commis des crimes de guerre. L’État hébreu se défend contre cette accusation, arguant que ses attaques à Gaza sont conduites en prenant garde de minimiser les victimes civiles, dont le nombre ne cesse d’augmenter depuis le 7 octobre. Selon les données fournies par le ministère de la Santé de Gaza, contrôlé par le Hamas, 11 000 Palestiniens et environ 1 200 Israéliens ont été tués depuis le 7 octobre.

Un comité composé de plusieurs ministres des Affaires étrangères, dont le royaume d’Arabie saoudite, qui préside le Sommet arabe et islamique, ainsi que la Jordanie, l’Égypte, le Qatar, la Turquie, l’Indonésie, le Nigeria et la Palestine, a été chargé d’œuvrer à la communication des positions des différents dirigeants à la communauté internationale, d’accélérer la fin de cette guerre, d’alléger les souffrances du peuple palestinien à Gaza et en Cisjordanie et de promouvoir un véritable processus de paix qui aboutisse à la création d’un État palestinien souverain sur son territoire, dans le cadre de l’initiative de paix arabe.

Il ne fait aucun doute que les habitants de Gaza et de la Palestine en général ont le droit d’attendre beaucoup de nous et des dirigeants arabes. Je pense que ces derniers et les dirigeants musulmans ont répondu aujourd’hui à ces attentes et se sont efforcés d’y répondre en adoptant des décisions et des mécanismes efficaces, au premier rang desquels ceux que j’ai mentionnés, qui visent à briser immédiatement le siège de Gaza et à fournir l’aide nécessaire à la population de Gaza. 

Outre l’appel à la fin de la guerre et au rétablissement de l’aide humanitaire, la déclaration finale du Sommet appelle également à l’arrêt des livraisons d’armes à Israël qui sont « utilisées par l’armée et les colons terroristes pour tuer le peuple palestinien et détruire ses maisons, hôpitaux, écoles, mosquées, églises ». Au sein du Département d’État américain et de l’Agence des États-Unis pour le développement international, 100 fonctionnaires ont signé un mémo critiquant « l’assistance militaire inébranlable » apportée à Israël suite à l’attaque du 7 octobre, « sans ligne rouge claire ou réalisable ».

Il s’agit d’un acte important qui contribuera à alléger les souffrances et qui met en évidence non seulement les pratiques israéliennes visant à empêcher l’arrivée de cette aide, mais aussi l’échec de la communauté internationale, en particulier des pays qui approuvent les punitions collectives infligées par Israël à la population de Gaza, en prouvant que la solution existe et que l’acheminement de l’aide est possible, mais que la communauté internationale doit exercer ses responsabilités.

En outre, les dirigeants sont également chargés de transmettre un message clair selon lequel la guerre doit cesser et doit cesser maintenant, et qu’il n’y a pas d’autre moyen de parvenir à la stabilité dans la région que la paix. Et la paix ne sera atteinte qu’avec l’établissement de l’État palestinien conformément à la légitimité reconnue de l’initiative de paix arabe.

L’Arabie saoudite a, dès le 7 octobre, appelé à l’activation d’un processus de paix crédible qui conduise à la mise en place d’une solution à deux États. Pour Riyad, seul celui-ci serait en mesure de préserver la paix au Proche-Orient. L’Égypte a quant à elle annoncé dès le 15 octobre l’organisation d’un sommet international sur « les développements et le futur de la question palestinienne », qui s’est déroulé le 21 octobre. Y étaient représentés des États arabes et musulmans de la région, plusieurs pays européens ainsi que l’Afrique du Sud. Ni les États-Unis, ni la Russie, ni l’Inde, ni la Chine n’étaient présents. 

Cette pression et cette mise en lumière de ces deux poids deux mesures et de cette incapacité à appliquer les fondements du système international, demandées par un certain nombre de pays ont, je pense, commencé à générer une pression. Maintenant, une partie du mandat et une partie des résultats du processus consistent à confier à ce comité ministériel le soin d’aller vers les pays actifs : les cinq membres permanents du Conseil de sécurité, les principaux pays et les pays influents pour continuer à faire passer ce message.

Nous espérons que ces positions auront également un impact qui ira dans ce sens. Cela se fera-t-il avec la rapidité nécessaire ? Certainement pas. La guerre aurait dû s’arrêter il y a un mois, pas aujourd’hui. Mais nous faisons ce que nous pouvons et nous pensons que cela aura un impact, comme nous l’avons vu jusqu’à présent.

Notre objectif en tant qu’Arabes et musulmans est d’appeler à la paix. L’autre partie évite de parler de paix. Pour notre part, nous ne cesserons pas de parler de paix, de l’établissement de deux États et de la réalisation d’un État palestinien.

Je pense que l’élan qui existe maintenant contribuera à mettre cette question au premier plan de l’agenda international. Nous avons vu dans les déclarations de la communauté internationale une tendance allant dans ce sens.

Il ne s’agit pas d’une forme de bonté de leur part, mais d’une compréhension du fait que c’est la bonne chose à faire et que c’est le seul moyen de stabiliser la région. Je suis sûr qu’il y a une chance. Il doit y avoir une chance.

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