Comme universitaire en sciences humaines, je reconnais l’importance de m’adresser à vous dans le cadre d’un forum mondial tel que l’UNESCO1, qui a été créé après la Seconde Guerre mondiale sur la base de la reconnaissance que les accords politiques et économiques entre les nations ne suffisaient pas à instaurer une paix durable entre les êtres humains. Que celle-ci avait besoin d’un travail culturel et éducatif qui renforcerait « la solidarité intellectuelle et morale de l’humanité par la compréhension mutuelle et le dialogue entre les cultures ». Mon intervention tente de s’appuyer sur les réalisations de cette organisation dans le cadre de son programme « L’homme et la biosphère », lancé il y a une cinquantaine d’années, en 1971. Je vous présente mes remarques dans l’esprit de l’UNESCO, qui tente de rechercher des vérités objectives susceptibles de rassembler l’humanité, indépendamment de ses différences religieuses et politiques. Tous les moments de crise sont marqués par la question suivante : « Qu’est-ce que nous partageons encore dans un monde qui n’est pas le nôtre ? Qu’avons-nous encore en commun dans un monde qui semble parfois si fragmenté ? »

L’ironie de cette question réside bien sûr dans le fait que c’est souvent pour ce qu’ils partagent déjà que des groupes d’humains s’affrontent : passé commun, terre, eau, territoires, animaux, plantes, ressources, etc. Les deux guerres dans l’ombre desquelles nous nous rencontrons nous rappellent de tels conflits. Je voudrais me concentrer sur certaines des choses que nous partageons dans ce monde intensément globalisé — mais pas en tant que possessions que nous pouvons partager. Je pense notamment à l’atmosphère, aux océans, aux cieux, aux saisons, au soleil et à la lune, des choses qui constituent une sorte de bien commun, mais qui ne peuvent être divisées comme nous le faisons pour la Terre, par exemple. Ils restent partagés, simultanément, en tant que sujets d’intérêt et de préoccupation communs. Nous devons partager l’air, par exemple, car c’est une condition fondamentale de notre vie, mais c’est ce même air qui apporte la pollution d’un pays ou d’une région à un autre. Une grande partie de l’Asie, par exemple, est recouverte d’un nuage brun, d’une brume de particules polluantes que même l’Inde et le Pakistan, divisés sur tant de questions, ne peuvent que partager. On peut aussi penser à l’exemple plus récent des incendies au Canada qui ont fait de l’air de ma ville de résidence, Chicago, le plus pollué au monde le 27 juin 2023.

C’est souvent pour ce qu’ils partagent déjà que des groupes d’humains s’affrontent : passé commun, terre, eau, territoires, animaux, plantes, ressources, etc

Dipesh Chakrabarty

Plus récemment, avec la prise de conscience du changement climatique anthropique, un très grand objet est devenu un sujet de préoccupation commun : la Terre elle-même, la planète que nous partageons à la fois en tant que sol sur lequel nous vivons et en tant que condition même de notre existence. Je ne parle pas de la Terre en tant que corps planétaire et astronomique abstrait, mais de la Terre en tant que condition de notre vie et de notre existence, et pas seulement de la vie humaine, mais de la condition de possibilité de toutes les formes de vie qui restent interconnectées. Si cette préoccupation était autrefois partagée par certains scientifiques spécialisés, elle a pris des proportions plus générales depuis que les informations sur la dégradation environnementale de la planète entière — plastiques dans les océans, trous dans la couche d’ozone, excès de gaz à effet de serre dans l’atmosphère, réchauffement, acidification et changement de niveau des mers, déforestation croissante, pertes frappantes de biodiversité, sans parler du réchauffement climatique — sont entrées dans nos cycles d’information quotidiens depuis une quinzaine d’années. Nous sommes de plus en plus conscients que nos propres actions menacent les processus géobiologiques qui relient et soutiennent toutes les formes de vie, y compris, bien sûr, la nôtre.

Il y a encore quelques décennies, vous et moi, comme la plupart des autres humains, aurions simplement considéré le système de maintien de la vie de la planète comme allant de soi. Combien d’entre nous s’arrêteraient normalement pour réfléchir à l’origine de l’oxygène dans l’atmosphère ? Pourtant, sans cet oxygène, nous mourrions d’étouffement. Nous considérions simplement cet oxygène ou d’autres caractéristiques de la planète qui contribuent à maintenir la vie comme faisant partie de la façon dont le monde nous est donné. Et nous supposions que, quoi que nous fassions, la Terre, « la mère de toutes les mères », comme Tagore l’a un jour célébrée, resterait inchangée avec toute l’affection indulgente d’une mère, nous permettant de continuer à faire ce que les humains font. Nous pensions que la planète était une entité trop grande pour être changée par les humains. C’est pourquoi la plupart d’entre nous ne se sont jamais demandé d’où venaient les montagnes, les rivières ou l’oxygène de l’air. Comme l’a fait remarquer le philosophe Wittgenstein, nous demandons l’âge d’un bâtiment lorsque nous le voyons, mais pourquoi ne demandons-nous pas la même chose pour une montagne ? La réponse doit être que pour nous, humains, les montagnes faisaient jusqu’à présent partie de l’univers donné, le monde tel que nous le trouvons, avec ses arbres et ses plantes, ses insectes et ses animaux, son eau et sa terre, prêt à répondre à tous nos besoins. Le monde semblait grand, très grand par rapport aux humains chétifs. Rien ne nous incitait à repenser cette relation — jusqu’à ce que les nouvelles concernant le changement climatique anthropique ou le réchauffement de la planète ne fassent irruption dans notre vie quotidienne et que les scientifiques ne commencent à parler des humains et de leurs civilisations de haute technologie, consommatrices d’énergie, comme d’une sorte de force géologique ou planétaire modifiant, souvent à notre détriment, l’histoire de la vie sur cette planète.

Nous pensions que la planète était une entité trop grande pour être changée par les humains. C’est pourquoi la plupart d’entre nous ne se sont jamais demandé d’où venaient les montagnes, les rivières ou l’oxygène de l’air.

Dipesh Chakrabarty

On peut soutenir qu’il fut un temps où la planète n’était pas un sujet d’anxiété ou d’inquiétude commun et où de nombreux groupes humains dans le monde entier la vénéraient. Cette époque était celle où les humains étaient moins nombreux, possédaient moins de biens, consommaient moins et avaient des capacités technologiques moins développées, ce qui était d’ailleurs le cas pendant la plus grande partie de leur histoire vieille de 300 000 ans. Mais tout cela a changé, et très rapidement, au cours des soixante-dix dernières années. Les climatologues affirment qu’avec notre nombre croissant, la ruée vers l’urbanisation et la mobilité mondiale, l’augmentation sans précédent de la richesse disponible — malgré de nombreuses inégalités et plus de deux milliards de personnes sans accès à l’eau potable —, l’allongement de la durée de vie, les changements révolutionnaires dans les technologies scientifiques, militaires et médicales, et la mondialisation intense des modes de vie et de consommation, les humains sont devenus une force géologique qui a un impact négatif — bien qu’inégal — sur l’ensemble de la planète : sa surface terrestre, ses mers, son atmosphère et la vie qui s’y trouve. Certes, grâce à quelques inventions marquantes telles que la machine à vapeur, l’électricité, l’agriculture moderne aidée par les engrais et les pesticides artificiels, les antibiotiques et d’autres moyens de traiter les infections bactériennes et virales, l’homme a vécu collectivement ces dernières décennies comme il ne l’avait jamais fait dans le passé. En 1950, l’espérance de vie moyenne dans le monde était inférieure à cinquante ans ; aujourd’hui, elle dépasse largement soixante-dix ans.

Balaji Srinivasan

Comme l’a souligné l’historien John McNeill, l’essor de l’industrialisation a fait du vingtième siècle « une période de changements extraordinaires » dans l’histoire de l’humanité. « La population humaine est passée de 1,5 à 6 milliards d’habitants (elle est aujourd’hui de huit milliards, mais elle est prête à augmenter avant de décliner), l’économie mondiale a été multipliée par quinze, la consommation d’énergie a été multipliée par treize ou quatorze, l’utilisation de l’eau douce a été multipliée par neuf et les zones irriguées par cinq ». Le sens de l’ironie historique de McNeill et de son collègue Peter Engelke est palpable, par exemple, lorsqu’ils commentent : « […] après 1945, la démographie humaine est entrée dans la période la plus particulière de son histoire bicentenaire. En l’espace d’une vie humaine, de 1945 à 2015, la population humaine mondiale a triplé, passant d’environ 2,3 milliards à 7,2 milliards. Cet étrange intermède, avec une croissance démographique soutenue de plus de 1 % par an, est bien sûr ce que presque tout le monde sur Terre considère aujourd’hui comme normal. C’est tout sauf normal ». La technologie et la disponibilité d’une énergie abondante et bon marché ont été la clef de ce « succès ». Mais cela signifie aussi que l’homme est devenu une « force planétaire » —« les niveaux de dioxyde de carbone augmentent plus rapidement que jamais dans l’histoire de la Terre » ; « les changements dans le cycle de l’azote de la Terre (par le biais du processus Haber-Bosch pour la production d’engrais artificiels qui nous maintiennent en vie) pourraient être les plus importants depuis deux milliards d’années » ; et « l’ampleur du transfert transcontinental et transocéanique d’espèces est un phénomène sans précédent dans l’histoire de la Terre ».

Les humains sont devenus une force géologique qui a un impact négatif — bien qu’inégal — sur l’ensemble de la planète : sa surface terrestre, ses mers, son atmosphère et la vie qui s’y trouve.

Dipesh Chakrabarty

De toute part, nous entendons des mises en garde contre la crise du changement climatique ou du réchauffement de la planète. Vous vous souvenez peut-être qu’en juillet dernier, alors que l’Europe du Sud et d’autres régions du monde connaissaient des vagues de chaleur intenses et insupportables, le Secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, a parlé non plus de « réchauffement climatique », mais d’« ébullition mondiale ». Le mois le plus chaud de la planète a été enregistré en juillet dernier. Il y a quelques jours à peine, vers la fin du mois d’octobre, la BBC commentait la vitesse à laquelle le changement climatique induit par l’homme s’accélérait. Des recherches récentes publiées dans Nature Climate Change suggèrent que si l’homme veut éviter le scénario d’une augmentation moyenne de la température mondiale de plus de 1,5 °C par rapport à la moyenne avant l’industrialisation, les émissions mondiales de dioxyde de carbone devront atteindre un niveau net de zéro d’ici 2034, et non 2050 comme c’est actuellement le cas. Le 2 novembre 2023, The Guardian a publié une étude réalisée par le célèbre climatologue James Hansen, qui confirme cette conclusion et prédit que d’ici 2050, la planète sera en moyenne 2 °C plus chaude qu’à l’époque préindustrielle. Si cela se produit, le GIEC et les Nations unies auront franchi le Rubicon. Le Guardian cite le professeur Hansen : « Nous sommes dans la phase initiale d’une urgence climatique. Une telle accélération [du réchauffement] est dangereuse dans un système climatique qui est déjà loin d’être équilibré. Il est essentiel d’inverser la tendance —nous devons refroidir la planète— afin de préserver les littoraux et de sauver les villes côtières du monde entier ». 

Le chiffre de 1,5 °C (convenu à Paris en 2015) est considéré comme particulièrement important pour les pays en développement et les petites nations insulaires, qui craignent qu’au-delà de ce niveau de réchauffement, les océans ne montent et n’engloutissent leurs maisons. Cela ne fait pas que renforcer le discours sur la justice climatique — l’argument selon lequel le réchauffement climatique est la conséquence d’un développement capitaliste inégal — et influencé par le genre et l’origine — qui refuse désormais aux nations les moins développées l’« espace carbone » dont elles pourraient avoir besoin pour développer leurs économies — cela conduit également à parler d’une « urgence climatique ». 

Une crise existentielle imminente pour l’humanité fait de la planète un sujet de préoccupation. 

Dipesh Chakrabarty

Nous avons peut-être déjà provoqué le début d’une sixième grande extinction de la vie. Continuer à agir comme si l’homme était encore une force trop petite pour affecter la planète, considérer les montagnes et les rivières comme acquises, pourrait en effet revenir à couper la branche d’un arbre sur lequel nous sommes assis. Pour l’instant, la planète est engagée sur la voie d’un réchauffement pratiquement irréversible. Ce réchauffement affecte le système même de survie de la planète, mettant en péril nos propres vies. Une planète plus chaude sera inhospitalière et rendra de nombreux endroits du monde inhabitables. Ce message est aujourd’hui répété à de nombreuses reprises. J’ai récemment reçu l’annonce d’une conférence prévue l’année prochaine en Allemagne. Voici comment elle décrit la condition humaine aujourd’hui : « La rapidité et l’intensité avec lesquelles l’humanité modifie les fondements mêmes sur lesquels reposent notre existence et notre bien-être sur cette planète commencent à atteindre une ampleur qui menace de mettre en péril l’avenir de l’humanité sur Terre. » Une crise existentielle imminente pour l’humanité fait de la planète un sujet de préoccupation.

Balaji Srinivasan. «  Les montagnes de l’Himalaya sont géopolitiquement divisées. Mais elles constituent aussi un bien commun. Comment réunir — d’abord par nos concepts, puis dans l’action — leur géopolitique et leur écologie, voire leur géologie  ?  » Dipesh Chakrabarty

Les guerres

À la lumière de ce qui précède, il me semble que la leçon qu’il est crucial de tirer, mais qui paraît très difficile à retenir en termes pratiques, est la suivante : les aspects du monde que nous prenons pour acquis comme constituant simplement un arrière-plan muet des affaires humaines — les glaciers, les pluies, les saisons, la mer, les côtes, les montagnes, les continents — ne peuvent plus être traités de la sorte, précisément à cause du changement climatique anthropogénique. Pourtant, c’est l’hypothèse inverse qui semble régner sur nos actions. Qu’il s’agisse de la récente pandémie ou des guerres, nous agissons toujours sur la base de l’hypothèse d’un monde stable que nous pouvons toujours retrouver après une période de mauvais comportement désastreux de la part de l’homme. Quel meilleur exemple puis-je donner de cette ironie que les deux guerres contemporaines sous l’ombre douloureuse desquelles nous nous rencontrons ?

Je mentionne les guerres non seulement en raison de l’ironie qui veut que les humains se battent souvent pour ce qu’ils partagent en réalité, mais aussi parce que les guerres nous permettent de voir une capacité profonde et probablement innée ou évoluée qu’ont les humains de mettre de côté, de mettre entre parenthèses ou de suspendre — pour le moment — la question de ce qu’ils peuvent partager avec les personnes avec lesquelles ils sont entrés en guerre. Cette hypothèse de longue date était probablement vraie et justifiée à une époque, mais elle ne l’est plus aujourd’hui. Les dommages que les guerres modernes causent à notre environnement sont de plus en plus irréversibles. Les guerres modernes sont mauvaises pour l’environnement, en particulier pour le problème du réchauffement climatique, car elles sont basées sur une puissance de feu massive, comme nous le voyons tous les jours. L’expression même de « puissance de feu » est révélatrice : il y a les tirs de missiles et d’obus, mais les incendies font également partie des ravages et des destructions causés par les guerres. Mais nous ne pensons généralement pas aux effets des guerres sur les formes de vie non humaines, et encore moins aux gaz à effet de serre qu’elles rejettent dans l’atmosphère. David Henig, chercheur à l’université d’Utrecht qui travaille sur les déchets de la guerre moderne en Bosnie-Herzégovine et dans d’autres endroits, explique comment « l’érosion des sols combinée aux inondations [causées par le climat] déloge de plus en plus les mines terrestres et crée de nouveaux espaces mortels [de guerre] en « temps de paix » » — des développements dont, dit-il, « nous ne comprenons pas bien l’origine ».

Les humains se battent souvent pour ce qu’ils partagent.

Dipesh Chakrabarty

La mise entre parenthèses de la question de savoir ce que les ennemis jurés peuvent partager à long terme est rendue possible par le sentiment d’urgence particulier qui pousse les groupes de combat à se mobiliser pour la guerre. Un sentiment d’urgence qui s’exprime par diverses oppositions totalisantes : nous contre eux ; nous ne sommes pas responsables, eux le sont ; le bien contre le mal ; le juste contre l’injuste — autant de figures familières du Moi et de l’Autre. Un sentiment correspondant de totalité naît d’une crise qui semble non seulement existentielle — on parle comme si l’existence entière était en jeu — mais aussi morale. Une telle totalisation nécessite inévitablement la mobilisation de l’affect. C’est pourquoi des courants sous-jacents de haine, souvent explicites, font avancer les guerres. L’axe affectif de ce sentiment d’urgence — le sentiment que je ne survivrais pas si je ne tuais pas mon ennemi — est constitué autour des questions de différence. Une différence qui se prête à la moralisation, autour de laquelle une frontière morale peut être créée. Un discours qui se transforme rapidement en discours sur le mal. 

Je ne minimise pas l’importance de ces émotions en temps de guerre. La question que je pose est la suivante : qu’est-ce que les guerres modernes supposent sur la nature du monde physique dans lequel nous vivons, et ces suppositions sont-elles toujours valables ? On pourrait se référer à l’essai classique du philosophe Emmanuel Kant de 1795 intitulé Vers la paix perpétuelle, dans lequel il met en évidence les postulats de la guerre qui étaient également ceux qui sous-tendaient les trêves temporaires de son époque. Certains de ces postulats semblent encore opérer dans les guerres que nous connaissons aujourd’hui. Il s’agit d’hypothèses sur la nature du monde, sur ce que Kant appelle la « Nature ». Il est clair que la « Nature » de Kant n’est pas la même catégorie que notre « environnement » ou notre « système terrestre », mais elle appartient à la généalogie de ces idées ultérieures. Kant a montré que les trêves et les guerres étaient fondées sur l’idée implicite ou explicite que la « Nature » était constante et invariable dans sa relation avec les êtres humains, quoi qu’ils fassent. La guerre, pensait Kant — et on ne peut le blâmer, compte tenu de l’histoire guerrière des Européens de son époque —, « était ancrée dans la nature humaine et même valorisée ». Ce qui a rendu possibles la guerre et la trêve, c’est, selon Kant, le fait que la nature, c’est-à-dire la nature extérieure, a réparti les hommes dans le monde entier et qu’elle a veillé à ce que les hommes puissent survivre, même sur les terrains les plus accidentés. La nature a veillé à ce que le monde entier reste, malgré les actions humaines, habitable. Une planète entièrement habitable, sous-entend Kant, est donc l’un des postulats de la guerre.

Qu’est-ce que les guerres modernes supposent sur la nature du monde physique dans lequel nous vivons, et ces suppositions sont-elles toujours valables ?

Dipesh Chakrabarty

Prenons le temps de lire ce que Kant a écrit. « Voici ses dispositions provisoires : 1°) Elle a mis les hommes en état de vivre dans toutes les contrées de la terre ; — 2°) elle les a dispersés au moyen de la guerre dans toutes les régions, même les plus inhospitalières, afin de les peupler ; — 3°) elle les contraint par le même moyen à contracter des relations plus ou moins légales. ». Mais même dans ces régions inhospitalières, la nature a veillé à ce que les hommes ne manquent pas d’abris, de vêtements et de nourriture. « Que dans les froides plaines qui bordent la mer Glaciale croisse partout la mousse, que déterre sous la neige le renne, qui lui-même sert, soit à nourrir, soit à traîner l’Ostiaque ou le Samoyède ; ou bien que les sables et le sel du désert soient rendus praticables par le moyen du chameau, qui semble avoir été créé tout exprès pour qu’on puisse les traverser, cela est déjà étonnant » écrit Kant. Plus loin, il écrit : « Le but se montre plus clairement encore dans le soin qu’a pris la nature de placer, au rivage de la mer Glaciale, outre les animaux couverts de fourrure, des phoques, des vaches marines et des baleines, dont la chair et la graisse fournissent de la nourriture et du feu aux habitants. Mais ce qu’il y a de plus merveilleux, c’est la précaution qu’elle a de fournir (sans qu’on sache trop comment), à ces contrées dépourvues de végétation le bois sans lequel il n’y aurait ni canots, ni armes, ni cabanes pour les habitants, lesquels sont d’ailleurs assez occupés à se défendre contre les animaux pour vivre paisiblement entre eux. — Mais il est probable que la guerre seule les a poussés dans ces climats. » (traduction de Jules Barni, 1853).

Bien que le récit exact de Kant sur la guerre et la paix n’ait pas été retenu et que sa distinction entre les aspects animaux et moraux de l’être humain ne résiste pas à un examen critique, l’idée qu’une nature stable, plus puissante que l’être humain et à peu près invariante par rapport à lui, reste à l’arrière-plan de l’action humaine, fournissant une scène sur laquelle l’être humain agit, semble toujours être une hypothèse active dans les guerres. L’idée que nous pouvons toujours récupérer nos « mondes » à partir de la destruction et des dommages que nous causons à la terre telle qu’elle nous est donnée.

La deuxième hypothèse de Kant, comme nous l’avons vu, était que, quelles que soient les actions des humains, la planète resterait toujours habitable pour eux. 

Consciemment ou non, les guerres d’aujourd’hui ne peuvent qu’accélérer le changement climatique.

Dipesh Chakrabarty

Les faits scientifiques et les récits du changement climatique anthropique ont rendu ces deux hypothèses discutables. Comme la pandémie nous l’a appris, nous ne revenons pas au même monde qu’avant la pandémie ; au contraire, la déforestation et d’autres problèmes environnementaux nous ont fait entrer dans un monde différent, un monde pris, comme le disent les spécialistes des maladies infectieuses, dans une ère de pandémies. De même, si la planète est sur une trajectoire de réchauffement actuellement irréversible, nous ne contribuons à ce processus que par les émissions de gaz à effet de serre que les guerres entraînent. Ce réchauffement, comme je l’ai déjà mentionné, rend la planète inhospitalière, certains endroits devenant même inhabitables au fil du temps. Ce phénomène contribue déjà à l’apparition de crises alimentaires, de migrations et de conflits. Consciemment ou non, les guerres d’aujourd’hui ne peuvent qu’accélérer ce processus.

Kant avait une troisième hypothèse, quasi religieuse : si la nature avait ses propres fins, elle était destinée à servir l’homme. Il n’est pas nécessaire de s’attarder sur cette hypothèse, car elle est devenue totalement insoutenable. Les climatologues ont démontré que ce n’est pas grâce à nous que l’air est oxygéné ou que les rivières coulent. Nous sommes simplement les bénéficiaires de ces processus bio-géologiques.

Des mondes divisés sur une planète partagée

La lenteur de la réponse humaine à la crise climatique contraste avec la rapidité avec laquelle les sociétés se mobilisent pour les guerres. Je n’ai ni la place ni le temps d’en discuter les raisons. Mais il est clair que, même si les scientifiques ou le Secrétaire général des Nations unies parlent d’« urgence climatique » ou d’« ébullition mondiale », pour la plupart de nos dirigeants, le changement climatique planétaire semble être un problème d’une nature très différente de celle des guerres. Ce n’est pas un problème qui galvanise l’affectivité et l’action humaines de la même manière qu’une guerre ou que nos divisions. Malgré toute l’unité attribuée au système terrestre par les scientifiques, les humains vivent le changement climatique comme un phénomène épisodique, non pas comme autant de batailles individuelles dans un récit totalisant d’une guerre, mais comme autant d’épisodes liés mais localisés, faisant passer différents groupes d’humains d’un « événement météorologique extrême » à l’autre. Les épisodes individuels d’une guerre se fondent dans un récit totalisant. Il se passe quelque chose de similaire pour les climatologues lorsqu’ils relient les points de leurs graphiques et voient les différents événements climatiques extrêmes dans le monde non pas comme des cas distincts et isolés de réchauffement, mais comme appartenant à et exprimant le récit plus large et unique du réchauffement qui se produit sur la planète dans son ensemble. Mais la planète « entière », une abstraction scientifique, existe en tant que site politique pour l’humanité. Il est vrai que la planète est devenue un sujet de préoccupation commun, mais il n’y a pas d’humanité planétaire pour y répondre en tant qu’Un. Et il se peut qu’il n’y en ait pas.

La lenteur de la réponse humaine à la crise climatique contraste avec la rapidité avec laquelle les sociétés se mobilisent pour les guerres.

Dipesh Chakrabarty

Si l’on part du principe que les guerres ne cesseront pas, même si elles sont fondées sur des hypothèses concernant la planète qui ne tiennent plus à l’ère du changement climatique anthropique, et si l’on part également du principe que les guerres modernes ne peuvent pas, par définition, être bénéfiques pour une planète de plus en plus chaude et inhospitalière, comment pouvons-nous mettre en commun nos préoccupations communes concernant la planète pour faire face aux guerres, qui sont un exemple extrême de division humaine ? Pour conclure, je propose d’esquisser une possible politique de partage qui, à l’avenir, pourrait même faire partie des conflits humains. Je prendrai l’exemple des glaciers de l’Himalaya qui jouent un rôle à la fois planétaire et local. Je me tourne vers l’Himalaya en particulier parce que je connais relativement mieux son histoire, parce que je suis né et que j’ai passé les vingt-sept premières années de ma vie dans le sous-continent indien. Mais mon but n’est pas de blâmer un groupe d’humains. En théorie, j’aurais pu, comme je l’ai dit, travailler avec un autre exemple, la forêt amazonienne, par exemple, qui est considérée comme un patrimoine mondial. Cette forêt s’étend sur le Brésil et sept autres pays. Elle est à la fois un bien commun et un élément de la « propriété » de différentes nations. L’Himalaya soulève une question similaire. Les montagnes sont géopolitiquement divisées. Mais elles constituent aussi un bien commun. Comment réunir — d’abord par nos concepts, puis dans l’action — leur géopolitique et leur écologie, voire leur géologie ? Je ne fais ici qu’un premier pas, en esquissant le problème sur le plan conceptuel.

Balaji Srinivasan

Lorsque j’avais une douzaine d’années, l’Inde et la Chine se sont fait la guerre dans l’Himalaya, une guerre dont les conséquences ont eu une influence profondément formatrice sur ma génération. À l’époque, alors que la géopolitique de la guerre suscitait un vif intérêt dans tous les foyers — nous, les enfants, étions avidement suspendus à chaque mot d’analyse prononcé par nos aînés — on ne parlait pas, comme Wittgenstein l’aurait peut-être prévu, de la jeunesse ou de l’âge de l’Himalaya. Notre sens sacré de la géographie nationale était informé par la présence de l’Himalaya au nord et de l’océan Indien au sud, une présence qui, à toutes fins utiles, semblait éternelle. Aujourd’hui, grâce à la construction de barrages et d’infrastructures, à la croissance démographique et urbaine, à la déforestation, tant civile que militaire, entreprises par l’Inde, la Chine et, de manière relativement mineure, par le Pakistan, l’Himalaya est l’une des chaînes de montagnes les plus affectées par l’homme dans le monde.

Les montagnes de l’Himalaya sont géopolitiquement divisées. Mais elles constituent aussi un bien commun. Comment réunir — d’abord par nos concepts, puis dans l’action — leur géopolitique et leur écologie, voire leur géologie ?

Dipesh Chakrabarty

C’est un site où la géopolitique et l’écologie ne peuvent plus être séparées. Ce sujet a fait l’objet de nombreuses études. L’universitaire australien Alexander E. Davis a récemment publié un livre sur le sujet. Je me contenterai de m’inspirer de certaines de ses observations pour terminer par quelques propositions. L’une des premières choses que Davis mentionne est l’âge de cette chaîne de montagnes. L’Himalaya, nous rappelle-t-il, est « géologiquement et géopolitiquement actif ». Le fait d’être géologiquement actif a quelque chose à voir avec l’âge de la chaîne. Les montagnes de l’Himalaya sont jeunes. Pourquoi un politologue mentionnerait-il ce fait géologique ? Pourquoi, contrairement à la question de Wittgenstein, même les spécialistes des sciences sociales devraient-ils s’intéresser à l’âge de l’Himalaya ? Parce qu’il s’avère que le développement des infrastructures, des villes, d’une préparation à la guerre de plus en plus grande indiquée par les installations militaires, ne peut qu’affecter l’écologie des montagnes. Le dynamitage des montagnes peut entraîner des glissements de terrain en cas de pluies extrêmes ou de tempête. Cela s’est produit à plusieurs reprises au cours des deux dernières décennies. En outre, compte tenu de ses glaciers et de sa biodiversité, l’Himalaya joue un rôle crucial dans le maintien du climat mondial. Nous changeons le rôle planétaire de l’Himalaya alors que les nations s’apprêtent à s’affronter sur ces montagnes. Je cite à nouveau Davis :

« L’Himalaya, cependant, est littéralement l’Asie qui s’élève. Il s’élève chaque année d’environ dix centimètres, lorsque la plaque continentale indienne s’écrase sur la plaque eurasienne, comme c’est le cas depuis cinquante millions d’années. Il est donc encore plus difficile de mesurer la hauteur des montagnes qui constituent d’importantes frontières politiques. Sur les dix centimètres, il en perd cinq par érosion, les roches s’entrechoquant. Elle est géologiquement et géopolitiquement active ».

Davis souligne en outre que « […] environ 240 millions de personnes [aux cultures et aux langues diverses] vivent dans la région ». Mais ces personnes « sont déplacées pour des projets d’infrastructure croissants, des routes, des chemins de fer et des aéroports, dont beaucoup sont construits à des fins militaires ». La construction de barrages et les déplacements de communautés qu’elle entraîne parfois constituent une préoccupation majeure. Davis écrit : « Une fois que l’érosion des connaissances indigènes dans la région est ajoutée à ce mélange de changement climatique mondial et de conflit d’État à État, l’état constant de « conflits gelés » est plus que suffisant pour faciliter une fin catastrophique, sans qu’il soit nécessaire que les tensions frontalières dégénèrent en guerre pure et simple. » 

L’Himalaya joue un rôle crucial dans le maintien du climat mondial. Nous changeons le rôle planétaire de l’Himalaya alors que les nations s’apprêtent à s’affronter sur ces montagnes.

Dipesh Chakrabarty

Plus important encore, ces montagnes se situent « à l’intersection de trois points chauds de la biodiversité » et « constituent les sources » de nombreux grands fleuves asiatiques qui, ensemble, desservent un certain nombre de nations entre le Pakistan et le Viêt Nam. Ces fleuves sont le Gange, l’Indus, le Brahmapoutre, l’Irrawady, la Salween, le Mékong, le Yangtze, le fleuve Jaune, sans parler de certains fleuves mineurs qui proviennent également de l’Himalaya. Ils abritent environ 47 % de la population mondiale. Beaucoup de ces fleuves sont alimentés par des glaciers. Un autre groupe de chercheurs souligne que l’Himalaya représente « à la fois la connexion et la collision de deux processus emblématiques du début du 21e siècle. Le premier est l’intérêt croissant pour le développement de l’hydroélectricité. Bien que les chiffres divergent, près de 200 nouveaux barrages sont prévus dans l’Himalaya pour produire de l’électricité…. La seconde est la reconnaissance du changement climatique et le débat à ce sujet. Bien que les données soient limitées et contestées, il existe un consensus scientifique important sur le fait que l’Himalaya est particulièrement vulnérable aux effets du changement climatique mondial ».

Voici donc un cas de fragmentation géopolitique intense sur un sujet que l’Inde, la Chine, le Pakistan et bien d’autres nations partagent également comme leur bien commun écologique. Mais les rivières et les glaciers qui desservent huit ou neuf pays sont traités comme des propriétés nationales par des nations qui voient leurs frontières contestées et militarisées passer par les montagnes. S’il existe des traités bilatéraux sur l’eau entre certains pays, aucun traité multilatéral ne régit la santé des glaciers, qui sont essentiels à la fois pour le climat mondial et pour l’approvisionnement en eau de tous les pays qu’ils desservent. Il serait naïf d’imaginer que les conflits entre États-nations qui marquent les montagnes disparaîtront bientôt. Mais le recul des glaciers et l’impact qu’il a sur la santé des rivières sont de véritables sources d’inquiétude. 

Balaji Srinivasan

Comment, alors, faire converger nos préoccupations communes sur l’état de la planète — l’urgence climatique — et les intérêts géopolitiques qui peuvent nous diviser  ? Partant du constat que la guerre moderne est mauvaise pour l’environnement et que plus la puissance de feu d’une armée est grande, plus son impact et sa responsabilité le sont peut-être aussi, voici quelques réflexions sur les actions possibles. Mais il s’agit de réflexions sur les principes. Je les illustre spécifiquement en ce qui concerne l’Himalaya — ces principes en question peuvent être appliqués ailleurs.  

Tout d’abord, il me semble qu’il devrait y avoir une autorité régionale et multilatérale à laquelle adhéreraient toutes les nations desservies par les rivières et les glaciers de l’Himalaya. Cet organisme régional et multilatéral pourrait être chargé de veiller à ce que les glaciers et les rivières restent aussi protégés que possible, même au milieu des conflits géopolitiques et des initiatives de développement qui affectent l’Himalaya. Le point le plus important est, bien sûr, que cela ne peut se produire sans que les États-nations ne cèdent —ou ne partagent— une partie de leur autorité et de leur souveraineté à un tel organisme multilatéral et régional. Comme l’ont montré la politique et l’expérience de la pandémie, plus nous devenons mobiles et enchevêtrés à l’échelle mondiale, plus les questions de gouvernance mondiale —au moins sur certaines questions environnementales critiques— prennent de l’importance. Je ne nie ni la réalité ni la nécessité des États-nations, mais leurs limites dans certains domaines deviennent de plus en plus difficiles à ignorer dans un monde connecté à l’échelle planétaire. Si le changement climatique finit par faire de millions d’êtres humains des réfugiés à l’intérieur et à l’extérieur de leur pays, nous devrons tous apprendre à partager les biens communs avec des personnes d’autres religions, d’autres langues, d’autres cultures, d’autres habitudes alimentaires, etc. 

Si le changement climatique finit par faire de millions d’êtres humains des réfugiés à l’intérieur et à l’extérieur de leur pays, nous devrons tous apprendre à partager les biens communs avec des personnes d’autres religions, d’autres langues, d’autres cultures, d’autres habitudes alimentaires, etc. 

Dipesh Chakrabarty

Simultanément, je voudrais suggérer que le travail peut se poursuivre sur une autre voie. De la même manière que nous disposons aujourd’hui d’un droit de la guerre qui oblige les belligérants à protéger les civils innocents, et en particulier les enfants, des dommages collatéraux d’une guerre, nous pourrions imaginer une exigence similaire qui ferait de la protection des écologies planétaires et locales une partie du droit de la guerre. Les guerres modernes et le changement climatique ont une relation à double sens : les guerres contribuent au réchauffement de la planète, et le réchauffement à son tour étend et redistribue les impacts négatifs des guerres. Notre connaissance commune de la géobiologie de l’Himalaya, pour revenir à mon exemple, devrait peut-être informer les stratégies géopolitiques des États-nations. Alexander Davis, le spécialiste des relations internationales que j’ai cité précédemment, est éloquent à ce sujet : « Cette période [l’Anthropocène] est marquée par la montée des eaux, la fonte des calottes glaciaires, des extinctions massives et une perte massive de biodiversité à l’échelle mondiale. Si le comportement humain façonne la planète d’un point de vue géologique, il devrait s’ensuivre que la planète est un élément constitutif clé de notre politique. Les tensions géopolitiques dans l’Himalaya ne peuvent être pensées en dehors de leur contexte écologique ». 

Bien sûr, cela ne se fera pas en un jour. Mais, comme je l’ai dit, faire des guerres qui ne font qu’exacerber le réchauffement de la planète et aggraver ses problèmes écologiques, c’est comme couper la branche d’un arbre sur lequel on est assis.  Les guerres modernes, même si elles sont inévitables, contribuent à la destruction du système de survie de la planète, principalement en raison de leur immense pouvoir de destruction des vies humaines et non humaines, des paysages et des biens. 

La fragmentation est peut-être une chose à laquelle les humains ne peuvent échapper complètement, car elle est profondément liée à notre sens très développé de l’équité et de la justice (bien que nous soyons très mauvais pour les mettre en œuvre), mais la crise environnementale planétaire nous appelle à essayer d’empêcher d’autres dommages écologiques sur cette belle planète que nous partageons non seulement avec les humains et les non-humains, mais qui est aussi la condition de notre existence. Nous ne pouvons plus partir du principe — comme semblent encore le faire les nations combattantes — que si nous mettons le monde entre parenthèses pendant que nous combattons nos ennemis « mortels », nous le récupérerons entièrement une fois la paix rétablie. Malheureusement, à notre époque, à la fin de chaque guerre, nous ne récupérons qu’une planète plus pauvre, écologiquement parlant, pour la violente capacité humaine de destruction que la guerre a déclenchée. L’intérêt de Kant pour la compréhension des conditions nécessaires à une paix perpétuelle est toujours d’actualité. Ses réponses ne nous satisfont peut-être pas aujourd’hui, mais sa question — et sa quête — demeurent.

Sources
  1. Ce texte inédit de Dipesh Chakrabarty a été prononcé à l’invitation du Grand Continent lors de la 42e Conférence générale de l’UNESCO qui s’est tenue à Paris le 9 novembre dernier, et dont la revue est partenaire.
Crédits
Ce texte inédit de Dipesh Chakrabarty a été prononcé lors du Segment de haut niveau de la 42e Conférence générale de l’UNESCO qui s’est tenue à Paris le 9 novembre dernier, en partenariat avec Le Grand Continent et le Courrier de l’UNESCO.