En milieu de matinée, ce vendredi 13 octobre — soit trois jours avant le troisième anniversaire de l’assassinat de Samuel Paty, le 16 octobre 2020 — un individu muni d’une arme blanche est entré dans un lycée à Arras (Pas-de-Calais).

  • Dans une vidéo partagée sur les réseaux sociaux, on voit le jeune homme en pantalon noir et blouson gris menacer un homme à proximité du bâtiment du lycée, une arme blanche à la main. Une autre vidéo le montre en train de se battre avec plusieurs adultes dans la cour de l’établissement. 
  • Une autre troisième vidéo largement relayée, filmée depuis les fenêtres du lycée Gambetta par des élèves choqués, montre l’assaillant attaquer des individus dans la cour de l’établissement. Ses victimes tentent de le repousser en utilisant une chaise. L’une d’entre elles tombe au sol, apparemment identifiée par un élève dans la vidéo comme le proviseur adjoint. L’agresseur, sans détourner son attention, la frappe à plusieurs reprises, puis se dirige vers une autre personne. 
  • Selon plusieurs sources relayées par BFMTV, il aurait crié « Allah Akbar ». 

D’après une source policière, l’homme interpellé s’appelle Mohammed Mogouchkov.

  • Il serait né en Russie, plus précisément dans l’Ingouchie, une république de la fédération de Russie d’une superficie de 3 628 km2 située sur les pentes nord du Caucase, enclavée par la Tchétchénie au nord-est, l’Ossétie du Nord-Alanie au nord, à l’ouest et au sud-ouest et la Géorgie au sud. Il détiendrait un passeport russe. 
  • Arrivé en France à l’âge de 5 ans, selon des informations recueillies par Le Point, il s’agirait d’un ancien élève de l’établissement Gambetta, où s’est déroulée l’attaque. 
  • Selon son profil Facebook, il serait marié depuis 2021. 
  • Depuis cette rentrée il aurait été inscrit à l’université d’Artois dans l’UFR de Langues Étrangères Appliquées proposant quatre spécialités Anglais/Allemand, Anglais/Espagnol, Anglais/Chinois et Anglais/Arabe. 

Fiché S, son profil pourrait correspondre au scénario le plus compliqué à prendre en charge par les services de renseignement : un individu radicalisé au potentiel connu, surveillé de près, ne donnant pas de signes avant-coureur d’une soudaine décision de passer à l’acte.

  • Mohammed Mogouchkov était sous une surveillance active de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI). Fiché S, selon une source proche du renseignement, il avait été contrôlé la veille de l’attentat, jeudi 12 octobre « sans qu’aucune infraction ne puisse lui être reprochée ».
  • Selon la même source dont les propos ont été recueillis par l’AFP : « Il était sous écoute et faisait l’objet de surveillances physiques », « depuis cet été ». « Ses conversations téléphoniques n’avaient pas mis en évidence, ces derniers jours, d’éléments permettant d’annoncer un passage à l’acte ».

Son profil présente plusieurs points de similitude apparents avec celui de l’assassin de Samuel Paty1. Une analyse plus approfondie, avec les éléments dont on dispose, montre en réalité des points de différence importants :

  • Le terroriste islamiste, Abdoullakh Anzorov, était un individu de 18 ans né à Moscou, d’ethnie tchétchène et de nationalité russe. Il avait obtenu le statut de réfugié en tant que mineur, grâce à ses parents.
  • S’il n’était pas connu des services de renseignement, il avait des antécédents criminels auprès des services de police, notamment pour des actes de vandalisme sur des biens publics et des violences en groupe.
  • Contrairement à Mohammed Mogouchkov, il n’avait aucun lien direct avec le Collège du Bois-d’Aulne où enseignait Samuel Paty — il habitait à plus de 80 km de Conflans-Sainte-Honorine.
  • Expression de ce que Gilles Kepel a appelé dans nos pages « le djihadisme d’atmosphère », il s’agissait d’une radicalisation non linéaire, produite en partie par la circulation de messages islamiste de haine sur les réseaux sociaux qui rencontrent une volonté d’un individu « qui a des antécédents dans le banditisme… de venger le prophète ». Ainsi, si l’enquête avait révélé l’intense activité sur les réseaux sociaux en amont de l’attaque de l’assassin de Samuel Paty, le compte Facebook de Mohammed Mogouchkov — le seul connu à ce stade — n’est pas alimenté.
  • Enfin — et c’est un point qui aura une importance clef dans la suite de la séquence — contrairement à Abdoullakh Anzorov, le terroriste islamiste responsable de l’assassinat de Samuel Paty, n’a pas été abattu par la police quelques minutes après l’attaque. 
  • Une explication potentielle nous est suggérée par une source proche du dossier. La décapitation à l’arme blanche étant un geste demandant un entraînement particulier, la dangerosité de l’assassin de Samuel Paty a pu être considérée comme supérieure à celle de Mohammed Mogouchkov.

L’un des frères de Mohammed Mogouchkov, un individu de 17 ans, a été arrêté près d’une autre école, sans être en possession d’une arme. 

  • Depuis, « plusieurs membres de la famille ont été appréhendés pour les besoins de l’enquête ».
  • Selon plusieurs sources de la presse française, le père du suspect aurait été expulsé de France en 2010 après avoir vu son statut de réfugié refusé. 
  • Sa mère n’aurait pas non plus obtenu le statut de réfugié, mais elle semblerait toujours demeurer en France. 
  • D’après une source proche de l’enquête, un deuxième frère de 22 ans, nommé Movsar, est actuellement détenu à la prison de la Santé pour son implication présumée dans une association de malfaiteurs terroristes. Il a été détenu dans le Quartier d’évaluation de la radicalisation de Vendin-le-Vieil. Au printemps 2019, il aurait été impliqué dans un projet d’attaque contre l’Élysée et les policiers chargés de la sécurité présidentielle, mais cette tentative aurait été déjouée. Il possède un historique pénitentiaire significatif, ayant été détenu dans un établissement pour mineurs et plusieurs prisons de la région.

Politisation de l’attaque. 

  • Plusieurs personnalités politiques dont l’ancien candidat à la présidentielle Eric Zemmour se sont saisies de l’évènement et ont notamment relayé une information selon laquelle la famille de Mohammed Mogouchkov avait été soumise à un ordre d’expulsion du territoire en 2014 et placé en rétention administrative, rétention par la suite annulée du fait de la mobilisation de responsables associatifs. 
  • Un communiqué du 19 février 2014 attribué au PCF de Rennes, dénonçant la tentative d’expulsion ordonnée par la préfecture d’Ille-et-Vilaine d’une « famille Mogouchkov », « avec cinq enfants », a été publié sur les réseaux sociaux et circule abondamment dans les réseaux d’extrême droite.
  • Le président du Rassemblement national, Jordan Bardella, a appelé à la démission du ministre de l’Intérieur dénonçant des « failles dans toute la chaîne de responsabilités ». Il s’est par ailleurs prononcé en faveur  de l’expulsion du territoire des individus étranger fichés pour radicalisation, afin de « protéger préventivement le peuple français ».
  • Le président Les Républicains de la région Auvergne-Rhône-Alpes Laurent Wauquiez a publié un message centré sur l’idée de combat contre un ennemi intérieur : « Il est temps d’ouvrir les yeux sur cette cinquième colonne du terrorisme islamiste qui nous attaque de l’intérieur. Et le moment est venu de demander aussi des comptes à ses amis de l’extrême-gauche qui en sont la vitrine légale ». Cette déclaration fait écho à celle d’Henry Kissinger à Axel Springer : « C’était une grave erreur de laisser entrer autant de gens de culture, de religion et de concepts totalement différents, car cela crée un groupe de pression à l’intérieur de chaque pays qui a fait la même chose. »
  • Si cette attaque terroriste paraît s’inscrire explicitement dans l’anniversaire de l’assassinat de Samuel Paty, il faut noter que Khaled Meshaal, ancien leader du Hamas basé à Doha, a appelé à des manifestations dans le monde arabe en signe de soutien aux Palestiniens pour la « journée du déluge d’Al Aqsa » ce vendredi.

Suite aux faits et à l’interpellation de  Mohammed Mogouchkov, le parquet national antiterroriste a ouvert une enquête des chefs « d’assassinat en relation avec une entreprise terroriste », de « tentative d’assassinat en relation avec une entreprise terroriste » et « association de malfaiteurs terroriste en vue de préparer des crimes d’atteinte aux personnes ».

Sources
  1. Au cours des quatre dernières décennies, une dizaine de professeurs en France ont perdu la vie dans l’exercice de leurs fonctions. Le cas le plus récent était celui d’Agnès Lassale, professeure d’espagnol âgée de 52 ans, poignardée à mort pendant un cours par un lycéen de 16 ans, décrit comme ayant des problèmes psychologiques, à Saint-Jean-de-Luz.