Ce qui se passe en Israël est inédit. Comment nommer cette séquence ?
La possibilité même de trouver un nom à un événement pareil est centrale. On a du mal à le nommer parce qu’il s’agit d’un mélange étrange de massacre, d’attentat terroriste et d’opération militaire. Un attentat terroriste est en général assez ponctuel, circonscrit. Il peut s’agir d’un bus, d’un café, d’un lieu de culte, d’une école… La cible est identifiée, l’action est limitée dans le temps et dans l’espace. L’attentat est confiné et la terreur s’immisce dans son onde de choc. Or depuis le matin du 7 octobre, nous sommes en quelque sorte face à un attentat terroriste qui ne prend pas fin, qui a des réverbérations multiples, qui prolonge indéfiniment les atrocités.
Du côté du Hamas et du Djihad islamique, c’est une opération hybride : une opération militaire mais qui cible prioritairement les civils — donc une opération terroriste à grande échelle si l’on cherche à entrer dans les définitions conventionnelles de la guerre. Pour les Israéliens, cela a plusieurs conséquences et le traumatisme diffère d’emblée de celui la guerre de Yom Kippour à plusieurs niveaux. Un certain nombre d’éléments en font quelque chose d’unique. Pendant la guerre du Kippour, il y avait des renseignements mais ceux-ci avaient été mal interprétés parce qu’on pensait que l’Égypte et la Syrie étaient trop faibles. Et c’est sur cette mauvaise interprétation que la culpabilité de l’échec s’est par la suite établie. Cette fois-ci, en revanche, il n’y avait absolument rien. Aucun renseignement sur une opération de cette envergure, on a du mal à y croire. La surprise a été totale. Aucun renseignement et aucun barrage sécuritaire.
Quel est le sentiment qui prédomine aujourd’hui en Israël ?
Il faut commencer par rappeler qu’une opération d’une telle envergure, qui n’est pas le fait d’un d’un loup solitaire mais qui a été longuement, mûrement préparée, est le signe d’un échec assez spectaculaire. Le système de sécurité qui a coûté des milliards de dollars et qui est une sorte de frontière électronique souterraine ultra sophistiquée a été apparemment très facilement franchie par le Hamas avec des bulldozers et des voitures. Cela faisait une décennie au moins que les Palestiniens n’étaient plus tellement présents dans la conscience israélienne. Le sentiment qui prédomine n’est pas seulement celui de la vulnérabilité, c’est toute une conception de soi et de l’autre, toute une vision politique qui s’effondre : les Israéliens sont passés d’un seul coup d’un sentiment d’invulnérabilité — entre autres, grâce à cette frontière barrière — au sentiment que l’État n’était plus là, qu’ils étaient seuls, un sentiment de vulnérabilité absolue, non seulement face aux Palestiniens mais face à leur propre État. Il faut bien comprendre ce que cela représente.
L’armée israélienne elle-même, source de fierté nationale, a connu des défaillances non seulement en amont sur les questions du renseignement et de la sécurisation mais aussi des défaillances opérationnelles, au moment même où l’événement s’est produit. Les soldats ont mis plusieurs heures pour arriver sur les lieux, pour parcourir des distances qui bien souvent sont aussi longues que d’aller de Paris à Montreuil. Pourquoi une telle lenteur ? L’une des raisons avancées est que les trains ne fonctionnaient pas pour cause de Shabbat — c’était une concession faite aux religieux et qui a constitué samedi une limite opérationnelle très claire pour la sécurité d’Israël.
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Les soldats israéliens ont, encore ces heures-ci, des difficultés à récupérer les villages qui étaient assiégés. Même si l’armée commence à communiquer sur la reprise progressive du contrôle, cela se fait au prix de vies de soldats israéliens, et les infiltrés continuaient lundi matin de circuler librement et d’entrer sur le territoire israélien.
Iriez-vous jusqu’à dire que cette dimension innommable amplifie le choc lié à l’incapacité d’un État pris par surprise ?
On assiste à beaucoup plus qu’un tournant sur le plan stratégique : l’image de soi d’Israël, constitutive de son identité, est profondément altérée. La conception politique que ce conflit pouvait être géré à basse intensité et de façon militaire s’est elle aussi effondrée.
Il y a un sentiment d’humiliation qui est lié à la perception d’une faillite de l’État et de son armée, qui n’a en l’occurrence pas rempli son rôle le plus classique : savoir qui est mort, qui a été kidnappé et garder le contact avec les familles. Depuis samedi, elles apprennent que certains de leurs membres ont été kidnappées via les vidéos diffusées par le Hamas. Ce sentiment de vulnérabilité couplé à l’impression d’un effondrement de l’appareil d’État joue probablement à plein sur la perception des Israéliens ces jours-ci.
Il est trop tôt pour faire état des responsabilités du gouvernement, mais c’est probablement comme cela qu’une grande partie des Israéliens vivent ce qu’il se passe : un moment où l’État a fait défaut pour répondre à leurs besoins, pour les protéger d’abord, bien sûr, mais aussi pour anticiper et réagir.
Voilà à quoi ressemble le moment que traverse Israël et voilà pourquoi il n’a pas de nom. Pendant la guerre du Kippour, les ennemis étaient encore aux frontières. Ici, ils sont à l’intérieur, dans votre cuisine ou dans votre jardin. Un ennemi massé à la frontière est une chose, mais un ennemi qui est à l’intérieur du pays, qui fait irruption dans votre chambre à coucher et tue vos enfants sous vos yeux, c’est autre chose. En 1973, l’État avait tout de suite fait montre d’une réaction immédiate — qui relevait de la catégorie de la compétence — il avait rempli son rôle. Cette fois-ci, ce n’est pas le cas. Les citoyens sont restés désespérément seuls pendant des heures.
Par quelles émotions est traversée cette société en état de choc ?
Je ne peux formuler bien sûr que des hypothèses. Mais je pense qu’une émotion diffuse aujourd’hui en Israël est d’un genre qu’on ne ressent que très rarement : la terreur primordiale — la peur panique et paralysante qu’on peut ressentir par exemple devant un film d’horreur.
C’est une expérience dont les psychanalystes diraient qu’elle se produit lorsque les catégories sont confondues et renversées — peu importe qu’elles le soient vraiment ou que ne soit qu’une impression. En l’occurence, le faible — le Palestinien — devient le fort ; l’intérieur devient l’extérieur ; l’arrière devient le front ; la forteresse où l’on se croyait en sécurité devient la chambre de torture. L’armée, qui doit venir nous aider, n’arrive pas à arriver. Dans ce monde sens dessus dessous, tous les repères sautent, tout se bloque dans la peur. Aucune analogie n’est parfaite, mais il faut essayer d’imaginer se réveiller à Paris ou à Lisbonne, regarder son téléphone, et apprendre que plusieurs milliers de combattants de Daech sont entrés quelques heures auparavant dans des lieux publics, dans les jardins des maisons, les cours d’immeubles ; qu’ils ont tué, pris en otage, kidnappé. Cette terreur là vous paralyse.
C’est donc une émotion intimement liée à ce que je disais plus tôt sur le renversement de paradigme : de l’impression de surpuissance à la vulnérabilité totale — au sentiment d’impuissance, même. Car l’armée a semblé impuissante pendant plusieurs heures à défendre la population. Cela rappelle ces cauchemars, où l’on est incapable de bouger car l’espace que l’on croyait inoffensif devient un lieu de danger.
Cette sorte de renversement a donc pu provoquer, oui, une sorte de terreur dans un premier temps. Une terreur aussi, parce que, comme je l’ai dit, il n’y avait pour ainsi dire aucun précédent à un événement pareil. Et je pense qu’on ressent de la terreur quand on ne parvient pas à nommer les choses. Ne pas savoir nommer une situation la rend encore plus difficile à vivre.
Quelles émotions succèderont selon vous à la terreur ?
Là encore, je ne peux formuler que des hypothèses, mais je pense que la rage va remplacer très vite la terreur.
Contre qui sera-t-elle orientée ?
Il faut se replacer dans le contexte intérieur israélien. Le 24 juillet dernier, le chef d’État-major Herzl Halevi a demandé à rencontrer Netanyahou juste avant le vote sur la fameuse « clause de raisonnabilité ». Il voulait en fait avertir le Premier ministre sur le fait qu’un tel vote mettrait en danger la sécurité d’Israël parce qu’il prévoyait — et il avait raison — que beaucoup plus de réservistes refuseraient de se mobiliser si le mouvement contestataire gagnait du terrain.
Netanyahou savait que le sujet était crucial.
Pourtant, il a refusé de le rencontrer. Après une décennie au moins pendant laquelle il s’était présenté comme le garant de la sécurité d’Israël, son chef d’État-major voulait précisément lui dire que le mouvement de protestation allait causer une brèche importante dans la sécurité d’Israël. Je ne sais si Halevi a voulu lui conseiller alors d’attendre ou d’annuler cette mesure ; toujours est-il que Netanyahou a refusé de le rencontrer.
C’est de là que viendra la rage. Il est absolument clair que ce gouvernement, depuis des mois, n’a été préoccupé que par une seule chose : consolider son pouvoir et échapper aux conséquences judiciaires de ses actes.
Mais je prendrais un autre exemple, peut-être encore plus grave. On sait qu’il y a un bataillon du Sud, donc la région qui a été infiltrée, qui a été envoyé en Cisjordanie pour protéger des colons pendant leur prière. Énormément de soldats ont donc été déployés en Cisjordanie pour protéger des colons et ont donc fait défaut aux habitants du Sud. En d’autres termes, il y a eu un véritable détournement des forces au profit d’une petite partie de la population au détriment d’une autre.
Quelles seront les conséquences concrètes de ce réveil brutal et de ces interrogations ?
Deux camps vont, me semble-t-il, se dessiner assez rapidement. D’un côté ceux qui voient les choses comme je viens de les présenter, c’est-à-dire qui tiennent ce gouvernement pour responsable — un peu sur la ligne de l’éditorial de dimanche matin dans Haaretz. De l’autre, ceux qui diront qu’il faut renvoyer Gaza à l’âge de pierre. Peut-être d’ailleurs que certaines voix seront dans les deux camps à la fois.
Justement, autour de quelles lignes vont se structurer les clivages : la figure de Netanyahou, le sort de Gaza ?
Parmi le groupe important des protestataires de cette année — qui incluait des gens d’opinions très différentes —, on va probablement voir se détacher un sous-groupe, qui soutiendra en substance que la sécurité d’Israël demande une solidarité absolue en ce moment, que se désolidariser serait en quelque sorte faire le jeu de l’ennemi. Ce sera un argument probablement populaire.
De l’autre côté, je pense qu’un autre groupe, malgré la terreur des événements, va continuer à penser qu’avoir un gouvernement d’extrême droite est ce qui menace le plus la sécurité d’Israël et que ce gouvernement d’extrême droite est responsable du scénario dont on parle déjà depuis plusieurs mois et qui se déploie sous nos yeux depuis samedi.
Quoi qu’il en soit, je dirais que cette séquence va affaiblir numériquement le mouvement protestataire. D’autant qu’on se dirige vers une opération militaire à Gaza à mon avis de très grande envergure et qui risque de durer plusieurs mois.
L’hypothèse de l’ouverture de nouveaux fronts peut-elle aussi peser dans l’équation politique ?
Effectivement, la donne changera selon que la guerre se limite à Gaza où que le Hezbollah cherche à tirer partie de la situation. Il ne faut pas oublier que le potentiel de « contagion » du conflit est important car trois entités pourraient encore se mobiliser en profitant du chaos semé par le Hamas : le Hezbollah libanais au nord, les Palestiniens des territoires de Cisjordanie et les Arabes israéliens. De fait, si la situation se stabilise et que l’opération devient rapidement circonscrite à Gaza, je pense que, malgré le traumatisme collectif pour toute la nation israélienne, les querelles internes reprendront. Mais il n’est pas du tout impossible que la guerre s’étende, que plusieurs fronts s’ouvrent. Il est impossible de le prédire bien sûr mais il faut envisager la possibilité que le Hezbollah, que les Palestiniens de Cisjordanie et que les Israéliens arabes s’ajoutent aux événements sous forme d’émeutes populaires. Dans ce cas-là, le mouvement contestataire né depuis un an prendra fin.
En prévision de l’offensive d’envergure à Gaza, le Premier ministre aura besoin de mobiliser les soutiens internationaux d’Israël, et pas seulement les États-Unis. Il n’est pas impossible qu’il doive alors tempérer son discours, qu’il cherche à redorer son image, en modulant sa position. Croyez-vous à un scénario qui pousserait Netanyahou vers une forme de pragmatisme ?
Cela revient à la question de la guerre étendue : si Israël est attaqué par le Nord, alors je n’ai aucun doute sur le fait qu’il recevra un soutien encore plus important. C’est lorsqu’Israël va entrer à Gaza et que la boucherie va commencer que des voix internationales vont commencer à s’opposer. De là à obliger Netanyahou à changer son fusil d’épaule ? Je ne crois pas. En réalité, les voies suprémacistes et racistes existent déjà et beaucoup d’opinions extrêmes ont déjà été exprimées et mises en œuvre dans le cadre de ce gouvernement. Le ministre des finances, Bezalel Smotrich se définit lui-même avec fierté comme un « fasciste homophobe », le ministre israélien de la Sécurité nationale Itamar Ben-Gvir a menacé des opposants à la Knesset de déportation : « ceux qui travaillent contre l’État ». Cela n’a pas empêché Netanyahou d’essayer de slalomer.
Dans une certaine mesure, il est déjà parvenu à endosser le manteau du pragmatique tout en composant avec l’extrême-droite. Certes, peut-être qu’il n’a pas aussi bien réussi qu’il aurait voulu : après tout, Biden ne l’a pas reçu officiellement à la Maison Blanche par exemple. Mais je ne pense pas fondamentalement qu’il change d’attitude. En réalité, il y a aussi fort à parier que beaucoup de pays ne vont pas s’opposer à une stratégie militaire très forte. Je ne pense pas du tout par exemple en Europe que la Hongrie, la Pologne ou la Slovaquie trouveront quelque chose à y redire. Le positionnement de l’Italie de Meloni sera aussi à suivre de près. De nombreux dirigeants pourraient même prendre la réaction israélienne comme un point de référence dans un contexte de peur du terroriste et de l’arabe musulman répandu dans beaucoup de pays ou de mouvements d’extrême droite européens.
Parmi les nouveautés tactiques de cette séquence, la plus tragique est la capture systématique d’otages en territoire israélien, qui met particulièrement en difficulté l’armée et qui rend certaines décisions politiques extrêmement difficiles. Pourquoi la figure de l’otage est-elle si fondamentale et quel ressort mobilise-t-elle dans cette société israélienne ?
Il faut se souvenir que lorsque Gilad Shalit a été libéré, il a été échangé contre mille Palestiniens. Comment expliquer cela ? Cette dimension est liée à une conception du groupe et de la solidarité qui est très particulière à Israël. Elle va plus loin que le respect des droits humains, il faut rechercher ses origines dans le sentiment d’être un tout petit groupe extrêmement solidaire et de voir la vie comme la valeur suprême. C’est ce qui fait que les Israéliens ont été prêts à faire ce genre de marchandage.
Pour autant, il va y avoir un débat là-dessus. Un autre suprémaciste au gouvernement a déjà déclaré publiquement que, aussi cruel que cela puisse être, il allait falloir renoncer aux otages pour bombarder Gaza. Je pense que la politique à suivre vis-à-vis des otages va être en fait le principal point de débat dans les prochains jours. Là encore, on est confrontés à l’absence de précédents : alors qu’on prenait toujours en otages des soldats, le fait d’avoir des civils retenus par le Hamas change la donne. Ce crime contre l’humanité — ajouté aux autres — fera du Hamas et du Djihad Islamique une entité aussi effrayante que Al-Qaïda ou Daesh.
Pensez-vous que le modus operandi de la prise d’otage de civils pourrait avoir un effet sur la perception du Hamas par ses soutiens ?
Oui, il me semble que cela pourrait freiner ceux qui soutiennent habituellement la cause palestinienne de soutenir l’opération militaro-terroriste du Hamas — si tant est d’ailleurs que la motivation de ce groupe soit de protester contre l’occupation, ce dont je ne suis pas du tout sûre. Le Hamas, c’est une certitude, est un mouvement terroriste, corrompu et extrémiste. Sa véritable motivation n’est pas la défense du peuple palestinien ou la lutte contre l’occupation : il ne faut pas se méprendre sur ses motivations politiques : elles sont autrement moins morales que l’anticolonialisme. La population civile gazaoui va payer très cher les décisions et les opérations de son mouvement dirigeant.
Une autre question fondamentale dans cette séquence est celle des images et de leur usage. C’est un élément de continuité dans l’histoire longue de ce conflit mais aussi en partie une nouveauté par leur prolifération et la mise en scène quasi hollywoodienne mobilisée par le Hamas depuis quelques jours. Comment analysez-vous leur rôle ?
Certaines images sont très impressionnantes en effet. Je pense à celle où l’on voit les djihadistes du Hamas arriver en parapente sur un festival de musique en territoire israélien. On a depuis appris que les festivaliers avaient été massivement massacrés. Comme je le disais, certaines familles ont aussi appris le sort de certains de leurs membres par les images postées par le Hamas et diffusées sur les réseaux sociaux.
Ces images contribuent à la nouveauté de cette guerre et informent son déroulement.
Le mot image a deux sens. Il a un sens littéral bien sûr, celui des images qui circulent et qui choquent. Et il a un sens psychologique : l’image qu’on a de soi-même ou qu’on renvoie aux autres. Or je pense que ces images, au sens littéral, ont contribué considérablement à changer l’image que les Palestiniens de Gaza ont d’eux-mêmes — auprès d’eux-mêmes et auprès des Palestiniens qui sont au Liban par exemple. Il faut mesurer à quel point cette opération marque un mouvement de fierté massif : le but de ces images est de véhiculer l’idée qu’on met à terre une population qui se croyait invincible. Quelle que soit l’issue, c’est déjà une victoire pour le Hamas.
Quant à la question de savoir si c’est nouveau, je dirais que, dans ces proportions, c’est clairement une nouveauté en ce que cela court-circuite le pouvoir de l’État israélien, en donnant à un petit groupe du Hamas une importance considérable, qu’il aurait beaucoup moins eu s’il s’était simplement contenté de mener son opération sans images. On pourrait comparer par exemple à Munich. Quand les attentats de Munich se sont produits, il n’y avait d’images pour ainsi dire que du côté de ceux qui contrôlaient les images.
Imaginez que les Palestiniens aient pu produire des images pendant qu’ils tuaient les athlètes, nous aurions eu une réaction très différente sur le moment.
Dans un moment comme celui-ci, les registres de l’émotion et de l’analyse sont parfois brouillés. D’où partir pour saisir la complexité du moment ?
D’un côté, c’est un événement qui doit être reconnu pour son horreur, entre progrom, terrorisme, et guerre. Il y a une l’horreur du moment qu’il faut restituer et l’analogie que j’évoquais au début de notre conversation — des djihadistes dans les rues de capitales européennes qui entrent dans les appartements et tuent, prennent en otages… — le permettra peut-être, même si les analogies sont toujours imparfaites. De l’autre côté, il y a contexte interne à Israël, celui d’un pays considérablement affaibli politiquement, qui explique en partie les conditions de possibilité de ce qui s’est passé. Un autre point important à prendre en compte est la radicalisation totale du Hamas qui est aujourd’hui un mouvement extrémiste, antisémite et très corrompu. Enfin, il y a le grand contexte de l’occupation qui fournit à la fois des raisons et des prétextes parfois confortables aux extrémistes djihadistes pour assassiner des civils israéliens. C’est dans cet enchevêtrement qu’est toute la complexité morale de la situation.