Le rappel des faits.

  • Dès samedi 7 octobre à 13h30 (17h en Iran), des députés du Madjless, le Parlement iranien, se sont regroupés debout dans une vidéo retransmise dans les chaînes de la télévision publique pour chanter des slogans tels que « Israël est fini, Palestine vaincra », suivi du plus classique « Mort à l’Amérique ».
  • Le 08 octobre en début d’après-midi, l’ancien Secrétaire du Conseil suprême de sécurité nationale (2013-2023), Ali Shamkhani, a déclaré « L’opération Déluge d’Al-Aqsa est un bon exemple de légitime défense contre un régime criminel […] La résistance palestinienne est un mouvement indépendant dont la force découle d’un soutien massif de la population »1.
  • Des images de propagande2 montrent la figure de Qassem Soleimani, ancien commandant charismatique de la Force Al-Qods du corps des Gardiens de la révolution islamique  tué à Bagdad dans une frappe de drone ciblée menée par les États-Unis en janvier 2020. 

Dans un article paru le 8 octobre dans le Wall Street Journal, on lisait :

  • Des « responsables de la sécurité » iraniens auraient aidé à planifier l’offensive du Hamas et « donné le feu vert » lors d’une réunion qui s’est tenue le 2 octobre à Beyrouth.
  • Citant des sources anonymes européennes, du Hamas, du Hezbollah et de la Syrie, le journal américain soutient que des représentants du Hamas, du Hezbollah, du Jihad islamique palestinien (PIJ) et de la Force Qods s’étaient réunis « au moins toutes les deux semaines au Liban depuis le mois d’août » pour discuter de l’attentat du 7 octobre. 
  • Le journal ajoute que le ministre iranien des affaires étrangères, Hossein Amir-Abdollahian, « a assisté à au moins deux de ces réunions ».

Dans une déclaration à Amwaj.media3, la Mission de l’Iran auprès des Nations Unies a pourtant nié fortement l’idée d’une implication directe de l’armée iranienne dans l’organisation ou dans la préparation de l’offensive du Hamas.

  • « Les décisions prises par la résistance palestinienne sont farouchement autonomes et indéfectiblement alignées sur les intérêts légitimes du peuple palestinien ».
  • « Nous soutenons fermement la Palestine ; cependant, nous ne sommes pas impliqués dans la réponse de la Palestine, car elle est prise uniquement par la Palestine elle-même ». 
  • « Ils [Israël] tentent de justifier leur échec et de l’attribuer à la puissance du renseignement et à la planification opérationnelle de l’Iran ».

En réalité, le porte-parole des Forces de défense israéliennes (FDI), le général de brigade Danny Hagari, a déclaré aujourd’hui dans la matinée (9 octobre) qu’il n’y avait aucune preuve d’une implication directe iranienne dans la guerre à Gaza.

La question de l’escalade :

  • Un rôle direct de Téhéran dans l’opération Al-Aqsa aurait un effet déclencheur : Israël serait confronté à la nécessité de rétablir la dissuasion avec l’Iran, avec un dilemme stratégique.  
  • L’extension du conflit au Liban aurait des effets catastrophiques pour le Liban, mais ouvrirait un deuxième front pour Israël – Hezbollah dispose de plusieurs milliers de roquettes et d’une puissance susceptible d’opérations terrestres en profondeur – et inciterait Israël à entrer en guerre directe avec l’Iran, un scénario qui pourrait avoir des conséquences imprévisibles.
  • Selon Gérard Araud, interrogé dans nos pages : « Tant que le Hezbollah n’intervient pas, cela signifie que l’Iran ne souhaite pas pousser trop loin les hostilités ». Et pour l’instant le Hezbollah semble d’ailleurs faire preuve de retenue : « Il a certes fait une déclaration de soutien hier juste après l’attaque et ce matin a tiré plusieurs roquettes — mais au fond, tout me semble fait pour bien montrer aux Israéliens que le Hezbollah ne veut pas s’en mêler. Prenez les tirs. Ce n’est pas un territoire israélien qui était visé, mais une zone contestée de Har Dov, ou fermes de Chebaa, à la frontière nord d’Israël ».

Malgré une grande proximité, notamment depuis la crise syrienne, la relation entre Hamas et l’Iran est moins linéaire que ce que l’on pense :

  • Proche des Frères musulmans, le Hamas est un mouvement islamiste sunnite, qui a toutefois des intérêts communs dans sa coopération avec l’Iran, la principale puissance chite. Selon Gérard Araud : « les vrais ennemis de l’Iran ne sont ni les États-Unis ni Israël — ce sont les pays arabes du Golfe. Et soutenir le Hamas, c’est embarrasser les monarchies arabes du Golfe qui regardent comme le diable un mouvement qui se prétend à la fois démocratique et islamiste. »
  • Toujours selon Gérard Araud : « En fin de compte, le jeu de l’Iran est subtil. Les Iraniens, qui financent le Hamas et qui pourraient avoir été consultés par le Hamas pour préparer l’attaque, ne doivent pas être sous-estimés. Il faut en même temps tenir compte de la capacité de décision du Hamas, tout comme celle du Hezbollah, qui ne sont pas de simples instruments des services iraniens. Ils ont leur propre agenda. » 
  • « Pour l’instant, l’Iran se contente de discours véhéments, mais semble lui-aussi éviter de franchir une ligne qui pourrait s’avérer dangereuse ».

Quelles conclusions en tirer ? 

  • Le régime iranien a été le premier à soutenir explicitement l’attaque de Hamas, en laissant tantôt entendre avoir aidé à son organisation, et tantôt que le Hamas est parfaitement indépendant.

L’Iran semble volontairement créer de l’incertitude sur son degré d’implication et de soutien afin de pouvoir prendre la position la plus avantageuse dans les prochains jours, en fonction de la réaction des autres États de la région et du niveau de riposte d’Israël.

Sources
  1.  https://twitter.com/alishamkhani_ir/status/1710960991867936972
  2. https://twitter.com/nicolegrajewski/status/1710704717007884563
  3. Media lancé en 2020 par Mohammed Ali Shahbani, chercheur irano-britannique à l’Université SOAS de Londres.