La guerre de Soukkot a commencé à 5h30 ce matin. Cette attaque a-t-elle une surprise stratégique ? Comment expliquez-vous que le gouvernement et l’armée israéliens aient été à ce point surpris ?
Tout d’abord, je tiens à souligner que les commentaires tactiques et stratégiques que je vais pouvoir formuler sont préliminaires et non définitifs — car les événements viennent tout juste de se produire, leur développement est toujours en cours. Nous apprenons de nouvelles choses toutes les minutes. Mais c’est incontestablement une surprise totale. Pendant la guerre du Kippour, il y avait eu un avertissement avant l’attaque ; aujourd’hui, ce ne fut pas le cas. Quelques secondes encore avant le début des frappes et des intrusions, les forces de défense du pays n’étaient pas mobilisées, elles ont été prises de court. Le fait que cette attaque ait été aussi inattendue et qu’elle ait pu se produire aussi vite représente clairement un succès pour le Hamas.
Pour être honnête, cela m’a également surpris. On aurait pu imaginer qu’avec les moyens et les capacités de renseignement d’aujourd’hui, nous aurions pu avoir connaissance et prévoir une telle offensive — ce ne fut pas le cas. Pire encore, le Hamas a réussi à réaliser une frappe nette, impliquant sans doute des centaines de personnes de chaque côté, et sans qu’aucune information ne filtre vers Israël en amont.
Il s’agit effectivement d’une attaque hybride, combinant missiles, forces terrestres et recourant au modus operandi de la prise d’otage. Comment l’analysez-vous au plan tactique ?
L’attaque de missiles est clairement secondaire. Bien sûr, on rapporte que le Hamas aurait, jusqu’à présent, lancé jusqu’à 2 000 missiles — ce qui est très impressionnant car ils ont réussi à toucher à la fois le centre et le sud du pays. Nous ne savons pas combien de dégâts les missiles ont réellement causés. Cela reste à voir mais certains impacts ont eu lieu et sont visibles. Toutefois, même s’ils ont lancé 2000 roquettes, avec un taux d’interception de 90 % par le Dôme de Fer, je ne suis pas sûr que nous constaterons d’importants dégâts causés par ces roquettes.
L’élément de surprise était ailleurs.
Oui. Ce qui est nouveau et, en un sens, révolutionnaire avec l’attaque « Déluge d’al-Aqsa », c’est que des centaines de forces du Hamas ont franchi les frontières de Gaza pour entrer en Israël. Elles se trouvent encore à proximité de plusieurs dizaines de colonies israéliennes et de bases militaires dans le Sud du pays. C’est totalement inédit. Une telle intrusion n’a jamais eu lieu sur aucun segment de la frontière israélienne.
C’est une première et nous devons encore comprendre ce que cela signifie. Des dizaines de personnes ont été tuées, de nombreuses autres blessées. Tout reste à confirmer pour le moment, mais je suis certain que les premiers chiffres seront effrayants.
Un autre aspect à la fois surprenant et tactiquement révolutionnaire est que des Israéliens, tant civils que militaires, ont été emmenés en direction de Gaza. Les rapports ne sont pas encore confirmés, mais je suis sûr qu’ils le seront bientôt — et qu’ils seront catastrophiques.
Quelles brèches le Hamas a-t-il réussi à exploiter pour rendre cela possible ?
Je ne pense pas que cela ait été particulièrement difficile. En réalité, il est plutôt aisé de franchir la frontière : il suffit de venir avec un bulldozer et d’abattre la clôture en barbelés. Je suppose que c’est exactement ce qu’ont fait les forces du Hamas, à pied et en camions. Elles ont tout simplement traversé la frontière.
C’est pour cette raison que l’effet de surprise était si déterminant : si la frontière est renforcée, le franchissement devient beaucoup plus compliqué. Cette fois-ci, les forces israéliennes étaient peu nombreuses, dans cette zone en particulier. Par ailleurs, selon certaines informations, des franchissements par la mer auraient été observés. Les événements continuent de se développer et il est pour l’instant très difficile de dire dans quel sens.
La leçon tactique du premier jour de cette guerre de Soukkot pourrait donc être résumée par un mot : la surprise.
L’élément de surprise est la principale innovation tactique, oui. Stratégiquement, la nouveauté est que le Hamas a, pour la première fois, tenté de mener une opération offensive d’une telle envergure. Ses conséquences seront massives et nous ne commencerons à les comprendre que dans les prochains.
Depuis quinze ans, des échanges de tirs autour de Gaza ont lieu sporadiquement, entrecoupés de longues périodes de calme. Aujourd’hui, le Hamas a franchi une nouvelle étape. Après le choc initial, Israël répondra par des représailles — cela pourra prendre quelques jours, mais peut-être moins.
Sous quelle forme cela se manifestera-t-il ?
Je ne peux que faire des suppositions mais je pense qu’Israël entrera dans Gaza avec des forces extrêmement importantes — peut-être même que nous réoccuperons la bande de Gaza. Nous chercherons aussi à éliminer les dirigeants du Hamas, civils et militaires. Et il est probable qu’en cas de conflit à Gaza, nous assisterons également à d’importantes destructions.
Selon vous, quels étaient les objectifs stratégiques du Hamas avec cette attaque ?
L’une des raisons de la surprise est que personne n’aurait imaginé que le Hamas prendrait une initiative de ce genre, sachant qu’elle entraînerait inévitablement une vaste offensive israélienne sur Gaza. C’est justement pour cette raison que cela semblait peu probable. Si on cherche à spéculer sur les causes, il ne faut jamais oublier que le Hamas est tout entier dévoué, dédié et tourné vers la lutte armée. Nous avions cru, à tort, qu’un statu quo avec quelques avantages économiques les inciterait à ne plus prendre les armes. Mais la raison d’être du Hamas est la lutte armée, et c’est ce que nous observons aujourd’hui : sans action violente offensive, il n’existe pas.
De toute évidence, compte tenu de la lutte interne dans les territoires entre l’Autorité palestinienne et le Hamas, ce dernier s’est imposé comme la tête de pont de la guerre contre Israël.
Qui a piloté cette opération pour le Hamas ?
La décision doit être validée par la direction civile du mouvement. Concernant la planification militaire, tout est supervisé par la direction militaire, qui a signé une déclaration annonçant qu’une offensive avait débuté tôt ce matin. Il s’agit donc d’une décision conjointe, à la fois politique et militaire.
Après ce matin, le Hezbollah pourrait-il lui aussi être tenté d’attaquer Israël ?
En réalité, je suis presque sûr qu’il y a eu des négociations entre le Hamas et le Hezbollah pour envisager une attaque croisée, sur deux fronts. Je spécule à nouveau, bien sûr, mais je pense qu’il est très probable que les organisations se soient parlées. Le Hezbollah, semble-t-il, a décidé de ne pas participer directement à l’attaque de ce matin. Bien sûr, il pourrait rejoindre l’offensive plus tard, mais il a choisi de ne pas le faire aujourd’hui — ce qui peut aussi être une décision stratégique de sa part.
Quelle pourrait être la raison d’une telle retenue ?
L’explication principale serait que l’Iran souhaite garder le Hezbollah comme force de dissuasion contre une attaque israélienne sur l’Iran — et ce indépendamment même de la position de l’Iran par rapport à cette attaque. C’est une explication possible. Quoi qu’il en soit, le fait que le Hezbollah ait décidé de ne pas se joindre à l’opération « Déluge al-Aqsa » est en soi significatif et nous devrons voir si, dans un second temps, il changera sa décision initiale.
D’un autre côté, l’attaque de ce matin nous oblige à considérer la possibilité d’une autre frappe surprise, cette fois-ci au Nord, par le Hezbollah, au moment qu’il choisira comme le plus opportun. C’est une menace que l’organisation brandit depuis longtemps. Or aujourd’hui, cette menace a gagné encore plus de crédibilité en raison de la capacité du Hamas à surprendre. Dans ce cadre, le Hezbollah — qui est, soit dit en passant, cent fois plus puissant que le Hamas — pourrait aussi réussir à surprendre. C’est ce qui, stratégiquement, change la donne dans les attaques qui ont été menées aujourd’hui.
La date du cinquantième anniversaire de la guerre du Kippour a-t-il pesé dans le choix d’attaquer aujourd’hui ?
Je ne suis pas certain que la symbolique des dates ait même été prise en compte. Si cela a été le cas, c’était clairement une considération secondaire.
Quelle est la logique derrière la réponse d’Israël et quelle est sa doctrine face à ce type d’agression ?
Au départ, Israël a été complètement prise au dépourvu. L’objectif principal sera donc d’abord de stabiliser les colonies le long de la frontière de Gaza. Israël visera d’abord à expulser les combattants du Hamas de ces colonies et à sécuriser celles-ci. Bien que ce processus soit encore en cours, l’objectif est clair. Deuxièmement, à la suite de cette situation, on dénombrera malheureusement beaucoup de victimes, certaines personnes tuées, d’autres prises en otage. Alors que ces efforts de stabilisation des colonies sont en cours, Israël mobilise donc simultanément ses réservistes. Une fois la phase défensive initiale terminée — ce qui pourrait avoir lieu demain ou dans deux jours — une mobilisation importante des forces israéliennes à Gaza est à prévoir, éventuellement même sa réoccupation. Bien qu’Israël ait été réticente à reprendre le contrôle total de Gaza depuis son retrait en 2005, la nature de cette récente attaque ne pourrait guère laisser le choix à Tel Aviv.
Netanyahou a indiqué que les représailles contre le Hamas seraient conséquentes. Bien que je ne puisse prévoir chaque mouvement, je m’attends à ce que les forces israéliennes entrent massivement à Gaza, où elles chercheraient à détruire autant que possible le Hamas et à tuer ses dirigeants. Toutefois, la question de savoir combien de temps Israël pourrait maintenir une présence là-bas après une telle opération reste ouverte.
Netanyahou a déclaré qu’Israël était « en état de guerre ». Y a-t-il des implications opérationnelles associées à cette formulation ?
Concernant la déclaration de Netanyahou et la déclaration officielle d’état de guerre par le ministère de la Défense, elles sont principalement symboliques : étant donné que Gaza n’est pas reconnue comme un État souverain, une telle déclaration n’a pas le poids typique qu’elle pourrait avoir en droit international. Mais ce geste signale la reconnaissance par Israël d’un changement significatif dans le conflit : cela pourrait être un tournant historique.
Quand pensez-vous que l’armée sera militairement prête à intervenir et qui sont les acteurs clefs ?
Le Chef d’état-major est bien sûr essentiel. C’est le commandant du Commandement du Sud qui supervisera l’opération, tandis que les commandants des divisions et brigades impliquées seront cruciaux. Parallèlement le chef du renseignement et les services de reconnaissance internes seront sous surveillance. Il est clair qu’ils n’ont pas détecté l’attaque initiale et auront beaucoup d’explications à fournir.
Pensez-vous que la chaîne de commandement de l’armée ait été affaiblie par la tentative hégémonique de Netanyahou ?
Il y a peu de doute sur le fait qu’une perception selon laquelle les dynamiques internes d’Israël affecteraient sa préparation militaire a clairement influencé la décision d’attaquer, non seulement de la part du Hamas, mais aussi d’entités comme le Hezbollah ou l’Iran. Pour autant, je crois qu’en réponse à l’offensive, tout différend ou problème interne sera temporairement mis de côté. Il y aura une montée en puissance militaire, y compris de l’armée de l’air et d’autres unités : de nombreux réservistes vont rejoindre le service actif pour la durée de cette opération. Cette situation pourrait favoriser un sentiment d’unité nationale au sein de la population, mais je prévois que ce sentiment ne perdurera que pendant l’opération.
Compte tenu de la durée potentielle du conflit, qui pourrait s’étendre pendant des semaines voire des mois, il serait prématuré d’identifier son impact total sur la politique interne d’Israël et les prochaines mesures que prendra Netanyahu. Initialement, la société israélienne pourrait se rassembler derrière le drapeau, s’unissant et se mobilisant pendant la durée de l’opération à venir. Cependant, dans un environnement complexe et instable, il est très difficile de savoir comment Netanyahu adaptera sa politique à cette nouvelle étape.
En tout état de cause, cette attaque peut être considérée comme un revers majeur pour son gouvernement. S’il était dans l’opposition, il aurait pu en tirer parti. Cependant, au pouvoir, il pourrait bénéficier de la tendance naturelle des citoyens du pays à s’unir devant l’adversité et dans l’urgence. Il cherchera à minimiser l’impact négatif — le fait que cette guerre constitue un échec pour sa promesse de sécurité — et à amplifier cette dynamique d’unité nationale.
Quel rôle les alliés d’Israël sont-ils censés jouer ?
Les États-Unis et la France ont déjà montré leur soutien à Israël dans cette séquence, de même que beaucoup d’autres. Ce qu’Israël recherche avant tout, c’est le soutien international pour ses actions ultérieures. Étant donné la violence de l’attaque surprise du Hamas, il est probable qu’Israël reçoive l’expression d’une forte sympathie. Du côté des États-Unis, Israël pourrait chercher à acquérir des munitions supplémentaires. En termes de renseignements et d’implication supplémentaire, la coopération entre Washington et Tel Aviv est déjà très intense. Malgré tout, il demeure évident qu’Israël a connu une énorme faille dans son dispositif de sécurité — alors même qu’elle est militairement beaucoup plus avancée que ses voisins immédiats. C’est clairement un point sur lequel ses alliés s’interrogeront.
Pensez-vous qu’il y aura un impact immédiat sur les autres dirigeants arabes, au-delà de ce que vous avez déjà mentionné à propos du Hezbollah ?
C’est difficile à dire aujourd’hui, mais des pays comme l’Égypte, l’Arabie saoudite et la Jordanie n’ont pas beaucoup d’affection pour le Hamas. Ce sont des puissances modérées qui font face à la menace des islamistes radicaux. Cependant, il est essentiel de rappeler que l’opinion publique de ces pays soutient fermement la cause palestinienne. De ce fait, je prévois qu’ils adoptent une position de prudence pour éviter de compromettre leur stabilité.
Pour ce qui concerne la stratégie de dissuasion d’Israël, son image paraît compromise, ce qui obligera probablement à réévaluer les politiques israéliennes de défense. Les effets sur la perception expliquent aussi en partie pourquoi Israël répondra probablement avec fermeté — ce sera en partie pour rétablir sa capacité, son image et son autorité.
Comment envisagez-vous le calendrier de l’opération terrestre en réponse à l’attaque de ce matin ?
Je prévois que l’opération terrestre israélienne pourrait commencer dès demain, plus probablement dans les deux prochains jours.
Une grande partie des forces israéliennes est composée de réservistes, qui sont actuellement en cours de mobilisation. Bien qu’à une échelle différente, cette séquence rappelle la guerre de 1973 — sauf qu’au lieu d’affronter des armées établies comme celles d’Égypte et de Syrie, Israël est confrontée à des organisations irrégulières. La surprise étant totale, la mobilisation prendra du temps pour que toutes les forces se rassemblent et se préparent. Quant à la durée et aux objectifs de l’opération, il s’agira probablement d’engager une incursion significative dans la bande de Gaza pour infliger un maximum de dégâts au Hamas et à ses dirigeants. Ce qui adviendra ensuite est incertain.
Si initier une opération militaire est difficile, déterminer les étapes suivantes — que ce soit pour rester ou pour se retirer de Gaza — pose des dilemmes encore plus complexes. Aucun n’a nécessairement de solutions évidentes.