Politique

Mark Milley contre Donald Trump : le général et l’apprenti dictateur

Avec une liberté de ton qui souligne la dimension historique du moment, le chef d’État-Major des armées américaines sur le départ, Mark Milley, a remis Donald Trump à sa place — suggérant qu’il était un « apprenti dictateur ». Nous avons traduit et commenté ce discours qui déploie un éloge appuyé de l’armée américaine, avec laquelle Milley entretient un lien généalogique. Dans un pays de plus en plus divisé, le cœur des États-Unis battrait-il sous l'uniforme ?

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Le Grand Continent
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© Nathan Howard/UPI/Shutterstock/SIPA

Vendredi 29 septembre, Mark Milley, Chef d’État-Major des armées (Chairman of the Joint Chiefs of Staff), prononçait le discours qui marquait son départ à la retraite. Devant Joe Biden, Kamala Harris, son successeur, C.Q. Brown, et de nombreux autres représentants de l’État et de l’armée américains, il est revenu sur une carrière de quarante ans qui l’a conduit à servir dans la majorité des conflits où les États-Unis ont été engagés. Au moment de prononcer son propre discours, Joe Biden avait salué Milley pour son exceptionnelle carrière militaire, dont cinq années passées dans des zones de guerre, du Panama à l’Irak, ajoutant qu’il avait « une poitrine pleine de médailles pour le prouver ». Il ajouta aussi qu’il était « un patriote, intransigeant dans son devoir, imperturbable face au danger et inébranlable au service du pays ». 

Multipliant les remerciements, il s’est aussi permis quelques admonestations voilées à l’égard du Congrès, plus que jamais divisé par la question du vote du budget et des nominations présidentielles (que ce soit aux postes civiles et militaires), et, surtout, de Donald Trump, qui a fait un ennemi personnel de Milley, dont il considère qu’il a fait partie de ceux qui l’auraient « trahi » en 2020 au moment où il essayait de renverser le résultat de l’élection présidentielle. 

En entremêlant sa propre biographie à l’histoire militaire récente des États-Unis, il a aussi livré sa vision de l’armée américaine, dont la singularité historique tiendrait à sa subordination totale à l’ordre constitutionnel, issu de la guerre d’Indépendance. Dans la mesure où Milley a dû négocier la difficile transition entre Donald Trump et Joe Biden, ces mots ont un poids particulier. Adepte d’une rhétorique sans fards et sans fioritures, il a donc rendu un hommage appuyé à l’armée américaine, véritable clef de l’édifice institutionnel américain par sa neutralité, mais aussi outil décisif dans la domination globale des États-Unis. En effet, à plusieurs reprises, il rappelle la puissance spirituelle et technologique de cette armée, et la fierté qu’il a ressentie en portant l’uniforme.

Au moment de quitter le plus haut commandement militaire des États-Unis, Mark Milley, qui rappelle ses origines populaires dans ce discours, fait un éloge des vertus militaires — l’humilité, l’héroïsme, la persévérance dans l’adversité — qui s’oppose notamment au triste spectacle que donne Donald Trump. S’il ne donne pas explicitement d’avis sur la situation politique du pays, ces remarques liminaires sur Joe Biden, dont il salue l’intégrité, et son secrétaire de la défense laissent néanmoins supposer qu’ils sont des figures politiques qui lui conviennent beaucoup mieux, principalement parce qu’ils partagent les mêmes valeurs et, partant, les mêmes vertus militaires. 

À défaut d’être un recours politique — qu’elle s’interdit d’être — l’armée des États-Unis, ou du moins ses commandants, entend-elle se présenter comme un recours moral ? 

C’est la dernière fois que vous m’écoutez alors que je suis en uniforme. Pour cela seul, je mérite des applaudissements.

Monsieur le Président, Madame la Vice-Présidente, Monsieur le Secrétaire Austin, chers invités, famille et amis, bonjour. Et merci à tous d’être ici aujourd’hui. 

Monsieur le Président, merci pour votre leadership inébranlable qui guide notre grande nation, et pour la confiance que vous m’avez accordée lors de votre investiture. Vous n’étiez pas obligé de le faire, mais vous l’avez fait et je vous en suis reconnaissant. Votre engagement sans faille envers nos troupes et leurs familles renforce notre armée, la rendant plus forte et capable que jamais. Je vous ai vu à l’œuvre, je vous ai vu veiller, et je sais par expérience que vous êtes un homme d’une intégrité et d’une stature morale remarquables. Merci pour votre leadership.

Cet hommage rendu à Joe Biden participe bien sûr de la logique de ce discours d’adieux et de remerciements. Mais, il prend aussi un sens plus profond à la lueur de la suite de ce texte. En s’attaquant assez durement à Donald Trump, Mark Milley rehausse encore le portrait moral qu’il dresse de Joe Biden. Il est par ailleurs vrai que ce dernier aurait pu nommer un nouveau Chef d’État-Major des armées au moment de son élection puisque l’un des principaux pouvoirs du Président des États-Unis est de pouvoir nommer aux emplois civils et militaires. Ceci dit, Biden n’a pas bouleversé les nominations au sein de l’armée : les nominations qu’il a réalisées au sein du Comité des chefs d’état-major interarmées étaient ainsi toutes liées à des départs en retraite. 

Monsieur le Secrétaire Austin, merci de diriger notre département avec caractère, courage et une intégrité impressionnante. Vous avez servi notre nation de manière constante depuis près de cinq décennies, que ce soit en uniforme ou en tenue civile. Vous êtes récipiendaire de la Silver Star, un homme au courage immense, tant moral que physique. Je vous suis personnellement reconnaissant pour vos conseils et votre vision au cours des 30 dernières années où nous avons servi ensemble, en temps de paix comme en temps de guerre.

Lloyd Austin, secrétaire à la Défense, est un ancien militaire. Né en 1953, il est quasiment de la même génération que Mark Milley (né en 1958). Avant sa retraite en 2016, il a eu une longue carrière dans l’armée. Diplômé de West Point en 1975, il a servi en Allemagne, puis à Fort Bragg, Indianapolis, et est retourné à West Point en tant qu’officier tactique. Après avoir fréquenté diverses écoles militaires, il a été affecté à des postes de commandement et d’état-major à Fort Drum, Fort Leavenworth et ailleurs. En 2003, il a joué un rôle clé lors de l’invasion de l’Irak, avançant du Koweït à Bagdad et recevant la Silver Star pour sa bravoure. Plus tard, il a commandé la 10ème Division de montagne en Afghanistan, devenant le premier Afro-Américain à commander une division en combat. Ses affectations ultérieures comprenaient des postes de commandement de haut niveau en Irak, au Pentagone, et à l’US Central Command qu’il a dirigé entre 2013 et 2016. Sous sa direction, les forces américaines ont répondu à de nombreux défis, dont la montée de l’État islamique. 

Aux membres du Congrès, je tiens à prendre un moment pour reconnaître l’immense service de la sénatrice Feinstein. Puisse-t-elle reposer en paix dans l’étreinte éternelle du confort divin. Et à tous nos collègues du Congrès, du Sénat, de la Chambre et à tous les élus présents aujourd’hui ou non : vous incarnez la volonté générale américaine. À travers vous, nous sommes perçus comme un peuple uni ou divisé. Cela dépend de vous. Mais sachez que nous, en uniforme, sommes reconnaissants de votre soutien actuel et comptons sur votre soutien futur.

Le 29 septembre, la sénatrice démocrate Dianne Feinstein, ancienne mairesse de San Francisco s’est éteinte, à l’âge de 90. Sa disparition crée un vide au Sénat à un moment où les Démocrates détiennent une faible majorité, puisqu’avant son décès, ils n’avaient une majorité de 51-49. Le gouverneur de Californie, Gavin Newsom, a le pouvoir de nommer un remplaçant pour le reste de son mandat. Bien qu’il n’y ait pas de votes majeurs prévus au Sénat, le remplacement rapide de Feinstein est crucial, notamment face à la menace imminente d’un shutdown, en cas d’échec à voter le budget. L’adresse directe du général Milley aux membres du Congrès doit être comprise dans le contexte de ce très difficile débat budgétaire. Par ailleurs, le processus de nomination du successeur de Mark Milley a été entravé par le sénateur républicain Tommy Tuberville, qui a bloqué les nominations militaires pour protester contre un réglement du Département de la Défense remboursant les frais de voyage des militaires qui devaient participer à un avortement. Face à cette situation, le président Biden a exprimé son profond désaccord avec ce blocage, mettant en avant son impact négatif sur le moral des troupes militaires. Cette adresse directe aux membres du Congrès est la première occurrence d’un motif récurrent de ce discours dans lequel il se met clairement en scène comme un militaire qui s’adresse aux politiques : l’exhortation à défendre non seulement la lettre, mais l’esprit des institutions américaines. 

À nos alliés et partenaires, votre présence témoigne de nos intérêts partagés et de nos valeurs communes. Notre solide réseau d’alliés et de partenaires est une source essentielle de notre force collective. Depuis la Révolution américaine, les États-Unis n’ont jamais combattu seuls.

Je tiens également à remercier tous les anciens secrétaires à la Défense, les secrétaires de départements et les anciens secrétaires de départements présents aujourd’hui, ainsi que les actuels chefs d’état-major interarmées, les anciens chefs d’état-major interarmées, les commandants de combat actuels et à la retraite et tous les généraux et dignitaires présents.

J’adresse un remerciement particulier à mon état-major et à mon cabinet qui m’ont chaleureusement applaudi — ce qui pouvait s’entendre de deux manières — lorsque je suis parti hier. Ils ont été exceptionnels, faisant face à une intense pression dans un environnement épuisant où les enjeux étaient élevés.

Je tiens également à exprimer ma gratitude à tous mes anciens officiers supérieurs et à mes sous-officiers qui m’ont accompagné pendant ces quarante années. Beaucoup sont présents aujourd’hui : mes coéquipiers, que ce soit au niveau du peloton, de la compagnie, du bataillon, de la brigade, de la division, du corps et au-delà. Ils sont bien trop nombreux pour les citer tous par leur nom. Mais chacun d’entre vous, à sa manière, a été un conseiller, un mentor et un soutien, et je vous en serai éternellement reconnaissant.

Il y a aussi aujourd’hui trois groupes de personnes qui méritent une reconnaissance particulière et incarnent le meilleur de notre nation.

Parmi nous aujourd’hui, se trouvent plusieurs récipiendaires de la Médaille d’honneur, qui ont servi avec une valeur exceptionnelle, en allant au-delà de ce qu’exige l’appel du devoir. Ils sont le parangon du courage face à la mort.

Ensuite, nous avons nos combattants blessés présents aujourd’hui. L’un d’eux, que vous avez vu plus tôt, a chanté « God bless America ». Ils représentent les milliers de personnes blessées au combat qui ont tant sacrifié pour la défense de la liberté.

Et troisièmement, nos familles Gold Star, dont beaucoup sont présentes aujourd’hui. Elles perpétuent l’héritage de ceux en uniforme qui se sont complètement dévoués pour que notre nation reste libre. Les soldats, les marines, les aviateurs, les gardes-côtes… ils sont nombreux en ce moment même à veiller sur nous. 

Merci. Merci de servir. 

Vous êtes la force militaire la plus capable et la plus létale au monde — aujourd’hui et à toutes les époques de l’histoire humaine. 

La Medal of Honor est la plus haute distinction militaire des États-Unis, décernée en trois versions selon la branche militaire, pour récompenser des actes d’héroïsme exceptionnel au combat. Elle est remise au nom du Congrès par le président, soit directement au récipiendaire, soit à sa famille s’il est décédé. Une Gold Star Family est la famille immédiate d’un militaire décédé en période de conflit. Pour les reconnaître, ils peuvent afficher un drapeau Gold Star Service Flag, avec le nombre d’étoiles dorées représentant le nombre de membres de la famille décédés au service. Initialement suggéré en 1918 par le Women’s Committee du Council of National Defenses et approuvé par le Président Wilson, ce drapeau montre une étoile dorée sur une étoile bleue. Dans ce passage, le général Milley commence à filer un autre motif clef de son discours : l’héroïsme des forces armées américaines, qui constituerait une forme d’héritage transmis de génération en génération par la force de l’exemple. Qu’à la suite de ce tour d’horizon des héros ordinaires qui constituent l’armée américaine, il ajoute cette phrase sur la « force militaire la plus capable et la plus létale au monde » n’est pas anodin : le sacrifice constant des soldats américains est l’une des conditions de cette puissance, qui tiendrait encore plus de la force spirituelle de l’armée des États-Unis que de sa supériorité technique. 

[…]

Alors, bien sûr, ma véritable famille mérite ma plus profonde gratitude. J’ai eu la chance d’avoir d’excellents parents qui m’ont enseigné ce que cela signifiait de servir et combien nous étions privilégiés de naître en Amérique : un pays où l’on s’élève ou chute selon son mérite, où l’on est jugé sur la teneur de son caractère. Ma mère était une WAVE de la marine dans un hôpital militaire à Seattle, prenant soin des blessés revenant du Pacifique Central pendant la Seconde Guerre mondiale, tandis que mon père servait avec la Quatrième Division des Marines en tant qu’infirmier servant dans le Pacifique, et participant aux assauts à Kwajalein, Saipan, Tinian et Iwo Jima. Aucun d’entre eux n’est allé à l’université, mais ils savaient ce que ce pays représentait. C’étaient des Américains issus de la classe ouvrière qui nous ont enseigné, à mes frères et sœurs et moi, les valeurs qui font vraiment la grandeur de ce pays. Mon père m’a appris qu’il fallait être fier du drapeau. C’était une leçon qu’il avait tirée d’Iwo Jima. Cela signifiait que, quel que soit le défi, quelle que soit la difficulté, quel qu’en soit le coût, il fallait accomplir sa mission, il fallait avancer, être résilient. Il fallait continuer d’avancer jusqu’à ce que la mission soit achevée. Il n’est pas question d’abandon. Comme la plupart des enfants, nous devons tout à nos parents.

C’est le troisième motif de ce discours qui commence à être déployé dans ce passage : la biographie et les origines de Mark Milley. Les WAVES sont les Women Accepted for Volunteer Emergency Service qui avaient un rôle important dans la logistique et l’organisation des lignes arrières américaines. Cet engagement familial expliquerait le soldat qu’il est devenu, à la fois récipiendaire d’une tradition militaire solidement ancrée et porteur de valeurs qui seraient au diapason du projet défendu par l’armée des États-Unis. La double référence à Iwo Jima est évidemment très chargée, tant la photographie des marines (parmi lesquels se trouvait un infirmier) hissant le drapeau sur le mont Suribachi, est devenue un moment iconique de la bataille du Pacifique. Posée pour le photographe Joe Rosenthal, cette image faisait référence à un événement survenu plus tôt dans la journée du 23 février 1945 lorsque des marines avaient déjà hissé le drapeau. Depuis, elle a acquis une force mythologique : récompensée du prix Pulitzer, elle fut plus tard utilisée par Felix de Weldon pour la sculpture de l’USMC War Memorial, situé à proximité du cimetière national d’Arlington, non loin de Washington. L’histoire complexe de cette photographie, et le destin de trois des six soldats qui sont représentés, avait aussi inspiré un film à Clint Eastwood, Mémoires de nos pères (2006), partie d’un diptyque dont le deuxième film, Lettres d’Iwo Jima sortit l’année suivante. 

[…]

Mais avant tout, je tiens à remercier ma femme depuis 38 ans, Holly Ann. Tu as été le pilier de notre famille, vivant essentiellement comme une mère célibataire pour nos deux merveilleux enfants pendant deux décennies de guerre. Comme tant d’autres conjoints de militaires, tu as enterré nos morts, réconforté des familles dans leur chagrin, pris soin de nos blessés d’une manière extraordinaire. Tu as toujours été là pour nos familles militaires, avec amour et compassion dans les moments les plus sombres. Je sais que tu n’avais jamais anticipé le lourd fardeau d’être mariée à quelqu’un comme moi. Mais le Seigneur m’a béni en me donnant ta présence sur ce chemin et cette lutte pendant ces 40 dernières années. Je t’aime plus que les mots ne peuvent l’exprimer. 

À Mary et Peter : le sacrifice que nous autres militaires faisons est toujours ressenti par nos familles. Mais avant tout ce fardeau retombe lourdement sur nos enfants. Vous avez intégré onze écoles différentes et déménagé vingt-quatre fois. Mary, tu venais de naître quand je suis allé au Panama, et tu avais 12 ans, et Peter 10, lors de l’attaque terroriste contre notre pays le 11 septembre. Vous avez vu votre père partir année après année pendant les quinze ans qui ont suivi. Vous avez fait face à une épreuve qu’aucun enfant ne devrait connaître : la peur que votre père ne revienne jamais. Certains des parents de vos amis ont été tués au combat, d’autres blessés. Vous avez été témoins de ce traumatisme, de cette douleur, de cette agonie avec vos yeux d’enfants. Vous, comme les enfants de chaque soldat, avez sacrifié plus que la plupart des gens ici présents ne le pourraient jamais. Mais malgré tout, vous avez persévéré, devenant d’incroyables adultes avec vos propres familles. Vous nous rendez, votre mère et moi, si fiers de tout ce que vous avez accompli et accomplirez encore. Je n’aurais jamais pu tenir à travers quarante cinq ans de service militaire sans chacun de vous.

Ici, Mark Milley date clairement son entrée en guerre au 11 septembre 2001. S’il avait déjà été engagé sur le terrain avant l’attaque contre les tours jumelles, l’intensité et la durée de ses engagements militaires est incomparable. En revenant sur ses différentes affectations à travers le regard et l’expérience de ses enfants, il insiste aussi sur la dimension sacrificielle que représente un engagement au sein de l’armée des États-Unis. 

Je suis profondément honoré d’avoir porté l’uniforme de cette nation pendant cette période. Et je suis honoré d’avoir servi en tant que vingtième chef d’État-Major des armées des États-Unis. Notre armée, comme je l’ai dit, est la plus redoutable et compétente du monde, et nos ennemis le savent. Nous veillons actuellement à la frontière de la liberté avec un quart de million de troupes déployées dans 150 pays.

Ces quatre dernières années, nous avons exécuté d’innombrables opérations, exercices et formations à travers le monde. Nous avons anéanti Daech et rendu la justice à Bagdad. Nous avons soutenu l’Ukraine dans leur combat pour la liberté face à l’agression de Poutine, renforçant ainsi l’OTAN. Nous avons maintenu la stabilité en Asie. Nous avons combattu des terroristes en Afrique et au Moyen-Orient.

Nous avons défendu notre patrie, apporté notre soutien lors d’innombrables désastres, protégé le peuple américain pendant le COVID. Et plus de 800 000 d’entre nous ont servi en Afghanistan. Soyez fiers d’avoir protégé ce pays pendant 20 années consécutives, en payant le prix fort : 2 326 tués au combat et 20 713 blessés, aux côtés de vos courageux collègues de la CIA, du FBI, du Département d’État, de l’USCID, et de nombreux autres membres de notre administration, de nos alliés et partenaires. Gardez la tête haute, vous avez servi avec honneur, courage, compétence et dignité. N’oubliez jamais cela aujourd’hui.

Ce bilan extrêmement laudateur de l’action des armées américaines au cours des deux dernières décennies passe curieusement sous silence la guerre d’Irak (2003-2011) à laquelle Mark Milley a pourtant participé. La seule référence à la situation irakienne touche à la Coalition internationale en Irak et en Syrie contre l’État islamique, formée en 2014. Inversement, il se montre très disert quant à la guerre d’Afghanistan (pourtant deux fois moins létale pour les forces américaines que la guerre d’Irak). Deux ans après la chute de Kaboul, qui constitue l’un des plus gros échecs géopolitiques de l’administration Biden, il s’agit peut-être de rappeler que les troupes américaines n’ont pas été déployées pendant vingt ans — la plus longue guerre que les États-Unis aient jamais connu — pour rien. 

Notre armée est prête. Pendant que nous nous tenons ici à Fort Meyer, entre 60 et 100 navires de guerre de la marine américaine sillonnent les sept mers pour garantir la liberté de navigation. Et nos garde-côtes ont sauvé d’innombrables vies en mer. Rien que ces dernières 24 heures, nous avons effectué plus de 5 000 sorties, et nous le faisons tous les jours, pour protéger notre patrie, soutenir nos alliés et sécuriser les cieux. 

Notre force spatiale s’étend rapidement dans ce nouveau domaine. L’armée et les marines sont actuellement déployés à l’étranger pour maintenir la paix et la stabilité à travers le monde. Simultanément, notre armée prépare l’avenir. Nous investissons dans des capacités pour soutenir notre avantage militaire et moderniser nos troupes. Notre progression ne s’arrêtera pas.

En 2022, les États-Unis ont dépensé 877 milliards de dollars de plus que l’année précédente pour leurs achats d’armements, dont 19,9 milliards relèvent de l’assistance militaire directe à l’Ukraine. Première puissance militaire du monde, ils représentent 39 % des dépenses liées à la défense dans le monde, loin devant la Chine qui pèse 13 %. 

C.Q. Brown est le leader idéal pour accélérer le changement. Il est l’homme qu’il faut, au bon moment, pour poursuivre la mission de cette formidable armée : il sait comment diriger une force combattante à l’échelle globale. Vous allez renforcer la préparation au combat, et je n’ai aucun doute que vous relèverez les défis de demain.

À ses côtés, sa femme Serene et leurs fils, qui ont été des piliers tout au long de cette aventure. Félicitations à vous et à votre famille. C.Q., nous attendons avec impatience de vous voir commander pendant ces quatre prochaines années. Vous êtes un homme de caractère et d’intégrité, et c’est là votre qualité la plus importante. Alors merci, C.Q., pour ce que vous allez accomplir.

Le général Charles Q. Brown est le successeur de Mark Milley. Né en 1962, il a lui aussi eu une riche carrière au sein de l’US Air Force. Au fil de sa carrière, il a occupé divers commandements. Par la suite, il s’est également illustré comme directeur des opérations à la Ramstein Air Base, en Allemagne, et comme commandant du United States Air Forces Central Command, supervisant toutes les opérations aériennes au Moyen-Orient et en Asie centrale. Il est le premier Afro-Américain à diriger une branche des forces armées des États-Unis en tant que Chef d’État-Major de l’US Air Force en 2020. Durant son mandat, et en accord avec les projets de Milley de réformer et moderniser technologiquement l’armée américaine, il a priorisé le multidomaine. 

Ce concept fait référence à une approche intégrée des opérations militaires qui englobe non seulement les milieux traditionnels (terrestre, aérien, maritime) mais aussi les domaines émergents comme l’espace exoatmosphérique et le cyberespace. Cette approche est motivée par l’évolution technologique et la complexité croissante des menaces, allant des défenses surface-air modernes aux drones. Cruciale pour les armées européennes, l’efficacité du multidomaine repose sur des structures de commandement et de contrôle qui peuvent coordonner rapidement et efficacement les actions à travers ces domaines, visant à agir plus rapidement et avec plus de discernement que l’adversaire. En la matière, les États-Unis ont pris une avance importante. À ce titre, C.Q. Brown a aussi œuvré étroitement avec une nouvelle branche, la United States Space Force, soulignant l’importance de la supériorité spatiale dans les décennies à venir. 

Alors que l’assassinat de George Floyd secouait les États-Unis en 2020, il s’était exprimé publiquement, en publiant une vidéo profondément personnelle. Dans cette vidéo, il déclarait être « submergé d’émotion » pour « les nombreux Afro-Américains qui ont subi le même sort que George Floyd ». Il a également évoqué le fait d’avoir été l’un des rares Noirs dans son école, son peloton et dans les postes de commandement. 

Mais aujourd’hui, il ne s’agit pas de nous qui sommes sur cette scène. Il ne s’agit ni du Président, ni du Secrétaire à la Défense, ni de moi, ni de C.Q.. Il s’agit de quelque chose de bien plus grand que nous tous.

Il s’agit de notre démocratie, de notre république, des couleurs qui flottent derrière moi. Il s’agit des idées et des valeurs qui constituent cette formidable expérience de liberté. Ces valeurs et ces idées sont contenues dans la Constitution des États-Unis d’Amérique, qui est l’étoile polaire morale de tous ceux qui ont le privilège de porter l’uniforme de notre nation. C’est ce document, cette idée qui est américaine. C’est ce document qui donne un sens à notre service. C’est ce document qui donne un sens à nos vies. C’est ce document que nous, en uniforme, jurons de protéger et de défendre contre tous les ennemis, étrangers ou intérieurs. Cela a été vrai à travers les générations et nous qui portons l’uniforme sommes prêts à mourir pour le transmettre à la prochaine génération. C’est donc ce document qui donne un sens ultime à notre mort.

La devise de notre pays est « E pluribus unum », un seul à partir de plusieurs. Nous sommes une nation qui vit sous l’égide de Dieu. Nous sommes indivisibles et nous offrons la liberté à tous. Et la devise de notre armée, depuis plus de 200 ans, depuis le 14 juin 1775 lorsqu’une compagnie de fusiliers de Pennsylvanie a été formée, a été « this we’ll defend » (cela, nous le défendrons). Et ce « cela » fait référence à la Constitution des États-Unis, que nous, le peuple, cherchons à perfectionner pour protéger la liberté de ce pays.

Vous voyez, nous qui portons l’uniforme sommes uniques. Nous sommes uniques parmi les armées du monde. Nous sommes uniques parmi les militaires du monde.

Mark Milley déploie une véritable politique historique qui lie la destinée manifeste des États-Unis à la singularité historique de l’armée américaine. En rappelant la levée des régiments de fusiliers pendant la guerre d’Indépendance, il rappelle l’histoire révolutionnaire d’une armée qui trouve ses origines dans une résolution du Congrès demandant aux états de Pennsylvanie, du Maryland et de Virginie de lever des troupes. Cette vision irénique de l’histoire de l’armée américaine — ou, du moins de sa singularité — inscrit la tradition militaire dans la subordination et le service à l’ordre constitutionnel. Autrement dit, l’armée américaine sert un texte fondateur et non des hommes, ce qui impliquerait de la tenir à l’écart des soubresauts politiques des États-Unis. 

Nous ne prêtons pas serment à un pays. Nous ne prêtons pas serment à une tribu. Nous ne prêtons pas serment à une religion. Nous ne prêtons pas serment à un roi, à une reine, à un tyran ou à un dictateur. Et nous ne prêtons pas serment à un apprenti dictateur. Nous ne prêtons pas serment à un individu.

Ce passage a été très largement diffusé puisque Milley fait  une référence à peine voilée à Donald Trump. Alors même que ce dernier l’avait nommé en 2019, les relations entre les deux hommes se sont dégradées — et c’est un euphémisme. Quelques jours avant ce discours, l’ancien président Trump l’avait violemment attaqué sur les réseaux sociaux, déclarant que « dans le passé », Milley aurait été exécuté comme « traître » à cause de son comportement pendant la période suivant l’élection de 2020, lorsque Trump avait tenté de se maintenir au pouvoir en dépit de sa défaite aux élections. La relation entre le président Donald Trump et le général Mark Milley, président des chefs d’état-major interarmées, a été parsemée de tensions et de controverses. 

L’une des premières grandes fissures est apparue lors des manifestations à Washington, D.C., à la suite du meurtre de George Floyd en juin 2020. Milley a été critiqué pour avoir marché en uniforme de combat avec Trump de la Maison Blanche à l’église épiscopale Saint-John après que des officiers fédéraux aient dispersé les manifestants avec du gaz lacrymogène. Suite à cet incident, Milley a exprimé des regrets pour son rôle dans cet événement, affirmant que sa présence avait créé une perception d’implication militaire dans la politique intérieure, envisageant même de démissionner. Le fossé entre Milley et Trump s’est encore creusé à la suite des élections de 2020. Après la défaite de Trump, ce dernier et ses alliés ont tenté d’inverser le résultat de l’élection présidentielle. Selon des des sources proches de Milley, il aurait été profondément préoccupé par l’idée que Trump puisse préparer un coup d’État. Il aurait discuté de manière informelle avec ses adjoints des moyens de contrecarrer une telle action, affirmant que cela ne pourrait se faire sans le soutien de l’armée, de la CIA et du FBI. Milley a également été cité faisant une comparaison troublante entre les actions de Trump et « l’incendie du Reichstag ». Les tensions ont atteint un sommet lorsque Trump a accusé Milley d’avoir été licencié par l’ancien président Barack Obama, une affirmation fausse. En janvier 2021, face à la montée de l’extrémisme et après l’invasion du Capitole par les partisans de Trump, Milley et les chefs d’état-major interarmées ont publié une déclaration rappelant à tous les membres des forces armées leur obligation de soutenir et de défendre la Constitution et de rejeter l’extrémisme.

Nous prêtons serment à la Constitution et à l’idée que représente l’Amérique, prêts à mourir pour la protéger. Chaque soldat, marin, marine, gardien et membre de la garde-côtes s’engage de tout son être à protéger et à défendre ce document, quel que soit le prix personnel qu’il doive payer. 

Et nous ne sommes pas facilement intimidés. Plus de 1,1 million d’hommes en uniforme ont payé le prix ultime, dont 400 000 reposent dans la paix éternelle au cimetière national d’Arlington. Ceux qui se sont sacrifiés sur l’autel de la liberté au cours des deux derniers siècles et demi dans ce pays ne doivent pas l’avoir fait en vain. 

Les millions blessés dans les guerres de notre nation n’ont pas sacrifié leurs membres et versé leur sang pour voir cette grande expérience de démocratie disparaître de cette terre. Non, nous, l’armée des États-Unis, resterons toujours fidèles à ceux qui nous ont précédés. Nous ne renoncerons jamais à notre devoir, en aucune circonstance.

Thomas Paine a écrit ces phrases célèbres dans son pamphlet La Crise : « Voilà des temps qui mettent les âmes à l’épreuve. Le soldat d’été, le patriote de beau temps se déroberont au service de leur pays, pendant cette crise ; mais celui qui reste fidèle mérite l’amour et les remerciements des hommes et des femmes. La tyrannie, comme l’enfer, n’est pas facilement vaincue ». 

Dès les premiers jours, avant même que nous soyons une nation, notre armée était là, debout, résistant à l’assaut, traversant l’épreuve du combat et défendant la liberté pour tous les Américains.

Chacun d’entre nous a signé un chèque en blanc à ce ce pays pour protéger notre liberté. Le sang que nous versons garantit notre liberté d’expression. Notre sang paie pour le droit de nous rassembler, notre notre État de droit, notre liberté de la presse, notre droit de vote et tous les autres droits et privilèges qui accompagnent le fait d’être américain. C’est le sang de nos défunts, le sang de nos blessés qui perpétue notre liberté. Et nous devrions toujours être inspirés par eux. Nous ne devons jamais les oublier et nous devons toujours les honorer.

C’est pour cela que l’oncle de mon père a été blessé en Argonne en 1918.

C’est pour cela que son autre oncle, Moton, a été blessé à Gallipoli en 1916.

C’est pour cela que l’oncle de mon père, son frère, était en Normandie.

Et c’est pendant ce temps-là que le frère de ma mère était aux Philippines.

C’est pour cela que j’ai eu un autre oncle qui a combattu en Corée et que mes cousins ont combattu au Vietnam.

C’est pour cela que ma mère a soigné ceux qui revenaient du Pacifique.

Et c’est pour cela que mon père a débarqué sur la plage d’Iwo Jima, pour que nous, le peuple, dans le but de former une union plus parfaite, puissions jouir des fruits de la vie, de la liberté et du droit à la quête du bonheur.

Nous, le peuple américain, nous, l’armée américaine, ne devons jamais trahir ceux qui nous ont précédés et nous ne tournerons jamais le dos à la Constitution.

De la Première Guerre mondiale à la guerre du Vietnam, Mark Milley raconte une histoire très personnelle du XXe siècle américain à travers le prisme familial. Son engagement au service des États-Unis n’est pas seulement individuel, il est généalogique. Cet impôt du sang, que ses ancêtres auraient payé avant lui, vient lui donner un surcroît d’autorité, dans un discours où il ne cesse de rappeler les liens qui unissent le politique et le militaire aux États-Unis, leurs devoirs respectifs, et surtout leur subordination à un ordre constitutionnel qui, en dernière instance, remonte à la guerre d’Indépendance.

C’est notre étoile polaire, c’est ce que nous sommes et c’est pourquoi nous combattons.

Merci.

Que Dieu bénisse notre armée. Que Dieu bénisse les États-Unis d’Amérique. 

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