Dans la nuit du 26 juillet, une junte militaire menée par des éléments de la garde présidentielle a annoncé la destitution du président Mohamed Bazoum. Elle était composée de dix membres : 

Une partie des dix personnes qui ont participé à cette déclaration, faite à la va vite, semble avoir été depuis marginalisée par le général Abdourahamane Tiani.

« Au terme des pourparlers, la garde présidentielle a refusé de libérer le président, l’armée lui a lancé un ultimatum » a déclaré une source AFP proche de la présidence sous couvert d’anonymat à la suite d’un « mouvement d’humeur » de membres de la garde présidentielle qui ont bloqué l’accès de la présidence à Niamey. 

Le contexte. Au Niger, la période récente a été marquée par une série de menaces de certains militaires vis-à-vis du président Bazoum. Celui-ci, issu du Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme (PNDS) et d’une minorité ethnique, les Oulad Souleymane, essaye difficilement de s’affranchir du système de pouvoir mis en place par son prédécesseur.

  • Le 31 mars 2021, le gouvernement nigérien avait annoncé l’arrestation de plusieurs personnes après une tentative de coup d’État présumée, deux jours avant la prestation de serment du président Mohamed Bazoum. Deux personnes avaient été arrêtées en lien avec ce putsch raté : Sani Gourouza, capitaine de l’armée de l’air, arrêté au Bénin et Ousmane Cissé, ancien ministre nigérien de l’Intérieur du régime de transition militaire (2010-2011), arrêté en avril 2022. Une troisième personne avait été arrêtée en mars 2022, en lien avec une autre tentative de coup d’État ratée mais sur laquelle les autorités nigériennes n’avaient pas communiqué publiquement. 
  • Le Niger et son armée sont hantés par le spectre du commandant Wanké qui a assassiné le président Ibrahim Mainassara en 1999, lui-même militaire et auteur d’un putsch qui avait mis fin à une période de transition civile. 
  • Bien que la France fût au courant de l’affaiblissement de Mainassara, ancien attaché militaire du Niger à Paris, elle n’avait rien fait pour arrêter Wanké qui finit d’ailleurs par rendre le pouvoir. L’exécution de Mainassara par les militaires nigériens autour de Wanké leur avait valu une certaine popularité chez leurs homologues au Mali comme chez celui qui, en février 2010, renversa le président Mamadou Tandja.
  • Si les experts parlent de coup d’État « protecteur », qui a l’objectif de rétablir un fonctionnement démocratique quand le tenant du pouvoir serait susceptible de s’en éloigner, la Guinée a fourni plusieurs exemples de ces « rectifications » qui ne se traduisent pas vraiment par un retour aux libertés publiques.

Le grand contexte. Ces putsch sont davantage la manifestation de l’intervention d’intérêts économiques qui se trouvent contrariés et de querelles sanglantes entre composantes de l’armée.

  • Au Mali les bérets rouges, proches de l’ancien président Amadou Toumani Touré, ont connu un sort tragique en 2012. 
  • L’armée nigérienne est traversée par des conflits de générations, de formations, d’appartenance, de préséances. La garde présidentielle n’est pas une unité d’élite et les forces spéciales paraissent conserver leur fidélité au président Bazoum. Avec l’intensification technologique de la guerre contre les groupes armés qui attaquent l’État, les unités qui sont en contact avec les États-Unis et l’Allemagne obtiennent des privilèges que des troupes de la vieille école perdent peu à peu. 
  • C’est un échec supplémentaire pour le renseignement français qui, déjà, n’avait pas vu il y a plus de 20 ans une tentative de renversement de Mamadou Tandja en plein mois de juillet. Il n’a jamais pu depuis, à la différence de l’époque de Toumani Touré au Mali, disposer d’interactions avec sa contrepartie nigérienne. 
  • Le Niger, pays partenaire privilégié de la France dans le Sahel, en proie à la violence djihadiste dans plusieurs parties de son territoire, ne s’avère donc pas offrir un site de redéploiement de tout repos après les départs successifs du Mali et du Burkina Faso des éléments militaires français.
  • Sans égaler le combat sanglant entre soldats du Soudan, le Niger se trouve confronté à la division manifeste de son armée.

Jusqu’à l’Indépendance, le pays est resté en grande partie sous administration d’officiers français, qu’il s’agisse des confins sahariens ou de l’Est, avec la capitale économique de Zinder. Le tropisme touareg a toujours joué.  

  • Un exemple parlant de ces dynamiques est la tentative menée par la France consistant à faire revivre des unités armées de camelins appuyés par des deltaplanes. Rien de cohérent et de global n’a été mis en œuvre à l’extérieur pour solidifier la capacité opérationnelle et améliorer la solde des troupes. Ce qui explique l’hétérogénéité et parfois la brièveté des soulèvements de l’armée au Niger. Ils s’apparentent le plus souvent à des « mutineries du ventre » que les politiques et journalistes occidentaux ne prennent pas au sérieux car les alliés au pouvoir finiront par rester en place à Niamey. 
  • En 1998, la révolte de l’armée met en lumière la situation désastreuse des garnisons qui sont au combat et à des centaines de kilomètres de la solde. « La garnison d’Agadez, dans le nord-est du Niger, s’est jointe hier à la mutinerie des soldats de la région de Diffa, à l’est, qui exigent notamment le paiement de leurs arriérés de salaires. Ces révoltes surviennent dans deux zones où les négociations du gouvernement avec les séparatistes nomades ont suscité des frustrations chez les militaires »1.
  • L’armée nationale, au milieu de difficultés budgétaires sans nom, ne parvient pas à payer des soldats souvent contraints de vivre sur l’habitant. Le Niger n’a que des frontières hostiles ou des voisins qui offrent des bases de repli. 

L’armée nigérienne, dans son « way of life » et ses techniques du coup d’État, est la seule en Afrique qui approche le byzantinisme des révolutions de « Dodan Barracks »2 dans le quartier chic de Lagos. Le système Guri, l’État profond d’accumulation élitaire de l’argent et de la puissance a gangrené l’armée. Les affinités régionales, les cursus marocains, algériens ou américains, les familles de la banque ou du commerce, les contrats d’armement créent des mafias circonstancielles prêtes à passer à l’acte ne serait-ce que pour un an. 

Sources
  1. Libération, Niger : la mutinerie de l’armée s’étend, 26 février 1998.
  2. “Why I Did Not Kill President Babangida During The Orkar Coup”- Lt Echendu, Sahara Reporters, 25 Octobre 2014.