Cette note de travail est également disponible en anglais sur le site du Groupe d’études géopolitiques.

Les énergies fossiles sont aujourd’hui la principale source d’énergie en Europe. Le pétrole et ses dérivés, le gaz et le charbon représentent plus de 65 % (70 % en 2021) 1 de la consommation finale d’énergie. En plus de participer au dérèglement climatique, ces énergies fossiles ne permettent pas à l’Europe d’assurer son indépendance énergétique : en 2020, avant même l’invasion de l’Ukraine par la Russie, 96 % de l’approvisionnement en pétrole était couvert par des importations (dont 26 % en provenance de Russie, nous sommes depuis passés sous les 5 %), 84 % du gaz naturel était importé (dont 43 % de Russie, désormais sous les 15 %) et 36 % du charbon (dont près de 50 % de Russie). En 2023, la dépendance énergétique des pays de l’UE aux imports en ressources fossiles est toujours importante et représentera probablement plus de 90 % des ressources en pétrole et plus de 80 % de celles en gaz naturel. La suspension des imports en ressources fossiles depuis la Russie a été couverte par des imports accrus depuis les États-Unis, la Norvège ou le Royaume-Uni avec une augmentation des imports en gaz naturel liquéfié notamment 2.

Parvenir à se détacher de la consommation d’énergies fossiles revêt donc un triple enjeu de souveraineté énergétique, de décarbonation et de durabilité. L’utilisation d’hydrogène est clairement identifiée comme indispensable pour atteindre les objectifs de durabilité. En effet, de larges pans de l’économie ne peuvent être électrifiés et requièrent le recours à un substitut aux énergies fossiles liquides et gazeuses pour des usages que l’électricité (et la batterie) ne permettent pas d’assurer efficacement. Le marché mondial de l’hydrogène est déjà une réalité puisqu’il pèse aujourd’hui plus de 100 milliards d’euros et plus de 80 millions de tonnes 3 (MT), essentiellement pour le raffinage et la production d’engrais. En ce sens, l’hydrogène dispose de nombreux atouts car il peut aider à décarboner les industries intensives en énergie — en remplaçant, seul ou recombiné, le gaz naturel, le charbon et le pétrole — et les transports intensifs et lourds dans les situations où l’électrification à batterie est trop volumineuse (2,5 à 3 fois plus), trop lourde (de manière croissante avec la charge) et trop longue à recharger (quelques minutes contre quelques dizaines de minutes ou quelques heures). L’hydrogène permet également d’améliorer la position de souveraineté énergétique européenne et de réutiliser en partie les infrastructures gazières (ou pétrolières) existantes. Il permet en effet de profiter de la grande disponibilité de ressources renouvelables et de foncier dans certaines régions du monde et de les importer dans les pays à forte demande (Europe, Japon, Corée…), sous forme d’hydrogène ou de ses dérivés (ammoniaque et méthanol), multipliant ainsi les sources d’approvisionnement et renforçant la capacité à faire du « friend-shoring » pour notre énergie. À ce titre, les choix stratégiques sur l’évolution de nos mix énergétiques et notamment dans leur composante hydrogène, deviennent des leviers géopolitiques nouveaux, clairement identifiés comme tels par nos grands partenaires européens et la plaque de l’Asie du Nord Est. 

Cette substitution par l’hydrogène (et ses dérivés) et l’électron de nos énergies fossiles est systémique car elle offre une trajectoire vers un modèle énergétique peu carboné qui fonctionne. Ce changement de paradigme requiert d’agir maintenant — sur les infrastructures de production, de distribution et d’usage — pour permettre un basculement au cours des deux prochaines décennies. À horizon 2050, la trajectoire d’indépendance énergétique européenne pourrait impliquer l’utilisation de 40 à 60 MT 4 d’hydrogène dont 2 à 4 MT pour la France — soit 2 à 6 fois les consommations actuelles, selon les prévisions de la Commission européenne.

À horizon 2050, la trajectoire d’indépendance énergétique européenne pourrait impliquer l’utilisation de 40 à 60 millions de tonnes d’hydrogène dont 2 à 4 pour la France.

Pierre-Etienne FRanc

L’invasion de l’Ukraine par la Russie a été un révélateur des faiblesses du modèle énergétique de l’Union européenne. C’est pourquoi, dès le mois de mai 2022, la Commission européenne a proposé un plan dont l’objectif est de mettre fin à notre dépendance aux hydrocarbures russes avant 2030 et d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. Pour y parvenir, REPowerEU prévoit d’agir sur différents leviers : économies d’énergie, diversification des sources d’approvisionnement, accélération du déploiement des énergies renouvelables, réduction de la consommation d’énergies fossiles dans l’industrie et les transports.

Ce plan comprend ainsi l’accélération de la production européenne d’hydrogène et la mise en place de stratégies d’importation avec nos partenaires du pourtour méditerranéen (pipelines) et ceux situés au-delà (ammoniaque). Le plan de la Commission repose sur l’utilisation de 20 MT d’hydrogène bas carbone d’ici 2030, couverte par une production européenne (50 %) et des importations (50 %). Ces 20 MT d’hydrogène renouvelable, selon les usages, remplaceraient entre 25 et 50 milliards de m3 de gaz naturel 5 (soit entre 10 % et 15 % du gaz naturel consommé en Europe). Même si son agenda reste optimiste, cette ambition est confortée par le contexte énergétique, géopolitique et climatique.

Le développement d’une stratégie multi-sources d’accès à la ressource hydrogène semble un moyen durable de renforcer la souveraineté énergétique européenne et française, et de préserver la compétitivité des industries énergo-intensives du vieux continent. Au-delà de la prise de conscience, le succès de cette stratégie repose sur des décisions fortes et déterminées. Elle permet ainsi de relancer ou encore d’approfondir le dialogue stratégique avec quelques-uns de grands Etats du pourtour méditerranéen et du Moyen-Orient. 

Produire de l’hydrogène décarboné en Europe et en France 

Produire 10 MT d’hydrogène sur le sol européen d’ici 2030 suppose la fabrication et l’installation d’une capacité d’électrolyse de 100 GW 6 ainsi qu’un déploiement massif des énergies renouvelables et nucléaires pour garantir la durabilité de l’hydrogène, ce qui ne pourra se faire sans relever de nombreux défis. 

La massification de la production d’électrolyseurs est le premier verrou au développement d’une filière européenne forte et autonome. La planification du déploiement de sites de fabrication d’électrolyseurs d’une capacité totale de 20 GW/an, soit une multiplication par 10 des capacités de fabrication d’ici 2025 est engagée. En parallèle, pour accompagner l’offre, il est nécessaire de doubler les capacités de production d’hydrogène par électrolyse tous les ans jusqu’en 2030, en supposant que nous ayons déjà atteint 2 GW de capacités installées dès 2024. L’atteinte de cet objectif a été longtemps suspendue aux arbitrages sur les PIIEC (projet important d’intérêt européen commun, ou IPCEI en anglais) dont les processus de validation et les déclinaisons nationales ont été très longs pour ces premières phases 7. Pour gagner cette course, la France peut prendre de l’avance en renforçant le soutien aux projets de « giga factory » les plus ambitieux. En complément des supports en investissements envisagés, les financements pourraient prendre la forme de garanties d’accès aux CCFD 8 afin de donner un avantage compétitif aux acteurs qui décident d’implanter des sites de production en France.

La massification de la production d’électrolyseurs est le premier verrou au développement d’une filière européenne forte et autonome.

Pierre-Etienne FRanc

La règlementation européenne reste imprécise sur la transformation de la production d’hydrogène existante, même si elle programme la bascule vers l’hydrogène décarboné des futurs besoins industriels ou de carburants durables dans les transports. Elle pourrait être complétée par des réglementations nationales devant mener, dans un agenda clair, à conditionner l’opération d’unités de production d’hydrogène à base de gaz naturel à la mise en œuvre opérationnelle des projets de capture et de stockage du carbone nécessaires. Pour les opérations basculant vers les technologies d’électrolyse, les mécanismes de soutien sous forme de contrats pluriannuels qui, sur les 10 premières années d’opération des premières grandes unités installées (100 MW ou plus), couvrent tout ou partie du surcoût de l’hydrogène vert au regard de l’hydrogène gris selon un mécanisme indexé sur un prix du CO2 évité croissant 9 sont évidemment essentiels. De tels mécanismes, actuellement en discussion, sont in fine semblables dans leurs effets à celui mis en place aux États-Unis (IRA) et pourraient être d’autant plus facilement limités en engagement financier pour la puissance publique qu’en parallèle les réglementations européennes et nationales forcent la bascule vers un hydrogène vert ou bas carbone de référence. 

Renforcer les infrastructures de production d’électricité décarbonée 

La demande en hydrogène renforce le besoin de renouvelable et de nucléaire. En effet, cette dynamique de soutien à la production d’hydrogène décarboné sur le sol européen ne peut fonctionner de manière vertueuse que si elle s’accompagne de l’accroissement des capacités de production d’électricité décarbonée. Cette accélération de la production d’électricité implique notamment la simplification des procédures d’autorisation et le développement accéléré des capacités de production offshore. 

En 2030, la production d’hydrogène décarboné nécessitera près d’un tiers des nouvelles capacités installées de solaire, près de 10 % de l’éolien terrestre et 50 % de l’éolien en mer, en supposant que l’Europe respecte son programme de déploiement de capacités de renouvelables 10 qui implique de déployer près de 3 fois la capacité solaire installée (+ 420 GW), plus de 2,5 fois celle de l’éolien terrestre (+ 420 GW) et plus de 5 fois celle de l’éolien en mer (+ 60 GW). L’agenda est très tendu, les projets sont souvent complexes à mettre en œuvre et le coût de l’électron n’est pas toujours aussi compétitif que nécessaire.

En 2030, la production d’hydrogène décarboné nécessitera près d’un tiers des nouvelles capacités installées de solaire, près de 10 % de l’éolien terrestre et 50 % de l’éolien en mer, en supposant que l’Europe respecte son programme de déploiement de capacités de renouvelables.

Pierre-Etienne FRanc

Importer ce qui n’est pas accessible en Europe en faisant de la France un carrefour des énergies vertes et bas-carbone 

Il paraît improbable que la sortie progressive de notre continent d’un modèle énergétique fossile puisse mener à une rupture absolue avec une forme de dépendance énergétique. L’occasion nous est cependant offerte de diversifier et de renouveler nos sources d’approvisionnement car l’hydrogène et ses dérivés permettent de stocker et de transporter les énergies renouvelables produites en abondance et à moindre coût dans les géographies qui s’y prêtent le plus. REPowerEU prévoit ainsi d’importer 10 MT d’hydrogène, au travers de trois corridors : la mer du Nord (Norvège, Royaume-Uni), l’Afrique du Nord & le Golfe et potentiellement l’Ukraine. 

La France sera également contrainte de trouver des ressources de substitution pour répondre aux besoins de ses transports et de son industrie, en remplacement progressif d’une partie du pétrole et du gaz. Pour des raisons de délais et de compétitivité, la base électrique nucléaire ne semble pas suffisante dans un avenir proche pour substituer une partie croissante de nos besoins en énergies fossiles alors qu’il convient déjà de renforcer le réseau de transport, de distribution et la production pour accompagner l’électrification des usages (transports, résidentiel, certaines industries) avant même de prendre en compte les besoins liés à l’hydrogène. Cela implique de programmer le recours à des sources alternatives et compétitives d’hydrogène en provenance de zones géopolitiquement diversifiées et favorables. 

Dans ce contexte et afin de s’assurer que la France bénéficie aussi de cette dynamique qui s’accélère au Nord et au Sud de l’Europe, un élargissement du rôle de H2 Global — l’agence allemande qui finance l’importation d’hydrogène — au territoire européen serait pertinent. Il pourrait aussi passer par le renforcement des moyens et du champ d’intervention de la « banque européenne pour l’hydrogène ». Les projets de conversion progressive des réseaux gaziers européens (éventuellement aussi pétroliers), qui constituent l’ossature d’approvisionnement de nos industries et transports sont dans ce contexte importants en complément de l’électrification de nos besoins pour laquelle il est déjà prévu de redimensionner les réseaux. Le développement d’une infrastructure d’accès aux ressources hydrogène/ammoniaque constitue le principal moyen d’ouvrir les sources d’accès aux énergies de demain le plus largement possible afin de ne pas dépendre de quelques pays seulement et de notre seule plaque électrique. Il s’agit ainsi de préparer l’industrie à l’énergie qui va compléter le gaz, le gaz naturel liquéfié et le pétrole en utilisant les réseaux existants et d’assurer que les activités de transformation primaire et secondaire des industries énergo-intensives continuent d’être localisées pour une large part sur le sol français et européen.

La France peut valoriser sa position géographique pour développer une souveraineté de l’accès.

Pierre-Etienne FRanc

Dans ce contexte, la France peut valoriser sa position géographique pour développer une souveraineté de l’accès. De ce fait, la France pourrait donc jouer un rôle particulier entre producteurs et consommateurs. Située au cœur de l’Europe, elle pourrait devenir un carrefour d’approvisionnement et de distribution des énergies vertes compétitives qui se trouvent en son sud ou à ses ports. Cette stratégie permettrait d’accélérer le projet d’Europe de l’énergie et de renforcer la capacité de la France à garder ses industries énergo-intensives. La souveraineté de l’accès doit combiner trois critères, dont la France a la chance de pouvoir disposer : 1. faculté de faire soi-même en substitution en cas de crise (production nucléaire ou renouvelable locale et maîtrise des technologies hydrogène), 2. diversité des infrastructures d’accès – pipes et terminaux portuaires avec les frontons atlantiques de la mer du nord et de la méditerranée – et accélération de la mise en œuvre des projets transeuropéens de corridors (H2 Med, Bar Mar et remontée vers l’Allemagne) et enfin, 3. la grande diversité des potentielles sources d’approvisionnement proches en énergie décarbonée (Europe du Sud, de l’Est, du Nord, Afrique du Nord et Moyen-Orient) qui devraient être reliées à la France, lui permettant de devenir un carrefour européen d’accès à ces énergies. Cette position est aujourd’hui fortement poursuivie par les grandes infrastructures portuaires du Nord de l’Europe, la demande se développant en parallèle d’un travail très actif de structuration des sources d’approvisionnement de l’offre.

Les variations de prix d’accès à de l’hydrogène renouvelable ou bas carbone varient de 3 à 7 €/kg selon les sources et les vecteurs utilisés. Les actifs nucléaires existants pourraient atteindre des prix très compétitifs, sous réserve des stratégies de prix et d’allocation choisies pour ces électrons. Mais le conflit d’usage des électrons bas carbone devenant le grand sujet à venir pour notre mix énergétique, en sus du conflit d’usage des sols qui contraint déjà nos territoires dans leurs options de développement, il semble pertinent de desserrer la contrainte par le maintien de stratégies ciblées d’imports depuis les pays proches. Les sources renouvelables combinées (éolien et solaire) du sud de l’Europe et du pourtour méditerranéen offrent les perspectives actuellement les plus compétitives.

Il s’agit d’un enjeu pour cette décennie pour le secteur de l’acier et des engrais et la chimie de l’ammoniaque et du méthanol, qui doivent désormais choisir entre importer une énergie verte abordable ou possiblement déplacer l’ensemble du processus de production là où elle se trouve, entrainant dans leur sillage des bassins de savoir-faire, de technologies et d’emplois conséquents. Ce qui nous attend, c’est un remplacement progressif du coût de la main d’œuvre par l’énergie verte comme facteur profond de relocalisation des chaînes de valeur. Si demain — ce qui est désormais très probable — les directives RED III européennes conditionnent les productions de l’industrie lourde à l’usage d’énergie bas-carbone (entérinant l’importance du nucléaire en complément du renouvelable et le rôle transitoire des technologies de CCS qui permettent ainsi une transition du fossile vers le décarboné plus aisée), les grands sites énergo-intensifs seront contraints de basculer sur des procédés hydrogène ou d’initier une transformation primaire verte (ammoniaque, HBI en acier, méthanol) dans les pays les plus compétitifs. 

Si l’Europe et la France aident à maintenir ces transformations sur le territoire européen (à l’instar de l’Espagne avec les grands sites intégrés des Asturies), avec une partie d’énergie importée (qui restera in fine probablement moindre que notre dépendance fossile actuelle), c’est l’ensemble de la filière productive du secteur qui pourrait rester basée durablement sur le sol européen. La capacité à autoproduire de l’hydrogène sur le sol national pour les industries stratégiques et pour les besoins non-délocalisables (transports lourds et légers de longue distance notamment) est compatible avec le développement d’une souveraineté de l’accès et permet à l’industrie française intensive en énergie de disposer de bases diversifiées d’approvisionnement.

La capacité à autoproduire de l’hydrogène sur le sol national pour les industries stratégiques et pour les besoins non-délocalisables — transports lourds et légers de longue distance notamment — est compatible avec le développement d’une souveraineté de l’accès et permet à l’industrie française intensive en énergie de disposer de bases diversifiées d’approvisionnement. 

Pierre-Etienne FRanc

L’usage des filières hydrogène permet d’élargir les sources d’import au-delà du cercle États- Unis/Russie/Moyen-Orient/Norvège car le renouvelable est toujours possible chez soi, au risque du coût. Il s’agit là d’une grande différence avec le fossile. Sous l’ère du fossile, la souveraineté d’accès est plus délicate car la ressource fossile ne peut être inventée, limitant la diversité des sources d’approvisionnement à certains pays. Le renouvelable (assorti au nucléaire quand on a la possibilité et l’expertise de le maîtriser) ouvre considérablement le champ des possibles et l’hydrogène (et ses dérivés, notamment l’ammoniaque) est le vecteur qui rend cela possible. En ouvrant les frontières, la France ouvre ses sources de souveraineté en maîtrisant son accès au renouvelable par l’usage de l’hydrogène : elle ouvre sa souveraineté en démultipliant ses options. Elle libère un peu de la contrainte qui pèse sur le développement de l’offre électrique sans pour autant la perturber. Elle fait de cette approche une source d’approfondissement ou de relance de ses relations bilatérales avec ses grands Etats partenaires du Sud et du Moyen-Orient, qui sont par ailleurs particulièrement bien positionnés et mobilisés sur ces sujets. 

Préparer les infrastructures de distribution 

Si la totalité de l’hydrogène gris non fatal actuellement utilisé dans le raffinage et la production d’ammoniaque était remplacé par de l’hydrogène bas carbone ou vert 11, et si une partie de la filière intégrée de l’industrie sidérurgique se tournait également vers la filière DRI à base d’hydrogène vert (cela pourrait représenter plusieurs millions de tonnes), le secteur industriel absorberait près de la moitié de l’approvisionnement en hydrogène envisagé dans REPowerEU, soit environ 9 MT. 

Le plus probable est que seule une partie des usages existants basculeront, dans la mesure où il sera peut-être plus rentable pour les industriels de commencer par développer et mettre en œuvre les projets de capture et de stockage du carbone qui sont en gestation, sous réserve d’accélérer leur mise en œuvre. Les 3⁄4 restants (soit 15 MT) devront être couverts par l’injection d’hydrogène dans le réseau de gaz (potentiel de 1 à 3 MT), la transformation d’hydrogène en électricité (arbitrages gaz / électricité, «  co-firing  » dans les centrales thermiques), les potentiels dans la sidérurgie (plusieurs millions de tonnes) et par un déploiement ambitieux de l’hydrogène dans les transports qui présente le principal autre débouché, notamment dans les transports intensifs et lourds. A long terme, ces segments des transports qui sont difficilement convertibles à l’électrique par batterie pourraient nécessiter près de 30 MT d’hydrogène. 

Dans ce contexte, le projet de règlementation européenne sur les transports, AFIR (Alternative Fuel Infrastructure Regulation), qui prévoit un déploiement minimum impératif pour les grandes infrastructures de recharge alternatives (bornes de recharge électriques, stations hydrogène et gaz naturel comprimé & LNG), en discussion entre les États membres depuis plus d’un an vient enfin d’atteindre un consensus, sur un chiffrage qui reste insuffisant mais permet de démarrer. Il est fondamental qu’il soit mis en œuvre dès aujourd’hui pour ces trois filières qui sont complémentaires.

Il s’agit là d’une condition prépondérante pour permettre aux constructeurs de planifier le passage aux grandes séries (bus, camions, véhicules utilitaires) car son adoption impliquerait une dynamique irréversible et supprimerait les aléas technologiques et de marché. C’est ensuite le moyen d’assurer un débouché pertinent en Europe aux investissements lourds financés notamment par le gouvernement pour les acteurs de la pile à combustible et des réservoirs. Il s’agit également d’un prolongement de la politique industrielle de la France sur l’ensemble de la chaîne de valeur, de la logistique à la distribution (stations hydrogène et approvisionnement). Il s’agit enfin d’une condition nécessaire pour préparer une infrastructure terrestre significative avant l’équipement des ports et aéroports pour accueillir les nouvelles flottes maritimes et aéronautiques fonctionnant avec de l’hydrogène ou ses dérivés (ammoniaque et méthanol vert pour le fret maritime). Les leaders européens de l’aéronautique ne font d’ailleurs pas mystère de leur intérêt à cette accélération des besoins en infrastructures de distribution et d’usage pour développer de futurs avions décarbonés par l’hydrogène 12

Les discussions en cours sur l’AFIR peuvent déboucher sur des compromis sur le rythme de déploiement pour les pays les plus éloignés des grands corridors européens, ou encore sur les capacités initiales minimales des stations (au moins supérieure à 500 kg/J), mais il est essentiel d’enclencher au plus vite cette dynamique sur la décennie en cours. 

Afin de permettre le financement rapide et massif de ces infrastructures 13, il est fondamental de mettre en œuvre au plus vite les bases d’un partenariat public-privé (notamment sous la forme de contrat de capacités 14) assurant à l’État la mise à disposition des actifs de distribution selon un plan de marche clair. Cela permet aux investisseurs institutionnels de bénéficier dans les premières années d’un support limitant l’aléa d’un taux de charge des stations plus faible, et offre aux constructeurs automobiles l’infrastructure de distribution de base pour offrir une solution à l’échelle aux grands opérateurs logistiques.

L’hydrogène est l’étalon du progrès de la transition énergétique.

Pierre-Etienne FRanc

Sur ce sujet, une initiative franco-allemande permettrait de renforcer les ambitions exprimées. L’hydrogène est l’étalon du progrès de la transition énergétique, en ce qu’il permet de décarboner les usages les plus critiques et les plus difficiles, qui sont aussi ceux qui attestent du maintien d’un socle industriel et d’activité intensif. À ce titre, le développement rapide de l’hydrogène décarboné, attesterait du maintien d’une activité industrielle durable sur le territoire. 

Le déploiement d’une économie de l’hydrogène a commencé. La multiplication des accords politiques inter Etats pour approvisionner cette source d’énergie décarboné abondante (sous toutes ses formes), constitue l’émergence d’une nouvelle géopolitique de l’énergie autour des nouveaux vecteurs propres 15. Elle accroît très fortement les sources et la répartition des potentiels d’accès, ce qui devrait favoriser les positions de négociations des zones en demande (Europe, Japon, Corée, Taiwan, Singapour) sous réserve, bien sûr, de prendre les positions. Elle rebat les cartes des grands vecteurs de relocalisation des industries intensives en énergie verte, en en faisant un paramètre aussi important que fut le coût du travail dans les décennies précédentes. Elle peut permettre à la France, du fait de son maillage énergétique important, de sa position géographique optimale au cœur des enjeux d‘importation européens, et de ses champions industriels internationaux, d’en faire un outil de souveraineté renforcée et de mobilisation de ses grands alliés énergétiques et géopolitiques du Sud autour d’un nouveau projet industriel, énergétique et environnemental. Enfin, sa capacité à sceller un accord gagnant-gagnant avec le cœur central de l’Europe (nucléaire, renouvelable et importation raisonnée) pourrait poser les bases d’une nouvelle alliance européenne de l’énergie, après le traité fondateur de la CECA.

Sources
  1. Pour l’ensemble des données de ce paragraphe concernant l’évolution de la situation énergétique européenne, nous nous basons essentiellement sur les chiffres disponibles sur les bases de données (data browser/view/NRG) d’eurostat.
  2. https://www.euronews.com/green/2023/02/24/europes-energy-war-in-data-how-have-eu-imports-changed-since-russias-invasion-of-ukraine
  3. La demande en Europe est actuellement estimée à 8,5 MT.
  4. La variation de la demande possible dépend de la part prise par l’hydrogène dans le segment des transports notamment et de la part de l’industrie énergo-intensive qui restera localisée sur nos territoires.
  5. Selon les chiffres de la Commission Européenne dans RepowerEU.
  6. European Commission : https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/en/ip_22_2829
  7. https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/opinion-hydrogene-leurope-au-ralenti-1898340
  8. Carbon contract for difference – mécanismes d’accompagnement du surcoût de l’hydrogène vert indexé sur le prix du carbone ainsi évité, qui s’apparentent in fine à une prime fixe pour l’hydrogène vert de 2 à 3 €/kg sur une période définie.
  9. Une note conjointe réalisée avec le cabinet Shearman & Sterling revisite les différents modèles de PPP dans le contexte de l’économie hydrogène (https://www.shearman.com/en/perspectives/2022/12/incentivising-investment-in-european-renewable-hydrogen-production)
  10. Selon les chiffres de RepowerEU.
  11. Les dispositions règlementaires actuelles n’imposent pas véritablement cette bascule, tant du côté du raffinage, que du côté de l’ammoniaque, compte tenu des derniers arbitrages politiques. Nos analyses chiffrent les quantités qui pourraient basculer dans la décennie, souvent par des solutions de CCS, à un total d’environ 3 MT, une partie du reste des productions faisant partie intégrante des processus industriels
  12. L’hydrogène est incontournable dans l’aviation de demain qu’il s’agisse d’enrichir les fuels existants à l’hydrogène, de développer les SAF (à base d’hydrogène vert) ou de faire l’avion hydrogène pour les moyens courriers.
  13. La société d’investissement Hy24 a été notamment imaginée pour aider à déployer ces infrastructures.
  14. Une note rédigée conjointement avec le Think Tank Européen CEPS explicite cette approche (https://www.ceps.eu/ceps-publications/exploring-cost-effective-support-mechanisms-for-hydrogen- mobility-infrastructure/). Des initiatives multiples rassemblant tous les acteurs clefs de la filière sont en cours auprès des États Membres et de la Commission Européenne.
  15. Les projets annoncés (une cinquantaine) notamment dans les pays d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient représentent près de 150 milliards d’euros d’investissements et sont parmi les plus avancés en taille et en déploiement, tournés vers l’export vers l’Europe ou les pays d’Asie du Nord Est.