Le piège de Xi à l’Ukraine
Doctrines de la Chine de Xi | Épisode 35
Dans le prolongement du « plan de paix » proposé par Pékin, Xi Jinping a appelé pour la première fois le Président ukrainien le 26 avril. Cette tentative de médiation à double emploi — affirmer le rôle de la Chine et désunir l’Occident — semble pour l’instant peu productive. Elle place en tout cas Volodymyr Zelensky dans une position délicate.
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- Alexandre Antonio •
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- © Ukrainian Presidential Press Off/UPI/Shutterstock
Mercredi, lors du premier appel de Xi Jinping à Zelensky depuis l’invasion russe du 24 février 2022, le président chinois a assuré que Pékin ne jetterait pas « de l’huile sur le feu » de la guerre en Ukraine et a insisté sur le fait que le moment était venu de « résoudre la crise par la voie politique ». Xi a aussi annoncé son intention de mandater un envoyé spécial en Ukraine pour « mener une communication approfondie » sur la « résolution politique » de ce que Pékin appelle non pas une guerre mais la « crise ukrainienne ». Ces annonces ont été accueillies avec optimisme par plusieurs dirigeants européens — dont Emmanuel Macron qui espère que Pékin pourra amener la Russie et l’Ukraine à la table des négociations cet été.
Dans cet entretien pour la télévision de Shenzhen (直新闻)du 27 avril, Guan Yao, éditorialiste et commentateur régulier des affaires internationales de la Chine reprend ici une ligne très proche de celle défendue depuis plusieurs jours par des représentants chinois comme Mao Ning ou Qin Gang. Il est l’ancien directeur du département des affaires courantes du Shenzhen Special Zone Daily (深圳特区报), qui est l’organe de presse du Comité municipal de Shenzhen du PCC.
Pékin tente ici de se poser — dans une stratégie à double emploi qui vise surtout à désunir l’Occident — en médiateur raisonnable et indispensable à la résolution de la guerre en Ukraine en affirmant que « la Chine a toujours été du côté de la paix, et sa position fondamentale est d’exhorter à la paix et de promouvoir les pourparlers », et plus généralement des conflits dans le monde, qui serait « la clef de la résolution des points chauds et des questions difficiles au niveau international ».
Toujours est-il que de nombreux éléments factuels dans la période récente vont à l’encontre de cette position de « neutralité constructive » voulue par Pékin dans la guerre en Ukraine : un plan de paix sans substance et accueilli de manière circonspecte par les instances internationales, un « partenariat sans limite » plus que jamais assumé entre Pékin et Moscou, et les sorties récentes de l’ambassadeur de Chine en France Lu Shaye, représentant de la « diplomatie du loup guerrier » remettent directement en cause le rôle potentiel de la Chine en tant que médiateur du conflit. À l’heure où l’Ukraine prépare sa contre-offensive, l’appel de Xi lui enjoignant de « résoudre la crise par la voie politique » place le Président ukrainien dans une position délicate.
L’appel téléphonique entre les chefs d’État chinois et ukrainien était très attendu en Ukraine et sur l’ensemble du continent européen. Depuis un certain temps, le président ukrainien Zelensky a exprimé à plusieurs reprises son très fort désir de communiquer avec la Chine. Précédemment, lorsque la partie ukrainienne a participé au sommet de Munich sur la sécurité, la première dame d’Ukraine a également transmis à la partie chinoise une lettre spéciale de Zelensky lui-même exprimant ses attentes en matière de dialogue. En ce qui concerne les attentes communes du continent européen, les récentes visites en Chine du Premier ministre espagnol Alexis Sanchez, du président français Emmanuel Macron et de la présidente de la Commission européenne Von der Leyen ont également exprimé leur plaisir de voir une communication directe entre les chefs d’État chinois et ukrainien et leur attente que la partie chinoise exerce une plus grande influence dans la promotion de la résolution de la crise russo-ukrainienne, de sorte qu’en ce sens, le chef d’État chinois a répondu à l’appel et l’Ukraine, y compris la partie européenne, a obtenu ce qu’elle voulait. Le message qui se cache derrière cette forte volonté de communiquer avec la Chine ne pourrait être plus clair, comme l’a souligné le ministre britannique des affaires étrangères mardi à la City de Londres en exposant sa politique à l’égard de la Chine : la Chine est la clef de la résolution des points chauds et des questions difficiles au niveau international. La résolution du plus grand conflit militaire en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale nécessitera, bien sûr, des efforts efficaces de la part de la Chine pour persuader de la paix et promouvoir les pourparlers.
Guan veut ici mettre en évidence une proximité de l’Europe et de la Chine qui serait dans les intérêts de Pékin dans la confrontation face aux États-Unis, et qui se manifeste concrètement par les visites du Chancelier Scholz puis du président du Conseil européen Charles Michel à Pékin en novembre dernier, suivi du tour des capitales européennes effectué par Wang Yi en février ; mais aussi par la visite conjointe du Président Macron et de la Présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen.
Volodymyr Zelensky a été le premier à s’exprimer sur les réseaux sociaux, déclarant que l’appel était « long et significatif » et qu’il était multilingue, en anglais, en chinois et en ukrainien, de sorte qu’il était manifestement très satisfait du contenu et du résultat de l’appel. Je pense personnellement que ce que le président ukrainien attendait avec le plus d’impatience et d’inquiétude, c’est l’accent mis par le chef d’État chinois sur le fait que le respect mutuel de la souveraineté et de l’intégrité territoriale constitue la base politique des relations entre la Chine et l’Ukraine. J’ai également remarqué que de nombreux médias étrangers ont repris cette phrase dans leurs titres. Mais il convient de noter qu’il s’agit en fait d’une position cohérente de la diplomatie des grandes puissances, et le chef d’État chinois a également parlé hier des quatre points sur ce qu’il faut faire, quatre choses que la communauté internationale doit faire ensemble et trois observations. « Le premier de ces « quatre devoirs » est que « la souveraineté et l’intégrité territoriale de tous les pays doivent être respectées ». Plus d’un an s’est écoulé depuis l’éclatement de la crise russo-ukrainienne, et la principale revendication et le principal objectif de la partie ukrainienne sont sa propre souveraineté et son intégrité territoriale. À une époque de changements sans précédent et de changements accélérés dans le monde, s’il y a de temps en temps des murmures, des erreurs d’appréciation et même des perceptions confuses concernant la base politique des relations bilatérales entre la Chine et l’Ukraine, la réaffirmation du chef d’État chinois hier a eu un effet définitif et a donné à la conversation une certaine tranquillité d’esprit.
La Chine maintient depuis le début de la guerre cette position ambiguë de « respect de la souveraineté de tous les pays » que Pékin utilise pour défendre sa « souveraineté » dans le cas de Taïwan et de sa politique « d’une seule Chine » et pour se présenter comme un « médiateur raisonnable » de la guerre en Ukraine. Hu Wei prévenait cependant que la stratégie de projection de la « neutralité » chinoise depuis plus d’un an — témoin d’un partenariat durable et tangible entre Pékin et Moscou — prive le pays d’une marge de manœuvre politique dans la communauté internationale.
J’ai remarqué un détail : aujourd’hui encore, certains éditeurs examinent les versions traduites et comparent les phrases fortes telles que « regarder le feu de l’autre côté de la rivière », « verser de l’huile sur le feu » et « profiter de l’occasion pour en tirer des bénéfices ». Quelle traduction est la plus pertinente et la plus exacte ? La traduction du Washington Post est aujourd’hui la meilleure : la Chine ne regarderait pas le feu de l’autre côté de la rivière, n’ajouterait pas d’huile sur le feu et exploiterait encore moins la situation pour en tirer des bénéfices. À mon avis, ce type de couverture par les médias américains et occidentaux est un reflet concret du poids et de l’influence d’une grande puissance.
Cette affirmation d’une « même position cohérente » de la Chine sur la guerre en Ukraine est largement contestable. En réalité, le plan de paix proposé par la Chine, le « partenariat sans limite » assumé entre Pékin et Moscou depuis la visite de Xi à Moscou, et les sorties récentes de l’ambassadeur de Chine en France Lu Shaye sur « les ex-pays membres de l’Union soviétique [qui] n’ont pas le statut effectif d’un État souverain dans le droit international » remettent directement en cause la crédibilité — et donc le rôle potentiel — de la Chine en tant que médiateur du conflit.
Le président chinois a souligné une nouvelle fois dans son appel d’hier, et il s’agit en fait de la même position cohérente qu’il a réitérée à plusieurs reprises à l’intérieur du pays et à l’étranger depuis l’éclatement du conflit russo-ukrainien : concernant la crise ukrainienne, la Chine a toujours été du côté de la paix, et sa position fondamentale est d’exhorter à la paix et de promouvoir les pourparlers. Le dialogue et la négociation sont la seule issue viable. Ce qui est clair pour le monde entier, c’est que le chef d’État chinois lui-même est depuis longtemps impliqué dans la situation, la planification et l’élaboration de stratégies, et qu’il a successivement proposé les « quatre devoirs », les « quatre points communs » et les « trois points de réflexion » sur la crise. Étant donné que les « trois points de réflexion » soulignés hier par le chef d’État chinois ont suscité une inquiétude et des répercussions aussi fortes dans l’opinion publique mondiale, je pense personnellement qu’ils sont similaires aux « quatre devoirs », « quatre points communs » et « trois points de réflexion » mentionnés précédemment. Je pense personnellement qu’il faut également les mettre en parallèle avec les « quatre devoirs », « quatre points communs » et « trois points de réflexion » susmentionnés, y compris le document de position en 12 points publié par la Chine à l’occasion du premier anniversaire du conflit russo-ukrainien, qui constituent ensemble une solution chinoise visant à promouvoir une solution politique à la crise ukrainienne, un ensemble de positions de grandes puissances et une logique de prise de décision. La crise russo-ukrainienne dure depuis plus d’un an et rien n’indique qu’elle va s’apaiser. Non seulement le conflit direct est coûteux en termes de morts et de blessés, mais ses retombées et ses impacts continuent de se propager, notamment sur les marchés de l’énergie et des denrées alimentaires, dont le monde entier fait les frais. L’une des raisons importantes de cette situation est que le monde extérieur exerce une forte pression, qu’il s’agisse des pays qui observent la situation de loin, des pays qui alimentent le conflit, des pays qui profitent de l’occasion pour gagner beaucoup d’argent grâce à la guerre ou des pays qui préconisent ouvertement de « se battre jusqu’au dernier Ukrainien ».
Le plan de paix chinois sur la guerre en Ukraine, qui entend proposer une médiation fondée sur le principe de « souveraineté de tous les pays » a été accueilli de manière circonspecte par l’OTAN, dont le Secrétaire général Jens Stoltenberg a affirmé que « la Chine n’a pas beaucoup de crédibilité parce qu’elle n’a pas été en mesure de condamner l’invasion illégale de l’Ukraine » et par l’Union européenne — Josep Borrell considérant qu’il ne s’agissait pas d’un plan de paix.
L’actuel représentant du gouvernement chinois pour les affaires eurasiennes est le haut diplomate Li Hui, ancien vice-ministre des affaires étrangères qui a également été ambassadeur en Russie pendant 10 ans. Aujourd’hui, en réponse à une question de Bloomberg, Mao Ning a spécifiquement déclaré que Li Hui connaissait bien les questions pertinentes et qu’il jouerait un rôle actif dans la persuasion de la paix et la promotion des pourparlers. Il va sans dire que la communauté internationale attend avec impatience la prochaine visite de Li Hui et une communication approfondie. Lors de la conférence de presse d’aujourd’hui, Mao Ning a également souligné qu’elle se félicitait de la nomination du nouvel ambassadeur par le président ukrainien et qu’il était prêt à faciliter l’exercice de ses fonctions. Nous pouvons donc constater qu’après la communication directe entre les chefs d’État chinois et ukrainien, il y a effectivement un nouveau climat et une nouvelle opportunité de persuader la paix et de promouvoir les pourparlers sur la crise ukrainienne. Cependant, il faut également reconnaître qu’il existe une grande incertitude quant à la possibilité de saisir cette nouvelle opportunité, au maintien de ce nouveau climat et à l’obtention de résultats substantiels et de percées dans les pourparlers de paix. La visite de l’ambassadeur Li Hui en Ukraine aurait dû faire l’objet d’un consensus entre les chefs d’État chinois et ukrainien, mais l’appel a également souligné que Li Hui devait avoir une communication approfondie avec toutes les parties à la crise et les résultats de cette communication. La communauté internationale, en particulier les parties à la crise, devrait agir dans le même sens.
Les « trois non » (three-nos) est une politique établie par la Chine pour « défendre sa souveraineté de l’État et son intégrité territoriale » qui vise à ce que les États-Unis ne soutiennent pas l’indépendance de Taïwan, le principe de « deux Chines », ou le principe d’« une Chine, une Taïwan », ou l’adhésion de Taïwan à toute organisation internationale dont le statut d’État est une condition.
Aujourd’hui, lors de la réunion des ministres des affaires étrangères de Chine et d’Asie centrale, le conseiller d’État et ministre des affaires étrangères Qin Gang a une nouvelle fois souligné que même les crises les plus complexes doivent être résolues par des négociations ; même les conflits les plus complexes ne peuvent être résolus que par des solutions politiques. Ce n’est que lorsqu’une vision aussi profonde et une perception aussi sobre deviendront réellement un consensus international et que de plus en plus de pays, comme la Chine, mettront réellement en pratique les « trois non » qu’un cessez-le-feu et une solution politique à la crise ukrainienne deviendront enfin réalisables.