Une récente série de sondages réalisés par Datapraxis, YouGov et l’institut Gallup permet de faire émerger deux visions relatives au rôle joué par Moscou dans la guerre contre l’Ukraine ainsi qu’aux relations avec la Russie1. Si la plupart de ces indicateurs confirment une tendance de fond, d’importantes disparités subsistent — notamment au sein du « bloc » regroupant la Turquie, la Chine et l’Inde.

  • Une majorité des individus sondés dans les pays occidentaux (États-Unis, Grande-Bretagne et 9 États-membre de l’Union : Danemark, France, Allemagne, Italie, Pologne, Portugal, Roumanie, Espagne et Estonie) considèrent la Russie comme un « adversaire ».
  • En Inde et en Chine, 80 % et 79 % de la population respectivement considèrent Moscou comme un « allié » ou un « partenaire nécessaire ».
  • L’opinion publique est beaucoup plus divisée en Turquie et reflète le positionnement du gouvernement d’Erdoğan relative à la guerre menée par la Russie contre l’Ukraine : condamnation de certaines actions russes (notamment l’annexion de quatre régions ukrainiennes en septembre) et vote de résolutions contre la Russie aux Nations unies, tout en continuant à discuter régulièrement avec Poutine et à refuser la mise en place de sanctions.

Cette ambiguïté se retrouve également dans la vision de la population turque relative à l’issue de la guerre. Presque la moitié des citoyens turcs sondés (48 %) considère que « le conflit doit cesser le plus rapidement possible, même si cela signifie que l’Ukraine doit céder le contrôle de certaines régions à la Russie », soit la proportion la plus élevée derrière l’Inde (54 %). Ces derniers n’adhèrent toutefois que peu (8 %) à la thèse selon laquelle « la domination occidentale du monde doit être repoussée, même si cela signifie accepter l’agression territoriale russe contre l’Ukraine ».

D’une manière générale, l’opinion publique est très divisée sur la signification de la guerre ainsi que sur l’équilibre mondial qui en découlera.

  • Cette tendance n’est pas propre à la Turquie, et touche également les pays occidentaux dont une part conséquente (28 % pour les Américains, 34 % pour les Européens et 39 % pour les Britanniques) ne sait pas à quoi ressemblera le monde d’ici dix ans.
  • Tandis que les Russes (33 %) et les Chinois (30 %) penchent plus vers « une répartition plus équitable du pouvoir mondial entre plusieurs pays », ces derniers voient comme presque aussi probable un scénario selon lequel Pékin exercerait une domination globale.
  • Tout comme les Européens, les Britanniques et les Américains, les Chinois sondés ne pensent pas qu’une autre puissante dominante émergera (4 %), ou bien que le monde sera encore dominé par les États-Unis dans une décennie (6 %).

La Chine voit principalement le soutien américain (45 %) et européen (40 %) à l’Ukraine comme une « défense de la domination occidentale ». Si cette vue se retrouve en Turquie et en Russie, le seul pays non-occidental qui y voit avant tout une défense de l’Ukraine en tant que démocratie est l’Inde — dans une proportion toutefois plus importante pour les Européens (36 %) que pour les Américains (28 %).

L’Inde (désormais le pays le plus peuplé au monde, et dont l’économie devrait connaître une croissance supérieure à celle de la Chine en 2023 et 2024) perçoit plus la Russie (à 51 %) comme un allié que les États-Unis (47 %) ou l’Union européenne (35 %), ce qui reflète la position défendue par Narendra Modi (appel à la paix mais célébration de l’amitié entre les deux pays). Les sanctions contre Moscou ont fait de l’Inde un partenaire commercial majeur de la Russie, qui est désormais le troisième importateur d’hydrocarbures russes en termes de valeur (derrière la Chine et l’Union). Avant février 2022, l’Inde n’importait quasiment pas d’hydrocarbures en provenance de Russie.

Sources
  1. Timothy Garton Ash Ivan Krastev et Mark Leonard, « United West, divided from the rest : Global public opinion one year into Russia’s war on Ukraine », European Council on Foreign Relations, 22 février 2023.