Ce jeudi 19 janvier, la France et l’Espagne ont signé un traité d’amitié et de coopération à Barcelone dont le but est d’élever et de sceller les relations bilatérales entre deux pays dans un cadre théorique permanent.

Dans cette séquence qui entend s’appuyer sur le modèle du traité du Quirinal et dans le cadre des travaux du Groupe d’études géopolitiques, nous avons souhaité proposer à une dizaine de personnalités espagnoles de plusieurs sensibilités et horizons de réfléchir aux effets de la signature du traité de Barcelone sur la construction européenne en le comparant aux axes de coopération existants. Pour appréhender cette question dans une perspective pluridimensionnelle, nous avons demandé aux contributeurs de se positionner sur une échelle de 0 à 5 en répondant aux deux affirmations suivantes :

« Dans le contexte des nouvelles priorités européennes imposées par la guerre en Ukraine et la transition écologique :

  1. L’axe franco-espagnol devient un moteur d’intégration européenne comparable au moteur franco-allemand.
  2. L’axe franco-espagnol devient un moteur d’intégration européenne comparable au moteur franco-italien ».

Ana Palacio 

Avocate internationale, Ana Palacio a été ministre des Affaires étrangères d’Espagne (2002-2004) et membre du Parlement espagnol (2004-2006). De 1994 à 2002, elle fut aussi membre du Parlement européen, où elle a présidé la commission juridique et du marché intérieur.

La nouvelle réalité européenne ne sied pas aux axes. Les rapports de force que nous considérions comme immuables dans la construction européenne ne sont plus valables aujourd’hui, car ils reposaient sur l’élan centripète et communautarisant de l' »axe » par excellence — l' »axe » franco-allemand est bancal au moins depuis l’inauguration de l’équipe rouge-verte à Berlin. Le leadership, si tant est qu’il existe, s’est déplacé vers le nord et l’est. Dans ce contexte de bouleversement, les assimilations au monde d’hier pour planifier et construire le monde de demain sont peu utiles.

Il faut donc commencer par regarder en face l’effondrement de l’Allemagne : au milieu d’une crise sans précédent, elle fait cavalier seul, sans consulter — ni même communiquer. Le leader de facto de l’Union (aux temps merkéliens) traverse une phase de confusion et d’introspection aussi grave que dangereuse pour l’avenir collectif du continent. Et cette situation s’inscrit dans le défi existentiel que pose aux Européens la stratégie russe de destruction brutale et systématique de l’Ukraine. Mais l’effort collectif nécessaire de nos gouvernements et de nos sociétés sur le flanc oriental ne peut se faire au détriment d’autres dimensions stratégiques fondamentales, en particulier au détriment de la Méditerranée. Nous ne pouvons pas nous perdre dans une perspective exclusivement centre-européenne. Dans cet équilibre des priorités, l’Espagne et l’Italie doivent jouer un rôle de premier plan. La France, pour sa part, devra assumer — sans ambiguïté — le rôle de charnière qu’exigent sa géographie et son histoire dans la construction européenne.

Par conséquent, la notation de ces deux axes, dans la mesure où ils sont déconnectés du monde d’aujourd’hui, n’a aucun sens.

Arancha González Laya

Arancha González Laya est une économiste espagnole, ancienne directrice du Centre du commerce international. Elle fut ministre des Affaires étrangères, de l’Union européenne et de la Coopération du 13 janvier 2020 au 12 juillet 2021 dans le second gouvernement Sanchez.

Ce 19 janvier, l’Espagne et la France tiennent un nouveau sommet à Barcelone. C’est un moment spécial où un traité d’amitié et de coopération entre les deux pays est signé. Dans deux jours, on célébrera le 60e anniversaire du traité de l’Élysée, un accord entre la France et l’Allemagne qui a ouvert une nouvelle ère après deux guerres mondiales qui les ont opposées. Son importance n’est pas seulement bilatérale : sans la France et l’Allemagne, il n’y aurait pas d’Union européenne. Il y a deux mois à peine, c’était aussi le premier anniversaire du traité du Quirinal entre la France et l’Italie. Comme cela a été le cas entre l’Espagne et l’Italie, les relations entre la France et l’Italie ont connu des hauts et des bas, d’où l’importance de cet accord pour réduire la volatilité. 

Il est compréhensible de chercher des comparaisons entre ces accords : l’Espagne est-elle élevée au rang de partenaire équivalent à l’Allemagne, l’Espagne détrône-t-elle l’Italie aux yeux de la France ? Je pense que ce serait une erreur de chercher à établir un classement. Chacune de ces relations a sa valeur intrinsèque et son propre espace. Elles sont toutes essentielles aujourd’hui pour une plus grande intégration de l’Union européenne.

Le moteur franco-allemand reste une condition nécessaire au progrès européen. Mais comme l’ont montré les derniers temps, il est aujourd’hui insuffisant. Une Union confrontée au défi majeur d’exister en tant qu’acteur économique mais aussi géopolitique dans un monde de plus en plus régi par des rapports de force a besoin de moteurs supplémentaires pour l’aider à construire un consensus européen. Ces efforts doivent aujourd’hui se concentrer sur le renforcement des capacités de défense en Europe ainsi que sur la construction de l’Union de l’énergie.

Le nouveau traité entre l’Espagne et la France est la concrétisation du concept d' »Espagne nodale » défini dans la stratégie d’action extérieure espagnole d’avril 2021. La capacité de l’Espagne à influencer de manière décisive la construction du consensus européen grâce à des alliances à géométrie variable. 

La signature à Barcelone est également un signal fort de l’importance du voisinage méditerranéen de l’UE pour les deux pays. Alors que les deux pays sont des soutiens indéfectibles de la résistance de l’Ukraine à l’envahisseur russe, l’UE doit accorder une plus grande attention à son flanc sud, source de grandes opportunités pour l’Europe mais qui nécessite également une plus grande et meilleure gestion des risques provenant du Sahel et de ses environs. 

Saluons ce nouveau traité entre l’Espagne et la France. Et cherchons dans un avenir proche à en trouver un entre l’Italie et l’Espagne qui ancre la relation sur des bases solides.

Josep Piqué

Président de ITP Aero, Josep Piqué est aussi éditeur de Política Exterior. Il fut ministre de l’Industrie et de l’Énergie, puis des Affaires Étrangères sous José María Aznar.

Q. 1 : 3/5 

Q. 2 : 2/5

L’axe franco-allemand a historiquement été le moteur de l’intégration européenne. Et il en sera ainsi. Si les deux pays ne travaillent pas ensemble, aucun progrès significatif n’est envisageable. Il n’a donc pas de substitut. Dans tous les cas, ils doivent être complémentaires, et si des liens plus étroits sont établis avec la France ou l’Italie, ils doivent être cohérents et aller de pair avec un accent particulier sur la coopération avec l’Allemagne. 

Il est vrai que dans les circonstances actuelles (post-pandémie et guerre en Ukraine), l’Allemagne semble s’engager sur une voie plus autonome, reflétée par le Zeitenwende, qui, s’il se concrétise, représente un paradigme véritablement nouveau dans lequel l’Allemagne pourrait assumer un rôle de leader qui, jusqu’à présent, a toujours été subordonné au progrès commun. Nous le voyons également dans ses mesures anti-crise, profitant du fait qu’elle dispose d’une marge fiscale nettement supérieure à celle de la France, de l’Italie et de l’Espagne, et qu’elles lui permettent de prendre des mesures et d’apporter des aides à des entreprises qui, par leur ampleur, pourraient fausser le marché unique et les conditions de concurrence. Il est donc important que les trois pays latins se coordonnent entre eux afin de délimiter et de concilier leurs intérêts avec ceux de l’Allemagne. Mais en aucun cas ils ne peuvent remplacer ou neutraliser le rôle de l’Allemagne. Il est dans l’intérêt de l’intégration européenne que nous allions tous ensemble, même s’il reste vrai, en tout état de cause, que l’axe franco-allemand est actuellement indispensable et ne peut être remplacé par les autres.

Claudi Pérez

Claudi Pérez est journaliste, directeur adjoint de El País.

Q. 1 : 1 / 5

Q. 2 : 4* / 5

Rien ni personne ne peut remplacer l’axe franco-allemand. Cela est dû à la démographie, à l’histoire, à la puissance économique, à l’influence dans les institutions européennes. L’Europe était, est et sera une sorte de compromis entre les règles allemandes et la discrétion française. Même aujourd’hui, cet axe ne pourrait être remplacé, avec un gouvernement allemand à l’agonie et un gouvernement français qui s’est orienté vers d’autres constellations. Cela me rappelle le film Le Pont des espions de Spielberg, où l’un des personnages en vient à dire (je cite de mémoire) : « Nous appelons le livre des règles la Constitution. Et nous acceptons les règles. Cela fait de nous des Américains.” Le livre des règles européen est la primauté de l’axe franco-allemand. Avec les trois dernières crises, les certitudes ont disparu et les tabous ont été brisés, les lignes rouges ont été franchies et les règles réécrites. Mais l’axe est toujours là. Intact.

J’ai placé sur cette note une astérisque sur l’Italie. Une post-fasciste ou néo-fasciste dirige actuellement ce pays qui est la troisième économie d’Europe. Un pays en crise perpétuelle depuis un quart de siècle, avec une dette qui dépasse 200 % du PIB, avec une industrie en déclin, avec des voix qui remettront en cause l’euro si le risque d’une crise de la dette se matérialise. Avec des références pro-européennes qui sont clairement remises en question malgré les propres déclarations de Meloni. L’Espagne, en revanche, a montré que ses références pro-européennes, après le trou laissé par Aznar, sont clairement en hausse. Elle dépose des documents à Bruxelles. Elle cherche à s’allier avec l’Allemagne, la France et même les Pays-Bas sur les règles fiscales. L’européanisme non critique et déclaratif est l’un des maux de l’Espagne depuis longtemps ; cette fois-ci, cela semble différent. Cela est assuré par le gouvernement actuel et la situation politique actuelle. Mais l’astérisque est toujours là parce que les élans de pression – et la capacité d’influence – étaient beaucoup plus faibles au milieu de la Grande Récession, lorsque l’Espagne a dû demander un sauvetage et que son influence s’est estompée. L’influence n’est pas nécessairement là pour rester.

Cristina Monge 

Politologue spécialisée dans les mouvements sociaux et la transition écologique, Cristina Monge enseigne à l’université de Saragosse. Elle est aussi la présidente de la plateforme citoyenne +Democracia. 

(Q1) 4 / 5 | (Q2) 4 / 5

Dans le contexte des nouvelles priorités européennes imposées par la guerre en Ukraine et la transition écologique, l’axe franco-espagnol devient un moteur de l’intégration européenne, comparable aux axes franco-allemand et franco-italien, dans la construction d’un nouveau modèle énergétique qui permet d’atteindre les objectifs du Pacte vert européen et de concrétiser le principe d’autonomie stratégique en matière d’énergie, qui est à son tour la clé pour le reste des secteurs.

Cet axe franco-espagnol doit garantir une carte des connexions énergétiques qui permette de surmonter l’isolement de la péninsule ibérique, à l’origine de l' »exception ibérique », et de tirer parti de son potentiel de développement des énergies renouvelables pour fournir une énergie propre à l’ensemble de l’Union européenne. Le potentiel de l’Espagne en matière de déploiement de différents types d’énergies renouvelables, le développement de la technologie, ainsi que la robustesse de son réseau électrique, en font un énorme générateur d’énergie verte susceptible d’être exportée, ce qui, une fois un certain volume atteint, signifierait une baisse des prix de l’énergie pour l’ensemble de l’Europe. À cela s’ajoute, en termes d’avenir, le potentiel de production d’hydrogène vert d’un pays qui compte environ 8 000 km de côtes.

Ce sommet hispano-français, à la veille de la présidence espagnole du Conseil de l’Union, doit faire face à d’énormes défis. L’accumulation de preuves évidentes sur le rythme auquel progressent la crise climatique et la guerre en Ukraine rend encore plus urgent que les questions relatives à la transition écologique en général et au changement de modèle énergétique en particulier, occupent une place prépondérante.

Pol Morillas 

Pol Morillas est directeur du Barcelona Centre for International Affairs (CIDOB), un think-tank spécialisé dans les relations internationales. Il a également été coordinateur du Comité politique et de sécurité du Conseil de l’UE, et conseiller pour l’action extérieure au Parlement européen. 

(Q1) 3 / 5 | (Q2) 4,5 / 5

Avec la signature du traité de Barcelone, ou traité d’amitié franco-espagnol, ce jeudi, Emmanuel Macron va tenter de diversifier le nombre de pays avec lesquels la France entretient une relation privilégiée en faveur d’une plus grande intégration européenne. Le contexte du sommet est marqué par les conséquences de la guerre en Ukraine, la nécessaire avancée de l’autonomie stratégique européenne et la consolidation d’un ordre international bipolaire caractérisé par la rivalité entre la Chine et les États-Unis.

Pedro Sánchez, quant à lui, se présentera comme un partenaire fiable pour faire avancer l’union énergétique, la réforme des règles économiques et fiscales, le pacte sur les migrations et l’asile et l’augmentation des capacités européennes de sécurité et de défense, dans la perspective de la présidence espagnole du Conseil de l’Union dans les six prochains mois. Les deux dirigeants partagent la nécessité de repenser le tissu des alliances au sein de l’UE, et de revaloriser la position de la France et de l’Espagne en tant que pays clés dans les négociations en cours. La relation entre la France et l’Allemagne n’est pas au mieux, mais aucun des deux pays (ni l’Espagne, et encore moins avec un chancelier social-démocrate) n’entend prendre la place de Berlin dans ses relations avec Paris. En revanche, l’Italie est devenue un partenaire plus imprévisible, avec Giorgia Meloni comme premier ministre, ce qui ouvre une fenêtre d’opportunité pour Madrid dans sa rivalité traditionnelle avec Rome.

Parmi tous les domaines de coopération qui seront paraphés dans le traité de Barcelone, la transition verte et la construction de nouvelles infrastructures énergétiques seront dans le collimateur de tous les observateurs. Après des mois d’intenses doutes sur MidCat, alors que la France lutte pour maintenir sa centralité et son propre modèle sur le marché européen de l’énergie et que l’Allemagne pousse à l’accroissement des interconnexions européennes, la solution H2Med est présentée comme un pari d’avenir, bien que restant à préciser : une infrastructure pour l’hydrogène vert, européiste grâce au soutien de Bruxelles, et ayant vocation à modifier la dynamique de la géopolitique énergétique en Europe, en donnant une plus grande centralité aux pays du sud de l’Union.

Ruth Ferrero 

Ruth Ferrero-Turrión est professeure de sciences politiques à l’Universidad Complutense de Madrid. Elle collabore également au journal El Periódico, à Esglobal, et Política Exterior.

(Q1) 2 / 5 | (Q2) 5 / 5

L’axe franco-espagnol correspond à la nécessité pour l’Europe de commencer à travailler sur la base de géométries variables en fonction des différents besoins conjoncturels qui se présentent. En l’occurrence, la crise énergétique et la nécessité de rechercher des alternatives aux importations d’hydrocarbures ainsi que de renforcer la connectivité dans le cadre de l’Union. 

La France profite de la faiblesse actuelle de l’Allemagne pour gagner en influence auprès des autres partenaires européens, montrant ainsi que Paris veut devenir la force motrice du projet européen. Par conséquent, ces approches sont réalisées dans la perspective de la subalternité de leur contrepartie correspondante. Contrairement à l’axe franco-allemand, dans ce type d’alliance stratégique, il n’existe pas de plan stratégique dynamique ou à long terme pour faire avancer le projet d’intégration européenne, au-delà de la stricte nécessité de questions sectorielles spécifiques telles que l’énergie.

L’Espagne et l’Italie, en tant que puissances moyennes européennes, sont indispensables pour renforcer le projet d’intégra tion européenne ; sans elles, cela n’est pas possible. Cependant, les capacités industrielles et économiques et l’influence politique que peuvent avoir l’Italie ou l’Espagne ne sont pas suffisantes pour remplacer la puissance allemande dans aucune de ces régions.

La guerre ouverte en Ukraine façonne de nouveaux systèmes d’alliances géopolitiques et stratégiques au sein de l’UE qui rompent avec le moteur classique du projet européen et qui proposent des visions alternatives et des propositions de progrès qui vont au-delà de la dualité France-Allemagne. Il est probable que désormais, il ne faudra plus parler d’axes linéaires, mais plutôt de stratégies multisectorielles et fluides entre les États membres.

Lilith Verstrynge 

Secrétaire d’État pour l’agenda 2030 sous l’actuel gouvernement espagnol, Lilith Verstrynge est aussi coordinatrice du parti Podemos. 

(Q1) 1-2 / 5 | (Q2) 1-2 / 5

Les circonstances mondiales actuelles ont placé l’Union européenne dans un dilemme qui implique qu’elle doive prendre des décisions et dépasser les logiques du passé. En ce sens, je crois que l’Union a besoin d’une autonomie stratégique et, à cette fin, elle doit s’orienter vers un scénario qui dépasse la vision de la concurrence entre les pays et s’articule autour des intérêts communs que nous avons en tant que région dans le scénario mondial actuel. 

À cet égard, notre pays a joué un rôle clé pendant la pandémie, par exemple dans l’engagement en faveur de la mutualisation de la dette qui a finalement été obtenu grâce à l’outil européen Next Generation UE ou, actuellement, dans la recherche d’une réforme commune du marché de l’énergie. 

Pour cette raison, je crois que dans notre vision, nous devons également dépasser les approches qui reproduisent des visions qui ont fonctionné dans le passé de l’Union mais qui ne sont pas utiles pour l’avenir, car dans de nombreux cas, elles sont davantage liées à des questions à court terme qu’à des accords politiques majeurs pour aller de l’avant. Dans ce cas précis, par exemple, le supposé axe France-Espagne est davantage lié à la question énergétique qu’à un projet commun pour l’Union européenne.

Si nous nous engageons en faveur d’une UE capable de s’exprimer globalement à partir de ses propres intérêts et principes et de réaffirmer sa position en tant que puissance normative, nous devons générer des points de vue sur l’Union en tant qu’acteur unitaire.

L’exemple de l’axe franco-italien en est une bonne illustration. La recherche d’un moteur d’intégration autour de certains pays nous empêche parfois de voir à quel point ces axes sont façonnés par les circonstances économiques. Et c’est clairement une source de faiblesse. Ce qui semblait être un nouvel axe en 2021 est devenu une illusion après les élections qui ont porté Meloni au pouvoir. 

Au-delà de cette recherche conjoncturelle de différents acteurs pour fonctionner comme des moteurs de l’intégration, je crois que l’accent devrait être mis sur les circonstances mondiales qui nous obligent à prendre des décisions collectives visant à une plus grande intégration et à la construction de la souveraineté et de l’autonomie stratégique. 

Le débat actuel sur la nécessité de réagir au projet de loi américain sur les subventions en est le parfait exemple. Alors que notre prétendu allié poursuit des mesures qui nuisent à notre industrie et à nos économies, l’Union européenne doit agir rapidement et efficacement pour mettre en place des outils de réglementation et d’investissement capables d’y faire face. Ce seront les moteurs de l’intégration liés aux questions structurelles qui définiront notre avenir. La conclusion est claire : la logique des blocs affaiblit l’intégration.

Máriam Martínez-Bascuñán 

Professeur en sciences politiques à l’Université Autonome de Madrid, Máriam Martínez-Bascuñán collabore aussi aux colonnes d’El País, dont elle a dirigé la section Opinions de 2018 à 2020

Je ne suis pas sûr que l’on puisse encore parler d’axes, de deux pays moteurs de l’intégration européenne : je pense que la guerre en Ukraine a en quelque sorte fait exploser le paradigme des fameux axes traditionnels.

Je crois qu’aujourd’hui la ligne de démarcation fondamentale est celle des pays qui pensent que la guerre en Ukraine est une lutte existentielle de la démocratie contre le totalitarisme, et que par conséquent tout doit être fait, et que si la Russie doit être rayée de la carte, elle le sera, et c’est la ligne la plus dure, défendue surtout par les Polonais et les Baltes, qui ont aussi dénoncé avec véhémence les hésitations de Berlin, le refus de Scholz de livrer des armes lourdes à l’Ukraine, et ont vu d’un mauvais œil l’insistance de Macron sur les contacts téléphoniques avec Poutine et l’idée qu’il ne faut pas humilier la Russie. 

L’autre ligne de fracture qui s’est ouverte en Europe est celle qui, jusqu’au départ de Draghi, était incarnée par l’Allemagne, la France et l’Italie de Draghi, qui étaient ceux qui soutenaient qu’à long terme ce qu’il faut faire c’est maintenir une logique de bon voisinage et que la Russie ne peut pas être rayée de la carte. Ce qui est combattu ici n’est pas une population mais des personnes et leurs projets. 

Je crois qu’il y a une nouvelle Europe, en quelque sorte, qui se méfie de la Russie et qui forme ce nouvel axe, mené surtout par la Pologne, et puis il y a une vieille Europe, dans laquelle le changement de gouvernement en Italie fragilise la position. L’Espagne a une belle opportunité d’occuper la place de la « vieille Europe » dans la position à maintenir dans la guerre en Ukraine.

Le moteur franco-allemand est assez rouillé, et le prochain sommet entre la France et l’Allemagne est peut-être une tentative de rétablir les relations, mais il est clair que la France et l’Allemagne se comprenaient beaucoup mieux lorsque Merkel était aux commandes et surtout, en dehors du contexte de la guerre.

Et à l’heure actuelle, il n’y a pas d’axe franco-italien car l’Italie a cessé d’être un pays d’importance systémique au sein de l’Union européenne depuis le changement de gouvernement. L’axe franco-espagnol peut désormais remplacer le rôle que jouait l’Italie dans l’Union européenne.

Cristina Narbona

Première vice-présidente du Sénat espagnol, présidente du Partido Socialista Obrero Español, Cristina Narbona fut aussi ministre de l’Environnement sous le premier gouvernement Zapatero. 

Je crois que l’axe franco-espagnol peut maintenant être comparé à l’axe franco-allemand pour plusieurs raisons. Le plus important est sans doute l’interconnexion énergétique et les projets communs de transition écologique. L’Espagne a un potentiel beaucoup plus important que l’Italie pour jouer un rôle moteur au niveau européen dans ce domaine, étant donné notre développement dans les secteurs des énergies renouvelables et de l’hydrogène vert, ce qui fait de nous un partenaire stratégique pour la France. La dépendance excessive de la France vis-à-vis de l’énergie nucléaire, dont les difficultés économiques, techniques et sociales vont s’accroître, favorise cette alliance, qui est également très opportune pour l’Espagne (et le Portugal), étant donné l’isolement de la péninsule ibérique en termes de connexions énergétiques.