La précédente COP, celle de Glasgow, bien que très fréquentée, n’était pas parvenue à un accord satisfaisant sur le plan des énergies fossiles ni sur les pertes et préjudices (loss and damage), enjeu fondamental pour les pays du sud économique ne pouvant pas prendre en charge les dommages à venir et déjà causés par le réchauffement climatique. 

La pré-COP de Bonn en octobre 2022 s’était à son tour soldée par un échec sur ces deux sujets minés par des désaccords entre des pays aux économies extrêmement dissemblables et aux intérêts opposés. Dès lors, difficile d’arriver à un consensus selon le principe des décisions à l’unanimité, imposé par le fonctionnement du multilatéralisme écologique. Les bilans sur les émissions par pays et à l’échelle de la planète, ainsi que des partenariats multilatéraux biennaux sont attendus à la COP28, faisant de la COP27 une COP « creuse » sur le plan de l’agenda de l’UNFCCC. Ce creux, appelons-le plutôt respiration procédurale, permet de mettre au centre de la COP27 ces questions éminemment importantes et indispensables pour préparer la mise en œuvre du calendrier esquissé à Glasgow. 

La présidence égyptienne a aussi influencé le calendrier de cette COP souvent désignée comme africaine, portant la voie d’un groupe de pays en voie de développement appelant à traiter la question de l’adaptation au changement climatique de façon prioritaire, au risque de laisser de côté l’atténuation des émissions et donc de l’ampleur du réchauffement en lui-même.

La COP27 se tient également immédiatement après la publication du sixième rapport du GIEC, alarmiste à raison, appelant à des actions concrètes, mondiales et profondes pour inverser la courbe des émissions d’ici trois ans, au risque de ne pas pouvoir tenir les  1,5°C préconisés par l’accord de Paris de 2015 pour limiter l’ampleur des catastrophes attendues (sécheresses, famines, écocide, migrations de masse, cyclones…). On comprend donc le slogan affiché de la COP égyptienne : « Together for implementation », « mise en œuvre » pouvant tout aussi bien induire un calendrier « d’adaptation » que de « mitigation ». Le titre annonce d’emblée l’ambiguïté.

Cela dit, le président actuel de l’ONU, António Guterres, a donné le ton en amont de la COP27 : il a déclaré le 26 octobre 2022 que si un pacte historique entre les pays riches et pauvres n’était pas conclu à Sharm El-Sheikh, nous serions condamnés (« we will be doomed »). C’est dans cet esprit que nous sommes partis1.

Le président actuel de l’ONU, António Guterres, a donné le ton en amont de la COP27 : il a déclaré le 26 octobre 2022 que si un pacte historique entre les pays riches et pauvres n’était pas conclu à Sharm El-Sheikh, nous serions condamnés.

Plongée dans le tourbillon

Nous arrivons à Sharm El-Sheikh en avion après un voyage de trente-deux heures : nous avons fait ce que nous avons pu pour réduire notre empreinte carbone en allant jusqu’à Naples en train, mais après de longues journées de recherche, nous en arrivons à la conclusion que, dans le contexte actuel, on ne peut pénétrer qu’en avion sur le territoire égyptien. Par ailleurs, il est intéressant de noter qu’il est complexe de militer pour des trajets alternatifs dans le cadre d’une institution publique. L’ENS a fini par répondre à une partie de nos sollicitations au prix d’une mobilisation de plusieurs services de l’école, et nous les en remercions. Mais il a été difficile de faire une place à l’argument écologique dans la planification logistique du voyage face aux contraintes de sécurité et de budget. Il y aurait un travail salutaire à faire sur cette problématique, dans la mesure où l’empreinte carbone moyenne d’un français aujourd’hui inclut entre 1 et 1,4 tonne de CO2 par an selon les méthodes de calcul par la seule utilisation des services publics. 

Nous découvrons la grande station balnéaire qu’est Sharm El-Sheikh, extrêmement artificielle, sans âme. Partout, des routes, des hôtels, des lumières très vives de nuit. Plus tard, nous apprendrons que les trottoirs colossaux ornés de portiques carrés et de nombreux bancs vides s’étalant sur des kilomètres ont été construits dans les semaines précédant la COP. Même date de naissance pour beaucoup de routes sillonnant le désert entre les deux zones de conférences.

Le complexe hôtelier est fait du même faux bois : un village entier de maisons blanches toutes identiques, douze piscines dans un pays en stress hydrique sévère, climatisation dans tous les appartements… 

Les pavillons des pays : vitrines énergivores et lieux d’échanges

Après une nuit de sommeil, nous prenons le bus — très neuf — pour la COP et nous sommes frappés de la même perplexité : les bâtiments sont tellement climatisés que nous sommes heureux d’avoir prévu un pull, les pavillons des pays sont pour beaucoup extrêmement énergivores : projecteurs, vidéos, écrans plasma… Le pavillon de l’Égypte est immense, son sol est couvert de marbre, alors que le pays annonce un tri des déchets de la COP qui n’aura jamais lieu car trop coûteux. Les pavillons sont, dans cet évènement multilatéral, une vitrine de ce que les pays aimeraient que soit leur image. Souvent, l’écologie est un prétexte et la simple mention de ce thème doit être cherchée à la loupe. Alice, une des membres de la délégation, nous rappelle alors que la COP est, pour un large nombre de pays pauvres, l’un des seuls sommets mondialement médiatisés où ils sont représentés. Dans les négociations comme dans les pavillons, la Conference of Parties est alors une occasion d’exister dans le multilatéralisme sur les plans commerciaux et médiatiques, au détriment parfois de la lutte contre le réchauffement climatique. Pourtant, même et surtout dans le contexte de la COP, les pavillons ne sont pas tous égaux : les pays les plus riches et les moins investis dans la lutte climatique possèdent les plus gros et les plus luxueux. 

Les pavillons ont pourtant la qualité d’accueillir les « side events », conférences, rencontres, workshops en parallèle des négociations climatiques. Les side events sont parfois intéressants pour leur pertinence — comme lorsque les ministres du Golf ont accueilli le réseau culturel Climate Heritage Network en fin de COP, rencontre obtenue de haute lutte et peut-être pas étrangère à l’intégration de deux lignes sur la culture dans la Cover Decision (accord final).

Le pavillon de l’Égypte est immense, son sol est couvert de marbre, alors que le pays annonce un tri des déchets de la COP qui n’aura jamais lieu car trop coûteux. Les pavillons sont, dans cet évènement multilatéral, une vitrine de ce que les pays aimeraient que soit leur image.

Les pavillons sont aussi les lieux des rencontres et des discussions avec des personnes très différentes, que ce soit par leur origine, leur milieu socio-professionnel, ou leurs engagements personnels. Les rencontres interpersonnelles sont les moments privilégiés où l’on peut véritablement prendre la mesure de l’immense machine que sont les négociations climatiques, et de la complexité des sujets qui y sont discutés.

Elsa, une de nos camarades, se souvient, par exemple, d’une femme qui tenait le pavillon de l’Agence Internationale de l’Énergie Atomique. La rencontre lui a semblé passionnante : elle lui a longuement parlé des emplois de la recherche nucléaire peu connus par le grand public, notamment pour lutter contre l’acidification des océans, ou pour recycler le plastique. Elsa, qui n’a pourtant pas un avis très positif sur le nucléaire, ne connaissait pas ces domaines de recherche et cette rencontre lui a donné envie de se renseigner sur ces pistes de solutions. Cette chercheuse lui a aussi fait remarquer que les négociations et les pavillons tendent parfois à se séparer en deux mondes déconnectés. Cette remarque a fait écho à son impression générale : les pavillons accueillent une exposition de solutions au changement climatique plus ou moins innovantes, qui n’ont que peu, voire pas de résonance dans la sphère des négociations.

Qu’elles soient organisées par les deux jeunes délégués français, repérées dans le planning des side events, dues au hasard, au réseautage, ou aux enquêtes, beaucoup de jeunes français à la COP, pas seulement de la délégation ENS, ont considéré les rencontres interpersonnelles comme les moments les plus instructifs de leur séjour à Sharm El-Sheikh. 

Les COP, pour une majorité des quelques dizaines de milliers de participants qui y assistent, sont l’occasion d’un réseautage professionnel souvent riche. Zoé, dans son enquête sur la culture à la COP, a travaillé pour l’association d’art et d’écologie Art of Change 21, ce qui lui a ouvert le réseau assez privé des associations et ONG culturelles en périphérie des COP. Elle est entrée dans le jeu de la chasse à la carte de visite, demandant des entretiens parfois obtenus de haute lutte ou déclinés par les membres et directeurs des organisations. Thibaud, alors qu’il étudiait les négociations sur les transports, a reçu une invitation à un side event informel dans un hôtel cinq étoiles réunissant des acteurs majeurs des négociations sur son thème de recherche. 

À l’échelle des négociations, le « networking » entre les conseillers de diplomates peut être déterminant, nous raconte Sébastien Treyer. Il s’agit alors de « second track diplomacy », travail de fond d’institutions comme l’IDDRI, Institut du Développement Durable et des Relations Internationales, dont Sébastien Treyer est le directeur.

La société civile dans une COP sous régime autoritaire

Qui sont celles et ceux qui obtiennent des accréditations ? Peut-on les désigner sous l’appellation consacrée dans les négociations internationales de « société civile » ? On parle généralement, dans le contexte habituel des COP, de trois cercles d’acteurs : les diplomates, dans la Blue Zone, mènent les négociations inter-étatiques, les entreprises et les ONG prêchent pour leurs paroisses en Green Zone et le troisième cercle, la société civile, s’organise autour des COP en manifestations et contre-événements. Cette année, à la COP27, le troisième cercle était très réduit.

La COP27 s’est tenue dans le cadre d’une répression manifeste du gouvernement militaire d’Al-Sissi envers les protestations des Égyptiens contre le régime. À ces répressions actives s’ajoutent des répressions que l’on pourrait qualifier de passives : le prix du trajet puis de la vie à Sharm El-Sheikh dépassant de loin le pouvoir d’achat de la classe moyenne égyptienne, les difficultés d’accès à la ville, littéralement entourée de remparts, à la Green Zone, lieu des entreprises et ONG traditionnellement théâtre de manifestations lors des COP.

La COP27 s’est tenue dans le cadre d’une répression manifeste du gouvernement militaire d’Al-Sissi envers les protestations des Égyptiens contre le régime.

Il est difficile de rendre compte des affiliations, rôles, actions et buts de la société civile présente en Blue Zone, et donc accréditée par la CCNUCC. Ce qui est certain est que pour s’offrir le voyage, il faut être financé, et pour obtenir une accréditation, appartenir à une ONG, entreprise, institution ayant fait une démarche officielle — comme l’ENS — ou être envoyé par un gouvernement. Dans tous les cas, il faut appartenir à une organisation influente ou à une institution. Est-ce qu’on peut alors vraiment parler de société civile ? Les seuls Égyptiens que nous avons pu croiser en Blue Zone sont les citoyens affiliés au gouvernement et des membres d’ONG en partie financées par le gouvernement égyptien.

Pour organiser une manifestation, encadrée et limitée à certaines zones des cours extérieures, il fallait présenter trente-six heures à l’avance une demande détaillée. Agnès Callamard, à la tête d’Amnesty International, déclare au journal Le Monde : « Les concessions faites aux autorités égyptiennes par la CCNUCC, par exemple sur les conditions posées pour manifester, sont scandaleuses. C’est une façon de se rendre complice du bâillonnement des militants. »

© AP Photo/Peter Dejong

Observer les négociations

Chacun de nous est parti avec un sujet d’étude précis, lui permettant de suivre en fil rouge les négociations touchant à son enquête : Naama Drahy, récemment rentrée d’un stage de biologie de l’environnement au Mexique pour étudier la conservation des mangroves et en Master 2 de chimie du vivant, a suivi les négociations Research and Systematic Observations (10. (a) SBSTA) et le lien entre la santé publique et le changement climatique. Thibaud Schlesinger, diplômé en études urbaines et économie et étudiant en Master 2 de géopolitique, a suivi les questions des transports et celle, peu évoquée, de l’impact environnemental des armées. Adrien Fauste-Gay, du département de physique, militant et passionné d’images, est parti caméra au poing étudier la question des loss and damage et celle des aspirations climatiques de la jeunesse à travers la réalisation d’un documentaire. Alice Munoz-Guipouy, en double cursus ENS-Sciences Po, actuellement en stage à la Cour des Comptes, a jeté son dévolu sur le fonctionnement des négociations climatiques en lui-même, ainsi que sur l’économie de l’environnement et la géopolitique de l’énergie. Rémy Giacobbo, étudiant au sein du master Humanités de l’ENS, secrétaire général de la revue d’étude Perspectives Libres, se pose une question plus méta : il veut savoir où en est l’espoir climatique de la société civile et les opinions fondées ou infondées de cette dernière sur les COP. Elsa Bouly, en double diplôme ENS-Sciences Po, comme Alice, a suivi les questions de santé publique et les rouages de la diplomatie internationale dans le cadre d’un événement multilatéral. Zoé Brioude, du département Arts de l’ENS, a rédigé son mémoire sur l’esthétique du théâtre contemporain éco-conscient et envisage une thèse de recherche-création sur la mise en œuvre de la transition écologique dans les arts vivants, veut savoir si une place est faite aux arts et à la culture dans les discussions climatiques internationales, aussi bien dans les arènes officielles que dans les rencontres en périphérie de la COP. 

Avoir un fil rouge permet de se forger, au fil des négociations, une idée des intérêts et des positions des différentes parties sur un sujet aux enjeux spécifiques. Faire partie d’un groupe de camarades ayant chacun un angle d’approche différent permet d’avoir un aperçu à la fois plus global et précis des résonances de thèmes, des constantes et des blocages en jeu.

Nous avions le statut d’observateurs (observers) : nous pouvions assister à toutes les négociations multilatérales, exceptées celles pendant lesquelles une des parties s’oppose à la présence d’observateurs, qui peuvent éventuellement par leur présence provoquer des phénomènes d’auto-censure. Les observateurs ont généralement accès à un plus grand nombre de négociations que les accrédités « presse » même si, comme en témoigne cet article, la tentative de distinction est parfois vaine. 

Cette position privilégiée d’observateurs en présentiel permet d’en apprendre plus sur les sujets les moins médiatisés de la COP, comme l’impact des armées pour Thibaud ou la culture pour Zoé, écrasés souvent par les sujets de premier plan. Mais même les sujets faisant couler beaucoup d’encre, par exemple l’absence du président chinois à la COP, font souvent l’objet d’un traitement médiatique facile, alors que, pour reprendre la question de la représentation chinoise, le président chinois est rarement présent à une COP et que les négociateurs chinois, eux, étaient aussi présents que d’habitude, leur équipe ayant même à peine changé. 

Avoir un badge d’accès aux négociations ne suffit pas pour les comprendre : chacune d’entre elles se rapporte à des corpus fournis de rapports, d’accords et de brouillons de décisions, accompagnés d’une flopée d’acronymes et d’un jargon forgé par 35 ans de négociations climatiques. Souvent, la formation pourtant spécifique que nous avons suivie ne suffisait pas et nous devions compléter par de rapides recherches Internet. Souvent, pour les négociations mettant en présence un grand nombre ou la totalité des parties (États représentés) le nombre de diplomates, évidemment prioritaires sur les observateurs, était trop important et trop peu de sièges étaient prévus pour les observateurs (il était alors « interdit de s’assoir par terre ou de rester debout »…) : nous étions alors priés de rejoindre la salle dans laquelle était retransmise la session — souvent pleine elle-même. La plateforme en ligne de la COP, censée diffuser les négociations en direct, était souvent en maintenance, ou hors d’état de marche. 

Avoir un badge d’accès aux négociations ne suffit pas pour les comprendre : chacune d’entre elles se rapporte à des corpus fournis de rapports, d’accords et de brouillons de décisions, accompagnés d’une flopée d’acronymes et d’un jargon forgé par 35 ans de négociations climatiques.

Heureusement, grâce d’une part au travail admirable d’un groupe de volontaires de l’association d’écologie de l’ENS qui répondait quotidiennement à nos demandes de synthèses de rapports, discours, sessions ou points presse, d’autre part aux rencontres avec des chercheurs ou négociateurs français organisées par les jeunes délégués français, nous avons pu tenir le rythme et rester au fait des avancées et blocages majeurs dans les débats.

Le thème central du financement

Le financement, dans les négociations climatiques, peut s’entendre principalement de deux façons : financer l’atténuation pour limiter le réchauffement climatique en lui-même, ou financer l’adaptation au réchauffement climatique, qui va de paire avec le traitement des loss and damage, pertes économiques, humaines et territoriales des pays déjà touchés ou prochainement touchés par le changement climatique. La présidence par un pays africain de la COP27 a influencé un agenda plus tourné vers l’adaptation que vers l’atténuation du réchauffement climatique, portant la voix de nombreux pays déjà durement touchés par les sécheresses, inondations, famines… Pour Jean Jouzel, que nous avons eu l’opportunité de rencontrer sur place, il est problématique d’abandonner, ne serait-ce que temporairement, les négociations sur l’atténuation. En effet, malgré l’inefficacité apparente des COP sur ce sujet, il dit avoir changé de discours au fil des ans : alors qu’il avait l’habitude de parler de 4 voire 5 degrés de réchauffement climatique il y a dix ou quinze ans, il parle maintenant de 3 degrés — ce qui, ne nous leurrons pas, reste extrêmement dommageable. Il aurait donc souhaité que la communauté internationale ne se retrouve pas, étant acculée par le début des effets du changement climatique, contrainte à cette position réaliste de centrer le débat sur l’adaptation. 

Dans les deux cas, que le financement soit dirigé vers l’adaptation ou l’atténuation, la demande est unanime de la part des pays en développement : les pays riches doivent payer. Les 100 milliards par an que les pays développés s’étaient engagés dès 2009 à verser à partir de 2020 pour la transition écologique des pays pauvres n’ont pas été tenus. Ce manque, couplé au caractère ridicule de la somme par rapport aux 1000 milliards préconisés par un rapport du Independent High-Level Expert Group on Climate Finance sorti pendant la COP2, a été mis sur la table dans toutes les négociations auxquelles on a pu assister, quel que fût leur sujet.

Les pays en développement mettent aujourd’hui en avant d’une part les ressources qu’ils possèdent, parfois en énergies fossiles, et d’autre part leur expérience de phénomènes prévus dès les premiers rapports du GIEC, auquel ils font systématiquement référence. 

Les premiers jours de la COP ont vu se poursuivre les négociations commencées l’an dernier sur le Santiago Network, dont le but est de faciliter l’aide technique aux pays en développement faisant face à des catastrophes climatiques en cours ou à venir. Les discussions ont traîné en longueur alors même qu’il ne s’agissait pas directement d’aides financières, faisant craindre le pire pour le nerf de la guerre. Le Libéria en particulier a haussé le ton pour demander des efforts au Royaume Uni et aux pays de l’Union européenne. La Jamaïque et le Samoa ont également pris la parole pour rappeler leurs manques en savoirs techniques. Résultat, un texte établissant les organes institutionnels du Santiago Network a été produit, représentant une victoire en demi-teinte pour les pays en développement demandant sans cesse des mesures concrètes.

Pour obtenir les financements nécessaires à leur transition écologique et faire face aux effets du réchauffement climatique, les pays en développement recourent depuis des années à l’argument moral tenant à la responsabilité des pays riches dans le réchauffement climatique alors que les pays pauvres sont les plus touchés. Le président nigérian, par exemple, a pu rappeler le principe contesté du « pollueur-payeur ». Mais le Groupe des 77 (G77), coalition de pays en développement, conçue pour promouvoir les intérêts économiques et politiques collectifs de ses membres et créer une capacité de négociation accrue aux Nations unies, ne semble plus croire à l’argument moral qui a révélé son inefficacité. Les pays en développement mettent aujourd’hui en avant d’une part les ressources qu’ils possèdent, parfois en énergies fossiles, et d’autre part leur expérience de phénomènes prévus dès les premiers rapports du GIEC, auquel ils font systématiquement référence. 

Fin d’une session plénière © AP Photo/Peter Dejong

Tensions et rythme des COP

Face à ces exigences légitimes, les États-Unis proposent des solutions basées sur des échanges de crédits carbone, méthode adoptée par l’article 6 de l’accord de Paris mais faisant l’objet de nombreux débats visant à supprimer les clauses la permettant. L’Europe se joint aux États-Unis dans la volonté de passer par le FMI pour mettre en place des prêts, ce qui, selon Alice qui suit le sujet de près, n’est pas réaliste : ces dettes climatiques ne seront jamais remboursées. La Chine, premier pollueur actuel, refuse de contribuer car elle n’est pas un pollueur historique, ce que ne supportent plus l’Union européenne ni les États-Unis qui ne veulent plus être les seuls à payer. 

Ces tensions sont pour partie liées à la classification des pays selon leur niveau de développement qui est la référence dans les négociations climatiques. Cette classification date de 1992 (annexe 1 de la Convention-Cadre des Nations Unies sur les changements climatiques) et ne peut qu’être un sujet de crispations au vu de sa péremption de fait. Pourtant, pour revoir cette classification, nous dit Béatrice Cointe, sociologue de l’environnement au CNRS et professeure à l’École des Mines, des années de rapports et de débats seraient nécessaires et tout aussi dommageables au vu de l’urgence climatique.

Les négociations s’enlisent sur presque tous les sujets mis à l’agenda ; le ton monte. Le G77 et le Global South élèvent la voix contre la bureaucratie onusienne, faite de mandats, de rapports lents, de technocratie, et au final, selon beaucoup de diplomates de ces pays, de perte de temps. Pour obtenir de l’aide, l’ONU demande des rapports très coûteux et longs à produire à des pays qui n’en ont ni les moyens ni le temps. Il est vrai que notre délégation a été souvent déçue de la teneur de la plupart des débats, tenant souvent à la place d’une virgule dans une clause de traité alors que le bateau coule. out en étant conscients de l’importance des termes utilisés dans de tels textes, dont l’interprétation, aussi délicate qu’un texte de loi, peut donner lieux à des difficultés majeures si elle n’est pas maîtrisée, nous n’avons pu nous empêcher d’éprouver de la frustration en voyant que tant d’efforts étaient consacrés à prévenir ou permettre des lectures de mauvaise foi tandis que l’urgence climatique est plus que jamais pressante. Nous en sommes arrivés à penser (ou à espérer) que les négociations de fond, intéressantes, avaient surtout lieu à huis clos entre deux à trois parties, avec la médiation de l’ONU ou de la présidence de la COP. Le gouvernement d’un pays a en effet tout intérêt à voir se concrétiser des avancées historiques à l’issue de la COP qu’il préside, et c’était l’ambition affichée de la présidence égyptienne cette année aussi. On ne peut pas reprocher à l’Égypte de ne pas avoir tenu son rôle de “facilitateur” dans la tentative de trouver un consensus.

Le 15 novembre au soir, la ministre de l’environnement du Congo-Brazzaville claque la porte de la COP27 : elle estime que les discours n’ont mené à rien. Elle déclare : « Que nous ayons l’honnêteté de nous laisser aller clairement vers le marché du carbone souverain. Est-ce que vous savez que tout à l’heure, dans le cadre de l’atténuation, la problématique du Bassin du Congo n’a même pas été évoquée, et celle de l’Afrique n’a pas été évoquée du tout ? Donc je crains qu’on ne veuille nous étouffer. »

Au 16 novembre, le moral est au plus bas et on est loin du pacte historique demandé par le président de l’ONU.

Le sujet assez peu médiatisé des négociations internationales sur les transports, que Thibaud étudie, est un cas d’étude parfaitement représentatif des intérêts contraires des différents pays conduisant à un patinage des négociations : l’Union européenne plaide pour avancer la date d’objectif de neutralité, la Chine avance que la date proposée de 2050 serait réalisable à condition d’aider les pays en développement dont elle fait techniquement partie — donc sans s’inclure dans les donneurs —, l’Inde trouve l’objectif de 2050 trop ambitieux, met en avant la croissance actuelle du secteur aérien et demande des propositions concrètes pour réduire les émissions. Les pays en voie de développement ne veulent ni ne peuvent payer pour renouveler leur flotte si elle vient à être considérée comme trop polluante. L’Arabie Saoudite refusait même de prendre pour base de négociations les rapports de l’IMO et de l’IATA, considérant que ces textes étaient trop pénalisants pour les pays du Golfe qu’elle représente. Dès le début des débats, on sent que la question serait plutôt de savoir quelles discussions seraient reportées et quand, que de prendre des décisions.

Au 16 novembre, le moral est au plus bas et on est loin du pacte historique demandé par le président de l’ONU. Les réductions annoncées par rapport au pacte de Glasgow sont infimes et ne concernent qu’une poignée de pays.

C’est seulement jeudi 17 que débutent les débats qui entrent dans le vif du sujet : les négociations devant se terminer le samedi, les co-facilitateurs pressent les négociateurs d’atteindre un consensus sur chaque sujet. 

Une conclusion faible

À partir de la publication du brouillon plus que décevant de la « Cover Decision » le 17 au soir, un espoir de retournement de situation s’est montré. Le brouillon a été rejeté presque à l’unanimité car jugé trop long, trop jargonneux, et ne comportant aucune mention de ce qui a pourtant été le sujet central des deux semaines : les pertes et préjudices. 

Dans la soirée, après deux très longues heures de plénière stérile, Frans Timmermans, représentant de l’Union Européenne dont il est le vice-président de la Commission, annonce être en faveur de la publication d’un texte de promesse de financements des pays du sud dès cette année, revenant sur sa position d’attendre l’année prochaine pour envisager d’autres solutions comme une révision du système monétaire international. Salve d’applaudissements dans la salle, réjouissance de notre petite délégation. Puis, nos camarades présents lors de cette session ont assisté au déclenchement en chaîne de réactions de pays sur « l’offre » de l’Union. La Bolivie notamment, représentée par le chef de sa délégation Diego Pacheco, a remis en contexte la position européenne, rappelant que cette dernière faisait partie des pays qui bloquaient la décision de création d’un fonds sur les pertes et préjudices, et que son revirement tenait plus de la levée partielle d’un blocage que d’une offre généreuse.

Frans Timmermans face aux médias © AP Photo/Peter Dejong

Les pays n’ayant pas réussi à se mettre d’accord dans les temps, on assiste, en off, à des négociations bilatérales toute la journée du vendredi, puis la COP27 a été prolongée jusqu’à la nuit du samedi. C’est en prenant le train à Naples pour regagner Paris que nous prenons connaissance de la Cover Decision. Le bilan est en demi-teinte, globalement négatif : la création d’un fonds pour les pertes et dommages a été adoptée, le réseau de Santiago a trouvé son organe hôte et son organe de conseil, mais le flou est abyssal : les pays donateurs n’ont pas été désignés, aucune somme n’est mentionnée, ni aucune échéance. Le texte final de la COP27 ne comportera aucune nouveauté sur l’atténuation du changement climatique non plus, et surtout, rien sur les énergies fossiles, principales sources d’émissions de gaz à effet de serre et éternel blocage international. On compte, si on fait le bilan des déclarations par pays, peu de nouveaux objectifs affichés de réductions des émissions.

Le texte final de la COP27 ne comportera aucune nouveauté sur l’atténuation du changement climatique non plus, et surtout, rien sur les énergies fossiles, principales sources d’émissions de gaz à effet de serre et éternel blocage international.

On notera surtout qu’alors que le réchauffement climatique est déjà une catastrophe pour de nombreuses populations et ne fera qu’empirer, à écouter les discours des représentants des pays développés, personne n’est la cause du problème. La COP est malheureusement le théâtre d’auto-diagnostics de perfection et de modèle à suivre. Pourtant, selon les mots de Sébastien Treyer, déjà cité plus haut, pour réussir le bilan attendu à la COP28 l’année prochaine, il incombera aux parties de se livrer à un examen réaliste : « l’enjeu sera de pouvoir se dire honnêtement, si on n’a pas mis en œuvre, ce qui nous a mis en échec. […] Soyons très honnêtes sur ce qu’on n’a pas fait et sur les raisons pour lesquelles on n’a pas agi, pour pouvoir ensuite comprendre ce qu’il faut déverrouiller ». L’aveu d’échec est, banalement, difficile.

Nous conclurons sur un récit, banal, lui aussi, malheureusement. Lors d’une session sur l’objectif de réduction des émissions d’ici 2030, Zoé assiste aux discours d’intention assez semblables de quelques pays. Vient le tour du représentant du Tuvalu, pays qui, même à 1,5 degrés, sera probablement englouti par les eaux. Ce qui la frappe, c’est d’abord le silence ému qui borde chacun des mots de l’homme. « Une COP qui ne s’attaque pas directement aux combustibles fossiles fait preuve de complaisance à l’égard de la dévastation de mon peuple. » Une rupture de rythme, une respiration douloureuse mais sincère entre deux discours lus ou récités. « 1,5 degrés, ce n’est pas seulement un objectif, c’est un droit humain. » Un appel à l’aide. 

Sources
  1. Depuis 2018, l’École normale supérieure de Paris envoie une délégation d’étudiants à chacune des COP Climat : quatre au total, en sautant l’année du Covid. Bien préparés par les formations RESES (Réseau Étudiant pour une Société Écologique et Solidaire) et JAC (Jeunes Ambassadeurs pour le Climat) ainsi que par les Jeunes Délégués Climat français, qui forment les nombreux étudiants partant à la COP, nous, la délégation COP-ENS (Zoé Brioude, Naama Drahy, Thibaud Schlesinger, Alice Munoz–Guipouy, Elsa Bouly, Adrien Fauste-Gay et Rémy Giacobbo) avions en tête, en partant pour Sharm El-Sheikh, les enjeux diplomatiques de cette année.
  2. Finance for climate action : Scaling up investment for climate and development. Report of the Independent High-Level Expert Group on Climate Finance, Vera Songwe, Nicholas Stern and Amar Bhattacharya, November 2022.