Bruno Latour, Pasteur. Une science, un style, un siècle, Les empêcheurs de penser en rond
« Le virus responsable de la Covid-19 n’est pas un professeur adepte de nouvelles méthodes pédagogiques. C’est un maître dur à l’ancienne qui répète inlassablement la même leçon. Et de reprendre encore une fois la démonstration de sa puissance : « Vous me prenez pour un intrus dans votre monde, mais c’est vous qui êtes des intrus dans le mien. » Chaque mutation de ce virus imprime dans notre cerveau rétif à quel point nous faisons société avec les microbes.
Un monde de microbes ? Cette leçon a été donnée aux sociétés humaines pour la première fois au XIXe siècle. Il était donc inévitable de revenir à l’histoire de la microbiologie en essayant de comprendre pourquoi nous ne sortirons pas de ces intrigues où s’emmêlent si étroitement la science, le droit, la politique et la structure des sociétés de ce temps. Si je me suis tellement intéressé à Louis Pasteur, c’est parce qu’il offrait un cas unique au milieu de cette histoire de liens entre sociétés et microbes. Unanimement admiré pour ses découvertes, il est aussi le savant qui s’était mêlé, comme on va le voir, de toutes les questions de son temps. Pour la nouvelle histoire et sociologie des sciences, c’était le test idéal : une science à l’importance indiscutable qui avait transformé la société de façon radicale. Voilà qui allait permettre de nous sortir de ces visions figées qui continuent à vouloir séparer la science et la politique, les découvertes savantes et les collectifs humains alors qu’ils sont, à l’évidence, si étroitement mêlés. »
Parution le 3 novembre
Jessica M. Marglin, The Shamama Case. Contesting Citizenship across the Modern Mediterranean, Princeton University Press
« Au cours de l’hiver 1873, Nissim Shamama, un riche juif tunisien, meurt subitement dans son palais de Livourne, en Italie. S’ouvre alors un féroce procès au sujet de son importante succession. Avant que les richesses de Shamama puissent être réparties entre ses prétendus héritiers, les tribunaux italiens doivent décider de la loi à appliquer à sa succession – une question qui dépend de sa nationalité. Est-il citoyen italien ? Sujet du bey de Tunis ? Est-il devenu apatride ? Ou bien sa judéité était-elle aussi sa nationalité ? Retraçant une bataille juridique de dix ans impliquant des juifs, des musulmans et des chrétiens des deux côtés de la Méditerranée, The Shamama Case offre une histoire fascinante de la citoyenneté par-delà les frontières régionales, culturelles et politiques.
À première vue, le cœur du procès semblait simple : à quel État appartenait Shamama à sa mort ? Mais l’affaire a donné lieu à des centaines de pages d’exposés juridiques et à des milliers de dollars d’honoraires d’avocats avant que les biens de l’homme puissent être répartis entre ses héritiers querelleurs. Jessica Marglin suit le déroulement des événements, de l’ascension de Shamama au pouvoir à Tunis et son exil auto-imposé en France à sa mort prématurée à Livourne et aux conceptions contradictoires de la nationalité avancées au cours du procès. S’appuyant sur une abondante correspondance, des mémoires juridiques, des avis rabbiniques et des décisions de justice, The Shamama Case redéfinit notre conception des Juifs, de la Méditerranée et de l’appartenance au XIXe siècle. »
Parution le 15 novembre
Hans Blumenberg, Die ontologische Distanz. Eine Untersuchung zur Krisis der philosophischen Grundlagen der Neuzeit, Suhrkamp.
« En janvier 1948, peu après l’obtention de son doctorat, Hans Blumenberg commence à travailler à sa thèse d’habilitation. Elle se transforme rapidement en un projet monumental qui n’a d’autre ambition que de mesurer l’horizon philosophique d’une modernité en crise. Die ontologische Distanz ne répond certes pas entièrement à cette exigence, mais en associant les intérêts de la philosophie de l’histoire et la méthode phénoménologique, l’étude prépare le terrain sur lequel les grandes recherches de Blumenberg sur l’histoire de la conscience s’épanouiront dans les décennies suivantes.
Plus de soixante-dix ans après sa rédaction, Die ontologische Distanz est publiée pour la première fois, complétée entre autres par des matériaux provenant de la succession. Dans sa postface, l’éditeur reconstruit la genèse complexe de l’œuvre, dans laquelle les conditions de travail précaires de Blumenberg jouent un rôle, tout comme sa lecture des textes posthumes de Husserl et son opposition croissante à la philosophie de Heidegger. L’ouvrage permet de comprendre une étape importante du parcours de pensée de Blumenberg et comble une lacune majeure concernant son œuvre de jeunesse. »
Parution le 21 novembre
Emilio Gentile, Storia del fascismo, Laterza
« En 1944, un antifasciste anonyme publiait un pamphlet dont le premier chapitre était intitulé “Le fascisme n’a jamais existé”. Cinquante ans plus tard, un éminent intellectuel antifasciste déclarait quant à lui que « le fascisme est éternel ». L’histoire du fascisme a souvent été racontée pour soutenir ou réfuter une théorie. Cette Histoire du fascisme ne présuppose ni ne propose aucune théorie. Elle raconte les faits qui se sont produits, tels qu’il a été possible de les connaître grâce aux documents. S’agissant d’une histoire et non d’une chronique, l’auteur a mis l’accent sur les personnes, les moments, les conditions et les événements qui ont le plus contribué à transformer le petit mouvement de 1919 en un régime totalitaire en 1926, avec tout ce qui a suivi au cours des dix-neuf années suivantes. Du début à la fin, le fascisme n’a eu qu’un seul leader, mais ce livre montre que ce n’est pas Mussolini qui a généré le fascisme, mais le fascisme qui a généré le Duce. Au cours de sa parabole, le fascisme a subi diverses métamorphoses, mais cette Histoire du fascisme montre que ses caractères essentiels et indélébiles ne proviennent pas du minuscule fascisme mussolinien de 1919, mais du fascisme qui, en 1920, a déclenché la guerre civile squadriste et l’a poursuivie, en devenant un parti de masse, jusqu’à la conquête du pouvoir, l’a institutionnalisée ensuite dans le régime totalitaire et l’a reprise enfin au moment de son agonie. En racontant l’histoire du fascisme, Emilio Gentile n’a pas suivi le scénario de la postérité, qui sait déjà comment cela s’est terminé. Le hasard, l’inattendu, le choix, l’initiative, font partie de cette nouvelle histoire du fascisme, comme ils ont fait partie du fascisme pendant son histoire qui était une histoire neuve, non encore écrite, même pour ses protagonistes. »
Parution le 8 novembre
Albert O. Hirschman, The Postwar Economic Order. National Reconstruction and International Cooperation, Columbia UP
« Bien avant d’être reconnu comme l’un des penseurs en sciences sociales les plus originaux du XXe siècle, Albert O. Hirschman a joué un rôle actif dans la reconstruction de l’Europe d’après-guerre. Entre 1946 et 1952, il a travaillé en tant qu’analyste économique à la Division de la recherche du Conseil de la Réserve fédérale des États-Unis, se concentrant sur la reconstruction de l’Europe et le plan Marshall. À ce titre, Hirschman a rédigé un certain nombre de rapports sur les politiques économiques européennes, les premiers efforts de coopération intra-européenne et les incertitudes qui entouraient la mise en place d’un nouvel ordre économique international ayant les États-Unis pour centre.
The Postwar Economic Order présente une sélection de ces rapports qui offrent une analyse incisive de première main de l’Europe d’après-guerre et donnent un aperçu des coulisses des débats américains sur la reconstruction économique européenne. Ils offre des analyses nuancées de sujets tels que la « pénurie de dollars » de l’après-guerre, les relations américano-européennes et les premiers pas vers l’intégration économique européenne. Hirschman fournit des interprétations originales des luttes que les gouvernements européens ont dû mener sur la voie de la reprise économique. Tout en apportant un éclairage nouveau sur les origines de la coopération économique européenne, ce livre fournit un aperçu de l’évolution de la pensée d’Hirschman sur le développement et la réforme économiques. »
Serge Audier, Devant la crise du libéralisme. Du Colloque Lippmann à la Société du Mont Pèlerin. L’invention du néolibéralisme. Histoire, concepts, controverses, Volume 1, Le Bord de l’eau
« L’invention du néolibéralisme, dans les années 1920-1930, est un événement fondamental dont nous n’avons pas encore fait le tour. À l’épreuve de la crise du libéralisme, il entend refonder le libéralisme et l’économie de marché concurrentielle sur des bases nouvelles, élaborées notamment lors du Colloque Walter Lippmann (1938) et reformulées avec la fondation de la Société du Mont Pèlerin (1947).
Ce n’est pas assez de dire que le néolibéralisme a une histoire : il est une histoire, il se constitue comme courant structuré à la fois par des convergences et des divergences – ne minimisons pas les premières, mais n’oublions pas non plus les secondes. Soudé par un agenda fédérateur minimal – rétablir les mécanismes de marché – et par des ennemis communs – le « collectivisme », le dirigisme, l’État social, etc. –, le néolibéralisme n’en est pas moins traversé de failles, souvent occultées par ses protagonistes, dont le repérage aide à en comprendre les rapports de forces et les évolutions. Ce faisant, un tel repérage permet aussi de saisir les lignes dominantes, les ambivalences et les contradictions d’une des plus importantes entreprises théoriques et idéologiques du XXe et du XXIe siècle, animée par le souci de sauver le libéralisme et le capitalisme face à leurs critiques, y compris dans des phases d’incandescence pour le libéralisme. »
Parution le 4 novembre
Josep M. Fradera, Antes del antiimperialismo, Anagrama
« La traite des esclaves et l’esclavage lui-même ont suscité des critiques dès la seconde moitié du XVIIIe siècle. Ces oppositions sont nées des idéaux égalitaires de la Révolution française et des courants religieux radicaux du monde protestant. Malgré son enracinement et les importants intérêts économiques qu’il soutenait, l’esclavage a finalement été aboli dans les colonies britanniques en 1833, en France en 1848 et aux États-Unis en 1865, dans ce qui fut un triomphe moral pour les humanistes et un facteur décisif dans la transformation des grands empires d’origine européenne. La relation entre les métropoles libérales et leurs colonies était considérée comme une garantie de réforme et d’amélioration de la condition humaine. Malgré cela, la persistance de formes de travail obligatoire, le mauvais traitement infligé à des sociétés aborigènes désormais menacées d’extinction et la montée du racisme et du suprémacisme blanc dans le monde entier ont conduit à la perpétuation des revendications humanistes. Pourtant, ni les voix dissidentes issues des métropoles ni celles qui ont émergé dans les colonies elles-mêmes n’ont projeté un horizon idéologique alternatif à celui des empires : seuls les conflits nationaux et inter-impériaux du début du siècle, les guerres mondiales (avec la participation de recrues issues des territoires coloniaux), ont changé la donne. »
Paru le 26 octobre
Bruce Caldwell et Hansjoerg Klausinget, Hayek. A Life, 1899–1950, University of Chicago Press
« Peu de personnalités du XXe siècle ont été autant adulées et vilipendées que Friedrich Hayek, économiste, théoricien social, chef de file de l’école autrichienne d’économie et champion du libéralisme. Ses argumentsen faveur de l’individualisme et de l’économie de marché lui ont attiré des adeptes fervents, dont beaucoup sont aux commandes d’entreprises et de gouvernements. Ses détracteurs, quant à eux, le considèrent comme l’ancêtre intellectuel du « néolibéralisme » et de tous les maux qu’ils associent à cette doctrine pernicieuse.
Dans Hayek : A Life, les historiens de l’économie Bruce Caldwell et Hansjörg Klausinger s’appuient sur des documents d’archives et des documents familiaux inédits pour produire un récit détaillé des cinq premières décennies de la vie de l’influent économiste. Ils décrivent notamment les débuts de sa carrière à Vienne, ses relations à Londres et à Cambridge, ses conflits familiaux, ainsi que la genèse de La Route de la servitude et de la Société du Mont-Pèlerin. »
Parution le 25 novembre
Aurélie Dianara Andry, The Left and European Integration in the Long 1970s, Oxford University Press
« Ce livre examine la tentative de la gauche européenne de penser et de donner forme à un type alternatif d’intégration européenne – une « Europe sociale » – au cours des longues années 1970. Sur la base d’archives récentes, il montre que la gauche européenne occidentale – en particulier les partis sociaux-démocrates, les syndicats et, dans une moindre mesure, les partis « eurocommunistes » – a formulé un projet visant à transformer l' »Europe capitaliste » en une « Europe des travailleurs ». Ce projet préconisait des mesures coordonnées de redistribution des richesses, la régulation des marchés, la démocratisation de l’économie et des institutions européennes, l’harmonisation vers le haut des systèmes sociaux et fiscaux, des régimes de protection sociale plus inclusifs, la garantie de l’emploi, une planification économique et sociale tenant davantage compte de l’environnement, l’augmentation des dépenses publiques pour répondre aux besoins collectifs, un contrôle accru des flux de capitaux et des multinationales, la réduction du temps de travail et un ordre économique international plus favorable au Sud. Au cours des années charnières qui ont suivi 1968, profondément marquées par le militantisme ouvrier, les nouveaux mouvements sociaux, la crise économique et la remise en cause du « compromis d’après-guerre », une fenêtre d’opportunité s’est ouverte, au cours de laquelle l’intégration européenne aurait pu emprunter des voies différentes. La défaite de l' »Europe sociale » a résulté d’un conflit social de dix ans qui s’est terminé par l’affirmation d’une Europe néolibérale. L’étude de cette lutte oubliée et des raisons de sa défaite peut être utile non seulement aux chercheurs désireux de comprendre l’évolution historique de l’intégration européenne, de la gauche européenne et du capitalisme européen, mais aussi à tous ceux qu’intéressent la construction d’un avenir européen et mondial alternatif. »
Parution le 17 novembre
Marci Baranski, The Globalization of Wheat. A Critical History of the Green Revolution, University of Pittsburgh Press
« Dans The Globalization of Wheat, Marci R. Baranski explore l’héritage complexe de Norman Borlaug, parrain de la révolution verte. Lauréat du prix Nobel de la paix en 1970 pour son rôle dans la lutte contre la faim dans le monde, Norman Borlaug, agronome et phytogénéticien américain ayant travaillé pour la Fondation Rockefeller, a laissé un héritage qui divise les opinions encore aujourd’hui. Ses variétés de blé à haut rendement, connues sous le nom de « semences miracles », ont permis de doubler voire tripler les rendements des cultures dans le monde entier, du Kenya à l’Inde en passant par l’Argentine et le Mexique. Mais ces semences modernes nécessitent également des engrais chimiques et une irrigation massive, qui n’étaient accessibles qu’aux plus riches des agriculteurs. Malgré les assurances données aux hommes politiques que ces nouvelles cultures prospéreraient dans diverses régions du monde et profiteraient à tous les agriculteurs, seule une minorité en a vraiment profité et les monocultures extensives ont remplacé les pratiques agricoles traditionnelles. »
Parution le 15 novembre
Yonatan Adler, The Origins of Judaism. An Archaeological-Historical Reappraisal, Yale University Press
« Tout au long de l’histoire, le mode de vie juif s’est caractérisé par une adhésion stricte aux pratiques et aux interdictions imposées par la Torah : lois alimentaires, pureté rituelle, circoncision, règles du sabbat, fêtes, etc. Mais quand précisément ce mode de vie unique est-il apparu, et pourquoi spécifiquement à cette époque ?
Dans cette étude, Yonatan Adler s’appuie sur des textes anciens et des découvertes archéologiques pour débusquer les premières preuves de l’observance de la Torah chez les Judéens ordinaires. Il examine les ossements d’animaux dans les anciens tas d’ordures, la prévalence des bassins de purification dans les établissements judéens, la datation des représentations figuratives dans les arts décoratifs et fonctionnels, les preuves de pratiques telles que les tefillin et les mezouzot, et bien d’autres choses encore, afin de reconstituer le moment où la société judéenne antique a adopté la Torah comme loi faisant autorité. En se concentrant sur l’expérience vécue des premiers observateurs de la Torah, cette étude modifie une grande partie de ce que nous pensions savoir sur la genèse et le développement précoce du judaïsme. »
Parution le 15 novembre
Susan Colbourn, Euromissiles. The Nuclear Weapons That Nearly Destroyed NATO, Cornell UP
« Dans la guerre froide qui opposait les superpuissances nucléaires, l’Europe était le principal champ de bataille. Washington et Moscou avaient des troupes sur le terrain et des missiles sur le sol de leurs alliés respectifs, les pays de l’OTAN et les États du Pacte de Varsovie. Les euromissiles – des armes nucléaires à portée intermédiaire destinées à être utilisées exclusivement sur ce théâtre régional – ont mis en évidence le fait que les peuples d’Europe étaient dangereusement placés entre le marteau et l’enclume. Cela a mis les dirigeants européens mal à l’aise et a poussé les masses effrayées à descendre dans la rue pour réclamer la paix.
L’OTAN est au centre de l’histoire. Susan Colbourn souligne la faiblesse de l’alliance considérée par beaucoup comme le rempart le plus efficace contre l’agression soviétique. Divisés entre eux et incertains quant à la profondeur du soutien américain, les États membres étaient déchirés par la question des missiles. Cette crise stratégique a été, tout autant que la rencontre au sommet entre Ronald Reagan et le Mikhaïl Gorbatchev, la charnière sur laquelle a pivoté la guerre froide. Euromissiles est une histoire de diplomatie et d’alliances, de mouvements sociaux et de stratégie, d’armes nucléaires et de peurs tenaces, de politique enfin. Pour raconter cette histoire, Susan Colbourn adopte une vision à long terme de la crise stratégique, depuis les nouveaux dilemmes de la défense alliée au début des années 1950 jusqu’aux conséquences du traité FNI trente-cinq ans plus tard. Le résultat est un récit qui change notre façon de voir la guerre froide et son point culminant. »
Parution le 15 novembre
Friedrich Wilhelm Graf, Ernst Troeltsch. Theologe im Welthorizont, C. H. Beck
« Ernst Troeltsch (1865 – 1923) est l’un de ces géants sur les épaules desquels reposent tant d’érudits que leur propre image en devient floue. Dans cette biographie, Friedrich Wilhelm Graf donne des contours précis à un théologien, sociologue, politicien libéral et diagnosticien de l’époque, qui était préoccupé par la question de savoir comment la religion et la modernité pouvaient – malgré toutes les résistances de part et d’autre – être mises en relation. Bien au-delà de la vie et de l’œuvre d’Ernst Troeltsch, sa biographie est donc une contribution à un problème encore virulent aujourd’hui. En tant que sociologue et historien des religions, Ernst Troeltsch est resté dans l’ombre de son ami et collègue de Heidelberg Max Weber. En tant que théologien, pouvait-il être un spécialiste des sciences sociales « neutre en termes de valeurs » ? Ou n’était-il pas vraiment théologien ? Réunir les deux irrite encore aujourd’hui et pourtant, comme le montre Friedrich Wilhelm Graf, c’était la préoccupation première de Troeltsch, qui avait pour lui une signification politique. Troeltsch a étudié la signification culturelle de la religion afin de libérer le protestantisme de ses liens ecclésiastiques et dogmatiques traditionnels. Après la Première Guerre mondiale, il s’engagea en tant que politicien libéral pour la République de Weimar et, dans ses célèbres commentaires de diagnostic de l’époque, il plaça les problèmes du présent dans un « horizon mondial ». »
Paru le 13 octobre
Sabina Loriga et Jacques Revel, Une histoire inquiète. Les historiens et le tournant linguistique, EHESS/Gallimard/Seuil
« L’histoire est une discipline traditionnellement confiante. Depuis le XIXe siècle au moins, les historiens se sont accordés sur un ensemble de règles et de conventions qui garantissaient tout à la fois la production de connaissances objectives et vérifiables, l’affirmation d’une communauté de métier et l’élaboration d’un récit partagé. Ce sont ces convictions essentielles qu’est venu ébranler le tournant linguistique, qui pose que le langage, loin d’être un medium neutre, participe de la construction du monde dans lequel nous vivons et que nous étudions.
Il s’agit d’un moment relativement bref – deux décennies à partir des années 1970 – mais intense, qui, depuis les États-Unis, a été à l’origine de fortes turbulences au sein de l’historiographie et, au-delà, dans toute une part des sciences sociales et des humanités. Dans ses versions les plus radicales, il a pu aboutir à une rupture entre les mots et les choses, au déni de tout rapport à la réalité et à la mise en cause de la possibilité même d’une connaissance du passé. Des questions ont été posées, dont certaines restent ouvertes. L’histoire est aujourd’hui moins assurée de ses certitudes qu’elle ne l’était. Elle est sans nul doute plus inquiète.
Les auteurs se proposent de reconstruire à travers cet ouvrage la dynamique d’un mouvement, le patchwork théorique qu’il a mobilisé, pour comprendre l’attraction qu’il a exercée, les polémiques et les rejets qu’il a suscités, en replaçant le tournant linguistique dans le cadre plus large du moment postmoderne qui, dans les mêmes années, traduit le sentiment d’un épuisement des valeurs et des formes sociales, politiques, culturelles, associées à la modernité. »
Paru le 28 octobre
Gianni Paganini, Il dubbio dei moderni. Una storia dello scetticismo, Carocci
« Le problème de la connaissance, tel que nous le comprenons aujourd’hui, a en quelque sorte été « créé » par le scepticisme, c’est-à-dire par la nécessité de le réfuter pour valider nos croyances. C’est particulièrement vrai pour la période moderne, au cours de laquelle le « défi sceptique » a été relancé et étendu pour mieux être rejeté par Descartes, repris par Hume et dépassé par Kant. Cet ouvrage retrace les étapes fondamentales de ce courant philosophique de la fin de la Renaissance (Montaigne) au siècle des Lumières (avec d’abord Locke, puis Berkeley et Hume, et enfin Kant). À l’âge moderne, le scepticisme a connu son deuxième âge d’or, après l’âge hellénique, non seulement en raison de la floraison d’auteurs qui étaient d’authentiques sceptiques, mais aussi parce qu’il a obligé les philosophes non sceptiques à se mesurer à son défi exigeant et rigoureux. Les doutes sceptiques ont été déterminants pour le dépassement du rationalisme dogmatique, pour l’ouverture à l’empirisme qui était une philosophie des limites de la connaissance et pour l’émergence d’alternatives transcendantales ou non fondationnelles. Les problèmes soulevés dans les sphères morale et politique sont tout aussi importants et pénétrants. On peut dire que le « sage sceptique » représente la première figure moderne de l’intellectuel autonome qui revendique une totale liberté de jugement sur les traditions, les coutumes, les institutions et, dans de nombreux cas, les religions. »
Paru le 14 octobre