Le nouveau gouvernement italien est plus équilibré qu’il n’y paraît. Giorgia Meloni et Fratelli d’Italia disposaient de peu de profils de haut niveau à positionner en tant que ministres. Elle a privilégié la sécurité et a évité de nommer des amateurs afin de ne pas prendre de risques politiques au moment où son gouvernement est évalué par la communauté internationale, en pleine crise de l’énergie.
Par ailleurs, Giorgia Meloni a réussi à reléguer Matteo Salvini a un ministère où il devrait être peu bruyant : celui des Infrastructures et de la mobilité soutenable. Mieux, elle a obtenu la nomination de Giancarlo Giorgetti, bête noire de Salvini au sein de la Lega. Giorgetti représente l’aile institutionnelle et gouvernementale de la Ligue, plus « centriste » et libérale. En positionnant Giorgetti au ministère des Finances, Meloni fait le pari de neutraliser la Lega. Pour cela, elle a néanmoins dû payer un prix élevé en attribuant le ministère de l’Intérieur à Matteo Piantedosi, un proche de Salvini.
Canaliser la Lega et redimensionner politiquement le parti était un objectif prioritaire pour Giorgia Meloni. Paradoxalement, c’est Forza Italia et Silvio Berlusconi qui ont été les plus encombrants ces dernières semaines, notamment en raison des déclarations pro-Poutine du Cavaliere. Forza Italia obtient peu de postes de haut niveau, hormis les Affaires étrangères à travers la nomination d’Antonio Tajani qui a donné de nombreux gages sur l’Ukraine et l’intégration atlantique. Cette faible représentation de FI à des postes importants est risquée pour Giorgia Meloni, qui semble cependant être plus confiante dans ses relations avec ce parti qu’avec la Ligue.
La nouvelle présidente du Conseil s’est en tout cas assurée la nomination de fidèles à des postes clés : Adolfo Urso aux entreprises et au Made in Italy ; Guido Crosetto à la Défense et Carlo Nordio à la Justice. Ces trois profils séniors ont pour fonction de rassurer les partenaires européens et internationaux. Crosetto a été sous-secrétaire à la défense entre 2008 et 2011 ; Urso est lui très lié aux Républicains américains et investi dans les relations avec les services secrets ; quant à Nordio, c’est un magistrat qui a une longue carrière derrière lui et qui a notamment enquêté sur Tangentopoli, les mécanismes de financement illégal de la Démocratie chrétienne dans les années 1990.
Une priorité à l’international : éviter l’ostracisme, rassurer les marchés
À ce stade, le pari de Giorgia Meloni semble fonctionner. La presse internationale manifeste un certain scepticisme, mais cela semble avoir pour fonction de pousser le gouvernement à la modération. Il semble en tout cas évident que la charge médiatique est bien moins violente que lors de la formation du gouvernement M5S-Lega à l’été 2018. Giorgia Meloni bénéficie, par ailleurs, de l’attitude coopérative de Mario Draghi, qui facilite ses efforts de normalisation. Jusqu’ici, l’ex-Président de la BCE a été très accommodant. Il a rendu la transition fluide, ce qui a eu tendance à apaiser les marchés. Par ailleurs, Giorgia Meloni a imposé une diète médiatique à ses troupes après les élections. Elle a donc méthodiquement cherché à réduire les angles d’attaque pour la presse nationale et internationale.
Il faut noter une part non-négligeable de ministres dits « techniques » qui permettent d’envoyer un signal de modération et de volonté de donner une forte dimension technocratique à un agenda politique initialement teinté de souverainisme. Symbole de continuité, Roberto Cingolani, ex-ministre de l’énergie du gouvernement Draghi, rempile comme « conseiller » sur les questions énergétiques auprès de la Présidente du Conseil et du nouveau ministre de l’Énergie, Gilberto Pichetto Fachin, issu de Forza Italia. À noter, 58 % des membres du gouvernement viennent du Nord-Ouest et du Nord-Est du pays.
La répartition est particulièrement déséquilibrée. Certains intitulés ministériels ont par ailleurs sensiblement évolué : souveraineté alimentaire, Made in Italy, Natalité. Un exemple intéressant est le passage de la « transition énergétique » à la « sécurité énergétique ». S’il s’agit certainement d’une simple stratégie de communication, ces nouveaux labels envoient un message : le gouvernement a bel et bien un agenda nationaliste. L’avenir nous dira s’il s’agissait de purs artifices de communication. Ne l’oublions pas : les marges de manœuvre du gouvernement sont particulièrement étroites sur le terrain économique, qui constitue une priorité absolue dans le contexte d’incertitude actuel.
Défis et perspectives du gouvernement Meloni
Outre le budget et la renégociation du plan de relance européen, la crise énergétique représente certainement un défi majeur pour le gouvernement Meloni : la péninsule est particulièrement dépendante de ses approvisionnements en gaz. Son économie est en panne de gains de productivité depuis deux décennies et souffre de l’augmentation de la facture énergétique. Le gouvernement va devoir innover en la matière, après avoir paré à l’urgence. Il ne faut pas oublier que l’Italie dispose de la seconde industrie du continent, et que le pays accueille notamment de nombreux secteurs énergo-intensifs, en particulier au Nord du pays : verre, aluminium, papier, automobile, etc, durement affectés par la crise énergétique.
Un sujet adjacent est bien évidemment celui de l’inflation. Celle-ci érode rapidement le pouvoir d’achat des ménages qui sont actuellement peu soutenus en raison des faibles marges budgétaires du gouvernement. La péninsule pourrait donc vivre une crise de la demande parce que les salaires ne suivent pas — et car l’ajustement est brutal.
La justice civile est un autre champ d’action prioritaire. La justice italienne est particulièrement lente, ses procédures sont complexes, créant un écosystème peu favorable à l’innovation et aux investissements étrangers. Le gouvernement doit absolument avancer sur ce dossier pour espérer améliorer l’environnement des affaires en Italie.
Le troisième défi est celui de la numérisation, dans laquelle l’Italie est très en retard, dans le secteur public comme dans le privé. Sans une nette accélération de la numérisation de l’économie italienne, l’Italie a peu d’espoir de bénéficier ces prochaines vagues de gains de productivité et d’innovation.
C’est en réglant ce type de problèmes que le gouvernement Meloni peut espérer renforcer la soutenabilité de la dette publique italienne qui fait régulièrement l’objet de doutes sur les marchés.